Jour 4

  Comme hier après-midi, je suis allé voir Sôda-kun pour mon apprentissage de la mécanique. Il m'a avoué que son plus grand rêve serait de construire une fusée. La seule chose qui l'inquiète à ce sujet, c'est qu'il pense qu'aucune fille ne pourrait monter avec lui en raison de son mal de transport. Je comprends son embêtement et j'ignore si ça peut être surmonté... Il m'a ensuite demandé si j'avais un rêve ou une ambition pour le futur et je lui ai répondu que je ne savais pas encore car je n'y ai pas vraiment réfléchi. Discuter de ce genre de motivation nous redonnait un peu espoir et nous permettait d'oublier un peu notre situation. Il faut peut-être que je découvre davantage de domaines pour pouvoir me faire une idée de ce qui me correspondrait le plus.

  Le soir même, Monokuma nous a demandé de nous regrouper au parc Jabberwock. Toutes les fois où il nous demandait de nous rendre là-bas, c'était pour nous informer d'une mauvaise nouvelle ou bien nous plomber le moral pour le reste de la soirée. C'est pourquoi j'avais un mauvais pressentiment et j'avais raison de le penser.

  L'ours en peluche nous avait préparé un nouveau mobile de meurtre à travers un jeu d'arcade intitulé : « Twilight Syndrome : L'affaire de meurtre ». Selon Nanami-san, la Gameuse Ultime, la série Twilight Syndrome serait des jeux d'aventure dont le premier volet daterait de 1996. L'intrigue parlerait apparemment d'un groupe de lycéennes qui enquêtent sur de nombreuses légendes urbaines et le jeu s'explorerait en side-scroller (défilement horizontal). Monokuma a ajouté que le thème de son jeu serait « le lien oublié » ; un classique du roman à suspens, un peu comme un lien caché ou secret entre certains personnages, d'après lui. Si nous voulions en savoir plus, il nous incitait à y jouer.

  « Hé, si c'est le mobile... Ça ne serait pas plus sûr si on n'y jouait pas ?, lança Sôda-kun l'air incrédule.

  - Tu as totalement raison ! T'es un génie, dis-moi !, a ri Nidai-kun à plein poumons en lui donnant une bonne tape à l'épaule.

  - Je vois... Ça ne m'était pas venu à l'esprit, murmura Monokuma songeur avant d'essayer de nous mettre dans le doute. Mais est-ce que vous êtes sûrs de ça ? Avoir un mobile peut causer un déclic chez l'un d'entre vous, et rien ne garantit que personne ne va jouer en secret, pas vrai ? En savoir plus sur le mobile vous permettra d'être également préparé. »

  Nous l'avons regardé peu rassurés et sur nos gardes.

  « Vous êtes tous ennemis, vous savez ?, continua t-il. Est-ce vraiment une bonne idée de leur laisser un avantage aussi important ? Si même en sachant ça vous voulez ignorer ce mobile, c'est votre problème. »

  Puis il est parti. Une partie d'entre nous refusait l'idée de jouer au jeu tandis que d'autres soulignaient le fait que si jamais une personne obtenait le mobile en secret, cela désavantagerait les autres en conséquence.

  « Si mourir c'est perdre... Alors tout ce dont nous avons besoin pour gagner, c'est de tuer. Ne comptez pas sur moi pour crever comme un chien, comme Togami et Hanamura. », a soudainement déclaré Kuzuryû-kun, l'air amusé avant de s'en aller.

  L'inquiétude se lisait sur nos visages tandis que nous le regardions partir jusqu'à ce qu'il ne soit plus dans notre champ de vision. Qu'a t-il réellement derrière la tête...?

  Finalement, Nanami-san affirma avec fermeté et conviction qu'elle ne laisserait aucun autre meurtre se produire. J'espère qu'elle a raison.

  L'annonce de vingt-deux heures a ensuite été indiquée et nous sommes tous retournés à nos bungalows, accablés par les événements. Que faire ? Devrais-je me pencher sur le mobile pour me préparer ou bien l'ignorer ?

Ces pensées n'arrêtent pas de trotter dans ma tête. Je verrai ce que je peux faire demain.


