Extraits d'une vie de philosophe (AST)

C’est une bonne journée pour deviser de la place de l’homme en ce monde et en quoi nous, êtres sentients, devrions nous contenter de ce que la nature nous offre au lieu de la piller à un niveau bien supérieur à ce que notre insignifiance nous apporte. Il est simplement fort dommage que cette journée, je doive la passer en cours, sous un toit en compagnie d’élèves à la pensée bourbeuse et dénuée de toute forme de finesse.

Vous savez tous de qui je parle. Les cours de philosophie, bien que je les prenne en option, me mettent trop souvent face à l’Ultime Ethicien ou l’étude de ses textes, et autant il est impossible de nier son érudition, autant j’ai le sentiment qu’il la prend pour excuse afin de justifier ses actes les plus immoraux, et ce n’est pas ce que devrait être la philosophie.

Seulement, comment lui dire, moi, Ultime Danseur, sans le poids d’un titre pour appuyer mes dires ?

N’étant pas d’humeur à supporter les nicomaqueries du jour, j’ai donc pris la décision de sécher. Ce qui m’a amené, par pure coïncidence, en compagnie de Liu Grey, qui fut si je ne m’abuse l’amant de ce… charmant jeune homme. Notez les guillemets, parce que Nicomaque Papoulos n’a de charmant que les connaissances.

J’ignore comment nous nous sommes retrouvés à discuter de manière régulière. Probablement suite à un retweet de l’un de ses portraits, ou peut-être a-t-il pris contact avec moi suite à une de mes vidéos sur les bonnes mœurs de notre pays d’accueil. Dans tous les cas, il n’est pas rare désormais que nous nous retrouvions devant un bon thé pour cracher notre venin sur l’existence entière.

Je trouve déjà cela plus agréable que de supporter ce qui tient lieu et place du cerveau de Papoulos.

Liu prend une gorgée de son thé. Ce n’est pas lui qui l’a confectionné, puisque nous sommes attablés à un salon de thé assez proche de l’école, mais il semble lui plaire malgré tout.

“Mon dernier portrait sur Ansgar Kasjasdottir a passé la barre des 10K de retweet, il m’annonce, sourire ironique aux lèvres. Est-ce que ça veut dire que légalement je ne peux plus me présenter dans la Fédération ?

- Allez savoir. Va-t-elle prouver ce dont tu l’accuses ?”

Un léger ricanement lui échappe.

“Bien vu. Mais au cas où, on va pas trop se rapprocher de la frontière scandinave, hein.”

Courageux mais pas téméraire. Je ne peux réellement lui en vouloir, moi qui ne suis violent que derrière mon écran.

Ou en la compagnie de gens que je sais de confiance.

***

L’infirmerie n’est souvent pas considérée comme un refuge, en tout cas pas pour les personnes n’ayant aucun problème dans leur corps. A mon humble avis, il est même déprimant de s’y rendre pour s’y reposer, prenant le risque de s’entourer de malades et de fatigués pour le reste de la journée ? Ce n’est même pas bon pour la contagion.

Pourtant, c’est là que je me rends, car c’est là que se trouve une personne très chère à mon cœur et que là où je me sens comme un poisson hors de l’eau c’est son environnement naturel. Au vu de nos capacités sociales respectives, il ne serait pas de très bon aloi que de la forcer hors de sa zone de confort.

Heureusement pour le mien, l’infirmerie est presque vide, aujourd’hui. Le royaume de la Chirurgienne ne voit même pas sa reine, sans doute occupée à donner cours, ni ses suivantes, que je sais disséminées au cœur de l’école ; Seule la princesse s’y tient, en train de trier les bandages par couleur et coefficient d’adhésion.

Ester, qui relève la tête en me voyant arriver et m’adresse un sourire content. Elle parle toujours aussi peu, ne m’accorde à peine un bonjour, mais je m’en contente, comme toujours, car je sais que chez elle un simple sourire est déjà un effort considérable.

Je m’avance devant elle, m’incline, chargeant mes gestes du respect qu’un érudit doit à sa princesse.

“Bonjour, Ester. Je constate avec plaisir que tu es seule, aujourd’hui.”

Le simple fait que je m’exprime en allemand semble la ravir, et elle hoche doucement la tête.

“Oui, Gabriel est en cours et Chirurgienne… Sans doute en train de fumer quelque part.”

Je ne loupe pas la légère grimace qui la prend à l’énoncé des activités de Chirurgienne, ni sa main venue frotter l’intérieur de son coude. Mais tout comme je ne fais pas de remarque sur son utilisation de l’allemand ou ses faibles compétences en anglais, je ne dis rien sur ce qui s’y trouve.

