La magie de Noël (AU sans Tuerie)

Noël est moins fêté au Japon. Enfin, au moins la partie religieuse, ce qui m'arrange bien vu que Thibault et moi sommes tous les deux très agnostiques et que l'idée d'aller s'enterrer dans une église n'emballe ni l'un ni l'autre.

Sauf que et surtout parce que je vis dans un environnement international, tout le monde fête Noël. Tout le monde que je connais du moins. Thibault est déjà rentré en Belgique avec Florian. Je sais qu'Emerens le rejoint là-bas, puis ils vont fêter le Nouvel An avec Louna, ce qui les laisse en Europe pour toute la durée des vacances de Noël. Ibrahim, même s'il est musulman de culture, a été suffisamment gentil pour accepter l'invitation de Vlad. Sachiko est en Suède avec les Kasjasdottir et je suis sûre que j'ai entendu au moins trois incidents diplomatiques depuis son arrivée. Et vu que Willy est aussi rentrée aux Pays-Bas, Nako a accepté l'invitation de Moanaura pour fêter Noël sur son bateau à Tahiti.

Traduction, je suis la seule conne qui reste au Japon pour la durée des fêtes. Et si d'habitude ça me dérange pas, parce que je suis pas la seule du manoir à éviter sa famille ou juste à pas bouger, et que tout le monde est suffisamment gentil pour venir me causer de temps à autres, je me sens seule.

Noël est dans trois, quatre jours. Avant, je comptais les jours sur les calendriers de l'Avant que nous concevait maman. Aujourd'hui... Je n'ai plus rien à compter. Rien, à part les vis de mon atelier, encore et encore et encore...

Mon téléphone sonne. Pour une fois que je le garde pas en muet, ça change. Je crois que je guettais un appel de Thibault. Qui vient tous les jours, mais pas encore, aujourd'hui...

À contre-cœur, je décroche sans même regarder le numéro. De toute façon, si c'est un inconnu, j'aurais qu'à lui raccrocher au nez, et...

« Salut, Alannah. »

Je suis plantée sur ma chaise de travail, muette. Les yeux écarquillés.

Niamh ne m'avait plus rappelée depuis au moins deux ans.

Mon silence ne doit pas l'engager à comprendre qu'elle est la bienvenue. Pourtant, elle soupire, ne laisse pas la gêne s'installer.

« Ça faisait un bail.

— Je... Ouais. Pourquoi tu m'appelles ? »

Nan mais je veux pas dire. Mais la dernière fois qu'on s'est parlé, ça a fini dans les larmes et les hurlements. Parce que je voulais pas revenir reprendre la boutique en main. Parce que je fais qu'envoyer des gros chèques de là où je suis. Parce que j'ai fait ma vie au Japon et que Niamh qui a sacrifié la sienne ne peut pas l'accepter.

Parc que j'ai très bien compris que je n'avais plus ma place dans ce qu'il restait de ma famille, parce que moi je suis heureuse, et que je veux le rester.

De l'autre côté du combiné, ma jumelle soupire rudement. Je l'entends presque lever les yeux au ciel.

« Écoute. Je me doute que là actuellement t'as pas envie de me voir. Mais je t'appelle pour te proposer de venir pour Noël. Je sais, ça fait super tard dit comme ça, et que t'as peut-être d'autres plans, mais... »

Mais quoi ? Tu crois que je vais accepter comme ça, Niamh, après ce qu'il s'est passé la dernière fois que je suis venue ? La dernière fois que j'ai dû repartir ? Tu m'as même reproché de ne pas avoir été sur la tombe de papa. Je n'étais restée que deux jours. J'ai bien vu le reproche latent.

« C'est mort, je crache dans le combiné. J'ai pas que ça à faire, moi. »

C'est faux. Mais j'aimerais que ce soit vrai. Est-ce qu'un Noël dans ma famille serait beaucoup plus joyeux que de le passer seule, de toute façon ?

... Je ne crois pas.

Je n'ai plus dix-sept ans. Je n'ai plus cet optimisme, cette sensation que tout va s'arranger si je travaille assez dur. J'ai déjà eu la preuve du contraire.

Et pourtant, qu'est-ce que ça fait mal.

« Si tu as d'autres plans, ça se comprend, grommelle Niamh, l'amertume plein sa voix. Mais je devais quand même essayer. Parce que...

— Parce que quoi, amaideach, je siffle, parce que ça te dit, de passer un Noël à s'engueuler devant le lit d'une morte ? À faire pleurer le petit qui ne l'est plus tant que ça parce qu'on sait rien faire d'autre que tenir la maison et hurler sur notre vie de merde ? Parce que ça te paraît plus réjouissant, ça, peut-être ?!?

— S'il te plaît, Alannah. »

Niahm ne me râle pas dessus. Elle n'est même pas en train de crier. Sa voix est juste pleine de larmes. De larmes au ton étrange.

« Maman te réclame. »

Le silence s'installe.

C'est fou ce que trois mots peuvent faire pour briser une colère.

Maman me réclame.

Maman, qui n'a pas parlé depuis au moins dix ans, qui ne quitte plus son lit et est nourrie via perfusion, maman qu'on a longtemps cru dans un coma avant de se rendre compte qu'elle ne voulait simplement plus vivre, maman qui me faisait construire ses machines et m'apprenait la mécanique quantique quand j'avais dix ans avant de perdre le goût de vivre, maman qui n'avait même plus l'air de savoir que j'existe me réclame.