(plus tard)

  Bon... j'écris en réalité ceci le lendemain matin parce qu'il s'est passé des choses intrigantes et j'ai presque pas dormi... Pour dire la vérité, nous avons discuté TOUTE la nuit et là, il vient tout juste de partir après l'annonce matinale de Monokuma. Ha ha... une bonne nuit blanche... J'en peux plus... j'écris ça avant de tout oublier et après je vais aller dormir (tant pis pour le petit déjeuner, ça attendra).

  Bref, vous vous demandez sûrement pourquoi je dis « nous » et que je parle d'un « il ». Vous ne le croirez jamais, et même moi je me dis : « ... Attends, sérieusement ? » Eh bien, Kuzuryû-kun est venu sonner à ma porte cette nuit. Oui... Vous avez bien lu, Kuzuryû-kun en personne... Ha ha... Non ce n'est pas une blague...

  J'avais tout d'abord vérifié sur l'ElectroID de qui il s'agissait. Quand je l'ai su, j'ai évidemment hésité à lui ouvrir. Venant de lui, je me suis demandé quelles étaient ses intentions, en particulier à une heure aussi tardive, si ce n'était pas pour venir me tuer ? (surtout avec toutes ses menaces de mort qu'il ne cessait de nous répéter)

  Au début, je n'ai pas répondu et fis comme si je dormais. Toutefois, il a continué de marteler la sonnette puis la porte avec insistance. Mon cœur battait la chamade. Pour tout vous dire, j'étais vraiment paniqué.

  Après quelques instants, j'ai rassemblé tout mon courage et mon sang-froid, et j'ai fini par céder prudemment. J'ai serré les poings et j'ai ouvert l'une des fenêtres près de l'entrée afin qu'il ne m'atteigne pas directement au cas où il me menacerait avec une arme (les fenêtres se trouvent au dessus du « vide », c'était le plus sécurisé pour l'aborder). En lui demandant fermement ce qu'il me voulait à deux heures du matin, il m'a répondu avec conviction qu'il voulait me parler (il tenait une grande enveloppe marron sous le bras).

  « Me parler ?, ai-je levé un sourcil peu convaincu. Ne me prend pas pour un imbécile. Tu n'essaierais pas plutôt de venir m'assassiner ? »

  Il eut un instant de silence tandis qu'il semblait détourner le visage avec ennui.

  « ... Je ne t'en veux pas, c'est normal que tu penses ça. Mais laisse-moi entrer, j'ai vraiment besoin de te parler en privé.

  - Et comment je peux être certain que tu ne feras pas de coups bas ? Tu es allé jouer au jeu, n'est-ce pas ? (avec méfiance, j'ai de nouveau regardé l'enveloppe)

  - Tch... Qu'est-ce que ça peut faire ? Ça dérange que j'agisse sans consulter ?!, commença t-il à grogner.

  - Tout dépend de tes intentions derrière. Si tu prévois de tuer quelqu'un, c'est évident que la réponse est oui. »

  Il soupira et me montra que sa ceinture ainsi que les poches de son pantalon et de sa veste étaient vides.

  « Regarde, je n'ai pas l'intention de te tuer, dit-il agacé. Maintenant, je peux entrer ? Faut qu'on parle. »

  Je l'ai observé en fronçant les sourcils puis j'ai fermé la fenêtre et suis venu lui ouvrir en le laissant entrer. Il s'est avançé vers le centre de la pièce (comme s'il n'avait pas de temps à perdre) et vida le contenu de l'enveloppe. Cinq photos en sortirent.

  « Qu'est-ce que c'est ?, le rejoignais-je avec sérieux après avoir fermé la porte derrière moi.

  - ... Ma récompense pour avoir fini le jeu... »

  Je me suis assis, ai pris les photos et les fis défiler dans mes mains afin de les examiner. La première montrait Tsumiki-san (en pleurs), Mioda-san (enjouée) et Saionji-san (de mauvaise humeur) en uniforme scolaire dans ce qui semblait être un hall d'entrée. (voici de vagues croquis de quelques photos qui m'ont marqué et dont je me souviens)

  La deuxième était un pot de fleurs brisé au sol, puis, la troisième photo me troubla. Celle-ci représentait le corps sans vie d'une fille aux longs cheveux blonds, assise dans une mare de sang, visiblement tuée d'un coup à la tête. Son visage me disait étrangement quelque chose... Un piano se situait derrière le cadavre ; peut-être que le décor correspondait à une salle de musique ?