“Cela a au moins le bénéfice de te laisser tranquille. As-tu pu récupérer de ta matinée de cours ?

- Oui, merci. j’ai lu le livre de contes que tu m’avais recommandé, je l’aime beaucoup ! Je ne pensais pas que les frères Grimm avaient pu écrire tant… Certains étaient basés sur des folklores que je ne connaissais pas, mais Shanleigh est venu.e me voir tout à l'heure, donc j’ai pu lui demander des détails…”

Son visage s’illumine à la mention de ce nom. Shanleigh O’Sullivan, un.e de nos ami.e.s de 2016, toujours présent.e dans l’école après toutes ces années pour une raison que je soupçonne être en partie liée à la demoiselle assise en face de moi. Si peu approchable comme elle est, le simple fait qu’Ester en parle avec un tel bonheur dans la voix est déjà un évènement ; Mais je juge qu’iel espère plus et ne se sent pas de la quitter avant d’avoir pu au moins lui expliquer ses sentiments, quelle que soit la réponse.

Iel est venu.e me voir il y a peu de temps pour me demander conseil. J’imagine que le club Cupidon n’a pas fourni de réponse satisfaisante à ses doutes internes. Je lui ai conseillé d’attendre qu’Ester soit suffisamment ouverte à la discussion pour pouvoir lui donner la réponse positive que tous deux espèrent tant.

Difficile de le croire devant mon célibat prolongé, mais j’ai toujours été un grand appréciateur des histoires d’amour. Et celle que vit une de mes amies trouve d’autant plus grâce à mes yeux.

***

“Dis-moi, ma chère Augusta, tu n’aurais pas reçu une lettre d’amour, par hasard ?”

Le sourire sur le visage de ma camarade de classe dément son mouvement de la tête.

“J’vois pas de quoi tu parles.

- Voyons, Augusta, pas à moi. Tu rayonnes, je ne t’ai pas vue dans cet état-là depuis, eh bien, mai 2019, sans vouloir rappeler de mauvais souvenirs.”

Elle lève les yeux au ciel, et donne un coup de pied dans une poubelle proche. Ses hauts talons manquent d’en déformer le tissage. Il est vrai qu’elle a toujours été dotée d’une force considérable, j’imagine que c’est un atout dans sa profession.

“Pitié, tape pas dans les couilles.

- Je te présente mes excuses les plus formelles quant à ce manquement. Mais il n’empêche, ta joie fait plaisir à voir. Aurais-tu un rendez-vous ?”

De nouveau, ce sourire, et ce rire, franc, sincère, brut comme on voit rarement chez une femme. Ce qui a séduit des dizaines de gens à Hope’s Peak à commencer par notre propre promotion, dont je m’amuse encore de voir les regards dévier. Nous avons notre petite réputation, elle et moi, de tombeurs fort involontaires là où des gens comme Emerens se laissent voir comme des bourreaux des cœurs actifs.

Dont je ne m’en moquerai pas car Emerens se plaint bien assez de séduire tout le monde sauf ceux qu’il veut.

Je me contente de l’observer rire à la face du monde et au nez de toutes les personnes qui ont tenté d’éteindre cette flamme en elle.

“Ouaip ! Et c’est pas trop tôt, je dois dire !

- De qui il s’agit ?

- Nikola Jagielska, tu sais, elle est dans la Réserve depuis 2016 !”

Oui, je vois de qui il s’agit, même si la Réserve et les Ultimes ne se fréquentent pas beaucoup. Mais une ancienne Réserviste a de quoi attirer l’attention. Rares sont ceux qui y restent très longtemps, cherchant soit à s’ouvrir la voie vers un Ultime comme Thal Chandra soit abandonnant au bout de deux ou trois ans comme certains que je ne citerai pas. Si ce n’est pas l’échec pur et simple d’un cursus fait pour éveiller le talent en soi.

Je l’ai assez peu côtoyée, mais je dois bien avouer qu’elle fait partie de ces gens qui m’intriguent. Une catégorie de personnes plus large qu’on pourrait s’y attendre, et assez spécifique pour que je sois confiant en le choix d’Augusta, cette fois.

Je ne peux m’empêcher de sourire.

“Voilà qui devrait freiner les ardeurs sur ta personne, je vais devoir me préparer à être le seul célibataire de nous deux. Non pas que je cherche quelqu’un, bien sûr, mais le poids va être si lourd à porter…

- Fais pas comme si t’appréciais pas l’attention, hein Houshang, elle rigole, me faisant un clin d'œil. Pauvre Lan Yue, je l’entends encore pleurer dans mes bras.

