Game night at the manor (AU sans Tuerie)
Vous savez, il y a un truc que j'adore tout particulièrement.
Mais vraiment tout particulièrement.
Vous voulez un indice ? Il y a un plateau de Monopoly sur la table, des hôtels stackés partout sur les propriétés, des sommes d'argent faramineuses sur la table et une demi-douzaine de personnes autour du plateau, dont certains sont sur le côté en train de compter leur banqueroute et d'autres rigolent en regardant le plateau.
Une scène d'une extrême mignonnerie quand on le regarde sous un certain angle, au vu des sourires et des rires que j'entends.
Ah, là, vous avez sûrement deviné, pas vrai ?
Eh ouais, j'adore étaler mon monopole à la gueule des gens et rafler absolument tout ce qu'ils possèdent, thunes, propriétés, âme, pour les voir se ratatiner devant moi et me vénérer pour ne serait-ce qu'un semblant de pitié que je ne leur donnerai jamais.
Il se trouve que je suis très doué en Monopoly. Que j'ai de sacrées racines capitalistes et que les trois ans d'études de finance ont, fort étonnamment, servi à quelque chose. Et que je n'ai aucune pitié envers mes camarades. Tout ça pour dire que j'ai raflé les trois quarts du plateau, et que les quelques rares pas encore en faillite ne survivent que grâce aux gares et aux carte chance, entre autres petits gains à droite, à gauche.
Sachant que sur le plateau, il ne reste plus avec un semblant de capacités de concurrence que Sharon et Senri. Sharon étant en possession des gares, des terrains jaunes et d'une chance insolente qui lui fait éviter mes propriétés presque à chaque fois, et Senri, qui possède les compagnies, le côté du plateau juste après la case départ, et une bonne capacité à gérer sa thune capable de lui faire parer à beaucoup de situations. Il a déjà réussi à me négocier la compagnie des eaux, ce sagouin.
Est-ce que je la lui ai cédée pour seulement le double de son prix parce que je suis un pauvre pansexuel paumé et que je suis presque sûr qu'il m'a fait du charme ? Ouaip. Mais ça ne change pas grand-chose. Tôt ou tard, il sera obligé de me la revendre, et avec, le reste de ses propriétés, eh eh eh. C'est ça d'être sans pitié.
Les autres, ceux qui ont quitté la table parce qu'ils se sont fait plumer par quelqu'un qui était dans deux tiers des cas moi, nous regardent avec plus ou moins d'agacement. Surtout parce que la partie se prolonge. Reina, la première à céder, tombée au champ d'honneur de la rue de la paix, me lance un regard agacé en voyant que je viens encore d'éviter les gares. À côté d'elle, il y a Louna, qui a dû abandonner lorsque Senri lui a donné le coup de grâce avec les compagnies et un douze très mal placé. Thibault, qui a tenu un temps respectable, sirote un cocktail préparé par les bons soins de Seo-jun, que j'ai littéralement plumé en trois tours de terrain.
Et puis il y a Sachiko, qui fait la banque. Je suis presque sûr que sa chance truque le jeu en la faveur de quelqu'un, mais vu le cul qu'on a tous, je ne saurai pas dire qui. De toute façon, vu qu'elle est interdite de jouer, ça n'affecte techniquement pas la partie.
Senri, dont c'est le tour, lance les dés, et pousse un grognement en voyant que son score lui fait atterrir droit sur la rue de la paix. Qui est à moi, et avec un hôtel. On dirait bien que les deux mille dollars vont te piquer au cul, mon brave ami.
« Tiens donc, je ricane. Un intrus sur ma priorité ? Voilà qui est intéressant...
— Plutôt que de faire le fier, soupire Senri, rappelle-moi combien je te dois.
— Deux mille. Allez, raboule la thune, choupinet. Et t'as de la chance que Louna ait refusé qu'on stacke les hôtels. »
Ouais, parce qu'avec les revenus de la rue de la paix, j'ai assez pour en ouvrir cinq de plus. Vraiment, j'adore ce jeu. Enfin, quand je gagne.
Louna, elle, lève les yeux au ciel.
« Heureusement qu'on ne stacke pas les hôtels. T'as vu toute la thune que tu grattes, espèce de sale bâtard ? J'ai pas envie de devoir vider la banque avec tes conneries...
— La partie aurait été bien plus courte, tu me diras. Alors, Senri, tu payes ou tu perds ? »
Senri pousse un profond soupir.
« J'ai pile assez. Tiens, ton payement, monsieur Monopoly.
— Ah. Merci. Donne moi deux minutes que je compte... »
Parce que non, je me fais pas prendre aux gros tas de monnaie où il manque une petite partie du prix rendue invisible. Et je ne compte pas laisser passer le moindre manquement au loyer. C'est ça de ne pas avoir de pitié. Par contre, comptez sur moi pour ne rien dire s'il y a de la thune en trop, hein...
... Ma daronne a une mauvaise influence sur moi.
Heureusement pour Senri, le compte y est. Tout pile. Bon, il lui reste un pauvre billet de cinq dollars et quelques compagnies, mais en comptant la case départ, et le potentiel passage de Sharon qui se rapproche de sa zone dangereuse, il a toujours moyen de se renflouer avant de tomber de nouveau sur ma machine à sous préférée.
Cette dernière lance les dés avec appréhension et... Oh, petite veinarde. La visite de la prison. Elle a réussi à sauter tous les terrains de Senri et a très peu de chance de tomber sur le dernier, la compagnie des eaux, à deux cases de l'endroit où elle est.
La moue renfrognée de ce dernier me fait rire.
« Eh bah alors, Senri, pas trop déçu ? »
Il fait la moue.
« Rappelle-moi pourquoi j'ai accepté de venir ici jouer avec toi, rapace.
— Parce que tu m'aimes très fort, j'ose espérer. Allons, ne fais pas cette tête, il y a toujours moyen de rebondir...
— Ouais, enfin, je vais pas vous en laisser le temps, grommelle Louna. Ça fait dix tours qu'on vous attend, personne fait faillite. Du coup, pitié, arrêtez-vous là, qu'on puisse faire autre chose. »
S'arrêter là ? C'est vrai qu'on joue depuis plus de deux heures, il est tard et j'ai un peu soif. Puisque personne ne ramène les boissons aux compétiteurs, dans ce manoir. Mais si je regarde ma pile de monnaie et de titres de propriété, le petit tas respectable avec quelques propriétés isolées de Sharon et Senri poches vides mais pas mal fourni niveau immobilier...