  « ... C'est ma petite sœur..., m'a avoué Kuzuryû-kun en serrant les poings sur ses cuisses. C'est impossible que ce soit vrai, si elle était du genre à mourir facilement, je l'aurais déjà butée moi-même il y a longtemps... Quand je suis parti pour rejoindre l'Académie Kibôgamine, elle m'a gueulé dessus... et m'a envoyé chier... »

  Je l'observais silencieusement.

  « C'était il y a à peine quelques jours..., poursuivit-il. Bon sang... Pourquoi je ne me souviens de rien... ?! Pourquoi je ne sais même pas si ma sœur est vraiment morte ?!

  - Et tu viens me voir pour me le demander ?, levai-je un sourcil dubitatif. Comment pourrais-je le savoir ? »

  Il me fixait avec sérieux.

  « Regarde les autres photos. Tu comprendras où je veux en venir. »

Je fis ce qu'il me demanda. En défilant sur la quatrième photo, j'ai immédiatement écarquillé les yeux d'incompréhension. Kuzuryû-kun et moi étions dessus avec une troisième personne derrière nous, dont la partie inférieure du corps était seulement visible. Tous trois en uniforme scolaire également. Je tenais Kuzuryû-kun par le bras comme si j'essayais de le convaincre de quelque chose tandis que son visage affichait une sorte d'hésitation.

  « Étrange que l'on soit tous les deux dessus, pas vrai ?, dit-il incrédule. Et pourtant... je n'ai aucun souvenir de ça.

  - Tu penses que ces photos sont fausses ?

  - J'aimerais le croire mais je n'ai aucune manière de le vérifier... »

  La dernière photo montrait le corps d'une autre fille, assise, et également abattue à la tête (une batte en métal recouverte de sang se trouvait à côté du cadavre).


  « On dirait qu'elle a été tuée de la même façon que ta sœur, comparais-je les deux photos plus attentivement.

  - ... Comme si on voulait lui faire subir le même sort, tu veux dire ?, proposa t-il avant de ricaner légèrement. Ha ha... Tuer ou être tué... C'est avec ce genre de précepte que j'ai toujours vécu après tout, donc je ne serais pas surpris si c'est moi qui ai tué cette connasse par le passé pour venger ma sœur.

  - Est-ce que le jeu apportait des informations concernant ces photos ou sur un mobile de meurtre en particulier ? »

  Il détourna le regard avec ennui.

  « ... C'est juste un jeu de merde. (il fit une pause) En résumé, ça se passe dans un lycée. L'histoire est centrée sur un meurtre qui a été commis dans l'enceinte de l'école. Le jeu compte huit personnages : cinq filles appelées de Fille-A à Fille-E, un garçon nommé Garçon-F, un lycéen dont le sexe n'est pas précisé, du nom de Inconnu-G, ainsi que la lycéenne assassinée au début du jeu. Le scénario ne suit pas un ordre chronologique. Le deuxième jour est d'abord montré, puis le quatrième, le premier et enfin le troisième. Lorsque l'on commence le jeu à partir du deuxième jour, on apprend à travers un journal qu'un meurtre a eu lieu le jour précédent. À la fin du quatrième jour, il est montré une image du cadavre de Fille-E dans la même position que sur la dernière photo avec la fille butée à l'aide d'une batte en métal. La scène se termine sur un écran de Game Over et les kana « Gokaishita », qui peuvent signifier soit « tu as mal compris » soit « abattu cinq fois », s'affichent en dessous. En réfléchissant un peu, j'ai fini par comprendre qu'après avoir obtenu l'écran de Game Over, il fallait en fait appuyer cinq fois sur la touche du bas pour jouer au reste du jeu. Après un monologue d'introduction, le premier jour devient accessible. Celui-ci raconte comment Fille-A, Fille-B, Fille-C et Fille-D ont découvert le corps de la lycéenne assassinée dans la salle de musique et comment elles ont fini par prendre la décision de ne pas participer à l'affaire en ne signalant pas leur découverte du cadavre, pendant que Fille-D prenait des photos de la scène du crime. Le troisième jour commence par Fille-D qui veut montrer à Fille-E une photo d'un pot de fleurs brisé qu'elle avait prise le premier jour. Elles ont une discussion et on apprend que Fille-D est au courant que Fille-E est en fait la coupable. Cette dernière a alors avoué comment ça s'est produit. Elle ne supportait plus celle qu'elle a butée car celle-ci pouvait faire apparemment ce qu'elle voulait en raison de l'influence de sa famille. Fille-E a d'abord essayé de causer à la fille mais la discussion aurait dégénéré. Elle l'avait étranglée et la fille a perdu connaissance. Pour ne pas que la situation empire, Fille-E l'a alors tuée. Fille-E panique après ses aveux puis laisse Fille-D seule et la scène se finit en fondu au noir. La scène suivante, on voit Fille-E qui jette la photo du pot de fleurs brisé dans les poubelles derrière les bâtiments scolaires, avant de quitter l'école. Garçon-F qui avait certainement tout vu, vient vérifier ce que Fille-E venait de jeter à la poubelle. On apprend qu'il avait entendu une rumeur, selon laquelle, Fille-E était avec la fille le jour du meurtre, et que la fille en question était la petite sœur de Garçon-F. Celui-ci est alors décidé à la trouver pour l'interroger sur les événements. La scène se termine en fondu au noir. La dernière scène, montre Garçon-F qui discute avec Inconnu-G pour lui parler de ses plans. Le jeu se termine sur les paroles de Garçon-F qui dit : « Si elle l'a vraiment fait... Je ne lui pardonnerai jamais. » ... M-Mais c'est juste un putain de jeu, une fiction pareille ne peut pas être réelle...