...

Maman veut me voir...

...

...

Aha.

Je crois que je n'ai jamais eu autant envie de pleurer pour un nouvel espoir.

***

Putain. Noël, c'est vraiment la pire période de l'année.

Je sais qu'il y en a qui l'ont pire que moi. Genre Emerens. L'idée qu'en ce moment, il est en plein dans les pattes de ses vieux sans moi, ou Louna, ou Sharon, me donne la nausée. Mais c'était pas jouable pour aucun de nous trois. Louna et moi, on y est allés au moins deux fois, Sharon une, à chaque fois on s'en est pris plein pour notre grade.

Et puis il y a Sachiko aussi. Son village avait une autre version de Noël et c'en est au point où elle refuse absolument tout cadeau de ma part parce qu'elle a peur. Peur que ça recommence, peur que je devienne comme ces salopards.

Mais y'en a aussi qui l'ont bien mieux. Les photos Insta d'Elvira me font autant chier qu'elles me rassurent. Lan Yue, qui est sur au moins trois quarts d'entre elles, a toujours de la crème ou du chocolat autour de la bouche. Une fois, j'en ai vu dans son cou. Au moins y'en a qui s'éclatent. Et puis Reina, de temps à autres, m'envoie un message pour me raconter la dernière frasque d'Ichiro au repas. Sa famille à elle ne fête pas Noël, mais ils se retrouvent quand même pour marquer le coup.

Et moi en attendant, je m'ennuie comme un rat mort en Belgique. Parce que pendant le divorce, il y a un jour qui est passé sous le couperet de la garde. Le réveillon de Noël. Le réveillon de Noël que je dois passer avec l'autre côté de ma famille maternelle et putain j'ai pas envie.

Foutus grands-parents plus chrétiens que mes couilles.

Tout le monde est morose, dans la maison. Maman, dans sa plus belle robe parce que du coup, elle, elle nous dépose avant d'aller voir papi, fait la tête d'enterrement la plus longue que j'ai jamais vu. Et Florian, encore plus grincheux qu'elle, triture un stimtoy d'un air absent. Je vois qu'il se retient de pleurer.

J'ai vingt-trois ans. Normalement, ça m'absout de l'obligation judiciaire de passer ce Noël avec mon autre mère. Mais Florian, lui, en a dix-sept. J'y vais uniquement pour lui. Parce qu'il ose pas dire qu'il veut plus aller là-bas.

Il devrait. À chaque fois, j'en reviens avec l'envie de niquer des trucs, et lui est toujours en larmes.

Normal. On est clairement pas les bienvenus.

Autant qu'en dise Jane. Nos grands-parents nous rendent responsables, nos cousins nous détestent, et ne parlons pas de la branche homophobe de la famille qui cracherait même si nos mères étaient encore mariées.

Et elle, même si elle fait des pseudos-efforts, je n'arrive plus à voir en elle la mère qu'elle a été.

Ouais, la joie et le bonheur.

« On va pas tarder à y aller, rappelle ma mère sans émotion. Vous avez tout ce qu'il faut ? »

Ouais, de quoi supporter. Une Switch chacun, nos téléphones avec les chargeurs et les casques gonflés à bloc, les stimtoy de Florian, mon ordi portable. Mais y'a rien à faire, c'est pas suffisant. C'est jamais suffisant.

J'ose même pas répondre à ma mère alors qu'elle rassemble dans un sac les cadeaux qu'il est nécessaire qu'on amène.

« Je vous récupère bien après le réveillon, mais si y'a besoin vous m'appelez, hein, le juge ne peut pas vraiment m'emmerder sur vos souhaits à vous... Et vous laissez pas faire, hein, vous êtes beaux, vous êtes grands, vous êtes parfaitement équilibrés et vous allez tout niquer... »

Et la sonnette interrompt cette litanie de courage que même ma mère a du mal à déclamer. T'inquiète, maman, je comprends. Par contre, je me demande bien qui sonne à la porte. Florian grimace.

« Me dites pas qu'elle est venue nous chercher cette fois...

— cette kleine stoephoer n'oserait pas, siffle maman avec une rage que je ne lui ai vue qu'une fois. Elle sait très bien que je la laisserai pas approcher de la maison, putain... »

Au moins je sais d'où je tiens mon vocabulaire. Et ma passion pour les armes blanches alors que maman se ramène vers la porte avec un énorme couteau de boucher à la main, sans doute pour la dissuasion plus qu'autre chose mais bien assez menaçant pour que je reste en retrait. Je peux pas témoigner pour un meurtre si j'ai pas vu le meurtre, toi-même tu sais.

Avec toute la rage d'une cinquantenaire d'un mètre cinquante-cinq, ma mère ouvre la porte, couteau brandi.

« Je t'ai dit au moins un million de fois de ne pas te représenter chez moi avec tes yeux de biche, espèce de sale c- Oh ! Thibault, Florian, venez voir, venez voir ! »

De furieux, le ton de maman est passé à émerveillé. Et c'est suffisant pour que j'en oublie ma promesse de nier toute tentative d'étripage matricide pour me précipiter vers la porte, très curieux de voir ce qui provoque cet éclat de joie en un jour pareil.

Tout ça pour me prendre des cotillons en pleine figure.

