Dix ans depuis.... (5- AU sans Tuerie)

Partie 5 : Questionnements et conclusion

Sept ans et quelques après la rentrée.

On vient de sortir du bar. Je crois que je n'ai jamais couru aussi vite de toute ma vie. Un mélange de panique et d'euphorie, sans doute, ce que j'ai vécu il y a quelques heures et ce que je viens de vivre.

Nan mais, comment j'aurais pu prévoir que des photographes me suivraient jusqu'ici ? En espérant qu'ils n'aient pas pris Senri en photo, quand même. Ce serait un poil gênant pour lui, ex-Trésorier Ultime, d'être vu en compagnie quand même assez galante de... Bah, moi.

Compagnie assez galante, parce que je sais toujours pas si je dois l'interpréter comme un date ou pas. Je veux dire, il m'a emmené au concert de mes rêves, ne m'a pas lâché la main tout du long, m'a payé un coup au bar avant de s'enfuir avec moi lorsqu'on est tombés sur ces fichus photographes, mais c'est d'une manière amicale, pas vrai... ?

Nan mais depuis qu'il m'a dit qu'il n'était plus très sûr de ses sentiments à mon égard, je panique encore plus qu'il ne l'était possible. Déjà que je n'étais pas sûr moi-même. Okay, je suis gay pour lui, ça c'est une évidence, ça dure depuis que je l'ai vu sur cette foutue estrade avec son petit air triste. Mais je suis gay à quel point... ?

Tout ça, c'est compliqué. Et Senri ne m'arrange vraiment pas les choses, en ce moment. J'ai toujours peur de faire un faux pas. Et je ne veux pas faire un faux pas. J'ai passé tellement de temps à arriver à où j'en suis aujourd'hui. On s'est aidés mutuellement avec nos problèmes de dépression. Il m'a écouté me plaindre, je l'ai écouté parler.

Je ne veux pas le perdre.

Non.

Non, je ne veux pas.

Quelle que soit l'issue de cette petite expérience, je ne supporterai pas qu'il cesse d'être simplement mon ami.

Alors du coup je me contente de reprendre mon souffle en le regardant rire appuyé à une poubelle, en me demandant qu'est-ce que diable je fais de ma vie.

« Bon sang, il finit par dire, encore hilare. Quelle course poursuite. On croirait un de ces vieux films d'action où tu me traînes, parfois.

— Eh écoute, où tu crois que j'ai trouvé mon inspiration ? Je lance, la respiration sifflante. Mais dieu merci, je crois qu'on les a perdus. On ferait mieux de rester discrets...

— C'est un truc qu'il faut te dire à toi, pas à moi, lance Senri railleur. Tu es un exemple d'indiscrétion, Emerens, à force de vouloir attirer tous les regards. »

On va dire que c'est sa manière de dire qu'il me trouve très beau. Mais bon, juste pour être sûr...

« Surtout le tien, si j'ose dire, mon cher Senri, je ricane en me rapprochant de sa poubelle. Ose me dire que tu ne fais pas partie de la foule dont le regard s'égard sur ma magnifique personne. »

Surtout que je me suis fait beau, aujourd'hui. Exprès. Queue de cheval qui laisse au moins les trois quarts de mes cheveux libres en-dessous, maquillage au point, vernis impeccable, ma plus belle chemise, mon pantalon déchiré, mes bottes et deux ou trois chaînes. Plus ma veste en cuir préférée, autour de ma taille, vu qu'il fait trop chaud. De quoi bien attirer l'œil des amateurs de rock, dont un se tient devant moi en cet instant.

Senri me balaie de haut en bas avec son petit air inquisiteur, avant de hausser les épaules.

« Oh non, je crois que de ce côté-là, c'est un échec. Trop voyant pour moi.

Menteur. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure, je ricane, savourant mes petites provocations. Tu sais ce que je leur fais, aux menteurs, moi ? »

Ce disant, je me rapproche de lui, toujours exagérément dragueur. Honnêtement, à ce stade, c'est plus une inside joke qu'autre chose, du moins c'était avant que l'incertitude ne vienne se pointer dans notre relation. Mais bon, au point où j'en suis.