  - Hmm..., pourtant... On dirait que ça pourrait peut-être expliquer ce qu'il s'est passé avec ta sœur..., ai-je réfléchi songeur. Kuzuryû-kun, est-ce qu'il y avait un crédit après avoir fini le jeu ? Quelque chose avec des noms affichés par exemple ?

  - ... O-Ouais y'en avait un. J'ai vu les noms de Tsumiki, Koizumi, Saionji, Mioda, Satoru, deux Kuzuryû, et un Satô qui me dit rien.

  - C'est bien ce que je pensais... Si d'après Monokuma c'est censé devenir un mobile de meurtre, ça veut probablement dire que ce jeu se baserait sur des faits réels. Avec le crédit de fin, on peut en déduire que les noms que tu as cités sont les protagonistes du jeu.

  - ... N'importe quoi..., grommela t-il. Je peux pas croire que je sois dans ce jeu à la con. ... Par contre, je ne vois qu'une personne qui aurait pu prendre ces photos... Peut-être que c'est « elle » qui a butée ma petite sœur après tout ? Qui prendrait le cadavre de ses victimes pour le plaisir si ce n'est pas le coupable lui-même ? »

  J'écarquillai les yeux. En entendant ses paroles, j'ai compris qu'il visait Koizumi-san, la Photographe Ultime.

  « Hé, Kuzuryû-kun, l'ai-je interpellé. Ce n'est pas sûr que ce soit elle la coupable.

  - Alors je lui demanderai ! Je veux savoir la vérité !, lança t-il avec détermination. Mais si j'apprends qu'elle a...

  - Je me doute que ton instinct de yakuza te poussera à la tuer pour te venger alors je ne pourrais certainement pas te dissuader de le faire... En revanche..., répliquai-je calmement. Si tu décides de te venger, fait le après que nous soyons libérés des jougs de Monokuma. Si tu décides de la tuer maintenant, tu impliqueras tout le monde dans ton histoire et tu deviendras le principal suspect car je n'hésiterai pas à t'accuser pour préserver notre survie. Est-ce vraiment ce que tu souhaites ? »

  Il baissa le regard avec ennui.

  « Je veux connaître la vérité. J'aviserai du reste après. »

  Il fit une pause puis esquissa ensuite un léger sourire.

  « À un moment précis, à la fin du jeu, il y a un dialogue entre Inconnu-G et Garçon-F. Ce dernier vient voir Inconnu-G pour lui parler de ses soupçons comme quoi il a entendu dire que Fille-E était présente le jour où la première lycéenne a été assassinée. De ce fait, Garçon-F avoue qu'il ne veut pas rester sans rien faire et qu'il compte toucher deux mots à Fille-E pour certainement la buter et se venger. Inconnu-G est inquiet que ça dégénère et essaye de le dissuader en lui proposant d'y aller à sa place. S'il s'avère que Fille-E a bien tué la petite sœur de Garçon-F, Inconnu-G lui ferait savoir à ce moment-là, ce qui permettrait à Garçon-F d'aviser en conséquence. Garçon-F hésite, ne voulant pas impliquer Inconnu-G dans son histoire, puis la scène se termine en fondu au noir tandis qu'il prend Inconnu-G dans ses bras.