« Ho ho ho ! Joyeux Noël, Titi n'amour ! »

Ce n'est pas Jane, derrière la porte. Ni aucune de mes tantes, ou mes grands-parents. À la place, le Père Noël me fixe avec ses grands yeux jaunes, un large sourire bordé de rouge à lèvres écarlate sur le visage. Son bonnet rouge et blanc n'est pas suffisant, cependant, pour enfouir la tignasse exceptionnelle de Sachiko, qui se tient devant le perron avec des confettis plein les mains et une langue de belle-mère prête à fuser jusque dans ma bouche.

Je dis ça parce qu'elle m'a fait le coup, une fois.

Mais quoi que je voie, je crois que mes yeux sont en train de me jouer des tours. Parce que qu'est-ce que foutrait Sachiko Kimura dans les foutues terres paumées de Belgique à Noël ?

Derrière elle, Nako et Moanaura rigolent. De quoi achever de me convaincre que tout ça n'est qu'une hallucination collective.

« Qu'est-ce que... Qu'est-ce que vous foutez-là, toutes les trois ? S'exclame Florian, visiblement plus croyant que moi. Je vous croyais en Suède et à Tahiti ?

— C'était le plan au départ, réplique Moanaura avec un grand sourire, mais depuis qu'on est sur le bateau, Nako se rongeait les sangs pour Willy, et pas moyen de la faire se détendre... Du coup j'ai fait ce que toute bonne pirate lesbienne doit faire, et je nous ai organisé un p'tit trajet commando spécial sauvetage de princesses !

— Et, bon, on est allées quérir l'aide de Sachiko, puisqu'elle connaît mieux le manoir Van Heel que nous, sourit Nako derrière, qui a juste l'air complètement amusée par la fierté de sa copine. Elle a accepté de les tirer de là à condition d'embarquer, je cite, les deux rouquins avec nous. De quoi apparemment servir d'appât pour Emerens et Mareva. »

Ma mère laisse échapper un sifflement approbateur.

« Eh bien ! ça c'est ce que j'appelle la fierté sapphique ! »

Nako rigole d'autant plus alors que Moanaura bombe le torse, l'air extrêmement fière du commentaire de maman. Qui il faut bien l'avouer est mérité. Florian, de son côté, a un petit air incertain, et sans doute me tire-t-il le bras, mais je m'en fous, je suis trop occupé à fixer le visage de ma chère et tendre avec de grands yeux.

Elle est venue jusqu'ici en Père Noël alors qu'elle ne supporte pas cette fête, alors qu'elle était avec Ansgar tranquille en Suède et qu'elles ne se sont pas vues depuis si longtemps, tout ça pour une mission commando que je soupçonne avoir un autre but que tirer trois blonds des pattes du Diable.

Elle est venue pour moi.

...

Merde, qui c'est qui coupe des oignons près de mes yeux, là ?

« ... Vous êtes sûrs ? Bafouille Florian, à côté de moi. Parce que bah, euh, on doit être chez ma m-mère dans deux heures, et...

— Tut tut tut, pas de « mais », le rouquin, le coupe Sachiko net avec un large sourire. J'ai payé ton billet d'avion alors tu ramènes ton p'tit cul, non négociable et payable immédiatement en cash. Z'aurez qu'à dire à l'autre que vous vous êtes faits enlevés par les forces cosmiques pour une mission divine de sauvetage du monde. Remarque, c'est pas bien loin de la vérité, tiens ! »

Toutes les objections de Florian meurent dans sa gorge. Ou bien sont coupées net par une remarque de Sachiko qui ne lui parle de toute façon même plus, elle dit juste des conneries pour l'empêcher d'en placer une. Mais de toute façon, je crois qu'il perd sa motivation de défendre sa position au fur et à mesure que Sachiko parle. Le sourire qui apparaît graduellement sur ses lèvres en est la preuve.

Maman, de son côté, hausse les épaules.

« Qu'est-ce que je peux faire pour une quête divine, n'est-ce pas... Je dirais à Jane que c'était au-dessus de mes forces que de vous arracher à votre destin. Par contre, il vous permettra bien de passer par chez moi lorsque vous rentrerez, mes poussins ? Vous aussi, mesdemoiselles, elle ajoute à l'intention de Moanaura et Nako. Je serais ravie de vous accueillir après votre sauvetage de princesse, et nous pourrons parler femmes toutes les quatre !

— Ce sera avec plaisir, madame, sourit Nako. Merci beaucoup de l'invitation. »

Ma mère balaie ses remerciements d'un geste de la main avec un air qui signifie très clairement « c'est tout naturel », avant de me pousser dehors, moi et Florian, avec un grand sourire.

Sachiko me tend la main. Elle rit.

« Eh bien alors, tu viens ? »

...

Oui, Chichi, je viens. Et putain, je viens de me rappeler pour sans doute la troisième fois de la journée à quel point je t'aime.

Foutus ninjas coupeurs d'oignons.

***

C'est bien beau de partir en mission commando « course dans la neige jusqu'au port d'Amsterdam », mais il y a un souci de taille à cette opération, c'est qu'après il faut rentrer.

Bah oui. Emerens et moi, on a un peu été forcés de loger ici, et c'est pas faute de négocier pour trouver un hôtel. Et Willy, alors là n'en parlons pas.

