Extraits d'une vie de reine (AST)

Les réveils sont parfois durs dans le Manoir, entre les cris, les pleurs et autres joyeusetés. On s'y attend, évidemment, à vivre avec une bande de traumatisés par le simple fait d'exister, il n'empêche que je n'aime pas le fait que mon réveil soit aussi brutal.

C'est encore le cas, ce matin. Sans doute, si j'en crois les hurlements, parce que Sora, en allant se coucher, est tombé sur la dernière blague de Sachiko. Ou peut-être est-ce Sukina. Son « FICHUE DINGUS AUX PRANKS » peut aussi bien désigner l'une que l'autre.

Je pousse un profond soupir, abandonnant toute idée de me rendormir lorsque les cris de Wen Xiang se joignent au chœur, orientant mon idée du coupable vers la « dingus » qu'elle ne se fait pas. Je sens que ça va être une longue journée aujourd'hui, autant l'entamer dès maintenant, de toute façon paresser au lit ne m'a jamais vraiment fait du bien–

« Gngjfdffrfr Reinaaaaaaa tu veux pas rester encore un peu ? »

C'était sans compter la paire de bras qui s'enroule autour de ma taille et me ramène plus près dans le lit, m'empêchant totalement de bouger. Et j'aimerais protester, vraiment, vous savez, mais je crains que Michi n'ait l'ascendant psychologique et physique sur moi.

Elle se colle à moi dans ce qu'il lui reste de sommeil, les yeux lourds des dernières traces de rêve qu'elle porte encore à moitié, et je ne peux m'empêcher de sourire.

« Ma chérie, il faut se lever.

— Nan faut paaaaaaas. Faut rester au lit et roupiller. »

Malgré le fait que les cris laissent tout juste place aux protestations outrées et que je sens ne pas être en mesure de me rendormir, je ne trouve aucun contre-argument, qui de toute façon échouerait contre la poigne de fer de ma femme qui me ramène contre elle, appuie sa tête contre ma poitrine, et sourit comme un chaton qui retrouve son chez-soi.

Je l'entends inspirer profondément, sa poitrine se soulevant au rythme de sa respiration tranquille, sa respiration qui devient bientôt la nôtre. Mes mains caressent ses cheveux, ébouriffés et piquants et pas bien lavés depuis sa dernière séance de sport, mais si chauds contre ma paume froide, et l'acceptation de ma défaite m'écrase dans le lit autant qu'elle ne le fait.

Ses lèvres glissent sur ma joue en même temps que moi dans le sommeil. Comme quoi, je pouvais bel et bien me rendormir.

***

J'en suis sans doute à mon cinquième café de la journée, ce qui n'est pas beaucoup en règle générale lorsqu'on me connaît. Sauf que j'ai oublié de préciser que je suis en congé, mon jour de repos, et qu'il est midi.

Les dernières gouttes du fond de la tasse ne suffisent pas à me mettre de bonne humeur.

« Excusez-moi ? Je demande à une serveuse qui passe. Je peux en avoir un autre ? Bien noir, s'il vous plaît. »

Elle acquiesce, et je pousse un profond soupir, reposant ma tasse désormais vide sous un regard dubitatif que j'ai fini par bien connaître. Oh ça va, t'es mal placé pour me faire la morale, Senri, celle qui dort le mieux de nous trois c'est Raraka et c'est dire.

Il a dû surprendre mon roulement d'yeux vu qu'il pince les lèvres.

« Tout va bien, Reina ? Je t'ai pas vue boire autant de café depuis... Longtemps.

— Oh t'inquiète, la routine. Quand c'est pas les gardes qui m'assomment, c'est le train de vie au manoir qui me provoquent des insomnies involontaires. J'ai pas eu de nuit complète depuis au moins trois jours. »

Il a un léger sourire un peu triste. Pourtant, c'est le sarcasme qui habite sa voix.

« Aïe. Je vais devoir demander à Wen Xiang de te mettre au lit, sinon, je vais encore subir la Reina qui a pas dormi depuis une semaine et n'a plus le moindre filtre.

— Ravie que tu te préoccupes de mon sommeil, pas ravie que ce soit pas pour les bonnes raisons, goujat.