- Malgré ses compétences tout à fait admirables en ce que je lui demandais de faire, je ne pouvais décemment point répondre à ce que luiel attendait de moi.

- Clair, et bon, j’préfère les gens honnêtes. Mais au nom de mon meilleur pote je dois quand même t’en vouloir, c’est le code qui veut !”

Son clin d'œil donne tout le sens à sa petite plaisanterie, que je n’aurais de toute façon pas pris au sérieux. Ce n’est pas le genre d’Augusta que m’en vouloir pour un simple cœur brisé, surtout donné dans le respect des limites de chacun, mais pouvoir rire un peu de la sorte est toujours agréable.

***

La journée avance et avec elle mon ennui. Et ce n’est guère faute de tenter de me distraire, me rendre en cours, réfléchir à l’agencement de ma prochaine vidéo ou simplement profiter de la bibliothèque de Hope's Peak où les gens passent plus leur temps à discuter qu'à lire.

Celyan et Cyane s’y bagarrent depuis bien une heure, une bête histoire de thèse sur l’utilisation du surnaturel et de l’inconnu dans la propagande politique. Je leur donne cinq minutes avant de s’embrasser et sept avant de se trouver un rayon un peu planqué. Encore un peu et je vais appeler Yuzuha.

Non pas que je juge ce que les gens font dans leur temps libre, mais il y a un minimum de respect à avoir dans un lieu qui non content d’être public est aussi rempli de denrées fragiles.

Heureusement pour moi que je dispose d’écouteurs et d’une bonne dizaine de livres fascinants sur la physique quantique et son influence sur le monde. Difficile cependant d’ignorer Romain en train de courir après tous les belligérants, Sukina qui s’est infiltrée dans la bibliothèque on ne sait comment, Patrick qui met de la suie absolument partout et autres joyeusetés fort agréables.

Sentez-vous mon sarcasme ?

Finalement soûlé, je referme mon livre et prends la décision de retourner à l’internat. Yuzuha ne m’en voudra pas si j’emprunte mes trouvailles, je ne dépasserai de toute façon pas la limite d’emprunt au sein de la bibliothèque même en y ajoutant un de mes péchés mignons, une splendide histoire romantique…

“Ah, tiens, Houshang ! Venu chercher des recommandations ?”

Je ne suis pas homme à m’extasier sur tout et n’importe quoi mais je dois bien avouer que dans le contexte actuel, voir Emerens en train de parcourir du doigt le rayon que je comptais explorer, un sourire aux lèvres et aucune idiotie en cours, me fait l’effet d’un rayon de soleil à travers le brouillard.

Je me contente de hausser les épaules.

“Plus ou moins. As-tu du nouveau pour moi ?”

Un léger sourire railleur se dessine sur ses lèvres.

“Plus ou moins, bien sûr. Mais tu as de la chance, parce que je ne crois pas que tu aies lu celui-ci. Promis, ce n’est pas de l’auto-pub…

- Non pas que ça me dérange.”

J’ai toujours beaucoup aimé son style. Il aborde l’amour avec une vision de théologien, ironique pour un athée, et ses histoires sont criantes d’humanité en même temps qu’emplies de questionnements philosophiques. Rares sont les hommes qui parviennent à jouer avec les deux talents et ce parfait équilibre est plus que probablement ce qui lui a valu le titre d’Ultime Romancier.

Il accepte le compliment implicite d’un clin d'œil, mais ne se détourne pas de son sujet.

“Certes, mais il n’y a pas que moi dans la vie, même si j’ai effectivement sorti deux nouveaux bouquins dans le courant de l’année. C’est d’un de mes collègues. Et je pense que l’histoire te plaira, puisque c’est une intrigue entre deux académiciens qui doivent concilier leur background scolaire avec les découvertes de coeur…”

Pas besoin de plus détailler, il m’a convaincu. Je tends la main vers l’ouvrage qu’il me propose, et il le dépose dans ma paume avec la révérence due à une œuvre. Le résumé, que je parcours d’un œil rapide, m’apprend que le contenu sera très certainement au-delà de toutes mes espérances, comme si ce livre avait été écrit pour moi.

On ne dirait pas, comme ça, en le voyant dans sa vie de tous les jours, qu’il a un tel œil pour les livres, pour les gens. On retient plus de lui son comportement et sa manie de se mêler des affaires de tout le monde. Mais moi, quand je le regarde, je vois un être multi-facettes qui sait jouer de l’effet miroir comme personne pour cacher en soi une fort pernicieuse énigme.

Et j’ai toujours adoré les mystères.

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