Heureusement pour nous que les portes de service existent, et que les domestiques en service en ce moment n'étaient pas trop, trop méchants. Parce que rentrer par la porte arrière avec les cheveux et le manteau couvert de neige, merci l'idée brillante de Willy de faire la course dans toute la ville puis celle d'Emerens de démarrer une bataille de boules de neige géante, eh bien, ce n'est jamais très bien vu.

Remercions les dieux que ce manoir soit immense. Et je dis ça alors que j'ai complètement cessé de prier.

L'athéisme forcé, le destin de beaucoup de membres de la fratrie. Pour l'instant, je crois qu'Elvira est la seule chrétienne protestante à pratiquer toujours un minimum...

Les manteaux sont rangés, et maintenant c'est la mission commando pour rejoindre nos chambres qui fait suite à celle pour sortir de table. Vu l'heure, ils doivent être en train de siffler leur énième verre de vin, les vieux pour le standing, Leonard qui tient absolument pas l'alcool pour essayer de se faire bien voir, et Carlijn sans doute parce que ça lui pète les couilles mais qu'au moins le vin est bon. Quelque part, je la comprends.

« Je vais choper un rhume demain à tous les coups, grimace Emerens en passant une main sous son nez. M'apprendra à vous balancer de la neige, bande de traîtresses harceleuses d'handicapés malheureux.

— C'était ton idée, je te rappelle, pouffe Willy à côté. Blâme-toi toi-même.

— C'était mon idée avant que je bouffe de la neige, gottverdammt, réplique mon frère avec son habituelle fausse moue agacée. Je suis sûre que de la poussière d'Amsterdam est venue se coincer dans mon piercing, en plus... J'ai vraiment un goût dégueulasse dans la bouche.

— ça, c'est un truc qu'à dû dire Thibault plus d'une fois, je ricane. J'me trompe, Emerens ? »

Dommage qu'on soit obligés de parler tout bas parce que je crois que Willy est en train de s'étouffer de rire. Emerens, de son côté, me file un coup de poing joueur.

« Thibs me dit plein de trucs mais crois-moi que je vais pas les répéter ici, c'est pas sérieux !

— Putain, t'es dégueulasse, ricane Willy. Y'a des détails je les voulais pas.

— Blâme Mareva, c'est elle qui a commencé. Et puis franchement, franchement, Willelmien, à quoi tu t'attendais de moi ? »

Et il rigole en plus ! Nan mais je veux bien reconnaître ma responsabilité mais au bout d'un moment il abuse, cette espèce de traître... Enfin je dis ça mais je rigole bien. L'un des rares moments de bonheur qu'on partage avec la famille, on va dire. Enfin. Depuis qu'Emerens est allé à l'hosto.

Des fois ça m'arrive de regretter l'époque ou je ne voyais que des parents aimants et des adelphes heureux.

Le couloir des chambres se profile enfin. Il va falloir être particulièrement discrets, au cas où la vieille pute aurait eu un léger problème intestinal et décidé de rentrer prendre ses médocs dans sa chambre, mais au moins, on y est presque. La chambre d'Emerens est la plus proche. C'est déjà prévu qu'on squatte jusqu'à ce que cette bande de soiffards capitalistes n'aille cuver dans leur coin, c'est-à-dire au moins jusqu'à deux heures du matin ; mais bon, on a de quoi faire pour s'occuper. À commencer par la réserve de vinasse qu'Emerens a piquée dans les caves ce matin.

La grande porte de bois de la chambre de nos grands-parents se profile devant moi. Willy grimace, et Emerens marque un temps d'arrêt. Cette chambre n'a pas été occupée depuis au moins deux ans. Pourtant, elle dégage toujours cette même aura malfaisante.

« Heureusement que les vieux sont en maison de retraite, je ne peux m'empêcher de soupirer. Ç'aurait été pire si jamais ils étaient là.

— A commencer par le fait que la vieille aurait carrément employé le terme de « rentrer dans le droit chemin » pour parler de ses idées de thérapie de conversion, grommelle Willy. N'empêche, je me demande comment ils ont accepté d'y aller, en maison de retraite.

— Ils ont pas vraiment eu le choix, je réponds. Adelheid les a foutus en hospice sur avis médical au premier signe de démence. Je crois qu'elle attendait que ça. Faut croire que c'est de famille, de pas aimer ses parents.

— Haha. Oui. »

L'air sombre d'Emerens ne me rassure pas. Heureusement, il a l'air relativement conscient de son état, et se contente de faire un doigt d'honneur à la porte de bois. Classique.

Willy pouffe en le voyant faire.

« Ça va, tranquille, tu profites ? Bien de désacraliser des tombes ?

— Oh, attends, c'est pas le pire que j'ai fait, il ricane. Tu te rappelles la fois où Thibs est venu, Noël 2020, et qu'on s'est éclipsés après le fromage ?

— Comment je pourrais oublier ? J'ai mangé ta part de dessert ce jour-là, ricane Willy. Les grands-parents étaient verts mais au moins le gâteau était bon. Vous étiez partis faire quoi ?

— .... Me faire mon dessert, pouffe Emerens en montrant la porte de la chambre du doigt. Là-dedans. Et en même temps, j'ai foutu le bordel dans la salle de bains des vieux. Pas sûr que ça a marché, vu que j'ai juste remplacé le Viagra de grand-père avec des laxatifs, mais booooooon, si jamais ils ont voulu se faire plaisir...