Je ricane.
« Dans ce cas, je crois que ma victoire est évidente, non ? »
Sharon hausse les épaules, et Senri pousse un profond soupir.
« Inutile de mener le combat plus loin, en effet. C'est bon, tu as gagné. »
Eh eh eh. Ça aide d'être un énorme bâtard. Mais bon, le Monopoly, c'est bien quand on voit où la partie va. Si je devais continuer encore deux heures pour plumer un trésorier professionnel et une adorable veinarde, je crois qu'on y passerait la nuit, et c'est pas le genre d'occupation que je préfère pour mes nuits.
Sans vouloir faire passer de message.
Je me contente donc de me réjouir de ma victoire pendant que notre banque préférée range le Monopoly avec un regard goguenard à mon adresse, et que Senri et Sharon vont s'asseoir sur le canapé où se trouvent les autres vaincus par mon adresse capitaliste. Qui semblent s'être unis pour me regarder méchamment. Eh, les gars, au Monopoly, y'a un vainqueur, et des perdants.
Fallait pas être pauvres, les enfants.
« Bon, soupire Louna, qui revient avec le ravitaillement. On fait quoi, maintenant ?
— Je propose un strip poker, ricane Seo-jun à mon adresse. Une envie soudaine de faire raquer les millionnaires. »
Je souris. Tu tiens vraiment à me défier sur ce terrain, Seo-jun ? Tu ne sais même pas utiliser ta pokerface correctement. Par contre, vu les têtes de Sharon, Senri, Louna et Reina, je crois que la partie strip est un grand non. Même Thibault a pas l'air convaincu. Tu me diras, les strip poker, on les fait à deux, la plupart du temps.
Disons que ma victoire dépend de mon humeur.
Enfin bref. Louna, après un regard vers les autres, se retourne vers Seo-jun, complètement blasée.
« C'est non. Par contre, on peut faire un poker simple. Ce serait même mieux pour les gens ici qui veulent pas, genre, se désaper.
— Oh par contre, si on fait un poker simple, intervient Thibault, on met en jeu un truc au bout ! Marre des parties sans enjeu... »
Oh, tu m'intéresses, Thibault mon amour. Alors vas-y, balance un peu ton enjeu ?
« Je propose les tours de ménage et de vaisselle, lance une Sachiko souriante. Flemme de faire mon ménage.
— Un, c'est mort, je te laisse pas jouer au poker, la coupe Reina, deux, on ne va pas mettre en jeu nos tours de vaisselle alors que Seo-jun et Senri ne vivent pas ici. Donc bon.
— Y'a d'autres trucs à mettre en jeu, grommelle Thibault. Genre, je sais pas, de la vraie thune ?
— Sans moi, alors, soupire Senri. Pas de jeux d'argent.
— On peut parier des secrets embarrassants, aussi, ricane Seo-jun. On avait fait ça la dernière fois. »
Oui, Seo-jun, très cher, et c'est comme ça que j'ai appris pour ton praise kink. Que j'adore titiller, même si ça fait bien longtemps qu'on a plus rien fait ensemble. Tu tiens vraiment à te remettre en danger comme ça ? Remarque, moi, ça m'intéresse.
En plus, j'avoue que je serais très, très curieux des secrets de certains. Dont un certain Trésorier qui vient d'ailleurs de faire une fort vilaine grimace devant mon expression.
« Toujours sans moi. Mettre en jeu des secrets devant Emerens van Heel, c'est le meilleur moyen de se retrouver avec du chantage sur le dos.
— Pas très gentil, ça, Senri, je ricane. Me crois tu donc si sans-cœur ?
— Je sais ce dont tu es capable, voilà tout. Et je préfère protéger mes petits secrets. »
Zut. Mais du coup, on tombe un peu à court de mises un minimum excitantes... Pas de strip-tease, pas d'argent, pas de tours de vaisselle, il nous reste quoi, à nous ?
« Au pire, soupire Louna, autant mettre en jeu des trucs à la con, genre des câlins. Le vainqueur aura toute l'affection qu'il veut, en incluant évidemment le consentement. »
Des câlins ? Dans cette économie ? Oh, ça me plaît, ça me plaît. Et visiblement, c'est déjà une mise un poil plus responsable que le reste. En plus, j'ai l'impression que ça convient à tout le monde... Enfin, à part Sharon, qui de toute façon vient de hausser les épaules.
« Je suis à peu près certaine de ne pas gagner de toute façon... Et puis, je pourrai toujours dire non, pas vrai ? »
Louna lui chuchote un truc à l'oreille, avant de jeter un regard en coin fort évocateur à Senri. Ouh là. Qu'est-ce que ma démoniaque Scénariste a en tête, je me demande bien, parce que ça ne me plaît pas du tout, là. Et visiblement, à Senri non plus. Ce dernier vient de hausser un sourcil.
« Ça fait des messes basses dans mon dos où je rêve ?
— Mais non voyons, fait Louna avec un sourire angélique. Je disais simplement à Sharon quelque chose de totalement sans rapport. Il n'empêche que c'est la meilleure mise qu'on ait trouvée jusqu'ici, n'est-ce-pas. »
Dit-elle en jetant un regard appuyé à Reina, Thibault, Sachiko et Seo-jun comme pour les dissuader de dire quoi que ce soit. Le groupe échange des regards incertains, et puis Reina hausse les épaules, une expression amusée sur le visage.
« C'est vrai que de l'affection ne ferait pas de mal à certaines personnes de ma connaissance.
— Personne n'étant, bien évidemment, ricane Louna, visé. »
... Ben voyons. Encore une fois, je ne suis pas certain d'apprécier ce qu'elle a potentiellement derrière la tête, mais de toute façon sortir mon paquet de cartes de ma poche me permet de couper court à la discussion.
