36 - Tout est fichu

Julie

L'effet de surprise bloque mon geste et mes doigts glissent autour du verre que je tenais à peine. Evidemment le déséquilibre fait vaciller l'eau qui éclabousse la table et la jupe de Charlotte. Je m'excuse, me levant rapidement pour aller chercher une patte.

Mon invitée me rassure, ce n'est que de l'eau, mais j'ai besoin de reprendre pied.

Deux à trois fois par jour ? Mais quand ? Comment ? Le matin... avant le lever des enfants ? Et le soir... Là on pourrait faire un effort avec Tim, il s'endort toujours sur le canapé et quand il vient me rejoindre, c'est moi qui dors à point fermé.

Il y a encore quelques temps, nous profitions de la grasse matinée du dimanche matin, mais les semaines s'écoulent désormais sans que beaucoup de câlins nous unissent.

Mais tous les jours ??? Est-ce que c'est normal ?

Tout en essuyant ma bêtise, j'essaie d'imaginer une nuit passée près d'eux. Les parois dans les chalets ne sont pas très épaisses en général. Je n'ai pas vraiment envie de les entendre. Je retiens un frisson, me souvenant de l'émotion ressentie dans les bras d'Emmanuel, mon attitude alors que je provoquais l'étreinte, ma bouche dévorant la sienne, mes mains parcourant son torse, remontant sur sa nuque et mes doigts se perdant au milieu de ses cheveux. Mon bassin se plaquant contre son bas-ventre... la dureté de ses muscles, la force de son baiser, le soupir à peine muet de notre envie...

Je ferme les yeux, dépitée. Pourquoi ai-je accepté ?

Me retrouver au milieu de la montagne avec un homme dont j'ai éprouvé le désir il y a encore quelques jours et sa femme qui m'explique qu'ils feront l'amour qu'ils soient seuls ou non n'est pas du tout une bonne idée. Mais alors pas du tout.

— Julie, arrête de frotter, tu vas déchirer le tissu, rigole Charlotte.

— Hein ?

Je stoppe mes gestes et observe l'auréole sur sa jupe. L'eau aurait séchée toute seule, mais dans ma précipitation, j'ai attrapé ma patte à poussière et des traces grises se dessinent entre ses fleurs couleur pastel. Je bredouille des excuses tout en me redressant.

— Un coup dans la machine, il n'y aura plus de marques, Julie. Ne t'inquiète pas.

Je hoche la tête, lui propose de la lui laver, en lui prêtant une des miennes quand elle se lève, m'attrape les épaules et me rassure :

— Les fringues, je m'en fiche. Par contre, je vois que je t'ai bien secoué avec ma franchise. Excuse-moi.

— Je... J'ai pas l'habitude.

— Manu a raison et je me suis emballée. J'ai un problème avec ça et...

— Un problème ? De santé tu veux dire ? m'inquiété-je.

— Tes enfants rentrent à quelle heure ? demande-t-elle soudain.

Mes enfants ? Je fixe ma montre et grimace, le temps file trop vite :

— Tristan sera là dans trente minutes. Il a une leçon qui a été annulée ce matin.

— C'est un peu court pour bien t'expliquer et ne panique pas, ce n'est rien de grave. J'ai simplement un appétit plus grand que la plupart des personnes.

— Un appétit ?

Elle a encore faim ? De quoi parle-t-elle ? Il reste des croissants...

— Je suis une sexe-addict. Certains me traitent de nympho... c'est égal, moi ça me gêne pas et je le vis très bien, parce que j'ai un mari adorable qui m'aime et qui me comprend. Mais pour moi le sexe est très important. Je veux dire...la fréquence de nos rapports doit être très, vraiment très régulière.

Une sex-addict... nympho... les termes tourbillonnent dans ma tête et les questions affluent. Est-ce comme un manque d'alcool ou de drogues pour un dépendant ? Est-ce tous les jours de toute l'année ? Et avec les enfants, comment font-ils ? Manu est-il comme elle ? Et me voilà en train de les imaginer, s'embrasser, se toucher, se regarder avec envie et je bredouille, presque malgré moi :

— C'est pas le cas ici.

— J'ai cru comprendre. Mais si c'est ça qui t'inquiète pour ce week-end, j'aimerais vraiment que tu...

— Non, c'est votre vie, Charlotte, cela ne me regarde pas. Ne te justifie pas. Il y a peut-être une chambre par étage ?

Je me reprends, tente de trouver une pointe d'humour pour alléger notre conversation. Je refuse qu'on compare nos nuits, nos maris dans l'intimité ou qu'elle me décrive leurs retrouvailles dans leur chambre. Chacun sa vie, chacun son intimité. Je lui en ai déjà dit bien assez... trop sûrement, je ne sais plus vraiment tout ce que je lui ai confié et j'en suis mal à l'aise.

Charlotte penche la tête, passe une main dans ses boucles, replace une mèche tout en acquiesçant.