— En passant après vous ? Je manque de m'écrier, me rappelant juste à temps qu'il ne faut surtout pas que j'élève la voix. Putain mec ! Je sais pas si t'es un génie ou juste complètement dégueulasse !

— Prends les deux, ça me gêne pas, il ricane. Disons que c'est pas surprenant que Thibs soit pas revenu avant que les vieux aient été placés en hospice. La trouille qu'ils aient capté. Dommage, c'était drôle. »

Et autant je vois le pied-de-nez aux vieux, autant là c'était méga risqué. Adelheid aurait juste sorti sa soupe au passif-agressif, ce qui en soit est bien assez désagréable, mais les vieux auraient été capables de les foutre au coin dans deux chambres séparées. Avec des menaces de déshéritement qui de toute façon n'auraient fait effet que sur Leonard.

Enfin bon, on y est presque. Le couloir qui est alloué à notre génération se profile devant notre nez. La chambre d'Emerens est à peine deux portes plus loin, et la mission commando est presque achevée. Enfin tranquilles...

« Pas trop tôt, grommelle Emerens en avisant sa porte. Je vais enfin pouvoir respirer. Je commençais vraiment à étouffer avec ces conneries...

— Ton vocabulaire, Emerens. À ce que je vois, ça n'a pas beaucoup changé. »

... Putain de merde.

Le pire, dans l'histoire. C'est que ce n'est pas seulement Adelheid qui nous a surpris, ramenant son petit en-cas du soir. Toute la génération précédente est là. Et avec elle, Leonard, qui porte Annelies endormie dans les bras et a l'air de ne plus savoir où se mettre.

Même si le pire dans l'histoire est sans doute le regard glacial d'Adelheid.

Willy est blême comme jamais, et Emerens de son côté est complètement figé. Aucun des deux n'est en mesure de répliquer à la terrible matriarche. Qui de toute façon, ne semble pas vouloir nous laisser la moindre occasion.

« Sortir de table en avance, faire les zouaves dans les rues d'Amsterdam, et maintenant pareil vocabulaire, continue l'imperturbable Adelheid. Décidément, toute votre éducation est à revoir.

— La faute à qui, vieille mégère, grommelle Emerens entre ses dents serrées. L'éducation, c'est pas un truc géré par les parents normaux d'habitude ? »

Adelheid lui jette un regard indéchiffrable, avant de soupirer. Évidemment. Évidemment qu'elle allait agir comme si on était des déceptions, évidemment qu'elle allait nous rappeler encore et toujours qu'elle sait exactement où on est, ce qu'on fait, ce qu'on est.

On est tous plus ou moins adultes, il n'y a que moi qui n'ait pas encore eu mes dix-huit ans, pourtant, en sa présence, on se sent tous comme des gamins malappris. Ce comment elle nous voit, en fin de compte.

Je vois Leonard grincer des dents en berçant Annelies, qui dort toujours comme un bébé, mais aucun des trois autres pantins ne réagit alors qu'elle s'avance vers nous, les traits toujours impossibles à décrypter.

« J'ai toujours fait ce qui était le mieux pour vous trois. Que vous ayez décidé de l'ignorer me dépasse. »

...

Ce n'est pas Willy qu'elle désigne.

Ce n'est pas Willy, la troisième.

Et rien que ça, ça me fout les nerfs en boule.

Rien que ça, ça me donne envie de la frapper. Comme notre père a frappé Elvira, cette fois-là.

Il faut que je me contienne.

Annelies a pas besoin de ça.

Je n'ai pas besoin de ça.

Le silence règne. Même Leonard, lèche-cul de première catégorie, est choqué, visiblement. Il s'éloigne tout doucement vers la chambre d'Annelies avec le pas de celui qui ne veut pas être remarqué. Damian, lui, se contente de lever les yeux au ciel, tandis que mon oncle et ma tante échangent un regard. Et Adelheid semble particulièrement satisfaite de voir que ni Emerens, ni moi ne sommes en mesure de répondre.

Elle nous a tenu treize ans avec le même discours, après tout.

« Il serait temps que vous vous calmiez un peu, sourit-elle, reprenant, un instant, sa façade de mère aimante qui nous a tant trompés. Je ne demande pas mieux que de reformer une famille, une vraie. Comme avant, n'est-ce pas ?

— Comme avant ? »

Emerens s'avance d'un pas. Sa voix est douce, bien que teintée d'un fiel que je sens suinter de partout dans son attitude. Il est à deux doigts de craquer. Pourtant, son sourire reste complètement vide d'émotions.

« Oui, mère, nous pouvons parler de l'avant. Avant que tu ne m'envoies dans un collège où je n'ai jamais voulu aller, avant que tu te mettes à te laver les mains de ma santé mentale sur le simple prétexte que je ne fournissais pas les résultats attendus. Est-ce que tu veux qu'on reparle au tribunal de pourquoi j'ai demandé et obtenu mon émancipation ? »

Il fait froid. L'atmosphère, de tendue, est passée à carrément glaciale. Willy recule de deux pas, les traits tirés. Le sujet de l'émancipation d'Emerens a toujours été très sensible, sachant qu'il a été entraîné par Saint-Cyr... Et même mon oncle, modèle d'insensibilité, ne peut retenir un frisson devant l'expression qui se teinte de glace de mon grand frère au bord de l'implosion.

