Les miracles de Noël (AST)
Je dois bien avouer que, même après toutes ces années, il y a des choses qui ne changent pas.
Et l'une est qu'ouvrir la porte sur le visage de Senri, couvert de flocons et rougi par le froid, me fait toujours autant plaisir.
Ce dernier m'adresse un petit signe de la main. Qui me permet de remarquer la pochette dans sa main gauche. Cela me fait plus de baume au cœur que cela devrait.
« Salut, Reina.
— Salut, Senri. Quel bon vent t'amène, dis-moi ?
— Emerens ne t'a pas prévenue ? »
Alors, oui, mais Emerens a d'autres préoccupations que de me rappeler ton heure d'arrivée, actuellement. Mais bon, ça, je ne vais pas aborder le sujet. Je me contente de m'écarter de la porte, le laissant retirer ses chaussures et son manteau plein de neige, que je lui retire des mains. Toujours être poli avec les invités. Même si à l'heure actuelle, je suis l'invitée aussi.
« Allez, viens. Tout le monde est dans le salon, on a fini le repas mais si t'as faim, il devrait y'avoir plein de restes. Hina en fait toujours beaucoup trop. »
Il a un petit sourire, que je trouve moins tristoune que d'habitude. Est-ce un miracle de Noël ?
« Il y a du monde, je vois ?
— Ah, oui, c'est le vingt-trois décembre. Thibault et Emerens ont invité à peu près tout leur cercle. Il y a leurs polycules, Sven, Achroma, Lan Yue, Hina, Thal... Et évidemment, Elvira, Mareva, Willy et Florian se sont incrustés. Désolée, j'espère que tu ne comptais pas sur un petit comité ?
— On s'habitue. Où est Emerens, d'ailleurs ? »
Ses doigts se serrent sur la pochette à ces mots. Je crois deviner ce qu'il y a dedans, et voir mes intuitions se confirmer un peu plus est vraiment des plus agréables. Depuis le temps qu'il cherche à trouver les mots. Je crois me souvenir qu'enfants, ça n'avait jamais été son truc, je me demanderai toujours pourquoi devenir écrivain ; mais bon, je me dois d'être une amie supportive.
Je lui dois bien ça.
Même si bon, le plus apte à juger de son écriture ici, Louna mise à part, c'est bien Emerens. Et le problème avec Emerens, c'est...
Je pousse un profond soupir.
« Ah, oui, à ce propos. Bon, tout le monde est prévenu de ton arrivée, ce n'est pas le problème. Le souci, c'est... »
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase. Une tornade blonde m'interrompt en bondissant juste derrière moi, traversant le couloir en coup de vent. L'identité du cataclysme m'apparaît vite à la respiration hachée et au bruit très caractéristique de la prothèse sur notre parquet, mais Senri, qui je suppose n'a eu le temps de voir passer que la tempête, fixe un point derrière moi avec un air sidéré.
« ... C'était quoi, ça ?
— Le problème dont j'essayais de t'informer, je pouffe. Elvira est là, et quand elle a appris ta venue, elle a regretté de ne pas être prévenue plus tôt, parce que du coup tu n'aurais pas de cadeau de sa part. Et une chose en entraînant une autre... »
De nouveau, me voici coupée par une seconde tornade blonde. Sauf que celle-ci se stoppe en plein milieu du couloir, immense sourire aux lèvres et rouleau de ruban entre les mains.
« Senri ! T'es là, mec ! »
Il cligne des yeux. Oui, oui, je comprends. Voir Elvira en nage, les cheveux s'échappant de son chignon, et la robe remontée jusqu'à ses cuisses et nouée pour pouvoir courir correctement, fait cet effet aux gens.
« ... Salut. Je peux savoir ce que tu fous ? »
Elle rit, et tire sur le ruban.
« Désolée, petit contretemps ! Ton cadeau de Noël n'est pas très coopératif, j'essaie de l'emballer depuis tout à l'heure mais il arrête pas de s'enfuir... Promis dès qu'il est prêt je te l'amène ! »
Et le voilà qui se pince l'arête du nez. Il a compris, on dirait. Au moins, je n'aurais pas besoin de lui expliquer pourquoi les deux aînés van Heel courent partout dans la maison depuis son coup de fil.
« Je ne suis pas un cadeau, Elvira ! Lance Emerens depuis son coin de salon. Laisse le ruban et moi en dehors de ça !