« Je ne tiens pas à le savoir, sourit Senri, mais dis toujours, dis toujours. »

Je prends appui de chaque côté du mur, avant de lui faire mon plus joli sourire en coin.

« Je les fais taire, les menteurs, très cher. Une petite démo ? »

Silence.

Est-ce que je suis allé trop loin ?

Senri me dévisage. D'un peu trop près, mais ça n'a rien d'étonnant, puisque mon visage est à une vingtaine de centimètres du sien. En plus, je dois faire pareil. Sans doute. Je sais pas trop. Je suis trop concentré à le regarder.

Je sais pas si je suis allé trop loin. Mais une chose est sûre, je suis prêt à continuer jusqu'où il veut que je m'arrête. Même si ça implique sa main qui se cale sur ma joue. Même si ça implique moi qui me rapproche.

Je ne sais pas si j'arrive à lire les signes. Mais moi aussi, je me laisse guider. Nous nous laissons sans doute guider tous les deux. Et les deux premières secondes, je me surprends à penser que j'attendais ça depuis sans doute trop longtemps.

Le baiser est doux. C'est sa main sur ma joue, caressante, à peine présente. C'est sa peau entre ses doigts, la peau de son visage, entre lesquels se glissent des mèches de ses cheveux. C'est ses lèvres contre les miennes, plus légères qu'un papillon. Un contact presque imperceptible et pourtant bien présent.

Ce sont les quelques dix secondes avant qu'il ne me relâche, les joues légèrement rouges. Et me repousse loin de son visage.

Je cligne des yeux. Il pousse un profond soupir.

« Désolé. Peut-être pas... La meilleure des idées, là maintenant tout de suite. »

Je ne sais pas. Je n'aime pas penser qu'il y a de mauvais moments pour quelque chose. Mais bon, de toute façon, je ne peux rien dire, moi. D'une certaine manière, j'ai eu ce que je voulais. Et puis, quelle importance si son malaise n'est pas seulement là, maintenant, tout de suite. S'il se prolonge. Je veux rester son ami. C'est ma priorité. Le reste, c'est du bonus.

Alors pourquoi...

Pourquoi j'ai l'impression d'avoir tout gâché ?

***

Neuf ans et quelques après la rentrée.

J'émerge dans un lit qui n'est pas le mien. Et avant que qui que ce soit ne vienne me faire la morale sur mes habitudes, je signale que je suis en pyjama et que j'y suis depuis sans doute le début de soirée.

Enfin bref. La question est donc, dans quel lit je suis. Et je peux y répondre facilement, vu que Senri dort un peu à côté de moi, en ce moment.

Disons que ça fait quelques temps, maintenant, que je découche pas mal de la maison. Je supporte pas la présence de Livia. Même si je suis très heureux pour Thibault et Sachiko... Un bébé, surtout dans mon cercle aussi proche, ça me terrorise. Et puisque je ne peux pas passer mes nuits dans les rues, Senri a la gentillesse de m'accueillir plus souvent qu'il ne le faudrait.

Bon, c'est pas la première fois que je dors chez lui, mine de rien. On s'est quand même fait un certain nombre de soirées pyjama à l'ancienne, depuis qu'on se connaît. Après un retour de bar, ou juste comme ça parce que j'avais envie de profiter de l'occasion pour me moquer de lui sur sa collection de romances.

C'est comme ça que j'ai découvert qu'il me lisait, d'ailleurs. Petit choc, mine de rien, mais c'est vite passé au profit du grand retour du maître des railleries.

C'est juste que là... à force de connaître son canapé par cœur, et de me casser le dos au passage, il a fini par me proposer une place dans son lit, une fois. En tout bien tout honneur, je précise, on en est pas là.

Je dois dire que venant de Senri, ça m'a un peu surpris, comme proposition. Mais ça m'a fait plaisir. Vraiment plaisir. Et les conditions accessoires (tenue intégrale, pas de câlin nocturne et je ne pique pas la couverture au risque de me prendre une baffe) me convenaient parfaitement. J'avais juste besoin d'un endroit où les pleurs de bébé ne me réveilleront pas en pleine nuit, en sueur parce que j'ai l'impression d'entendre les miens.