  - ... Où veux-tu en venir ?, fis-je incrédule. Tu penses que j'incarne Inconnu-G dans le jeu ?

  - ... Tous les deux vous comprenez les intentions de l'autre personne sans forcément lui en dissuader, enfin... seulement sous certaines conditions. C'est ce que j'ai fini par m'apercevoir à l'instant. »

  Je l'écoutais parler silencieusement.

  « Et puis... « Inconnu-G » ..., t'es le seul parmi nous dont le genre n'est pas vraiment défini. »

  Mon regard vira sur la photo, sur laquelle Kuzuryû-kun et moi, nous nous trouvions dessus.

  « C'est peut-être de ça que j'essayais de te dissuader. De t'y rendre seul et que ça dégénère. Ta colère t'aurait fait perdre le contrôle et toute cette histoire aurait empiré. ... Qui étais-tu pour moi pour que tu viennes me voir et que je te fasse finalement hésiter sur tes plans d'origine ? »

  Il resta muet.

  « Pourquoi es-tu venu me voir pour me parler de tout ça alors que tu prévoyais certainement depuis que tu as vu ces photos, d'aller voir Koizumi-san pour des explications ? ... Ne m'as-tu pourtant pas dit hier matin que tu voulais te débrouiller seul car tu ne veux compter sur personne ?

  - ... Quand je suis tombé sur cette photo, après avoir découvert celle avec ma sœur... Quand j'ai regardé mon visage... ma colère s'est immédiatement calmée mais j'avais la trouille. Le fait que j'étais dessus et que j'hésitais m'a mis dans le doute. Ne te méprends pas cela dit, je suis venu te voir pour savoir si tu avais des réponses toi-aussi, puisque tu es aussi sur la photo... pas pour te demander de l'aide.

  - Je vois, acquiesçai-je (j'étais peu convaincu par ses derniers mots) puis je pointai du doigt la personne dont on ne voyait que le bas du corps. D'après son uniforme, on dirait une fille. Cette fille, derrière nous, tu as une idée de qui ça pourrait être ?

  - Je suis quasi certain que c'est Peko, répliqua t-il avec sérieux presque immédiatement.

  - Qu'est-ce qui te fait dire ça ? », demandai-je perplexe.

  Il lâcha un soupir.

  « Je veux bien te dire pourquoi mais à condition que tu ne le dises pas aux autres. Sinon je t'étripe !

  - Tu as ma parole.

  - ... Alors voilà... P-Peko et moi, on a été élevés ensemble. Elle a été abandonnée à la naissance par ses parents et le Clan Kuzuryû la recueillie. Même si je ne la vois pas comme telle, le clan l'a désignée comme ma tueuse à gages personnelle. C'est pourquoi, je pense que c'est elle sur la photo même si elle n'est pas reconnaissable. »

  Je restais sans voix durant quelques instants, essayant de rassembler mes esprits.

  « P-Pekoyama-san est ta tueuse à gages ?

  - ... Ouais, pour le clan... Elle reste à mes côtés mais je n'ai pas besoin d'épée ni de bouclier..., serrait-il amèrement les poings. Mais personne ne le comprend.

  - Pourtant, je ne vous ai jamais vraiment vus ensemble depuis que nous sommes arrivés sur cette île..., remarquai-je confus.

  - C'est parce que je lui ai demandé d'oublier notre relation tant que nous sommes coincés ici, tout en se comportant comme une lycéenne normale pendant ce temps.

  - Pourquoi lui avoir demandé ça ?

  - ... Parce que je veux prouver que je peux me débrouiller seul. »

  Je baissai de nouveau mon regard sur la photo. Il eut un léger silence puis Kuzuryû-kun reprit finalement la parole.

  «... Hé Satoru... Tu vas peut-être te foutre de ma gueule mais... si ces photos sont vraies... Tu penses qu'on était proches ?