La seule qui résiste est Adelheid.

Évidemment.

Elle se contente de lever les yeux au ciel.

« Tu fais ta petite rébellion avec dix ans de retard, fiston.

Ne m'appelle pas comme ça. »

Tout gèle. D'un seul coup.

Les murs, les cœurs, tout.

Il n'y a plus que moi, les frissons qui me parcourent, les cristaux de glace que j'entends chuter dans chaque mot prononcé, ce vent froid qui me gèle les os plus sûrement que les hivers d'Amsterdam, et tout le gel qui se dégage du regard vert empli d'un mépris plus vif que jamais de celui qui un jour levait des yeux pleins d'amour sur sa mère. Il n'y a pas de fenêtre dans le coin, pourtant, tout le monde frissonne, tout le monde se recroqueville, tout le monde s'éloigne de la confrontation entre Emerens et Adelheid.

Qui s'échangent exactement le même regard de glace.

« Dix ans de retard, hein, mère ? ça tombe bien, susurre Emerens d'un ton doucereux, il y a dix ans, tu sais quel âge j'avais ? J'avais treize ans et je ne me voyais pas dépasser cet âge. Si ça, c'est une crise d'adolescence, qu'est-ce que c'était, il y a dix ans ? L'appel d'un nourrisson qui voulait juste l'amour de sa mère ?

— Je devrais reformuler, réplique Adelheid du même ton. Tu fais ta petite rébellion depuis dix ans de trop. »

Le sourire glacial d'Emerens s'élargit encore.

« Ou j'ai attendu dix ans de trop avant de te coller un procès en bonne et due forme. Qu'est-ce que tu penses de rattraper ce foutu retard ?

— Emerens, intervient Leonard. Tu vas trop loin...

Ferme-la, Leonard. »

Ce n'est plus des cristaux mais un bloc de glace qui tombe de sa gorge. Leonard recule, comme si on l'avait frappé. Une de ses mains maintient Annelies sur son épaule de manière à lui boucher les oreilles. Annelies qui dort toujours. Mais avec le froid qui règne, j'ai peur que cette sensation de bonheur fugace ne lui reste pas très longtemps.

Willy ne manque d'ailleurs pas de le remarquer.

« Emerens, on ferait mieux d'aller se coucher. De toute façon, tout le monde y va, et tu risques de réveiller Annie... »

Il siffle, mais ça suffit visiblement à lui faire reprendre ses esprits. Levant les yeux au ciel, il se contente de se détourner de la confrontation avant de rentrer dans sa chambre sans aucune autre forme de cérémonie. La porte claque derrière lui.

Adelheid secoue doucement la tête avant de nous dépasser. Elle, elle est toujours un bloc de glace. Ni Damian, ni mon oncle, ni ma tante n'osent répliquer de quelque manière que ce soit. Ils se contentent de la suivre.

Leonard est le seul à rester. Il nous jette un regard que je ne sais pas trop si je peux qualifier de désolé. Avant de s'éloigner, sans rien dire, vers la chambre d'Annelies, ma petite cousine toujours dans les bras.

Willy grince des dents.

« Putain, on l'a échappée belle.

— Si on peut dire, je grimace, parce qu'on va en entendre parler demain. Et ça va pas s'arranger avec un peu de pinard.

— Quand est-ce que ça s'arrange, chez les Van Heel ? Soupire Willy. Ça a cessé de s'arranger depuis qu'on est sortis du moule. »

Ouais. Et Emerens n'a de toute façon clairement pas envie que ça s'arrange. Pas au vu de son comportement. Encore moins au vu de comment il a parlé à Adelheid ce soir, à quel point il a laissé exprimer sa haine. Une haine transcrite sous forme de glace.

Quelle ironie que ce soit quelque chose qu'il ait appris d'elle.

***

Putain de bordel de merde, je savais que ça allait être une mauvaise idée.

On est en plein dans la phase de rassemblement de preuves pour le procès. J'ai accepté de parler à un psy pour mes propres preuves. Elvira témoigne de beaucoup de trucs que je ne savais pas. Le dépôt officiel de plainte a été fait, et on commence les affrontements au tribunal dans à peine deux semaines.

Évidemment que Noël allait pas magiquement arranger les choses.

La magie de Noël, c'est aussi surfait que le petit Jésus.

Et du coup, alors que j'espérais au moins passer une bonne fin de soirée, je suis en train de fulminer dans ma chambre, et Mareva et Willy me regardent de travers sans doute à cause de mon coup de colère. Sans blague.

Le pire dans tout ça, c'est que comme je suis en train de congeler intérieurement, je ne me fais pas assez confiance pour siffler le vin que j'ai pourtant eu tant de mal à récupérer. Tu parles d'une soirée gâchée.

Joyeux Noël, Emerens, prends donc ta foutue dose de rappels de traumatismes.

Et mes foutus bras qui me grattent comme à chaque fois qu'elle me regarde de travers.

J'en peux plus.

Tout le monde est plus ou moins sur son téléphone. Thibs m'a envoyé un rappel de calendrier avec mon arrivée après-demain en Belgique, mais même ça, ça n'aide pas à me faire sourire. Et j'en suis au point où la dernière photo Insta d'Elvira, devant une bûche géante avec Cupidon sur un genou et Lan Yue sur l'autre, n'énerve plus qu'autre chose.