— Mais si, mais si, ricane la terrible aînée en tirant de nouveau sur le ruban. Allez, dépêche-toi, tu voudrais pas faire attendre ton misanthrope préféré ? »
Le cri de colère d'Emerens est couvert par la démarche précipitée de sa sœur, qui n'a même pas attendu sa réponse pour se précipiter dans le salon, agitant le ruban à la mode western. Heureusement, je ne peux m'empêcher de me dire, que les enfants sont couchés dans une autre partie du manoir. Ça aurait été compliqué à expliquer à Hei, Irene, Andrius et Livia, sans parler d'Hope.
C'est déjà assez compliqué à expliquer à Senri.
« Tu sais quoi ? Viens dans l'autre salon en attendant que l'un des deux obtienne gain de cause. On y est beaucoup plus calme, et y'a pas de gui accroché au plafond en plus d'assez de bière pour tenir un régiment.
— Avec ou sans empêcher Thibault de boire ?
— Avec, je pouffe. Mais t'inquiète, il s'est beaucoup calmé, ces derniers temps. »
Contrairement à un certain blond de ma connaissance. Enfin, je suis mauvaise langue, ce n'est pas l'alcool, lui, c'est le chaos.
Le sourire de Senri est de plus en plus amusé. Oserais-je dire que voir passer le chaos général est la meilleure manière pour lui d'oublier ses problèmes ? Difficile de penser à sa solitude quand on ne peut littéralement pas s'entendre au-dessus du bruit des gens.
Je le guide jusqu'au deuxième salon, celui ou Elvira et Emerens ne sont sans doute pas en train de se faire une prise de catch. Des gens bien plus calmes s'y trouvent, heureusement pour nous ; Ibrahim, en train de servir les digestifs, adresse un signe de la main à Senri, avant de lui proposer un café qu'il décline.
« Laisse-le manger d'abord, bougonne Hina depuis son coin de canapé. J'entends son estomac gronder d'ici ! »
Toujours autant de tact, dis-donc. Senri pose une main sur son ventre, l'air un peu gêné, mais bon trop tard, Hina est déjà partie dans la cuisine chercher nos restes. Encore une fois, on s'habitue très vite, et j'imagine que les salutations amicales des autres, qui ne relèvent même pas le petit interlude nourriture, suffisent à passer la poussière sous le tapis.
Mareva, la benjamine des deux chaos sur pattes, lui adresse un signe amusé.
« Tu ne tombes pas à un très bon moment.
— j'avais cru comprendre. Ça dure depuis combien de temps ?
— Ton coup de fil. Emerens est étonnamment agile pour un unijambiste. »
Un nouveau bruit de course se fait entendre de la pièce d'à côté, appuyé par un « J'ai entendu ! » assez sonore pour qu'on se doute bien de qui il vienne. Mareva pouffe.
« Excuse-les. Mais tu sais comment ils sont.
— Des copies carbone, en effet, réplique Senri avec un rictus. Ça se calmerait si je disais à Elvira qu'elle n'a pas besoin de m'offrir de cadeau de Noël ?
— Je pense qu'elle ne t'écouterait pas. Elle t'en aurait offert un à un moment où un autre, il se trouve juste que tu viens nous voir à l'improviste et qu'apparemment ça dit des choses très édifiantes au téléphone... »
Toute la salle rigole. Y compris Louna, de retour avec un tas de papier cadeau, qui semble se retenir très fort de faire une blague. Même à trente-six ans, on ne la changera pas, n'est-ce pas.
Le pire, c'est que Senri s'en fout pas mal. Il se contente de pouffer.
« Quel level de rouge ?
— Piment, ricane Louna. Franchement bravo. Je sais pas ce que t'as dit, mais apparemment c'est un truc dont il a pas l'habitude.
— Un peu triste, vu comme ça...
— Venant de toi, s'entend, le coupe Louna avec un haussement d'épaules. Je te demanderai bien ce que tu as dit, mais bon, je suis presque sûre qu'il m'assassinerait. »
Enfin, là, il est un peu occupé à autre chose que l'assassinat de sa femme, je me retiens de dire. Et le « autre chose » vient de se conclure par un énorme fracas et un cri de victoire un poil trop féminin pour venir de la victime. Qui, à en juger par le bruit, se débat toujours, mais plus difficilement.
« J'te tiens ! »
Je ne peux m'empêcher de pouffer.
« Bon ben, on dirait que c'est une victoire pour Elvira.