— Tu m'excuseras, mais si c'est pour connaître le fond de ta pensée à propos de moi, je préfère que tu dormes. »

Et voilà, qu'est-ce que je disais, un vrai rustre. On a pas idée de rappeler aux femmes ce qu'elles disent quand elles manquent cruellement de sommeil et n'ont plus le moindre filtre sur une bonne dizaine de sentiments irrésolus que même les conversations à cœur ouvert et la thérapie ne parviennent pas à résoudre, j'vous jure.

Un léger ricanement m'échappe, pile au moment où ma sixième tasse de café du jour arrive devant moi.

« C'est ça c'est ça. Trop la trouille de te faire draguer, avoue ? »

Il se prend le front entre les mains.

« Oh pitié, pas encore, j'ai ma dose. Je ne comprends même pas ce qu'on me trouve... Et qui plus est, je ressors des pattes des van Heel presque à l'instant. »

Je hausse un sourcil.

« Des ? Willy est toujours lesbienne, aux dernières nouvelles.

— Aussi étonnant que ça puisse paraître vu le personnage, Emerens n'est pas enfant unique. Et je commence à me demander si ce n'est pas de famille, d'être lourd à ce point. »

C'est vrai qu'on a Elvira à la maison en ce moment. Et apparemment, elle n'a pas perdu de temps pour repérer les personnes à son goût, et encore moins pour tenter des trucs. Dommage que Senri soit aussi hermétique qu'une huître en la matière, ou alors vacciné par les incessantes tentatives de van Heel deuxième du nom, le petit frère particulièrement insistant.

Avant, j'aurais été jalouse. Ou triste. Aujourd'hui, son visage dépité ne m'inspire que du rire.

***

Mes journées se suivent et se ressemblent, et mes afflictions avec, sauf que les personnes avec qui je peux parler de ces dernières, elles ne se ressemblent pas.

Non mais parce que Michi, Haruko et Sora sont des amours, mais si je leur révèle la vraie raison de mes nuits blanches ces derniers temps, j'aurais droit à des réactions variées entre la rage et les risques de retournement judo, une petite pique fort dangereuse dans une histoire aléatoire et peut-être même un laxatif dans un café parce qu'Haruko est la spécialiste des vengeances discrètes et peu éthiques.

J'aimerais autant éviter qu'elle se venge sur ma petite amie, voyez-vous.

A part ça, à qui pourrais-je bien m'exprimer, on se le demande. Emerens se moquerait de moi, Hina me pousserait au cul pour que je m'exprime, et Thibault serait un compagnon de râlage tout à fait acceptable mais lui se concentrerait sur un des points du problème sans me faire oublier l'autre.

Et j'aime énormément Senri mais je peux difficilement lui dire que la raison pour laquelle je ne dors pas de la nuit est parce que cinq fois sur six j'entends Wen Xiang, Raraka et Sukina faire leurs affaires dans la chambre juste au-dessus de moi, nom d'un chien ! Le pauvre, vous imaginez sa tête ?

Le pire étant que ce n'est même pas l'agacement qui me garde éveillée. C'est la jalousie. Et la jalousie d'un tout autre type de « pourquoi elles et pas moi », plutôt celle qui me fait regretter de ne pas avoir assez de courage pour leur demander de se joindre à elles.

Saki me tape sur l'épaule, me distrayant de mes sombres pensées. Elle signe quelques mots, et je souris.

« Non, t'inquiète, j'étais juste distraite.

Pas une distraction très agréable, à mon avis.

— Certes. Mais je vais t'épargner mes états d'âme. »

Elle pouffe, se lève, et se remet à signer.

« Encore des bêtises d'allosexuels ? »

C'est à mon tour de rire.

« C'est ça, c'est ça, montre ta suprématie sur nous autres soumis aux affres de l'attraction sexuelle, je te vois. Réjouis-toi de ne pas avoir ces problèmes.

Et cela ne m'empêche pas d'être désirable. Je trouve Aleksei très peu discret sur la question, tu sais ? »

Elle me fait un clin d'œil un peu railleur avant de me faire lever de notre banc. Bonne idée, marcher un peu me distraira, et je crois que j'ai besoin de me dérouiller les jambes.

Son ombrelle s'ouvre, la protégeant du soleil, et nous voilà dans les rues de Tokyo sous le soleil d'été. Sa peau se teinte de rouge, preuve qu'elle étouffe dans ses vêtements couvrants, mais vu l'augmentation de température, je ne peux réellement lui demander de retirer sa veste, le soleil est bien plus meurtrier que la chaleur pour une femme albinos.