Je me redresse sur un coude. Senri dort toujours. Mine de rien, il est mignon quand il dort. Quand j'y pense, c'est peut-être pour ça qu'il a mis tant de temps avant de me proposer de lui piquer un peu de place. Cette petite histoire de date raté est toujours très récente, même au bout d'un an, et les doutes ne me quitteront sans doute plus jamais. Je me demande ce qu'il en est de son côté. Sans doute pas mieux.

Mais bon. Il faut que j'essaie de mettre ça de côté. Avant d'être un gars qui m'attire, c'est un ami. Un ami que je me refuse à sacrifier. Et accessoirement le con qui vient de me filer un coup de coude dans son sommeil.

Je pousse un cri de douleur, sans le moindre scrupule à faire beaucoup de bruit et il émerge sur une de mes protestations outrées.

« Ah, enfin tu te réveilles, la Belle au Bois Dormant ! T'as failli m'éborgner avec tes os pointus, là ! »

Il lève les yeux au ciel. Il est pas aussi grognon que moi quand on me réveille, mais presque.

« ... Je te laisse de la place et c'est comme ça que tu me remercies... J'ai tellement de regrets, là, Emerens.

— Merci infiniment pour avoir accepté de me loger, je te serai éternellement redevable. Maintenant, excuse-toi pour le coup de coude. Non mais. »

Et puis quoi encore. S'il croit pouvoir lutter contre moi en termes d'humeur du matin, il rêve.

« Je vais m'excuser avec un café, soupire Senri. Si tu me laisses sortir du lit.

— Nan mais ?!? Je te retiens même pas. Allez, file donc faire la boisson bénie. Extra lait et sucre pour moi, s'il te plaît. »

Il pouffe, avant de se tirer du lit et se diriger vers sa cuisine, non sans m'adresser un doigt d'honneur dans son hilarité, doigt d'honneur que je lui rends bien volontiers. Ah tu veux me provoquer de bon matin, hein, Kizoku ? Attends un peu que ton doigt finisse dans ton propre cul qu'on rigole.

Enfin je dis ça, mais quelque part, ça fait plaisir qu'au moins ça n'ait pas changé. Ça me manquerait trop, nos petites joutes verbales. Et son sourire fatigué du matin alors qu'il ramène un plateau chargé de tasses. Au moins quelque chose que n'importe quel doute ne pourra jamais casser.

À quoi bon se poser trop de questions ? Il est là, en face de moi, et il rigole à mes blagues, lui que j'ai connu si renfermé. Avec ses propres petites attaques sur ma barbe matinale que je contre avec une pique sur ses joues de bébé.

Je crois que je ne voudrais de toute façon pas espérer davantage.

***

Dix ans et quelques après la rentrée.

Notre relation a eu des hauts et des bas, ça c'est sûr. Des moments d'incertitude. Où on a failli tout perdre en pensant vouloir plus. Où on a fait des conneries, parfois des conneries d'adultes, parfois des conneries d'adolescent. Enfin, surtout moi, pour le coup.

On a traversé des disputes, des moments difficiles, des moments de doute. J'ai failli tout perdre à cause du doute. J'ai découvert plus de lui que ce que je pouvais en espérer, que le moi d'il y a dix ans, debout devant cette estrade à échanger des messages avec Louna, pouvait en espérer. C'est étrange de penser qu'on est arrivés de si loin.

On se sera jamais allés trop loin non plus. À lui, jamais je ne parlerai de mariage. De toute façon, je pense que ce n'est pas ce qu'il nous faut. Nous ne sommes pas des partenaires. Nous sommes une certaine espèce d'amis. Celle qui se fait confiance. Du moins je l'espère. Mais j'ai appris à laisser partir les doutes. Il n'y a plus de doutes à avoir.

Oh, parfois, ils reviennent. Qu'est-ce qu'il se serait passé s'il avait voulu plus. Si j'avais voulu plus.

Pourtant, et après tout ce qui a pu se passer, les mois d'incertitude, les années d'apprivoisement, alors que nous sommes assis sur un canapé à discuter de ce qui fait le monde, je n'ai plus qu'une seule certitude, une seule pensée, qui ne partira jamais.

Une simple phrase qui suffit à me rappeler toute la chance que j'ai.

Je t'aime, mon pote.

Pour l'éternité.


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