  - Tous les trois ? ... À vrai dire, je n'ai aucun souvenir... donc je suis incapable de te répondre. »

  Il a détourné le regard avec ennui. J'ai repris la parole : « Ce que je vais te dire peut te sembler hors contexte mais lorsque nous sommes arrivés ici tout au début et que j'ai voulu me changer, j'ai remarqué que mon opération des seins avait déjà été faite. Le problème, c'est que je n'ai aucun souvenir de l'organisation de cette intervention alors que c'est un événement qui aurait dû être important pour moi. J'ignore également qui l'a payée car mes parents ne sont pas au courant de ma transidentité et notre famille n'est pas assez riche de toute façon pour se le permettre.

  - ... Si on était proches, alors tout s'explique.

  - Que veux-tu dire ?

  - C'est moi qui ait dû te payer l'intervention. J'ai probablement fait un prêt auprès du clan et me suis peut-être promis de les rembourser plus tard comme je ne veux pas dépendre d'eux.

  - Pourquoi paierais-tu l'opération ?, répliquai-je incrédule. À moins que je t'ai moi-même demandé un prêt, ce qui semblerait plus logique.

  - Non..., hocha t-il la tête en signe de négation. Si tu étais vraiment quelqu'un de proche, je suis sûr que je t'aurais payé l'opération de mon plein gré. Surtout si c'est quelque chose qui t'était important. Un peu comme un cadeau à offrir... Je pense sincèrement que c'est ce que j'aurais fait si... »

  Quelque chose m'est soudainement venu à l'esprit. Avant qu'il n'ait eu le temps de finir sa phrase, j'ai sorti le collier doré que je gardais sous ma chemise et lui demandai si ça lui disait quelque chose. Ses pupilles se sont écarquillées légèrement.

  « ... Bordel... Alors c'est toi qui... », murmura t-il tout bas avant de sortir le sien.

  Il s'agissait en effet du même collier avec un pendentif en moitié de cœur.

  « Attends..., lança t-il avec confusion. Toi et moi on était ensemble ? ... Je comprends pas comment t'as pu kiffer une ordure comme moi.

  - Hmm, ben en y réfléchissant un peu... si on oublie ton caractère grossier et agressif, je dirais que c'est passable.

  - Tss... « passable », rien que ça..., murmura t-il d'un air blasé. Mon poing dans ta gueule, tu vas voir s'il n'est pas passable lui aussi... »

  J'ai jeté un regard sur les gants que je portais puis j'ai esquissé un sourire amusé tout en me levant. Je me suis dit que c'était l'occasion de vérifier « cette » compétence.

  « Vas-y, j't'attends ! Montre-moi ce que t'as dans le ventre, Kuzuryû-kun !, l'ai-je provoqué en sautillant un peu sur place.

  - OK, tu m'cherches ?!, a t-il grommelé en faisant de même. J'vais t'faire regretter tes paroles, Satoru ! »

  Puis un combat à mains nus a débuté entre nous deux dans la pièce. Comme je le pensais, mes mouvements s'exécutaient instinctivement, me prouvant que j'avais déjà appris à me battre par le passé, même si je n'en ai aucun souvenir. Quand j'ai réussis à le mettre à terre, en faisant attention de ne pas le blesser, il m'a demandé où j'avais appris à me battre et que mon style de combat ressemblait étrangement à celui du Clan Kuzuryû.

  « Je crois qu'on a notre réponse, ai-je souris en lui tendant une main pour l'aider à se relever. Quand j'apprends des nouvelles compétences, mon corps ne les oublie pas même si je perds la mémoire. C'est comme lorsque tu apprends à nager ou faire du vélo, ce ne sont pas des choses que tu oublies en général même si tu ne le pratiques pas pendant un moment. Eh bien c'est pareil pour moi, mais avec toutes les compétences que j'acquiers. »

  Il étira également ses lèvres d'un air amusé puis accepta fermement ma main pour se relever.

  « Tu es bien l'Apprenti Ultime. Me connaissant, si on était ensemble, j'avais certainement dû te conseiller d'apprendre à te défendre car le monde dans lequel je vis baigne sans cesse autour de la violence et de la mort. Aussi longtemps que je dois porter comme fardeau le nom Kuzuryû, je devrais toujours faire face à des montagnes de corps. ... Mais j'en ai l'habitude. »

  Je le regardais silencieusement s'exprimer.

