Au pied du sapin (AST)

Je ne fête plus vraiment Noël depuis bien des années.

Difficile de croire en un dieu qui ne reconnaît pas votre existence. En tout cas, selon ceux qui ont donné les coups. Selon ceux qui ont craché les insultes. Selon ceux qui se cherchent des excuses pour désapprouver ton existence.

Enfin, on a jamais été très croyants chez les Laangbroëk. Noël, c'était un échange de cadeaux et puis c'est tout, c'était l'occasion de voir ma tante Laura et de l'entendre me dire à quel point j'avais grandi, de jouer ou de causer avec les cousins, une petite réunion de famille sympathique. Tout ce que j'ai perdu, en somme, avec ma petite vie d'artiste.

Eh, ça va, je rigole. C'est juste que comme je vis un peu aux crochets de ma bourse d'honneur à Hope's Peak, actuellement, je n'ai pas de quoi me payer trente mille billets d'avion. Pour aller où, de toute façon ? Je ne veux pas revoir mes parents ni mes adelphes, et aucune envie de déranger le Noël en huis clos de Thibault et compagnie.

Du coup, quand tout le monde repart dans sa famille pour fêter Noël, je reste là et je les attends.

Ça ne me dérange plus vraiment. Non, vraiment. Je suis encore un peu salé à l'idée d'être tout seul à Noël, mais ils finissent toujours par revenir et m'inviter à un moment où un autre, et j'ai quand même les cadeaux et la compagnie, peu importe si c'est le vingt-cinq décembre ou non.

Alors oui, peu m'importe si je suis seul à Noël. Du moins, c'est ce que je pensais avant de recevoir l'invitation.

J'entends du mouvement dans la chambre à côté. Le temps de tourner la tête vers la direction du bruit, et de derrière la porte surgit Virgil, vêtu d'un pantalon de toile et d'un pull de Noël trop grand pour lui. Ses mains dépassent à peine des manches. C'est comme ça que je le reconnais.

Un léger sourire se dessine sur mes lèvres.

« Bah alors, Virg', ce serait pas un pull à moi ça ?

— Pas du tout voyons ! Aussi peu un pull à toi que c'est un dessin de moi sur ton carnet ! »

Oh, l'enfoiré, il a regardé mon carnet de croquis. Si j'étais plus méchant je lui jetterais à la figure, mais à la place, je me contente de lui tirer la langue. Ce qui ne le décourage pas de s'installer à côté de moi.

C'est la première année où nous sommes tous les deux pour Noël. Lorsqu'il m'a annoncé qu'il ne retournerait pas chez lui pour les fêtes, j'étais d'abord sidéré ; Il est bien plus croyant que moi, j'aurais cru que passer Noël avec sa famille à la date dite aurait été important pour lui. Mais non, il reste avec moi, pauvre épave humaine qui se reconstruit tout doucement de ses sévices et d'années à se planquer de soi.

Virgil appuie sa tête sur mon épaule. Ses cheveux me caressent la joue.

« Gaffe, je ris, tu vas te prendre ta frange dans mon piercing.

— Je suis prêt à courir ce risque.

— Je t'aiderai pas à te démêler, t'es prévenu. »

Il pouffe. Il sait très bien que je suis grognon pour la forme, déjà parce que ce serait très inconfortable de bouffer ses cheveux, ensuite parce que comme lui, je suis prêt à courir ce risque.

Je le ramène un peu plus près de moi, ma main sur son épaule. Assez prêt pour sentir une petite boîte dans sa poche.

« Qu'est-ce que tu planques là, dis-donc ? »

Il sursaute un peu.

« Ah, zut, j'ai oublié de la retirer... Bon ben, tant pis. »

Il porte la main à l'emplacement de la boîte mystère, pour en ressortir un coffret, assez grossièrement emballé pour que j'en discerne la forme générale. Petit, assez pour tenir dans sa poche.

Avec mon nom sur l'étiquette.

On avait pourtant dit que ce n'était pas la peine–

Il le pose sur mes genoux avec un sourire.

« Joyeux Noël, Bastien. »

J'arrive à peine à déballer le cadeau. Mon cœur bat trop fort. Et en l'occurrence, peu importe ce qu'il pourrait m'offrir, rien n'arrivera jamais à la hauteur du présent de son existence.

