34 - Jeudi 6 juin

Charlotte

J'attrape mon sac à main sur le siège passager et les croissants achetés à la boulangerie du village, quitte ma voiture et remonte l'allée des Chablot. Même de ce côté de la maison tout est parfait. Aucunes mauvaises herbes, un gazon comparable à celui d'un terrain de golf, le tuyau d'arrosage parfaitement rangé, enroulé aussi bien qu'un neuf, les vélos alignés sur le côté du garage, aucune toile d'araignée dans les angles... c'est pas possible, Julie doit passer sa vie à nettoyer.

Je sonne et la porte s'ouvre presque immédiatement.

— Charlotte, je suis contente de te voir. Entre.

Il me semble que ses joues ont rosi en me voyant, mais ça doit être mon imagination. Je fais mine de retirer mes tongs alors qu'elle m'en empêche.

— J'ai installé la terrasse, on sera mieux dehors, je pense. Garde tes chaussures, je n'ai pas encore balayé les dalles.

— Parce que... tu balaies la terrasse ?

— Oui, tu sais avec les feuilles, les fleurs fanées et les miettes laissées par les enfants lors des repas... Mais ce matin, j'ai pas encore eu le temps.

— Y a pas besoin de faire tant de chichis pour moi, tu sais.

Julie éclate de rire en disant :

— Je le fais tous les jours, Charlotte. C'est plus pour Tim que pour toi, me confie-t-elle en me faisant un clin d'œil.

J'en reviens pas. Tous les jours ? Punaise... y en a qui ont du temps à perdre. Une fois par semaine et encore... juste avant la venue des amis ou après le passage de la tondeuse pour éviter d'en mettre partout c'est largement suffisant. Surtout qu'au moindre coup de vent, tout est à refaire.

Je manque de réaction alors que Julie continue sa tirade sur ses habitudes de nettoyage. Faut vite que je change de sujet, parce que parler serpillère... moi ça ne me fait pas rêver.

Julie

Je sens mes joues rougir et mes mains trembler.

J'ai embrassé son mari ! Cette image me hante depuis mardi... non depuis le premier baiser. Mais si j'avais réussi à excuser le premier écart, le second, beaucoup plus assumé me rend totalement fébrile ce matin. Parler du ménage et de Tim avec ses exigences me semblent être une bonne idée, même si je vois que Charlotte n'adhère pas vraiment.

— Tu prends un petit café ou plutôt un allongé ?

Sans réponse de sa part, je me retourne et la découvre les bras ballants au milieu du salon alors que j'étais déjà sur la terrasse. Je souris, reviens vers elle et répète :

— Tu veux un café ? Ou tu préfères autre chose ?

— Café... volontiers.

Une fois près de la table, elle tire une chaise, dépose les croissants sur la table et son sac à ses pieds. Je sors une assiette que je place sur le plateau déjà préparé, ajoute la cafetière italienne chaude et remplie du précieux nectar et rejoins Charlotte sur la terrasse.

— Le soleil n'est pas encore trop chaud à cette heure, mais tu aimerais que j'installe le parasol ?

Elle secoue la tête, expliquant qu'elle adore la chaleur des rayons. Celui du matin est celui qui la fait le moins rougir.

— Je suis repartie avec un beau coup de soleil, dimanche, rigole-t-elle.

Je la remercie pour les croissants, dépose une serviette devant elle et lui demande si elle aimerait plutôt une assiette.

Charlotte

Une assiette ? Pour manger un croissant ? Et pourquoi pas un couteau et une fourchette !

— Julie... détend-toi. Les miettes me font pas peur et sauf erreur les oiseaux aiment bien les manger après mon passage.

— Oui, et les fourmis aussi. Tim a horreur des fourmis. Tu prends plutôt du lait ou de la crème dans ton café ?

Tim ! Toujours Tim. Est-ce que c'est lui qui aime l'ordre à ce point, ou se sert-elle de lui comme excuse à sa maniaquerie ?

— Juste un peu de lait, c'est parfait.

Julie verse le café alors que j'admire la bouture d'une plante.

— Tu as la main verte. Chez moi, il n'y a que les mauvaises herbes qui se plaisent, plaisanté-je.

