23 - Repas délicieux
Charlotte
Incroyable... il est obligé de rabaisser sa femme ? Et elle qui ne dit rien. Ça doit être habituel entre eux. Peut-être le fait-il si souvent qu'elle ne le remarque plus. Malheureusement.
— Au fait, chéri, tu n'as pas donné notre cadeau à notre hôtesse, rappelé-je à mon mari.
— C'est juste, tu avais les mains mouillées, se justifie-t-il en regardant Julie. Je n'ai pas voulu te mettre dans l'embarras. On s'est dit que c'était différent d'un bouquet de fleurs, ajoute-t-il, alors que Julie saisit le cadeau tendu.
— Un livre, se moque Tim. Oui, c'est bien choisi. Elle en a toujours au moins deux d'entamer, mais elle l'a sûrement déjà lu, vu qu'elle bosse dans une librairie.
Une librairie ? J'observe attentivement Manu et les joues rosées de Julie. Je plisse les yeux et me remémore des quelques mots que mon homme m'avait confiés sur son baiser échangé au milieu des bouquins... Une pulsion, un petit smack sur le bout des lèvres, puis elle avait pris l'initiative de le rendre plus passionné, s'était collée contre son torse, avait joint ses doigts dans sa nuque... non, ce ne peut pas être elle... Il m'avait dit que la femme l'avait allumé par un regard charmeur et un sourire lumineux lors de l'accident. Il avait ajouté une tenue sexy le jour du baiser, avec une jupe courte et un chemisier à moitié ouvert... C'est sans doute ce petit détail qui avait poussé mon homme à s'approcher et voyant qu'elle ne refusait pas, il avait fini par l'embrasser.
J'observe attentivement l'attitude de Julie, ses vêtements... et même si elle est très belle, elle ne montre aucune partie de son corps dans un but de séduction. Elle reste nature, simple, joyeuse et souriante, mais vraiment pas femme fatale ou provocante.
— Oh... Emma de Jane Austin. Je ne l'ai encore jamais lu. Merci, dit-elle en se penchant vers moi pour m'embrasser.
Lorsque Tim s'approche du grill, Julie demande à sa fille de venir l'aider à transporter les différentes salades dehors, mais Manu se propose. Je crois qu'il n'est pas très à l'aise de voir Julie se démener ainsi pour nous accueillir et que son mari ne fasse que rôtir les saucisses. Faut dire que chez nous, les rôles s'inversent régulièrement. Ce n'est pas lui qui tond la pelouse et moi qui cuisine, mais plutôt un jour l'un, un jour l'autre. Évidemment les grosses bricoles, je les laisse à Manu, il a plus de force, mais il est aussi capable que moi de lire une histoire aux enfants ou cuire des pâtes. Et même pour ce dernier point, si j'excelle en pâtisserie, j'avoue ne pas être une très bonne cuisinière.
— Non, c'est gentil, Manu. Tu es invité, profites de l'ombre, Tiphaine, s'il te plaît.
— J'arrive, ronchonne l'adolescente.
Bredouille, Manu s'approche de Tim et lui fait la conversation pendant qu'il dépose la viande sur le grill. Ils parlent sans doute boulot. Je jette un coup d'œil aux enfants qui s'amusent dans le jardin et je choisis de m'allonger sur le transat près de la piscine.
Tim m'a bien dit de faire comme chez moi, je ne vais donc pas me gêner. En plus, les coussins sont bien épais, très confortables.
Julie
Tim et Manu s'occupent du barbecue, alors que Charlotte se laisse dorer au soleil. La table est mise, les salades et le pain sont posés sur la desserte, il ne reste que la viande à cuire. Je profite de cette attente pour m'approcher de notre invitée. Si nous devenons amies, Manu n'osera plus me déstabiliser.
Je m'installe à ses côtés pour faire plus ample connaissance.
— C'est amusant que nos garçons se retrouvent dans la même classe, dis-je pour lancer le sujet.
— Théo et Maxime ? Oui. En plus, elle est adorable, Mademoiselle Juiliard.
— Oui, on sent qu'elle aime vraiment son métier. Et pour Marion ? Le collège ? Pas trop difficile d'avoir quitté ses amis ?
— Si, au début, ce fut compliqué. Mais depuis qu'elle fréquente Tiphaine, je retrouve sa bonne humeur. Comme elles sont dans la même section, elle rêve d'être dans la même classe que ta fille l'an prochain.