Putain, je l'aime tellement.

***

Je suis épuisé. Le jetlag me fait bâiller depuis deux bonnes heures, et je ne suis même pas encore rentré. Je sens que lorsque je serai dans ma chambre, il ne me faudra pas plus de deux secondes pour tomber endormi. En milieu d'après-midi au Japon, ce serait un peu problématique, mais bon...

Mareva me fait un sourire depuis la place conducteur. Elle s'est gentiment proposée pour venir me chercher, mais j'avoue que mettre dans la même voiture deux youtubeurs parmi les plus connus n'est pas très bon pour la discrétion. C'est probablement pour ça qu'elle emprunte tant de chemins détournés pour aller au manoir. Je ne reconnais même pas cette route.

« On est presque arrivés, Flo, accroche-toi encore un peu...

— J'espère que mon lit est devant la porte avec toutes les rallonges que tu as prises, je râle, plus pour la forme qu'autre chose. La magie de Noël, elle m'empêchera pas de roupiller. »

Oui, oui, il m'est très facile de me transformer en mon frère quand je suis fatigué. Personne ne peut réellement m'en vouloir pour ça.

Mareva hausse les épaules, un air désolé sur le visage.

« Désolé, on ne maîtrise pas encore l'art de la téléportation des objets. Mais à minima, un bon feu de cheminée et un chocolat chaud, ça te va ? »

Oh, je ne ferai pas le difficile. Trop fatigué pour ça.

Tellement fatigué que je loupe presque le coup de fil que passe Mareva.

Ah, au final, j'ai dormi dans la voiture. Ma douce vient de me réveiller d'un baiser sur le front, preuve qu'elle n'est plus au volant. Et je reconnais l'odeur des pins qui entourent notre partie du manoir. Accompagné d'une de... Marrons ?

« Mareva, je grommelle, pourquoi ça sent la bouffe aussi fort ?

— Pour rien, mon amour. Allez, viens, le roi de la fête est attendu~

— Comment ça le roi de la fête– »

Trop tard pour se poser des questions. La porte du manoir vient de s'ouvrir en grand, et derrière se trouve Papa Noël dans toute sa splendeur, un large sourire aux lèvres, sa sortie fracassantes accompagnée de cotillons.

Enfin, à considérer que le père Noël est roux sous son bonnet rouge et a un sourire plein de fossettes derrière sa barbe blanche un peu de travers.

« Ho ho ho ! Joyeux Noël ! »

Je cligne des yeux. Qu'est-ce que Mark me fait encore comme... Markerie ?

Mareva pouffe, et me pousse droit vers Papa Noël, qui me réceptionne avec un plaid et un immense sourire. Je n'ai même pas le temps de protester ou quoi que me voilà bien au chaud, enroulé dans une couverture maintenue contre moi par la seule force de volonté des bras de Mark.

« Gnnfdhjkd qu'est-ce qu'il se passe...

— Sois pas si grognon, voyons ! Le père Noël a décidé que tu as été suffisamment sage pour mériter un accueil de roi, donc c'est ce qu'on fait ! Allez, viens, Liu a fait une dinde aux marrons à tomber par terre, et y'a du chocolat chaud tout plein tout plein !

— A mon grand désarroi, retentit la voix faussement acide de Liu derrière, je n'ai pas eu droit à faire du thé. Nous nous contenterons donc du chocolat chaud. »

Je jette un coup d'œil à Mareva. Dont l'air réjoui me fait comprendre qu'ils étaient deux dans ce guet-apens.

Enfin, je ne vais pas me plaindre. On a vu bien, bien pire comme piège que les bras de Mark.

Ce dernier me serre contre lui avec un petit rire content.

« Allez, viens, on va se poser et chouchouter le brave voyageur comme il le mérite ! »

Je ne suis pas sûr que le brave voyageur mérite autre chose que du calme et de la solitude. Mais la chaleur qui envahit mon ventre est... Agréable. Douce. Douce comme l'étreinte de mon amoureux qui ne me lâche pas d'un pouce.

Je referme mes bras autour de lui à mon tour, décalant le plaid, mais je suis trop bien pour m'en préoccuper et son rire est la plus belle des récompenses.

Joyeux Noël à toi aussi.