La seule chose froide chez elle est son regard lorsqu'elle mentionne Aleksei.

« Ça ne s'est toujours pas arrangé, hein ? »

Elle secoue la tête.

« Non. Et j'imagine que je ne peux que m'en prendre à moi-même. Je ne comprends juste pas pourquoi il s'acharne.

— S'acharne, c'est-à-dire...

Qu'il vient me voir, m'offre des fleurs, discute de sa vie, de la mienne, comme s'il voulait construire quelque chose. C'est lui qui est parti après Hope's Peak, pourtant, pas moi.

— Tu lui en veux toujours ?

Et une partie de moi pense que c'est stupide, parce que j'ai simplement été trop lente à m'exprimer. »

Elle pousse un léger soupir, avant de se tourner vers moi. Dans ses yeux la glace fond doucement sur les rayons de son sourire.

« Mais assez parlé de moi. Je préfèrerais presque écouter tes bêtises d'allosexuels, et c'est dire. Quelque chose ne va pas avec ton polycule ?

— Tu promets de ne pas te moquer ?

Cela non, mais je promets au moins d'écouter tout ce que tu as à me dire. »

Son rire ne me pousse qu'à la croire.

***

La fin de journée s'approche, et avec elle son lot d'emmerdes. Qui vais-je donc trouver au fond du trou en ouvrant la porte ? Ou peut-être vais-je être accueillie par des hurlements et une volée de corbeaux. Qui sait, certainement pas moi.

Mais au lieu du chaos que je m'attendais à trouver, je ne tombe que sur du calme et une petite vie tranquille. Sachiko me salue même poliment en me croisant dans les couloirs.

C'est louche. Et frustrant. Parce que j'avais vraiment besoin de hurler sur quelque chose.

A défaut, je décide de me rendre en cuisine, histoire d'au moins manger un petit quelque chose. Pas de café le soir, ont dit les partenaires, et même si je suis particulièrement limitée par cette règle que j'ai aidé à instaurer je m'y tiens, autant que possible, histoire autant de montrer l'exemple que de reprendre prise sur mon rythme de sommeil.

Si seulement il y avait un minimum de chaos dans la cuisine. Ou des porcs cuisant d'une manière que je réprouve sur les plaques de cuisson, pour que je puisse crier un peu. Parce que là, tout ce qui m'accueille dans mon chez-moi, c'est le silence.

Michi doit encore être en cours. Haruko et Sora quelque part en date, ils en ont si peu l'occasion ces derniers temps. Et Wen Xiang est sûrement avec son propre polycule.

Je suis seule.

Je devrais m'en réjouir, mais il n'y a dans mon esprit que le vide.

Quelques rapides tours dans les placards me permettent de sortir les appareils à croque-monsieur, le fromage et le pain. Oui, il n'est que dix-huit heures, mais j'ai faim, et si je ne peux pas manger de quoi compenser l'absence de café...

« ... Ah, salut, Reina. Je pensais pas que tu rentrerais si tôt... »

Il semblerait que j'aie parlé trop vite. Dans l'encadrement de la porte menant au cellier se tient Thibault, paquet de chips dans les mains et air coupable sur le visage. Il tente tant bien que mal de dissimuler son larcin, mais trop tard, je vois sa bouche recouverte de miettes graisseuses.

Sous mon regard inquisiteur, il déglutit, avalant sans doute une bouchée de MES chips.

« ... Euh, désolé. Y'avait plus de chips de mon côté, alors...

— Et c'est une raison pour m'en piquer, Laangbroëk ? Je râle, quoi qu'un poil plus sèchement qu'à l'accoutumée. Ça se voit que c'est pas toi qui fais les courses... »

Sans doute y suis-je allée un peu fort, puisque sur son visage l'air coupable fait place à une profonde inquiétude. Ou alors comme toujours il est attentif au moindre changement d'humeur. J'avais admiré cette particularité chez lui avant de me rendre compte que c'était dû à un profond traumatisme.

« Eh. Ça va, Reina ? »

Je n'irai pas bien loin en lui cachant quoi que ce soit. Je hausse les épaules.

« Longue journée et beaucoup de bordel, t'inquiète. »

Ça ne suffit pas à le convaincre. J'entends presque les rouages de son cerveau tourner derrière ses lunettes jusqu'à ce que dans ses yeux une lumière s'allume.