« Bon, on va dire que c'est décidé. De toute façon, si un buisson d'épines rafle la mise, on pourra toujours trouver autre chose. Bon, qui joue, Sachiko mise à part ? »
Cette dernière me tire la langue avec un superbe doigt d'honneur, alors que le reste de l'assemblée s'installe autour de la table ronde. Non sans que Senri me jette un regard en coin suite à ma remarque sur le buisson d'épines. Ouaip, mon pote, c'est toi que je vise. Des fois, j'ai l'impression de me prendre encore les ronces alors que ça fait sept, huit ans qu'on se connaît.
« Je fais le donneur ! Lance une Sachiko enjouée. Moi, moi, moi !
— C'est mort, Chchi, grommelle Thibault, je te laisserai pas influencer le jeu avec ta chance. En plus, je suis sûre que tu vas tricher.
— C'est une accusation totalement fausse et je suis outrée que tu me fasses aussi peu confiance. Puisque c'est comme ça je boude, na !
— On n'a qu'à le faire chacun son tour, j'interviens. Comme ça, ça limite les chances de triche. Tu as les jetons, Louna ?
— Ouaip, je les répartis équitablement et on va pouvoir commencer. Tu distribues ?
— Sûr. »
Aucun des autres présents ne proteste, et se contente de compter les tas de jetons que Louna étale sur la table. Seo-jun se met immédiatement à jouer avec un de ses jetons, peu concentré sur le jeu, alors que Reina se met à discuter avec Thibault et Louna avec Sharon. Il n'y a que Senri pour rester immobile à fixer la table, mais même lui se désintéresse très vite du paquet de cartes que je suis en train de mélanger.
Je retiens de toutes mes forces un sourire de démon.
Bande d'idiots.
Ils n'ont même pas pensé à vérifier le paquet. Or, c'est le mien, celui que j'utilise presque tout le temps, et que je connais par cœur. La moindre petite indentation, pli sur la carte, forme du dessin arrière, léger trait rajouté, même l'épaisseur me permet d'identifier avec quatre-vingt-dix pour cent d'exactitude la carte que je vois. Et comme je suis très habile de mes doigts, je n'hésite pas à me servir de ça pour maximiser mes capacités de triche.
Et là, je dois dire que l'enjeu m'intéresse BEAUCOUP. Suffisamment, pour, à terme, manipuler les probabilités.
Enfin bref. Là, il y a, voyons, Sharon, Senri, Reina, Thibault, Louna et Seo-jun autour de la table en plus de moi, ce qui fait sept joueurs. C'est beaucoup, pour une table de poker, mais la moitié des gens présents autour de cette table vont partir au bout de deux ou trois tours. Ça, je n'en ai aucun doute. Même pas besoin de truquer les cartes.
Je me contente donc de distribuer comme d'habitude, faisant bien glisser mes doigts sur les cartes pour me donner une idée de qui a quoi. Discrètement, histoire de ne pas attirer l'attention, mais ça me donne une assez bonne idée du jeu de chacun. Et en même temps, les mises montent.
Je me retrouve donc, au bout de quatre cartes, avec une paire de dames. Je suis presque sûr que Seo-jun a un brelan de sept, ce qui le place au-dessus de moi ; ça le rendra plus sûr de lui, je ne pense pas être capable de bluffer. Louna n'a rien à part un as, Thibault une paire de six, Sharon une double paire rois et deux, Reina a presque une suite, et à tous les coups, Senri va se récupérer une couleur au prochain tour. Je vais forcément perdre si je monte mes mises trop haut, même si j'ai un brelan ou une double paire, aucun moyen de les dépasser. Est-ce que je me couche ou pas...
Je fais passer le bout de mon doigt sur le paquet, distraitement. Mais pas moyen d'identifier clairement quelle carte va avoir qui. Zut.
C'est de toute façon au tour de Seo-jun de miser. Ce dernier rajoute deux jetons de cent sur on tas avec un large sourire.
... Bon, là, c'est clair, je me couche. Une double paire potentielle vaut pas les risques. À la limite, Reina a peu de chances d'avoir sa suite, mais la couleur de Senri me coule à tous les coups et il a une chance sur quatre de l'avoir. D'ailleurs, Thibault, Sharon et Louna semblent d'accord avec moi. Même si eux ne peuvent pas forcément savoir ce qu'il y a derrière les cartes que je distribue.
Je referme mes cartes à mon tour et distribue les dernières, et comme je le pensais Senri a sa couleur. Son visage ne montre absolument rien, mais j'ai reconnu la carte que je lui ai donné. J'ai donc limité les dégâts et Seo-jun derrière est délesté des deux tiers de ses jetons. Aucune chance qu'il ait un carré, c'est Reina qui a le dernier sept.
Je finis ma distribution, et Reina se couche. Elle a dû louper sa suite. Dommage pour elle, même si de toute façon elle était mal barrée. Seo-jun, de son côté, ricane en recevant sa carte. Je plisse les yeux. Je lui ai quand même pas donné un full ?
« Là, il ricane, ça devient intéressant. »
Thibault compte sur ses doigts en silence, avant de hausser les épaules. Je pince les lèvres. Visiblement, lui aussi, il cherche. Mais ça ne semble pas déstabiliser Senri, qui suit en silence. Belle pokerface. Ce que j'adorerais la ruiner. Je me demande quelle tête il aurait avec mon rouge à lèvres au coin de la bouche...
... Ouh là, je pense à quoi moi ?
Sachiko me balance un coup de coude avant de me chuchoter un « gaaaaaay » à l'oreille suffisant pour que je sois le seul à l'entendre. Super. Pour le bien du bluff, je ne fais pas le moindre effort pour maintenir ma pokerface et me laisse rougir comme un abruti, mais le bien du bluff m'attire un regard en coin de Senri et un ricanement de Louna. Génial. Les deux pires possibles pour le remarquer.
Je lui jette un regard outré, et elle me répond d'un ricanement, avant de se tourner vers le jeu.
« Allez, les gars, retournez vos cartes qu'on rigole un peu ! »
Seo-jun ne se fait pas prier et dévoile son brelan. Oh, donc pas de full. Il a tenté de bluffer Senri pour qu'il se couche, visiblement, mais ça a pas marché. Senri, de son côté, n'a pas la moindre expression lorsqu'il dévoile son cinq, huit, dix, valet et roi de trèfle.
Et puisque les autres se sont tous couchés, il rafle tous les jetons de la table, dont les deux tiers des fonds de Seo-jun qui pousse un cri dépité. Eh, mon gars, c'est pas parce que t'es garde du corps que tu sais utiliser ton expression patibulaire partout comme il le faut.