***

Fêter Noël avec Ichiko Naegi, c'est souvent toute une aventure.

Déjà, il faut obtenir l'accord de son père le Pontife pour avoir une date proche de Noël. Parce que Noël, c'est important pour lui. Ce que je peux comprendre. Des fois, je me demande ce que ça fait que d'avoir une famille qui veut vraiment passer du temps avec toi le jour des fêtes.

Ensuite, il faut s'arranger avec le reste du polycule pour planifier un emploi du temps correct. Ce qui est, disons-le, complexe. Sabbatius fait rarement des difficultés, et Septima cherche toujours à trouver le meilleur compromis, mais pour composer avec l'emploi du temps chargé de Shailey, les obligations de Kendra, et Artémis quelque peu jalouse... Disons que c'est compliqué.

Mais on a quand même réussi à se fixer sur quelque chose. Et j'obtiens le vingt-trois décembre dans toute ma gloire, me plaçant au début des festivités. Ce qui est quand même quelque chose.

Le Pontife s'est gentiment proposé de me laisser sa maison, histoire qu'on soit un peu tranquilles. J'ai toujours été sa préférée, ça explique les privilèges. J'en suis heureuse, mais j'aurais préféré ne pas avoir à sauver sa fille de la noyade pour obtenir ce droit.

Mais du coup, je profite d'une lecture au coin du feu, mon dernier cadeau de Noël entre les mains, tandis qu'Ichiko se prépare à je ne sais quoi.

Enfin, elle ouvre la porte du salon. Et je comprends dans le même temps pourquoi elle a poussé le chauffage à fond.

La robe qu'elle porte, plus vive qu'à son habitude, est d'un rouge clair orné de dentelles blanches. Moins pastel que dans ses goûts, mais j'imagine qu'elle voulait suivre l'esprit de Noël. Si l'esprit de Noël s'arrête au ras de ses fesses et moule le reste presque trop fidèlement.

Devant mon expression sidérée, elle sourit.

« Il te plaît, mon cadeau de Noël ?

— Et moi qui pensais que ça allait s'arrêter au livre, » je pouffe, amusée, marquant la page dudit livre avant de me redresser. « Très beau livre, par ailleurs.

— Je savais qu'il allait te plaire. A force, je connais bien tes goûts. En matière de livres comme... »

Elle tire la langue, et prend une pose que je ne saurais que qualifier de lascive. Vilaine séductrice, va.

« Il semblerait que tu avais d'autres plans pour cette soirée de Noël. Au risque de te décevoir, je souris, je ne suis pas d'humeur, aussi belle que tu sois.

— Oh, ce n'est pas grave, je ne vais pas bouder pour si peu. Mais si ma douce, ma tendre Mareva ne veut pas de mon étreinte ce soir, ai-je au moins le droit à un câlin ? »

J'ouvre grand mes bras.

« Viens donc là, vilaine. Je suis bien tentée par terminer ton merveilleux cadeau avec toi dans mes bras. »

Elle ne se fait pas prier. Me voilà donc avec un petit lutin appuyé contre ma poitrine, qui se laisse recouvrir d'un plaid avec plaisir. Sa peau est recouverte de chair de poule. Il semblerait que même le feu n'ait pas suffi à réchauffer ma conspiratrice de petite amie.

Avec un sourire amusé, je reprends mon livre à la bonne page, cale la tranche contre son dos. Elle se colle un peu plus à moi, laissant échapper un soupir d'aise. Elle m'écrase, mais bon, si c'est ainsi que je dois mourir, j'accepte mon destin.

La pression de ses lèvres dans le creux de ma mâchoire me fait fondre dans le canapé.

« Je t'aime, Mareva. »

Ma main vient trouver ses cheveux. Ils sont doux à mon toucher. Confortables.

« Moi aussi, je t'aime. »

***

Fêter Noël, c'est toute une aventure, en ce moment.

Une bonne aventure, s'entend. Le procès d'Elvira a au moins eu le mérite de nous absoudre totalement de l'obligation de fêter Noël avec une bande de vieux serpents austères. Il a bien fallu supporter les yeux brillants de larmes d'Annelies lorsque on lui a annoncé qu'on ne reviendrait probablement pas Noël prochain, mais honnêtement, vu la proximité du divorce, d'ici peu il nous suffira d'aller voir ma tante enfin seule.