J'aimerais tellement être à sa place. Enfin, pas avec Lan Yue sur les genoux... Quoique. Mais Sharon me manque. Louna me manque. Thibs me manque. Je veux les voir, je veux qu'ils m'aident à traverser ça, je veux me réfugier dans leurs bras et oublier que je suis coincé avec les gens qui m'ont poussé au fond du gouffre et toutes leurs victimes.

Le tout en sachant très bien que je peux décemment pas leur infliger ça.

« Foutue Elvira qui m'envoie une photo de son dessert, râle Mareva dans un coin. Au moins une Van Heel qui s'amuse.

— Dessert ? Fais voir la bûche géante ? Je la vois pas trop bien sur sa photo Insta...

— Willy, ricane Mareva, je parlais d'un autre dessert. Donc nan, je garde pour moi, le dessert a pas donné son consentement aux dernières nouvelles. »

... Eh bé putain. Willy pouffe, pendant que moi je lève les yeux au ciel.

« Vous vous échangez les photos, maintenant ? Sacré partage.

— Si tu veux voir aussi, réplique Mareva, imperturbable, c'est le même traitement, va demander au dessert. Et écoute, y'a des accords qui tournent. »

Ça devrait me faire rire. Ça l'aurait fait, d'habitude. J'aurais peut-être même effectivement demandé à voir. Mais pour le coup, là, maintenant tout de suite, la seule réaction que ça m'arrache, c'est un profond soupir. Et ça, Reva le remarque tout de suite. Elle et ses foutues capacités d'observation.

« Écoute, Emerens, je comprends tout à fait dans quel état t'es. Après ce qu'elle t'a fait, t'es parfaitement légitime à péter un plomb et je te trouve déjà super conciliant d'être ici. Mais laisse pas ça te bouffer, s'il te plaît. C'est facile pour personne.

— A part pour Leonard, visiblement, je grommelle. S'il veut se faire entuber par l'héritage, grand bien lui fasse. Qu'il garde tout, j'en ai rien à foutre. »

Mareva vient s'installer à côté de moi. Sa main se glisse dans la mienne.

« Leonard est dans une position tout aussi délicate que la nôtre. Même si ses parents sont, entre guillemets, moins pires que les nôtres, aucun de nous n'est né dans une famille qui voulait juste ce que nous sommes. Et les histoires d'héritage, le fait qu'il essaie de gratter, c'est aussi parce qu'il sait que les vieux s'en branlent totalement de lui, qu'Adelheid s'en branle totalement de son frère, qu'ils sont une génération entière de remplaçants. Y'a des conflits de pouvoir qui n'auraient même pas lieu d'être qui se font et ça fait souffrir tout le monde. »

Y compris nous parce qu'on est en plein milieu. Y compris moi, parce que c'était à moi de reprendre les rênes de la famille, même pas à Elvira ou Mareva, pourtant respectivement l'aînée et la fille prodige. A moi de tout avoir sur les épaules alors que je n'avais jamais rien demandé.

Et si c'est pour ça que Leonard m'en veut, vraiment, je lui laisse ma place quand il veut.

Si seulement ça dépendait de moi.

« Attends, bouge pas, intervient Willy. Faut que j'alimente mon Instagram et entre l'ours grognon et maman ours, j'ai pile la photo qu'il faut.

— Sérieux, Willy ? S'exclame Mareva, mais je vois bien qu'elle rit. Je désapprouve !

— Je trouve que c'est de l'exploitation, je renchéris. De l'exploitation honteuse, jeune femme.

— Ouaip, j'ai l'exploitation dans le sang, c'est de famille. Allez, sourieeeeez ! »

Pas le temps de protester davantage. Willy s'est affalée sur nos genoux et prend un selfie en moins de temps qu'il ne m'en faut pour dire « cheeese ». Pas que j'en ai spécialement envie, de toute façon, je suis toujours de mauvaise humeur. Si bien que la photo que Willy poste tout compte fait dans sa story contient un visage hilare, le sien, Mareva en facepalm, et moi qui ai l'air de ressortir d'Alcatraz.

Checkant mon propre Insta perso, je lève les yeux au ciel.

« Comptez sur les cousines pour prendre la pire photo de soi...

— Eh oui, Raiponce, qu'est-ce que tu veux. C'est ça la cousinade !

— La prochaine fois que tu m'appelles Raiponce, Willelmien, je gronde en attrapant un coussin, je te jure que tu vas le sentir passer, l'oreiller à trois mille balles au fond de ton cul ! »

Bon, ma menace est peut-être un peu atténuée par le fait que je recommence un peu à sourire, mais c'est rien, c'est la promesse de la bagarre qui se profile. Au point que pour faire bonne mesure, je jette ledit coussin à trois mille balles à la tête de mon hilarante cousine, qui se bidonne tellement qu'elle n'arrive même pas à l'esquiver et roule sur mon lit à l'impact.

Sur Mareva.

Oh oh.

Cette dernière ne semble de toute évidence pas beaucoup apprécier s'être pris le boulet Willy dans le dos, et je vois à son expression crispée que ce n'est que le début d'un loooong calvaire. Aïe, aïe, aïe, ça sent si mauvais pour mes fesses ça.