Secrètement, j'espère que Tim refusera la proposition. Et si je ne lui en parlais pas ? Si demain j'appelle Charlotte pour lui dire que finalement nous ne pouvons pas, que Tim a d'autres projets, Manu s'en étonnera auprès de lui et mon mensonge sera dévoilé. Zut !

J'espère que mes parents ne pourront pas garder Tiphaine et Théo.

A moins que... Et si... les voir amoureux, les entendre s'aimer... si ça réveillait la libido de mon mari ?

Charlotte

Je n'aurais pas dû lui parler de cette manière et encore moins entre deux portes, juste avant l'arrivée de son fils. Il faut souvent du temps pour que les personnes acceptent ma vision de l'amour et du corps. Je suis qu'une nouille. J'ouvre la bouche pour tenter de lui expliquer mais une sonnerie m'interrompt. Le facteur ! Julie lui ouvre et lui propose même un café. Génial ! Pas fou, le type, il accepte, même s'il lui répète qu'il n'a pas le temps. Mais je suppose que Julie est ravie de cette intrusion. Fini la discussion sur le sexe. Fini les confidences intimes... ça m'étonnerait qu'ils nous accompagnent ce week-end, je suis certaine qu'elle va inventer une excuse. Je m'en veux tellement d'être aussi spontanée.

L'arrivée de Tristan met définitivement fin à notre matinée papotage. Julie s'excuse de devoir poursuivre ses occupations et je m'éclipse docilement avec un arrière-goût amer, d'inachevé. J'aurais bien aimé m'en faire une amie et là, j'ai le sentiment que j'ai réussi l'inverse.

Assise derrière le volant de ma voiture, je saisis mon téléphone, cherche le numéro de mon doc et l'appelle sans tarder.

— Mme Roucal, Bonjour. Que puis-je...

— Bonjour Doc, les sexologues règlent que les soucis de sexe ou je peux aussi vous parler de mon problème psy ?

Je l'entends souffler dans le combiné, sans que je devine s'il sourit ou si au contraire il lève les yeux au ciel.

— Vous aimeriez venir aujourd'hui ? J'ai une place qui s'est libérée à...

— Non, par téléphone... Maintenant, cinq minutes... c'est possible ?

— Les problèmes psy ne se traitent pas comme ça, Charlotte. Mais dites-moi... Que se passe-t-il ?

— Mon mari m'a présenté son plus proche collègue et je pensais pouvoir me lier d'amitié avec sa femme. Ils nous ont invités dimanche dernier pour le repas et ce matin j'y suis retournée pour boire un café. Mais je crois que j'ai tout gâché.

— Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?

En deux mots, je lui résume notre conversation et surtout mon insistance autour du sexe, sa gêne et sa manière de se comporter.

— Je suis trop nulle, Doc.

— Vous avez peu de filtres, c'est vrai. Mais dans ce que vous me dites, il n'y a rien qui pourrait faire penser que cette Julie vous repousse. Pourquoi pensez-vous ceci ?

— Ça ne s'explique pas, Doc, ça se sent !

— D'accord. Et dans ce cas, pourquoi est-ce si important pour vous ? Votre mari a d'autres collègues et vous aurez d'autres occasions de...

— Les enfants sont très proches, Manu et Tim aussi... Ça devrait être ainsi... sauf que j'ai tout gâché.

— Peut-être pas. D'après ce que vous m'avez dit, elle a accepté de vous rejoindre ce week-end...

— Pour être polie... Et surtout c'était avant que je...

Toc Toc Toc

Surprise, je tourne le visage vers la fenêtre de ma voiture et aperçois Julie, la mine inquiète. Je baisse la vitre et m'excuse auprès de mon interlocuteur :

— Ah tu es au téléphone, s'exclame Julie. J'ai cru que tu avais un problème de voiture. Excuse-moi, je te laisse, dit-elle précipitamment en s'éloignant retrouvant son sourire.

— Je pense que vous venez d'avoir la réponse à votre question, Charlotte. Elle ne se serait pas inquiétée de la sorte si elle était fâchée, vous ne croyez pas ?

— Si... si... vous avez raison. Merci Doc. Je vous rappellerai. Julie, crié-je en sortant de la voiture.

Au milieu de son allée impeccable, elle se retourne et me sourit.

— Tristan a vu ta voiture depuis la fenêtre de sa chambre. Nous avons cru que tu étais en panne.

— Non, non, tout va bien, dis-je en la prenant dans mes bras et lui embrassant tendrement la joue.

Elle étouffe un rire et me demande si j'en suis certaine.

— J'ai pas beaucoup d'amies, Julie. Et je manque parfois un peu de délicatesse. J'avais peur que tu sois fâchée.

— Fâchée ? Parce que tu parles librement de sexualité ? Charlotte... je ne vais pas me fâcher pour ça. On peut être amie et avoir d'autres sujets de conversation, il me semble.

— Oui... oui tu as raison. Excuse-moi, je suis toujours dans l'extrême.

Elle m'embrasse à son tour et me propose de se voir la semaine suivante pour un nouveau café.

— En plus du week-end ?

— Oui. Il n'y a pas de raison de se priver de bons moments.

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