Mais du coup, je ne suis pas obligé non plus de faire le tour du monde. Mes beaux-parents et Laura sont venus au manoir cette année, nous facilitant grandement la vie en termes d'organisations et me permettant d'accéder à la liberté complète pendant une semaine de plus.

Du coup c'est ce dont je profite, actuellement. A installer les décos dans tout le manoir en en profitant bien pour mettre du gui partout.

« Sous les portes, ça va pas être très pratique, ça, mon vieux, ricane Lan Yue, mon actuel partenaire de crime. On va pas pouvoir les fermer.

— Depuis quand je me préoccupe de ce genre de considération, telle est la question, Lan Yue, mon ami. Quelques courants d'air ne sont qu'un prétexte de plus à câlins, après tout ! »

En guise de démonstration, je lui passe un bras autour des épaules, profitant du fait que ce maudit tabouret me rajoute une petite dizaine de centimètres de plus. Dure vie que celle des gens petits. Je plaindrais presque mon polycule.

Presque.

Lan Yue rigole.

« C'est ça, profite. En attendant, tout le gui est en train de se détacher ! »

Ah merde ! J'avais pas bien fixé mon piège. Précipitamment, je resserre les fils qui retiennent la traditionnelle plante à affection, et le bouquet de gui se reforme doucement, un peu branlant mais assez efficace. Juste assez haut pour piéger quiconque passera cette porte n'étant pas Tomyris ou Elvira.

Ou même Mareva. Cette filoute grandit de plus en plus, et Lan Yue m'a confié ce matin devoir mettre des plateformes plus hautes pour pouvoir la dépasser. Connaissant les gènes qu'on a eu, je pense qu'elle devrait atteindre le mètre quatre-vingt-dix. Courage, mon vieux.

« Et voilà, je rigole, fier de mon travail. Le piège à partenaires est tissé.

— Partenaires, partenaires, tu parles, tout ce qui respire et est consentant qui passera par cette porte y aura droit, je te connais !

— Détail, détail. Qu'est-ce que les mots de toute façon, face à l'anarchie relationnelle ? »

Lan Yue me file une claque dans le dos.

« Ah ça, anarchie, c'est le cas de le dire. Allez, descends, on doit s'occuper des guirlandes en moins d'une heure, vu le temps que monsieur a passé sur le gui ! »

Pardon ? Ah je trouve ça culotté de sa part, surtout qu'il m'a donné un sacré coup de main. Et il se trouve qu'il est juste en dessous de la plus belle occasion que j'ai jamais vue de prendre ma revanche.

« En parlant du gui, tu es juste en-dessous, man brave, je ricane, prêt à bondir. Allez, viens faire un câlin ! »

Et c'est sur ces mots que je lui saute dessus, de la faible hauteur de mon tabouret. Heureusement pour moi, pour nous, même, que c'est un.e sportife et qu'iel n'a pas trop de mal à me rattraper. C'est à peine si iel tremble sous mon poids. Ce qui lae fait trembler, c'est plutôt les rires.

« Putain t'es con !

— C'est comme ça qu'on m'aime. Allez, j'ai droit à mon câlin, oui ou non ? »

Son étreinte qui se resserre est ma seule réponse. Une réponse qui me convient très bien.

***

Je n'aime pas Noël.

Je suis juive, déjà. Donc, je ne l'ai jamais vraiment fêté. Pourquoi célébrer la naissance d'une icône qui n'est pas la mienne ? Je déteste la vision de Jésus des chrétiens.

Je n'ai personne avec qui le fêter, ensuite. Houshang est musulman et préfère se concentrer sur ses études, et Emerens a déjà beaucoup de choses à faire, je ne veux pas lui imposer ma présence. Quant à ma famille... Je préfère ne pas en parler.

Donc, la plupart du temps, je traite Noël avec un certain mépris. Je reste à Hope's Peak pour les fêtes, je parle un peu avec mes camarades d'internat, je range l'infirmerie et écoute Chirurgienne se plaindre. Mais même Chirurgienne célèbre Noël.

Me voici donc seule à l'infirmerie, à ranger les médicaments et essayer de ne pas regarder les seringues de morphine. Je leur ai promis. Je leur ai promis. Je leur ai promis.