« Putain ! J'étais persuadé que ça allait marcher !
— Ton bluff est pas très efficace, lance Senri. Je suis sûr que même Emerens l'avait vu. »
... Attends, quoi ? Comment ça, même Emerens... oh.
C'est vrai, putain, j'ai jamais joué au poker avec lui, et certainement pas pour gagner. Mais depuis le temps, j'aurais pensé que quelqu'un lui avait dit, pour mes suspicions de triche. Je suis donc si doué que ça pour que personne ne me grille ?
Quoique non. Louna vient de me jeter un coup d'œil blasé, et Sachiko un nouveau coup de coude. Ces deux-là savent très bien de quoi je suis capable, Louna puisqu'elle me connaît bien et sait que j'ai un excellent jeu d'acteur, et Sachiko, qui connaît toutes mes capacités en termes de jeu comme de manipulation du jeu parce que j'ai déjà joué contre elle de gros, très gros enjeux. Au maximum de mes capacités.
Qu'il m'est arrivé de gagner, des fois. Je bluffe un peu mieux qu'elle et suis très doué pour déstabiliser mes adversaires. Ça aide.
Mais en attendant, Senri n'est pas prévenu, et aucune de ses anges gardiens au courant n'ont l'air de vouloir le faire. Et je crois que la partie vient de prendre un tour vraiment, vraiment très intéressant.
J'adore quand mes adversaires me sous-estiment. La désolation dans leur regard n'en est que plus savoureuse.
Enfin bref. Autant passer à la suite des parties. Je fais glisser mon paquet vers Louna, et cette dernière se met à mélanger les cartes pendant que je me cale nonchalamment sur mon dossier avec un petit sourire.
Sachiko se penche au-dessus de moi. Ses cheveux me chatouillent le visage, mais bon, j'ai vu pire. Et de toute façon, je suis concentré sur ses lèvres qui forment silencieusement quelques mots, avec son petit sourire goguenard.
« Tu comptes tous les plumer sans pitié, pas vrai ? »
Mon sourire s'élargit. On se comprend décidément trop bien.
La partie continue. Quelques coups de chance et un full me permettent de ramasser les gains de Louna, Seo-jun et Reina, et Senri met Thibault dans une situation compliquée avec un superbe coup de bluff sur une paire de trois. Je reste attentif aux jeux des autres, mais préfère ne pas dévoiler l'étendue de mes capacités pour le moment, si bien que je me permets même de perdre une grosse mise face à Sharon. Qui se débrouille pas trop mal non plus. Elle a un superbe bluff. Et décidément, je suis très hétéro, moi.
Au bout de quelques tours, finalement, il ne reste plus autour de la table avec un pécule correct que moi et Senri. Thibault, qui a tenu jusqu'ici grâce aux lois de probabilité, est en mauvaise passe, et Sharon n'a presque plus de jetons et se maintient tout juste la tête hors de l'eau, concentrée.
Mon tour de distribuer, cette fois. Et je commence à en avoir marre de me maintenir dans la moyenne. Thibault et Sharon ne vont pas tarder à céder, et j'aimerais bien être assez confortable quand ça arrivera.
Temps de passer à la vitesse supérieure.
Je cale le paquet entre mes mains, avant de commencer à distribuer, un peu plus vite que tout à l'heure. Senri hausse un sourcil, Thibault grimace lorsqu'il récupère les trois premières cartes d'avant le premier tour de table, Sharon reste concentrée, mais aucun des trois ne remarque que je ne distribue pas les cartes de manière tout à fait legit.
Vous savez, je vous disais que sur ce paquet, je pouvais identifier toutes les cartes avec une marge d'erreur de dix pour cent ? Il se trouve que c'est maintenant que ça va montrer toute son utilité. Parce que je sais aussi comment distribuer les cartes en donnant à chacun celle que je veux, et pas celle du dessus du paquet, en toute discrétion pour quelqu'un qui ne surveille pas la donne de trop près.
Ce qui fait qu'après quelques calculs et un savant mélange, je me retrouve avec une quinte confortable, Thibault a une double paire, Senri rien et Sharon un brelan. Et c'est Thibault et Sharon que je veux pousser à la faillite. Donc bon, autant leur faire prendre des risques.
De même, j'ai monté le niveau de mon jeu d'acteur. Je fais le gars qui prend des risques qu'il n'est pas sûr de contrôler, maintenant. Sachiko, qui voit très clair dans mon jeu, rigole, mais ni Thibault ni Sharon ni Senri ne voient quoi que ce soit. Il n'y a que Louna qui pense à vérifier mon jeu, et fronce les sourcils.
Eh, écoute, ma chérie, il y a des câlins en jeu.
Une goutte de sueur coule sur la tempe de Thibault. Il se mord la lèvre, avant de pousser, finalement, sa relance vers le milieu avec un haussement d'épaules. Il fait tapis, sans trop de choix, et Sharon est obligée de le suivre. Senri s'est déjà couché depuis longtemps.
Je me retiens de sourire, et suis sans un mot de plus.
Louna, derrière moi, ricane.
« Eh bien eh bien, il promet, ce jeu.
— Épargne nous tes commentaires, grommelle Thibault. On ne veut pas savoir qui a quoi. »
Stressé, mon amour ? Je te comprends. Même si la mise n'a pas beaucoup d'enjeu, du moins pour toi, ça fait toujours monter la tension artérielle, le poker. Et tu n'as clairement pas les épaules pour ça, sans vouloir te vexer. Être bon en maths ne suffit pas.
La preuve avec Senri. Qui hausse les épaules, toujours concentré, avant de nous regarder dévoiler nos cartes.
Et Thibault pousse un cri de rage devant ma quinte.
« C'est une blague ?!? J'étais persuadé que t'avais rien !
— Eh oui Thibs, ça s'appelle le talent, je ricane. Et le talent me permet de tout rafler. Allez, vos jetons, les enfants, et préparez vos câlins... »
Sharon pouffe avant de me laisser ses derniers jetons, et Thibault me tend les siens avec un doigt d'honneur. Je les trie avec soin avant de les entasser. J'en ai un poil plus que Senri, maintenant, qui me fixe avec intérêt.