« Eh, je sais comment me faire pardonner du larçin. Toi, tu bouges pas, je reviens, puis on va se poser dans ma chambre de ton côté du manoir avec mes réserves de soft histoire de se mettre un film de merde et le critiquer pendant trois plombes. Ça te va ?

— Tu penses qu'une bouteille ou deux suffiront à te faire pardonner, Thibault ? »

Il ricane et s'avance vers moi, avant de me plaquer un bisou bien irritant de miettes sur la joue.

« Ça le fera peut-être. Allez, attends-moi là, on va aller éteindre tout le bordel dans ton cerveau. »

Si j'avais dans l'idée de protester, c'est trop tard. Le voilà qui se carapate à toute allure dans sa partie du manoir, laissant derrière lui son larçin comme preuve de sa bonne foi.

Je ne vais pas me plaindre. En matière de comprendre ce besoin de cracher du venin qui me prend les tripes, Thibault Laangbroëk est vraiment le meilleur des hommes possibles.

***

Il fait nuit, et je ne devrais sans doute pas me lever aux heures ou tout le monde se repose, mais de nouveau les insomnies me prennent et cette fois ce n'est ni le bruit, ni le travail.

Haruko dort à côté de moi, et il me faut toute la délicatesse du monde pour sortir de mon lit, puis de ma chambre sans la réveiller ; Mais je ne veux pas lui imposer mes états d'âme ni mon impossibilité de fermer l'œil alors que c'est sa première nuit à la maison depuis des lustres.

Un fait qui se ressent jusque dans ma chair. Je sais qu'elle m'aime, mais je suis surtout surprise qu'encore aujourd'hui elle me montre que je lui ai manqué.

Me voilà donc en direction du salon, en quête d'un des livres que Sora a ramené de la bibliothèque du manoir hier. Ou peut-être le dernier livre de Thétis. Certes, je préfère habituellement les conseils de lecture de Sora à ceux d'Emerens, mais j'avoue que j'ai besoin de littérature stimulant mon corps, plus que mon cerveau.

Sans doute pour éviter de me noyer dans ledit cerveau.

A cette heure-ci, tout le monde devrait dormir. Pourtant, quand je m'approche du salon, la lumière y est allumée, et quand j'y entre, mes yeux se posent sur un Emerens allongé sur le canapé, en train de lire le bouquin que je ciblais. Et, preuve qu'il est sans doute là pour les mêmes raisons que moi, son visage ne montre pas la moindre émotion.

D'un pas vif, je me rapproche de lui, le temps de se planter dans son champ de vision.

« Qu'est-ce que tu fous là, espèce d'abruti ?! C'est l'heure de dormir ! »

Surpris, il relève la tête, avant de soupirer.

« J'te retourne la question, Reina. Il est deux heures du matin, aux dernières nouvelles.

— Trois. Et ce n'est pas une raison pour squatter mon fauteuil alors que tu as un lit chez toi. »

Il fait la moue. Repose son livre soigneusement marqué, se redresse, les yeux toujours fixés sur moi.

« Si tu ne veux pas dormir, je te ramène un chocolat chaud ? Vu ta tête, t'en as besoin.

— Attends, j'arrive t'aider à le faire. C'est ma cuisine, je te rappelle. »

Il lève les yeux au ciel, mais ne proteste pas. Ses jambes sont tremblantes lorsqu'il se lève, pourtant, il se dirige dans la cuisine avec le pas de celui qui a un objectif.

Voilà tout le problème avec Emerens, le problème que j'ai toujours eu avec lui. C'est que lui comme moi avons toujours mieux su nous occuper des autres que de nous-mêmes.

Je le suis dans la cuisine, sors les ingrédients du chocolat chaud en silence, l'observe préparer deux tasses. Il charge la sienne de marshmallows, fait goutter du caramel dans la mienne. Le micro-ondes bientôt se fait entendre, pas assez fort pour couvrir la statique dans mon cerveau.

Emerens doit en être conscient, vu qu'il me regarde fixement.

« Cauchemars ?

— Insomnies. Toi ?

— Pareil. Besoin de m'occuper l'esprit. »

Pas besoin d'en dire plus. Tout les mots qu'on pourrait dire ne sont de toute façon pas aussi puissants qu'une tasse de chocolat et un regard de connivence.


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