Un soupir m'échappe. Qui couvre presque le grincement de la porte qui s'ouvre.

« Ah, Ester, t'es là ! »

Je reconnais cette voix. C'est celle de Shanleigh, l'Ultime Ostériculteurice, probablement le dernier que je m'attendais à voir à Hope's Peak en période de fêtes. Iel n'a pas une famille ? Une vie ? Un bonheur ? Ou même ses huitres, tiens ?

Je repose les boîtes que j'étais en train de trier, et lui fais signe de rentrer. Iel s'exécute, restant à bonne distance de moi, toutefois. Iel a compris que j'étais mal à l'aise avec les gens qui s'introduisent dans mon espace vital depuis que j'ai mis une baffe à Moanaura qui avait tenté de me prendre par les épaules.

J'apprécie, d'habitude. Mais là, je ne sais pas pourquoi, sa distance provoque en moi une sensation de... Froid ?

On dirait un manque. Pas un manque pernicieux, comme celui de mon sevrage ou de mes rechutes, pas le manque qui torture l'esprit et détraque le corps. Je ne me rappelle pas avoir ressenti quelque chose de pareil en sa présence. C'est étrange.

Je me demande ce que Nako en dirait.

Ma tête se secoue. Non, on ne pense pas aux mauvaises choses. Elle m'a rejetée il y a six mois, je suis passée à autre chose. Je dois chercher autre chose que sa validation. Et c'est très malpoli d'ignorer quelqu'un qui visiblement est venu me rendre visite en pleine période de fêtes.

« Bonjour... Qu'est-ce que tu... fais ici ? »

Mon anglais est un peu balbutiant, toujours. J'ai beaucoup de mal à progresser, malgré les efforts d'Emerens et d'Houshang. Aucun des deux n'est natif, ça ne m'aide pas. Des fois, je me dis que je devrais peut-être demander de l'aide à Shanleigh.

Je me demande toujours ce qui me motive.

Iel sourit.

« Bah, euh, j'ai appris que tu restais pour les fêtes. Et vu que moi aussi, je pensais que... Je pourrais te tenir compagnie ? Si tu veux bien ? »

Être docteur apprend à être observante. Je vois ses doigts bouger dans tous les sens, mais ils reviennent toujours, toujours, sur sa poche gauche. Ladite poche gauche est déformée par un renflement étrangement carré. Une espèce de boîte.

Tout ceci est étrange. Et je dois bien avouer que ça me rend curieuse.

Je hoche la tête.

« Si... Tu veux. »

Iel sourit.

Je n'ai jamais rien vu d'aussi éclatant depuis bien longtemps.

***

C'est Noël, c'est Noël c'est Noël !

J'adore Noël. Noël c'est les cadeaux, mais c'est aussi la bûche géante, la dinde aux marrons et la bonne bouffe. C'est l'alcool hors de prix que je pique des caves du manoir, les courses avec les guirlandes et le gui de partout. Et Noël, c'est aussi Teratai qui chante des comptines autour de la table, pendant que Naomi sert le repas en essayant très, très fort de ne pas tomber.

Vraiment, je regrette pas que Thibault et Héloïse aient d'autres obligations. Certes, je suis déçue de pas les voir, mais une soirée avec deux des femmes de ma vie est déjà amplement suffisant.

« La dinde, la dinde, la dinde! Je chante à la fin de la chanson de Teratai. Je veux manger ! »

Elle rit, et vient aider Naomi qui a manqué de se mettre de la sauce sur sa jolie robe pour la cinquième fois en moins de deux minutes.

« Pas si vite, espèce d'impatiente. Avant de manger le repas, il y a quelque chose de très important...

— LES CADEAUX !!! »

J'avais presque oublié, mais maintenant qu'elle me le rappelle, je n'arrive plus à tenir en place. D'ailleurs, ça complique grandement la tâche de ma chérie d'amour, qui finit par renoncer à la dinde pour s'asseoir sur une chaise. Elle a l'air toute gênée, la pauvre. Elle est adorable.

« Teratai, demande-t-elle, tu peux aller chercher les cadeaux ? Moi, j'avoue que j'ai un peu peur.

— J'y vais, ne t'en fais pas. Alannah, je vais chercher les tiens aussi ?