Je souris.
« On dirait qu'il ne reste plus que toi et moi, Senri. Ça tombe bien, j'adore les duels au sommet. Ça a un petit quelque chose de romantique.
— OK, Romancier, il rigole. En attendant, tu m'as surpris. Tu te débrouilles mieux que ce que je pensais.
— Ravi de l'apprendre. Tu penses que ça va durer ? Je crois que la mise ne t'intéresse pas, mais ce serait dommage de laisser tomber maintenant... »
Il hausse les épaules.
« Mise ou pas, je ne dis jamais non à un peu de challenge. On va voir combien de temps tu tiens. »
On va passer sur ce que me suggère mon cerveau un poil trop câblé dans la mauvaise direction qui me hurle de lui faire une démonstration d'un tout autre type.
Tu veux relever le niveau ? Oh, très bien, on va relever le niveau, mon grand.
De ce que je vois, Senri est un joueur tout à fait décent. Clairement pas Sachiko ou Stefan, mais assez pour tirer son épingle du jeu face à des joueurs du dimanche. Il a réussi à tenir assez longtemps contre des gens pas trop dégueu comme Thibault ou Sharon, sait gérer les risques, et a assez de pokerface pour que je n'ai aucun indice sur son jeu. C'est le genre de joueur qu'il m'est très difficile d'affronter à la loyale. Difficile, pas impossible.
Pas de chance, je suis un tricheur. Et au poker, la triche n'est punie que pour ceux qui la montrent.
Je lui tends le paquet avec un sourire.
« Dans ce cas, distribue, et éblouis-nous. De toute façon, dans tous les cas, je sors gagnant, pas vrai ? »
Et ça, c'est pas mal vrai. Enfin, sauf s'il me dit non, mais je réfléchirai à ce problème plus tard.
Louna pouffe, et chuchote un truc à Sachiko qui ricane à son tour. Thibault et Seo-jun me jettent un coup d'œil goguenard, et même Sharon et Reina semblent amusées par ma remarque, mais cette fois, je ne me laisse pas déstabiliser, même intentionnellement. Je suis trop concentré sur mes cartes.
Un brelan de dix et un sept. Pas mal, je peux espérer un full. Au vu des cartes dans ses mains, je suis quasiment certain qu'il a une double paire, de neuf et de reines. S'il a le full aux dames, il me passe devant, si aucun de nous deux l'a, je gagne. Je suis sûr à quatre-vingt pour cent qu'il n'aura pas le full. Est-ce que je le laisse miser plus haut pour la dernière carte ou...
Hm. Non. Les sommes ne sont pas trop hautes, je peux me coucher. Autant continuer mon jeu de dupes. Il hausse un sourcil, mais récupère néanmoins sa mise sans faire de commentaires. Dans ses mains, un brelan de neuf.
Un brelan de neuf ?
Tiens, tiens.
Je fatigue, on dirait. Pour les prochaines parties, il va falloir que je me reconcentre avant de perdre mon avantage. Et tant pis si je dois jouer toutes les cartes que j'ai en main.
Je souris.
« Tu comptes vraiment rafler tout ce que je possède ?
— Concentre-toi sur le jeu au lieu de dire des bêtises. Je sais sur quoi ça va embrayer, et ton flirt ne te tirera pas d'affaires. »
Oh, mais c'est qu'il m'avait vu venir. J'aime. Et la concentration sur son visage est délicieuse à regarder. Pas la moindre goutte de sueur. Ça faisait bien longtemps que je n'avais pas joué contre un adversaire un minimum décent.
Eugénie, Stefan et Sachiko ne comptent pas, ils m'écrasent trois fois sur quatre.
Louna ricane.
« Fail, chéri. Réessaye plus tard.
— Oh, j'y compte bien, j'y compte bien. Je peux avoir le paquet, Senri de mon cœur ? »
Avec un petit clin d'œil qui lui montre bien que je ne compte pas abandonner. Il lève les yeux au ciel, mais me tend le paquet sans rien dire, et me regarde mélanger avant de distribuer.
Les parties s'enchaînent comme ça. L'une après l'autre. Je monte sérieusement la barre en termes de bluff, me rend imprévisible, même pas pour un faux motif que je viens de toute façon allègrement de briser. Et Senri semble se rendre compte que je ne serai pas si facile à battre que ça. Son front se plisse au fur et à mesure que la partie avance.
Nos jetons passent de main en main, dans le silence le plus total, des fois coupé par un de mes traits d'esprit auquel il répond de moins en moins. Même sans me servir de mes atouts de triche, je sens qu'il commence à faiblir. Une goutte de sueur roule le long de ses tempes alors que sa dernière distribution me vaut de remporter tout ce que j'avais perdu plus tôt, le mettant au bord de la défaite.
Même du côté des autres, c'est le grand silence. Tout le monde nous regarde jouer avec des expressions que je ne peux qu'imaginer, mais je les relègue dans un coin de mon cerveau, concentré sur le jeu.
C'est entre toi et moi, Senri. Et je ne compte pas te ménager une seule seconde. Je veux une victoire écrasante, je veux que tu voies ce que ça fait de me sous-estimer. Même si je dois te balader avec l'aide de méthodes peu recommandables.
Je lui laisse un peu de marge au fur et à mesure des parties, soigneusement concentré sur les petits tics de son organisme. Il remonte doucement la pente, et moi j'examine ses réactions, même les plus infimes. Personne, après tout, n'a de pokerface parfaite. Il suffit de trouver le petit détail qui brise celle de quelqu'un.
Et chez Senri, visiblement, c'est la plissure de son front et la commissure de ses lèvres. En fonction de la situation dans laquelle il est, ces dernières sont plus ou moins serrées. C'est infime, mais je suis habitué, jouer contre des très hauts niveaux fait bien développer l'observation. Et puis, j'ai l'habitude de repérer ce genre de petits détails.
Du coup, maintenant, je me base sur les modifications de sa mâchoire pour deviner son humeur. Et sa manière de pincer les lèvres au moment où il reçoit ses cartes. Il a une petite trace de morsure, là, sans doute lorsque j'ai failli le faire jouer tapis. C'est plutôt intéressant... Et ça doit faire mal. Je me demande si...