— Pas très juste, renchérit Sven hilare. Elle est immense, cette meuf. Évidemment que tu peux pas lui échapper. »
Oh, ça, Emerens a plutôt bien réussi pendant les trente dernières minutes. Je pense que c'est plutôt son opiniâtreté à la tâche qui lui a permis de triompher de son malheureux petit frère.
C'est un Thibault hilare qui rentre dans la pièce, saluant Senri d'un signe de tête avant d'ouvrir grand la porte menant à l'autre salon.
« Joyeux Noël, mec !
— Judas ! Lance Emerens vertement de derrière l'encadrement. Tu me payeras ça, crois-moi ! »
Malheureusement pour lui, je crains qu'il ne soit pas en situation de faire porter la moindre de ses menaces. Sinon, il aurait déjà déséquilibré Elvira, qui vient de rentrer avec lui dans les bras, saucissonné dans un ruban du même doré que ses cheveux. Le pauvre, j'aurais presque pitié de lui.
« Et voilà mon vieux ! S'exclame Elvira, immense sourire aux lèvres. Joyeux Noël !
— Un de ces quatre, bougonne Emerens, je vais t'étriper et donner le graillon à bouffer à Alex.
— J'crois que ceci est une preuve que t'en es pas capable. Allez, zou ! »
Et voilà le paquet largué sur les genoux de Senri qui s'est pris le front dans la paume de la main, tandis qu'une Elvira toute fière va droit aux genoux d'un Lan Yue mort de rire. Comme, probablement, la moitié des personnes de la salle. Les grands classiques de Noël, vous-mêmes vous savez...
« Tiens donc, pouffe Senri, j'ai été sage cette année ?
— En rajoute pas, je dois toujours t'étriper aussi. Bon, tu me détaches ou je dois rester dans cette fort humiliante position toute la soirée ?
— Heureusement que j'ai pitié de toi, je pouffe en tendant une paire de ciseaux à Senri. Mais fais pas genre, je suis sûr que c'est une excuse pour t'installer sur nos genoux. »
Je dis nos, parce qu'Emerens est trop grand pour être juste assis sur Senri. Du coup, comme je suis à côté de lui, je fais office de dommage collatéral. Enfin. Senri comme moi sommes probablement d'accord sur un point, on finit par avoir l'habitude, avec les van Heel.
Dont le cadet vient de faire la moue.
« Je trouve que c'est une accusation absolument éhontée. Qui plus est, est-on vraiment obligé d'impliquer le ruban dans ce genre de préoccupations ?
— Thibault déteint vraiment sur toi, sourit Senri en coupant le ruban. Allez, te voilà libre.
— Ah. Merci. Non mais sans blague. »
Il se débarrasse du reste du ruban rapidement, avec un beau geste obscène à l'adresse de son aînée, avant de s'asseoir finalement entre nous deux. Remarquant du même coup la pochette que tient Senri.
« C'est ce que tu voulais me faire lire ? »
Ah tiens ? On dirait qu'il n'est pas juste là pour le plaisir de notre compagnie. Enfin, j'aurais dû m'en douter, il ne ramènerait sans doute pas ses feuilles de route pour rien. Enfin, cela signifie que ma théorie est bel et bien confirmée, et cela me fait vraiment, vraiment plaisir. Parce que je me doute bien qu'il n'est pas là juste pour quelques mots sur un bout de papier.
Il hoche la tête. Arrachant un sourire à notre cadeau de service.
« Au risque de te décevoir, je ne suis toujours pas expert en codes stylistiques japonais, je ne pourrai pas beaucoup t'aider. Ne t'attends pas à des conseils pointus.
— Ce n'est pas si grave. Toute aide est bonne à prendre.
— Je suis bien d'accord. Mais on est pas pressés, rigole Emerens. Reste là un peu le temps de manger, on ira se poser au calme en haut après... »
C'est vrai que là, ce n'est pas tant une ambiance à lecture. Plus une ambiance à « Hina vient de ramener une assiette remplie de restes en courant, et des friandises pour nous éviter de nous rouvrir l'appétit ». Ou à « Elvira est en train de se moquer gentiment avec Lan Yue dans les bras et d'ici peu ça va finir en seconde bagarre ». Ou à « Sachiko vient de rentrer dans la pièce en grande trombe avec les décorations de son mariage, ce qui vient de transformer Emerens en piment pour la seconde fois en une heure ».
Une ambiance à chaos.
Une ambiance à rires.
Une ambiance de Noël dans cette famille que je n'espérais plus.
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