— s'il te plaît, ma chérie que j'aime très fort ! »

Elle sourit et s'exécute, nous laissant à deux dans la pièce. Naomi a un petit soupir, qu'elle espérait sans doute discret ; malheureusement pour elle, rien n'échappe à mon super œil de la mort qui tue.

L'habitude de scruter des caméras de drones, que voulez-vous.

« Ça va ma chérie ?

— Ce n'est rien, sourit Naomi. Je me sens juste... Pas à ma place. C'est si rare que je fête Noël loin de chez moi, et... J'ai peur d'être déplacée.

— Tu es heureuse d'être là ? »

Elle cligne des yeux.

« ... Oui ?

— bah voilà, où est le problème ? Allez, ma chérie, je souris, assume que t'es heureuse, parce que moi je le suis, et tu es le plus beau cadeau du monde, et je te promets que tu n'es absolument pas un problème ! »

Elle écarquille les yeux. Je sens qu'elle va se mettre à pleurer, mais le retour de Teratai la coupe dans son élan, et j'en profite pour bondir et lui arracher une des boîtes qu'elle tient.

« Tiens, ma chérie, ça c'est pour toi !

— Merci, Alannah, mais laisse-moi le temps de poser les cadeaux au moins–

— Ta ta ta, fallait aller plus vite. Et ça, j'enchaîne en prenant des mains une autre boîte, c'est pour ma Naomi préférée ! Allez, ouvrez, ouvrez ! J'espère que ça va vous plaire ! »

Oui, parce que je suis très fière de mon cadeau. Je l'ai fait faire exprès par Ruben et Flor pour mon premier Noël avec elles deux.

Elles déballent leurs cadeaux d'un même geste, et le tirent de leur petite boîte exactement au même moment. C'est une chaîne, assortie à celle que je porte autour du cou, avec un pendentif gravé de quelques mots en gaëlique irlandais.

Anam cara.

Âme sœur.

Ni l'une ni l'autre ne comprend le gaëlique, et ça m'est bien égal. Moi, je le comprends. Et leurs yeux qui s'emplissent de larmes de joie à toutes les deux est largement suffisant.

« Joyeux Noël, mes amours ! »

C'est dit avec le ton d'un « je t'aime ».

***

Elle est connectée sur LoL. Ça devrait pas m'étonner, hein, il n'est jamais que 22h en Suisse, chez elle. C'est moi qui ai un rythme de sommeil dégueulasse. Impératrice me dit bien d'aller me coucher, mais bon, comme le soir de Noël, elle le passe à se bourrer la gueule avec Juge, j'pense qu'elle a pas de leçons à me donner.

Pendant qu'elle rigole avec ses vieux amis, moi, je cherche les miens. Je n'arrive pas à dormir. Quand j'essaye de dormir, Super Mario me réveille avec ses mamma mia, et j'ai l'impression d'entendre le tintement des pièces dans la salle à côté.

Je devrais peut-être dire à Impératrice que mes médicaments ne sont pas assez forts. Mais j'ai pas envie d'y penser le soir de Noël.

Ou le matin, plutôt ?

Bref. Elle est connectée. TheGirliestGinger, c'est son pseudo. Je lui ai jamais demandé son nom, pas en jeu ; le monde du jeu est un monde séparé de la réalité, et je dois tenir mes mondes séparés au maximum, pour ne pas tomber. Du coup je l'appelle Gin.

Je sais qu'elle est suisse. Je sais qu'elle est la petite sœur d'une camarade d'école, Alessia Scherbakov, si je me souviens bien, parce qu'une fois elle est venue me parler de jeu que je faisais avec elle. Pourtant, Alessia n'est pas très jeux. C'est comme ça que j'ai compris qu'elle me parlait pour quelqu'un d'autre.

Je sais aussi que c'est une personne adorable qui mériterait plus de respect dans sa vie. Quelqu'un avec qui je peux parler de jeu pendant des heures sans risquer de perdre pied avec la réalité. Quelqu'un de très doux dans ses paroles, que je n'ai jamais entendu insulter qui que ce soit, mais qui a des opinions très tranchées sur les choses, surtout ce qu'elle connaît bien.

Quelqu'un que j'adore écouter.

A part Gin, il n'y a pas grand monde de connecté sur LoL. Normalement, c'est un prétexte pour me casser parce que j'aime pas jouer avec des inconnus, mais elle est là, et j'ai envie de lui parler un peu.