... Wait. Je suis pas sérieusement en train de fixer sa bouche du regard depuis tout à l'heure ? Et là, par contre, je crois que mes pensées dérivent un peu trop. Sachiko, derrière, semble prête à encore se moquer de moi. Va falloir que je me méfie.
Surtout qu'on atteint le point culminant de la partie. Le moment où je vais pouvoir frapper un grand coup. Après des tours et des tours de calculs dans un silence à peine coupé par les chuchotis des autres, nous sommes à égalité parfaite sur les jetons, et c'est mon tour de distribuer.
Le moment idéal pour rafler absolument tous ses jetons d'un coup, le plus possible, afin qu'il admette sa défaite de manière irréfutable.
À nous deux, Senri.
J'ai un petit sourire fier. Histoire de lui faire croire que je tiens toujours le bon bout même alors que j'enchaîne les défaites. En apparence tout du moins.
« Prêt à te faire écrabouiller, Senri ?
— c'est ce qu'on va voir, il sourit. Jusqu'ici, je ne me sens pas très écrabouillé. »
Allons, allons. Reconnais que j'aurais pu te battre plein de fois à plate couture. Mais c'est là que je vais le plus savourer ma victoire.
D'un geste expert, je mélange le paquet. Sachiko, la seule à me regarder faire avec intérêt, a un petit rire en voyant l'ordre dans lequel j'arrive à glisser les cartes. Mais même si ledit rire attire l'attention de Thibault, il n'arrive pas à voir ce que c'est avant que je distribue les trois premières cartes.
Pour cette dernière partie, on va jouer très haut. Je lui ai préparé un carré de dames. Un truc largement suffisant pour le mettre vraiment en confiance dans son jeu, et le pousser à bluffer très loin. Avec un carré de dames, je ne peux pas faire de flush royal, ni de quinte flush, et je n'ai que deux carrés à jouer de possible pour pouvoir le battre.
Souci ?
De mon côté, j'ai un carré d'as.
Cette fois, je ne me suis pas trompé dans mon identification. Les quatre premières cartes que je reçois sont bel et bien les quatre as. Une combinaison imbattable à ce stade du jeu, sauf avec une quinte flush simple. Impossible à surpasser dans tous les cas, donc quoi qu'il arrive, je vais récolter sa mise. Mais moi, je ne veux pas juste récupérer des jetons. Je veux le pousser à jouer tapis.
Je veux qu'il perde tout d'un coup.
Ce serait incroyablement jouissif de voir son expression se décomposer.
D'où le carré de dames.
Mais avoir un jeu et connaître le sien ne suffit pas. Il faut que je le pousse à prendre le risque. S'il me trouve trop sûr de moi, il risque de se douter de quelque chose. Si je ne trouve pas le bon moment pour miser, je vais perdre ma victoire éclatante.
Et Senri est toujours très concentré sur son jeu. Rien dans son attitude ne trahit une quelconque anxiété ou confiance.
Je ricane.
« Toujours concentré sur ton jeu, Senri ?
— Hmmm. »
Tiens tiens. J'ai déjà vu ça chez des joueurs du dimanche. Il semble essayer très, très fort de maintenir toutes ses ressources mentales sur le jeu. Ça fonctionne, jusqu'ici, mais si je pousse le bouchon trop loin, il va craquer et se coucher, vu que c'est le genre à jouer la sécurité. Autant ne pas pousser trop loin.
Je lui tends sa dernière carte, un roi si j'ai bien calculé. Il la prend, réfléchit quelques instants avant de pousser un peu plus de ses jetons vers le milieu.
Je souris discrètement.
Prends ma dernière carte.
Et cette fois, le sourire sort.
« Je relance avec le reste. »
C'est un énorme bluff. Mais pas celui auquel on pourrait penser. Mon carré d'as est sécurisé depuis le début. Mais là, avec ma dernière carte, je joue le jeu de celui qui tente le tout pour le tout avec une combinaison inespérée. Un carré de valets, peut-être, ou un full aux as. Une combinaison très difficile à battre, avec les probabilités. Mais en dessous d'un carré de dames.
Senri hausse un sourcil.
« Tu relances ?
— Dans la vie, des fois, on a de bonnes surprises. Tu penses que tu peux lutter ? »
Allez, Senri. Mords à l'hameçon. Joue tapis. Joue tapis, juste pour que je puisse voir ce que ta pokerface dit de mon carré d'as. Tu penses peut-être que je joue le tout pour le tout, surtout qu'avant que je ne fasse ma relance, il y avait quand même une sacrée somme au milieu. Tu penses peut-être que ton carré de dames t'assure la sécurité. Ce qui aurait été le cas dans une énorme proportion de possibilités.
Senri pince les lèvres. Fixe son jeu. Le pot. Puis mon visage souriant. Ou je n'ai même pas besoin de simuler la confiance absolue. Tout juste je me remets une mèche derrière les oreilles, cachant une fausse goutte de sueur.
Avant de fermer les yeux.
« Je suis. »
Sachiko sourit.
Et moi, je ne peux m'empêcher de ricaner intérieurement.
Et voilà.
Tous les jetons de la partie sont réunis au milieu. Je me demande à quelle somme ça correspond, en vrai. Sans doute beaucoup. Mais bon, comme on ne joue pas d'argent, ça n'a pas vraiment d'importance.
Avec un soupir, Senri commence à dévoiler son jeu. Son carré de dames et son roi s'étale devant moi, et Thibault ne peut s'empêcher de siffler.
« Mamma mia, renchérit Seo-jun. Ça va être une main dure à battre, ça. »
Reina hoche la tête, mais me jette un regard suspicieux. Ma pokerface, cependant, ne tremble pas d'un pouce. J'ai toujours ce sourire confiant qui ne me quitte pas.
« À moi, j'en conclus ? »
Senri a un haussement de sourcils. Quelque chose me dit qu'il commence à voir la douille, mais c'est trop tard.
« Fais voir. »
Oh, mais avec grand plaisir.
Je dévoile toutes mes cartes une à une. Un as. Deux as. Trois as. Le visage de Senri commence à se décomposer. Celui de Louna se déchire d'une grimace stupéfaite. Je retourne ma quatrième carte, un sept de trèfle lambda que je ne me suis même pas donné la peine de truquer.
Pose ma main sur la dernière.