« Emerens et Willelmien Van Heel, siffle ma très chère sœur en se redressant sur ses coudes, je peux savoir ce que vous êtes en train de faire et pourquoi je dois être impliquée ?

— Mais rien du tout Reva, voyons, lui réplique Willy avec un sourire angélique, en plus c'est entièrement la faute d'Emer-mmmmmf ! »

Et shit, ça commence. Mareva n'a visiblement pas attendu que Willy me refile le blâme pour se mettre à jeter des coussins avec une précision terrifiante. Et si je m'en suis pas encore pris un c'est que j'ai réussi le tour de force de dévier les trois qu'elle m'a lancé avec un superbe swing de mon ancienne prothèse, celle de quand j'avais dix ans...

... Je me demande ce qu'elle fait encore dans ma chambre, d'ailleurs.

Mais Mareva ne cède jamais face à l'adversité. Et même si je suis doté d'une arme redoutable, je me fais tellement bombarder qu'au bout d'un moment, je dois céder mon arme redoutable au profit de l'oreiller de la riposte et ce, avant de décéder. Willy s'empare d'une poignée de munitions de son côté et nous voilà partis dans la plus grosse bataille de polochons jamais vue au cœur de cette maison.

Qui ne met pas très longtemps à être dominée par Mareva et sa manie de viser les points sensibles avec ses foutus oreillers.

Heureusement que j'en ai masse sur mon fauteuil et mon lit, tiens.

Ma chambre devient vite un énorme champ de bataille. Avec Willy et moi dans le rôle des soldats tombés au combat. Trop de fois, je tente une riposte pour me faire bombarder par Mareva la terrible ; et même les attaques coordonnées ne fonctionnent que dalle sur ma maudite petite sœur. Qui s'amuse beaucoup trop pour son propre bien.

La bataille atteint un point culminant quand j'entends doucement toquer à la porte.

Willy lâche immédiatement ses oreillers, tandis que Mareva grimace.

« Putain de merde, à tous les coups c'est Leo.

— Si c'est Leo, je vais le foutre dehors, moi, je grogne, laissant à mon tour tomber mes oreillers. Il a pas à savoir ce que je fous dans ma chambre. »

Sauf s'il veut me piquer mes plans culs. Et encore.

Je me dirige vers la porte de ma chambre, avant de l'ouvrir à la volée. Sans faire trop de bruit, je n'ai aucune envie de revoir la mégère avant au moins trois siècles.

« T'as pas autre chose à foutre que nous emmerder, espèce de putain d'imbécile-

— Eh bah alors ? Depuis quand on accueille la cavalerie comme ça ? Je te savais pas si malpoli, chéri ! »

Le reste de ma phrase s'étrangle dans ma gorge.

Pas qu'elle ait eu encore un sens.

Après tout, je destinais ce chapelet d'insultes à mon cousin lèche-cul, pas au visage souriant et dégoulinant de satisfaction de Thibault appuyé dans le cadran de la porte.

Ce dernier me fait un clin d'œil.

« Salut, Emerens. »

Et moi, pour la première fois depuis très, très, TRES longtemps, je me retrouve incapable de parler.

Derrière lui, en plus, il y a une véritable troupe commando. Florian, qui regarde aux alentours l'air absolument terrifié par sa présence ici, Moanaura qui semble faire le guet vu ses yeux qui bougent dans tous les sens, Nako qui ne perd pas une seule seconde pour se jeter dans les bras de Willy –qui tombe d'ailleurs par terre sous le poids de sa copine, repose en paix cousine– et Sachiko qui me fait un large sourire.

Vision irréelle s'il en est.

« Qu'est-ce que... Vous foutez ici ? S'exclame Mareva, dont la voix vient de perdre deux tons en intensité. Je croyais pas vous voir avant au moins plusieurs jours !

— C'est l'idée de Sachiko, bougonne Florian. Nous, elle nous a juste tirés de notre Noël.

— Mon idée, en fait, ricane Moanaura. On s'était dit qu'une journée, c'était bien assez en Enfer. Et puis vu qu'on voulait tirer Willy de là, on s'est dit, pourquoi pas vous ? »

Florian les pousse à l'intérieur de la chambre en quatrième vitesse (bien lui fait, la mégère peut ressortir n'importe quand), et alors que je ferme la porte, je croise le regard hilare de Thibault, qui me sourit.

« Nous ça nous arrangeait, et on s'est dit, pourquoi pas leur faire une surprise au passage ? Merci pour la story, au fait, Willy, ça m'a permis de vous retrouver facilement, vu que j'ai reconnu la chambre d'Emer- »

Pas le temps pour lui de finir de parler. Je l'ai piégé dans une étreinte d'ours suffisante pour briser les os au moins de Ruben, et je suis presque sûr que le fait que je sois sur le point de chialer lui coupe aussi pas mal le sifflet. Il a un rire, un rire que je désespérais d'entendre avant au moins deux jours, et sa main me caresse doucement les cheveux, cale ma tête au creux de son cou.

« Ouais. Moi aussi, je suis content de te voir. »

Je retire ce que j'ai dit.

C'est une preuve indiscutable de l'existence de la magie de Noël.

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Ptit lexique pour les biens de la compréhension :

Amaideach : imbécile en gaélique irlandais

Kleine stoephoer = petite catin de trottoir en néerlandais

Gottverdammt : Nom de Dieu (goddamnit plus précisément) en allemand



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