— Oui, j'aime beaucoup jardiner. Ça me vide la tête. Je te montrerai quelques astuces, si tu veux.

— Excuse-moi Julie... c'est pas pour te vexer, mais personnellement... je préfère quand c'est un peu plus le bazar. C'est joli chez vous, mais je me sens plus à l'aise dans mon capharnaüm.

Je la vois plisser les yeux, observer autour d'elle, puis se concentrer sur la pointe de son croissant.

— Tim a du mal, si tout n'est pas à sa place.

— Il va devenir dingue chez nous, rigolé-je pour détendre l'atmosphère.

— Ah mais non. Ne t'inquiète pas. Ailleurs il ne remarque pas ce genre de chose, c'est seulement... ici.

— Et à toi ça te plait ?

— Si on range un peu chaque jour, c'est pas si pénible.

— Tu ne réponds pas à ma question, Julie.

Elle penche la tête, me scrute intensément avant de s'excuser et de rejoindre le salon. Je me lève, craignant l'avoir blessée, mais elle revient rapidement sur ses pas, un album de photos entre les mains.

— J'ai toujours vécu dans cette maison et regarde...

L'image qu'elle me plante sous les yeux ressemble plus à mon jardin qu'au sien. Des jouets éparpillés, des serviettes, du linge qui sèche sur les dossiers des chaises mises aléatoirement un peu partout, une table qui semble être prête à s'effondrer tant elle est remplie et Julie qui m'explique :

— Mes parents étaient comme toi, j'ai grandi dans le désordre et j'ai mis du temps à me faire à la maniaquerie de Tim. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas par amour ? rigole-t-elle. Je dirai qu'aujourd'hui, ça me plait parce que je suis fière du résultat, et que j'en ai bavé pour y arriver. Mais au fond de moi, mon âme d'enfant se plait davantage dans un jardin plein de vie. C'était plus difficile lorsque les enfants étaient petits, aujourd'hui ils m'aident et...

— Et Tim ? Il t'aide aussi ?

— Différemment, m'avoue-t-elle.

Julie

C'est bien la première fois que j'avoue à une amie que j'aimerais mieux vivre différemment. Tout le monde pense que c'est moi la maniaque, que Tim l'est devenu en ma présence, sauf ses parents, évidemment qui sont encore pire que lui. Mais jamais encore je n'avais mentionné cette différence entre Tim et moi à une copine. Je suis surprise par mon attitude et je crains soudain qu'elle n'en parle et que ça remonte aux oreilles de Tim.

— J'ai pas l'impression qu'il t'aide beaucoup. J'ai même l'impression de revoir mes grands-parents. L'homme de la maison dirige, se fait servir, apporte la pitance et la femme... subit, obéit, travaille...

— Je ne suis pas soumise, objecté-je.

— Ou alors tu aimes tout contrôler ?

Je marque un temps d'arrêt, essayant de me souvenir ce qui s'est passé pour qu'elle ait un tel avis sur nous. Elle semble vouloir revenir sur ses paroles et sa gêne me réconforte.

— Tim s'occupe effectivement de tout ce qui est masculin à ses yeux... bricolage, chargement de la voiture, itinéraire des vacances, l'argent pour la famille et...

J'ai failli dire : sexe. Moi qui ne parle jamais de mon intimité... Je m'interromps et Charlotte en profite pour répéter :

— Et ?

— Sous la couette, murmuré-je.

La pauvre, elle s'étouffe avec son croissant. Je me lève et cours chercher un verre d'eau le temps que sa toux s'estompe. Elle me remercie d'un regard, avale rapidement la boisson fraîche avant de s'exclamer :

— Tu plaisantes !

Je secoue la tête en rougissant.

— Tu veux dire que jamais...

— Non, jamais. Tout comme il ne s'occupe pas de la vaisselle, la lessive ou les courses. Les tâches sont bien définies.

Je sens qu'elle veut rebondir sur la réplique plus intime, mais parler sexe me gêne, même entre filles. Je me dépêche donc de changer de sujet :

— Cette année, vous partez en vacances ?

— Tss Tss Tss, Julie... Les vacances ne sont pas le sujet ! Tu veux dire que jamais... C'est jamais toi qui sautes sur ton homme ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top