Marque une pause.
Senri ne me lâche pas des yeux.
C'est on ne peut plus plaisant.
Je souris encore plus.
Savoure le moment encore quelques minutes.
Avant de retourner ma dernière carte.
« Carré d'as. »
Le visage de Senri est un magnifique étalage de stupéfaction.
Je pose le dernier as à côté des autres, un large sourire carnassier aux lèvres.
« J'ai gagné. »
Le pot tout entier est à moi. Et non seulement ça, mais en plus je viens d'en arracher la moitié à Senri qui ne semble pas en croire ses yeux. D'ailleurs, même les autres joueurs autour de la table ont une sacrée gueule de merlan frit, eh eh eh. C'est vrai que je n'ai pas vraiment dévoilé mon niveau à tout le monde avant aujourd'hui. Et encore, je peux tricher de plein d'autres manières.
Ma victoire est indiscutable. Et même Senri, mon imperturbable Senri, prend de longues, très longues secondes avant de récupérer une expression un tant soit peu égale. Et ses yeux ne quittent pas les cartes de ma main.
Il regarde mes as. Regarde mon sourire. Avant de se tourner vers le public, une expression lassée sur le visage.
« Il a triché, pas vrai ? »
Reina rigole. Louna soupire. Sachiko pouffe. Mais leur expression est la même. Un assentiment.
Je ricane.
« Dis donc, bonjour la confiance. Tu sais, des fois, on a juste de la chance. »
Il me jette un regard blasé.
« Les probabilités pour que j'aie une main pareille suffisante pour me mettre en confiance et toi pile celle qui te permette de la battre sont assez faibles, Emerens.
— Qu'insinues-tu donc là ? Tu crois que je peux influer ta main ? Tu me prêtes beaucoup de capacités, là ! »
Oui, c'est exactement ce que j'ai fait, mais shhht, autant laisser ça de côté. S'ils se rendent compte qu'il y a un problème avec ce paquet, ils ne me laisseront plus l'utiliser. Et puis, triche ou pas, j'ai quand même gagné grâce à mon bluff, il pourrait au moins respecter ça.
« En attendant, j'ai gagné, indiscutablement, je rigole. Du coup, à moi l'enjeu. Allez, venez par ici, les câlins... »
Thibault lève les yeux au ciel, mais c'est le premier à venir me serrer dans ses bras. Sachiko, bien qu'elle n'ait pas joué, rejoint avec un large sourire, écrasant Thibault entre nous deux alors qu'il laisse échapper un râle surpris. Fais pas genre, on sait très bien que ça te plaît.
La Chanceuse Ultime en profite pour se pencher vers mon oreille, avant de chuchoter, le plus discrètement possible pour que Thibault ne l'entende pas :
« Joli coup de poker. Mais ils vont y réfléchir à deux fois avant de prendre ta façade de joueur du dimanche comme acquis.
— On peut toujours miser sur la chance du débutant, je pouffe sur le même ton. Mais sois sympa, ne grille pas ma couverture.
— Aucune chance. C'est trop drôle de voir leurs têtes. »
Alors là, je suis bien d'accord avec toi, ma chère partenaire de crime. Et je crois que sans mentir, ça fait vraiment une impression très bizarre d'être autant en phase avec Sachiko Kimura.
« C'est quoi ces messes basses, là, grommelle Thibault contre mon torse. Laissez-moi sortir, j'étouffe.
— Rien, rien, on parlait justement de comment est-ce qu'on allait finir par t'asphyxier, je ricane, jouant, fort ironiquement, un coup de bluff. Mais bon, on t'aime bien en vie, aussi. Tu peux te décaler, Sachiko, que je puisse récupérer le reste de mes gains ? »
Cette dernière pouffe, avant de me retirer Thibault des bras sans aucune autre forme de cérémonie. Permettant de laisser un bel accès au reste du cortège.
Ce qui fait qu'en l'espace de cinq minutes, j'enchaîne Seo-jun qui coince ma tête sous son bras avant de m'ébouriffer les cheveux vigoureusement, sa forme d'affection bien à lui, tiens. Puis, Reina, qui se contente de m'enlacer quelques secondes avant de me relâcher avec un soupir et de retourner se poster à côté de Senri, avec qui elle parle doucement sans que je puisse les entendre. Enfin, Sharon, qui me serre timidement dans ses bras, la tête appuyée sur mon épaule. Étreinte que je lui rends très doucement. Pas envie de la faire fuir, et elle est adorable comme ça.
Finalement, ne restent que Louna et Senri. Louna qui pousse un profond soupir avant de s'avancer vers moi.
« Je reste persuadée que tu mérites pas ta victoire.
— Tu préférais que je fasse quoi, je ricane, que je laisse Senri gagner et se récupérer tous les câlins ? Au risque de voir la mise partir en fumée ?
— peut-être, peut-être pas. Mais en attendant, tout le monde a accepté ta victoire, donc j'ai pas vraiment le choix, pas vrai ? Alors bouge pas et laisse-toi faire. »
... Pourquoi tant d'autorité dans son ton et pourquoi suis-je horny d'un seul coup– Oh, je sais, c'est parce qu'elle vient de me monter sur les genoux avant de me choper la tête entre les mains et de m'embrasser à pleine bouche.
... Que quelqu'un aille récupérer mon cerveau quelque part dans les méandres de la pansexual panic avant que je ne me mette à dire des incohérences.
Louna me lâche assez vite, mais toutefois pas assez pour que je puisse contrôler cet afflux d'affection surprise. Mes joues son écarlates, et le dissimuler dans le creux de son épaule ne m'apportera rien vu à quel point tout le monde se moque, mais pour le coup je m'en fous pas mal. Je suis concentré sur cette terrible attaque en traître que ma chérie vient de me balancer en pleine gueule. Assez littéralement.
Un peu geignard, je resserre mes bras autour d'elle, mon visage toujours caché dans son épaule.
« ... Pourquoi tu fais ça que quand on fait des paris...
— Il faut bien qu'il y ait un minimum d'enjeu, pas vrai mon chéri, ricane Louna, sinon c'est pas drôle. Allez, tu peux me lâcher, maintenant. On a pas fini avec les gains, je crois ? »
Dit-elle avant de se tourner vers Senri et de lui faire un clin d'œil. Ce dernier fait la moue.