  «... Tu as peur de discuter avec moi ?, a t-il esquissé un léger sourire en coin. Tu sais, tu n'as pas besoin de le cacher. J'ai l'habitude que l'on me traite avec précaution. Le monde est barbare, surtout le mien... Toutes les personnes que je connais essayent toujours de résoudre les problèmes à travers la violence. ... Mais tu as des valeurs différentes des miennes. Mon vieux aime dire : « Les prédateurs sont toujours plus forts que leurs proies. » C'est une tête brûlée. Même s'il s'agit de disputes mineurs, il donnera toujours tout ce qu'il a pour te défoncer. Et quand lui et ma mère se disputent, elle essaye sérieusement de le buter. « Être un yakuza veut dire que tu peux même tuer la personne que tu aimes pour avoir le dernier mot ! » J'entends ce genre de truc depuis que j'ai l'âge de comprendre ce qu'il se passe autour de moi. »

  Ce mode de vie dans lequel il baigne depuis la naissance semble assez choquant. Je comprenais un peu mieux maintenant pourquoi il montrait souvent un comportement agressif et provocateur à notre égard. Il est conscient que nos mondes sont différents et il essayait de me le faire comprendre.

  « Il y a quelques fois où j'ai failli me faire tuer suite aux combats de mes parents..., a t-il ajouté. Mais... à chaque fois que quelque chose comme ça arrivait, Peko était toujours là à mes côtés.

  - ... Ça devait être difficile à vivre..., ai-je murmuré compréhensif et désolé.

  - Ne sois pas désolé pour moi, bâtard, détourna t-il le regard un peu mal à l'aise et réajustant sa cravate. Après tout, je suis l'héritier légitime du Clan Kuzuryû. Je ne me laisse pas submergé facilement par ce genre de chose. Même à l'âge de six ans, je ne pleurais pas quand je perdais un combat. »

  J'ai soufflé légèrement du nez en me cachant les lèvres pour ne pas rire.

  «... Hé ! Q-Qu'est-ce qu'il y a de drôle, connard ?!, s'énerva t-il.

  - Rien, c'est mignon comment tu le dis. », ai-je finalement ricané, amusé.

  Son visage prit aussitôt une teinte rose.

  «... M-Mignon... ? A-Arrête de te f-foutre de ma gueule ! Ne me traite pas comme un gosse, e-espèce d'enculé ! »

  Soudain, nos ElectroID ont sonné pour nous notifier que notre bulletin scolaire avait été mis à jour.

  « C-C'était quoi ça ?, a t-il paniqué en sortant sa tablette.

  - C'est rien. C'est juste pour nous dire qu'on a chacun obtenu un fragment d'espoir et que de ce fait, nos bulletins scolaires ont été mis à jour comme nous avons appris à un peu mieux nous connaître.

  - Quoi, encore cette bouse ?, a t-il déclaré agacé avant de soupirer et ranger son ElectroID dans la poche. Casse les couilles cette merde... »

  Les premières lueurs du jour ont commencé à apparaître sans que nous l'ayons remarqué. L'annonce matinale de Monokuma a finalement été donnée.

  « Hein ? ... C'est déjà le matin ?, ai-je dit en sentant la fatigue m'envahir et en me frottant les yeux.

  - Quelle couille molle, t'es déjà claqué ?, a t-il ri, accroupi et rangeant les photos dans l'enveloppe. Dans mon monde, on reste souvent éveillé la nuit.

  - Aaah c'est pour ça que tu ne venais plus manger au restaurant le matin. C'est parce que tu fais la grasse mat après avoir veillé toute la nuit, je comprends mieux, l'ai-je taquiné.

  - V-Va te faire foutre !, changea t-il immédiatement d'expression, l'air agacé, en se redressant avec l'enveloppe sous le bras.

  - Si c'est par toi, peut-être que ça me dérangerait pas tant que ça. », continuais-je.

  Il rougit de nouveau avec malaise.

  « A-Arrête tes conneries, espèce de salaud dégueulasse ! On est encore des lycéens, je te rappelle !

  - Je plaisantais, pas besoin de te mettre dans cet état là, rigolais-je légèrement. Tu n'as qu'à faire plus attention à tes mots si tu ne veux pas que je m'amuse avec.

  - ... F-Fous-moi la paix... », grommelait-il gêné avant de finalement partir en claquant la porte derrière lui.

  Ah la la... Sacré Kuzuryû-kun. Je crois que je commence à comprendre à présent, la sympathie que j'avais pour lui.

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