Du coup, je lui envoie un message.

Salut ! Si je ne me trompe pas, c'est encore le 24 en Suisse. Ça te dit, quelques parties classées ?

Elle ne tarde pas à me répondre, me demandant ce que je fais encore debout. J'hésite un moment à lui dire toute la vérité, puis, je me dis que je ne veux pas l'inquiéter. C'est Noël, j'ai besoin d'un peu de bonheur dans ma vie, d'oublier ma maladie, les médicaments qui ne fonctionnent pas, ce vide qui me ronge le cerveau sans que personne, pas même Impératrice, ne comprenne pourquoi.

Je me contente donc de lui dire que je n'arrivais pas à dormir, et lui propose un vc dans la foulée.

C'est presque avec appréhension que je guette sa réponse. Et si elle se rendait compte que quelque chose ne va pas ? Si elle décidait finalement qu'elle voulait fêter Noël autrement ? Et si...

Un ping retentit de mon écran. C'est sa réponse.

Bien sûr ! J'arrive !

Mon cœur fait un petit bond dans ma poitrine.

Joyeux Noël, Yuuki.

***

Noël, c'est bien.

Noël à deux, c'est mieux.

Et bon sang ce que c'est compliqué de monter un planning ! Faut prévoir le Noël de la famille, le Noël des amis, le Noël du polycule, le Noël des autres, le nouvel An... Des fois je me dis que Noël, c'est devenu deux semaines entières, plutôt qu'une simple journée.

Je suis épuisée d'avoir couru partout, mais la semaine arrive à sa fin. Et ne me reste plus qu'une seule soirée avant d'en avoir fini avec la farandole de fêtes.

Devant moi, Fyodor se tortille sur sa chaise. Dans ma distraction, je lui ai tiré les cheveux.

« Oups ! Désolée !

— Ce n'est rien, tu n'as pas tiré trop fort...

— Désolée quand même. Tu veux bien ne pas trop bouger ? Je vais essayer de défaire le dernier nœud... »

La brosse glisse tout doucement dans ses cheveux. Heureusement pour moi qu'ils sont lisses, ce n'est pas trop compliqué à démêler. Quelle idée j'ai eue, aussi, de proposer de m'occuper de sa coiffure avant le repas de Noël qu'on va passer ensemble.

Pas que je n'apprécie pas énormément qu'il me laisse toucher ses cheveux, mais bon, si c'est pour faire des bourdes pareilles...

« C'est bon, j'ai fini de démêler, j'annonce au bout de quelques minutes. Tu veux que je te coiffe comment ?

— Comme tu veux, du moment que tu ne coupes rien...

— Bien sûr, ce n'était pas mon intention. Mais tu ne m'aides pas beaucoup, là, je pouffe, soulevant ses cheveux entre mes doigts. Rien ne te ferait plaisir ?

— Je ne sais pas. »

Il hausse les épaules. Je ne peux retenir une moue. Même pour ton apparence, il y a donc tant d'incertitudes ?

« Allez, je trouverai bien quelque chose à faire. Mais je vais expérimenter un peu, ça va être long... ca ne te dérange pas ? »

Il secoue doucement la tête, et me voilà donc à tordre ses mèches de cheveux dans tous les sens, essayant de trouver le meilleur arrangement. Est-ce que je fais quelque chose de complexe, profitant de sa longueur, ou je reste dans la simplicité, un brushing et c'est fini ? Je ne sais pas trop.

J'aime beaucoup ses cheveux. Ils sont doux au toucher, je sens qu'il en prend grand soin. Lui, ou ses sœurs dont il me parle tant. Je n'ai pas encore eu l'occasion de les rencontrer, mais à l'entendre parler, ce sont les créatures les plus précieuses du monde.

Entre grands adelphes, on se comprend, honnêtement.

Je passe un petit temps comme ça, à chercher, dans un silence confortable. Avant que, finalement, il ne se racle la gorge.

« ... Elvira ?

— Oui ?

— ... Tu peux rester comme ça un petit moment ? Avec tes mains dans mes cheveux ? C'est agréable... »

Je souris.

Il est vraiment adorable quand il s'y met.

« Bien sûr. »


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