« Pas d'affection pour les tricheurs.
— Allons, Senri, je ricane, ayant repris un peu de contenance. Me dis pas que tu l'as mauvaise. De telles accusations pour une toute petite défaite... »
Éclatante, certes, mais quand même.
Il hausse les épaules.
« Non, t'inquiète. Mais je n'étais pas un grand fan de la mise à la base, je t'avoue. Donc si je peux, je passe.
— Tu peux, tu peux. Tant pis pour moi, je suppose, je ne me ferai pas rembourser comme ça.
— je me rattraperai plus tard, il sourit. Un restau de sushis, ça te va ?
— Ah mais carrément ! »
Là, il parle déjà un peu plus mon langage. Et Louna, malgré son expression un peu déçue que je ne comprends pas trop, a un petit rire.
« En attendant il est plus de deux heures. On ferait mieux d'aller coucher tout ce beau monde avant que ceux qui dorment ne viennent nous taper sous les doigts. Seo-jun, Senri, ça ne vous dérange pas de rester ici ? Vous avez tous les deux un peu bu, et il est tard pour les transports en commun... »
Seo-jun hoche la tête, et Senri hausse de nouveau les épaules.
« Du moment qu'il y a de la place.
— On a trois chambres d'amis dans cette partie du manoir, et au pire des cas on peut s'arranger entre polycules. Je m'occupe de montrer la sienne à Seo-jun, Emerens, tu peux aller caser Senri ? »
Je me lève alors que Senri se rapproche de moi, et Seo-jun de Louna.
« Sûr. Allez, princesse, c'est par ici. »
Senri lève les yeux au ciel, mais m'emboîte néanmoins le pas dans le couloir alors que les autres sortent par l'autre côté du salon. Avec un doigt d'honneur de Thibault à mon adresse, bien évidemment, mais on ne change pas les tsundere.
Nous voilà seuls dans le couloir. Et bizarrement, j'ai l'impression qu'il y a un peu de tension. Pourquoi je suis autant dans l'expectative ? Certes, ça arrive rarement, ce genre de situations chez moi, mais quand même, c'est Senri, pas un plan cul ou un ami avec bénéfices-
Ce dernier finit par se stopper alors que je cherche quelle chambre lui attribuer.
« Je te savais pas si doué au bluff.
— Des années de pratique et un passé chez les van Heel. T'es bien placé pour savoir que le monde de la finance est un énorme jeu de dupes, surtout pour les gros propriétaires. »
Ça le fait sourire.
« Malheureusement, je suis bien placé pour le savoir, en effet. Mais visiblement, tu sembles bien mettre ça à profit. Je vais y réfléchir à deux fois avant de rejouer contre toi.
— Eh, écoute, ce qu'on ferait pas pour des câlins. Je suis même prêt à endurer des accusations de triche.
— Des accusations parfaitement fondées, j'en suis sûr... Parce que tu as raison, il rigole, railleur, qu'est-ce que tu ferais pas pour des câlins.
— Je suis outré de ce manque de confiance ! Surtout que ça aurait pas servi à grand-chose, que je triche contre toi, vu comment ça a fini ! »
Nan mais sans blague. En plus, il pouvait laisser tomber l'enjeu, lui, il avait peu d'intérêt à gagner, à part le challenge. Et même si j'avoue que j'ai savouré sa mine dépitée, bon, faut pas pousser le bouchon trop loin non plus, je suis un bâtard, pas un forceur.
Senri pouffe.
« Me dis pas que tu es déçu.
— Écoute mec, tes câlins, c'est une denrée rare, évidemment que je suis un peu déçu. Après, je suis pas en manque, non plus, hein. Enfin si, mais pas de toi spécifiquement. »
Et j'ai pas spécialement envie de creuser le sujet, même s'il y a un truc dans ma poitrine qui vient de se contracter un poil trop violemment. C'est un ami. Je tiens à ce qu'il le reste.
Il a un léger sourire. Avant de s'avancer vers moi et d'enrouler ses bras autour de mon torse, sans dire le moindre mot. Me faisant passer d'un seul coup de mon contrôle habituel à une énorme tomate bien mûre.
... Je peux savoir ce qu'il se passe, là ?
« Senri, qu'est-ce que tu–
— Si tu regrettes tant que ça, il rigole, voilà. Je préférais ne pas faire ça devant les autres, avoir un public n'a jamais été mon truc. Mais au moins, on est quittes.
— c'est ça, essaie d'échapper au restau de sushis, je bougonne, lui rendant son étreinte. Tu t'en tireras pas comme ça, mon bon monsieur, même si c'est moi qui dois t'inviter.
— Ben voyons, il pouffe. Tout ça pour le plaisir de ma compagnie ?
— Exactement. »
De nouveau, il rigole, et moi, je resserre encore mon étreinte. Aucune envie de le laisser m'échapper comme ça. C'est beaucoup trop agréable pour qu'il me file entre les doigts si vite.
Senri rigole de nouveau. Un rire un poil plus franc.
« Ça fait toujours plaisir de voir que quelqu'un apprécie m'avoir à côté. »
Évidemment, mec, évidemment. Je sais pas ce que je ferais sans toi, et je dis ça en tout sérieux. Même si je suis pas tout à fait assez émotionnel pour le dire à voix haute, disons que l'intention est là.
Je cale mon visage dans ses cheveux, et inspire profondément. On est vraiment bien, là, mine de rien. C'est tout doux. Je sais pas comment il fait pour en prendre soin, mais c'est agréable pour fourrer sa tête dedans. Ça me donne envie de m'endormir. Je ne me suis pas senti aussi détendu dans les bras de quelqu'un depuis que...
...
Oh oh.
Rien dans mes réactions corporelles ne montre qu'une pensée vient de me sauter à la tête. Une pensée mine de rien assez terrifiante. Mais plus je la laisse errer et plus je me rends compte que j'ai un sérieux problème.
Et je crois que ce problème est en train de m'étreindre, que j'ai la tête dans ses cheveux et que chaque minute qui passe développe mon imagination vers un plus. Un plus de beaucoup de types. Autant sensuel qu'intime. Un plus qui peut-être un peu déviant de ma propre conception d'une simple amitié, même très proche.
Oh, merde.
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