— Nous pouvons faire une demande. Parfois le directeur accepte.
Charlotte soulève ses lunettes et me regarde en souriant.
— C'est une bonne idée, tu crois ?
— De quoi ? Qu'elles soient ensemble en classe ? Tu as peur qu'elles papotent plus qu'elles ne travaillent ?
— Non, qu'on ne puisse plus les décoller, rit-elle et les admirant de loin.
C'est vrai que nos filles ne se sont pas éloignées l'une de l'autre. Même quand Tiphaine est venue m'aider, Marion l'a suivie. Charlotte enchaîne sur les profs du collège et les quelques difficultés que Marion a en allemand lorsqu'elle me surprend en me demandant :
— Tu travailles dans une librairie alors ?
— Oui, mais très peu. Un jour par semaine.
— Tu as toujours travaillé ?
— Non, j'ai arrêté à la naissance de Tiphaine et repris l'an dernier. Une amie a ouvert cette boutique et avait besoin d'une aide pour la soulager. Je dois t'avouer que j'aime beaucoup cette journée. J'ai l'impression de me reposer, alors que déplacer des cartons de livres, c'est assez physique, mais je n'ai pas à m'occuper des enfants, ni même du repas de midi.
— Tu les mets à la cantine ?
— Les garçons vont chez mes parents, en général. Tiphaine par contre préfère rester au collège.
— Ahhhhhhhhhhhh, je comprends mieux pourquoi Marion m'a demandé d'y manger au moins une fois par semaine. Le jeudi de préférence... Tu bosses les jeudis ?
J'éclate de rire en acquiesçant. Même si c'est pas toujours régulier, le jeudi est officiellement mon jour à la librairie.
Charlotte
Manu avait embrassé cette femme un mardi, veille d'un anniversaire. Ce n'était donc pas Julie. Même si je n'en suis pas jalouse, cela me ferait vraiment bizarre de tisser une amitié avec une nana que Manu envisage comme une maîtresse potentielle.
Je me détends et éloigne cette pensée de mon esprit au moment où les hommes nous appellent pour passer à table. Je m'installe à côté de Manu alors que Julie propose les diverses salades à chaque enfant. Chez nous, tout se trouve à porter de mains et chacun se sert. Mais je ne me permets aucune remarque. Tim ne dit rien ou plutôt il continue comme si de rien n'était son explication sur les derniers changements opérés dans la boîte. Il semble avoir vraiment galéré pour obtenir le poste qu'il convoitait et maintenant qu'il est enfin devenu partenaire, il ne relâche pas ses efforts. Lui aussi m'étonne. Hormis sa manière de ne pas faire de cadeau à sa femme, il m'est de plus en plus sympathique. Il plaisante aux blagues de Manu, me pose des questions me prouvant qu'il s'intéresse à moi et à ma vie, retient mes remarques et m'encourage à poursuivre mon envie de me lancer dans la pâtisserie. Il n'y a que dans le rôle d'époux que je ne retrouve pas l'homme qui parait charmant. Peut-être est-ce Julie qui refuse de partager les tâches ? Il y a des femmes qui se plaisent dans le rôle un peu primitif dans lequel Julie semble être enfermée. Et si c'est un choix consenti, qui suis-je pour juger ?
Je suis en pleine explication de mon projet lorsque les enfants demandent s'ils peuvent faire un plongeon dans la piscine avant de prendre le dessert. J'ai l'impression que ça contrarie Julie.
— Mais oui, allez-y, accepte Tim. L'eau est chaude, il n'y a pas de risque. Et personnellement, je ferai bien une petite pause avant le sucré, dit-il en se caressant le ventre, dans un signe de satisfaction.
Je m'attends à un compliment envers le repas, et notamment les sauces faites par Julie, mais c'est Manu qui s'en charge.
— C'était vraiment délicieux, Julie.
— Merci, ce n'était pas grand-chose. Vous aimeriez un café ?
Nous acceptons et Tim fixe son attention sur moi et m'interroge sur le nom et le design de ma future entreprise.
— Je n'y ai pas vraiment réfléchi, avoué-je.
— Avec un mari graphiste ? Charlotte... c'est la base du projet. Enfin je veux dire que toute ta promo se fera autour de ton logo. Tu ne peux pas le bâcler.
Je regarde Manu qui me sourit en plaisantant :
— Je te ferai un prix.
— Paiement en nature, c'est encore mieux, rigole Tim.
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