Prologue (1) : Fallen down
TW : Bras cassé
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J'ai mal au bras. Le froid s'infiltre partout. La seule chose qui m'apporte un tant soit peu de chaleur est mon propre souffle. Je suis allongé.e par terre, ma joue s'enfonce dans la neige. Elle est si froide que c'en est presque brûlant. Ça fait mal. J'ai mal au bras.
…. Putain. Mon bras.
J'ai l'impression de recevoir une claque, et pas seulement à cause de la brûlure du froid sur ma joue. Rien de tel que la douleur pour réveiller quelqu'un, j'imagine, hein. Quoique, je dormais pas. J'étais juste… dans un état second. Quelque chose du genre. J'ai pas beaucoup de vocabulaire disponible, là. Je me redresse, histoire de voir un minimum où je suis, parce que c'est pas tous les jours qu'on a de la neige au printemps, au Texas.
Mon bras me fait toujours mal. Bordel, il est plus coincé sous mon torse, pourtant, alors c'est quoi le problème ?
Je baisse les yeux. Mauvaise idée. La vision que je rencontre me donne envie de gerber. Mon bras droit pend mollement contre mon flanc comme un ballon dégonflé, le coude tordu dans un angle tout sauf naturel. Génial. Parfait. Je me suis pété le bras, comment, bonne question. Vraiment, j''aurais pas pu demander meilleur réveil. Chier.
Mon cerveau turbine à toute vitesse pour essayer de comprendre comment je suis arrivé.e là. Ok, récapitulons. Je suis à genoux dans la neige. Il doit faire aux alentours de deux, trois degrés celsius. Autour de moi, il n'y a que d'immenses sapins, de la neige, et le silence. Super. Grosse ambiance, trop hâte de crever de froid et qu'on ne retrouve que mes os gelés et ma chair putréfiée bouffée par les asticots.
Concentration. Respiration ventrale. Non, oublie les exercices de respiration, c'est de la merde, ça marche pas. Concentre toi, de quoi tu te souviens ? Putain, si seulement mon cerveau était un minimum coopératif. Parce que c'est le vide total, là.
Bon. On va faire avec ce qu'on a. Qu'est-ce que j'ai comme information ? Je suis au milieu d'une forêt, dans un endroit qui n'est visiblement pas le Texas. J'ai passé dieu sait combien de temps étalé.e dans la neige comme une merde dans un état de semi-inconscience. Je me suis cassé le bras, même si je ne sais pas comment. Je suis pieds nus. Pieds nus dans la neige. D'ici un quart d'heure, j'aurai perdu tous mes orteils. De mieux en mieux. Je tâte mes poches de ma main valide en essayant d'étouffer l'angoisse qui me noue la gorge. J'ai perdu mon téléphone. Ou alors on me l'a pris. Mais c'est qui, on ? Je suis littéralement le seul être vivant dans un rayon d'au moins vingt mètres.
J'ai le cerveau parasité de pensées de plus en plus horribles. Et si j'étais vraiment seul.e ? Ou pire, si j'étais en train de fuir quelqu'un, quelqu'un qui me veut du mal ? Est-ce qu'on m'a juste abandonné.e là ? Est-ce que je vais mourir ? Putain, je vais mourir. Je vais crever tout.e seul.e au milieu de nulle part. Panique pas, ducon, ton cerveau c'est tout ce qu'il te reste, maman a déjà dû lancer des recherches en se rendant compte de ta disparition, mais et si on ne me retrouve pas malgré ça ? Je sais pas survivre en milieu hostile, moi, j'ai la débrouillardise d'une huître dans la jungle amazonienne, et les chances de survie qui vont avec, oh bon sang, qu'est-ce que je vais faire qu'est-ce que je...
Minute. Je… J'ai un manteau sur le dos. Un trench coat bleu pétrole, qui ne m'appartient pas. Ça veut dire que quelqu'un a dû me le mettre sur le dos. Donc… Donc je ne suis pas seul.e ici. Ça valait bien la peine de paniquer, tiens. Déjà, faut que je me bouge le cul, ou bien je vais crever de froid. Ou me faire bouffer par un ours. Raaaah arrête de penser, juste lève-toi, allez.
Je m'appuie comme je peux sur ma main gauche pour revenir en position debout, non sans douleur, parce que j'ai les pieds en sang et marcher dans la neige ça aide pas. Bon. Ça veut dire que j'ai dû courir avant d'arriver ici, ou au moins marché. Je fais trois pas, mes pieds ne sont plus que des flaques de chair torturée. Mais quel enfer, putain, quel enfer. Et c'est là que je remarque que j'ai laissé des traces de pas derrière moi, dans cette probable fuite dont je n'ai aucun souvenir. Faudrait peut-être que je réfléchisse un minimum avant de paniquer comme un con.
Je me mets à suivre les traces, qui commencent tout juste à s'effacer. J'ai pas dû rester allongé.e là bien longtemps, alors. J'ai à peine parcouru une dizaine de mètres lorsque j'aperçois enfin un rayon de lumière orangée percer entre les feuillages des sapins. Je presse le pas, autant que mes foutus pieds me le permettent. La forêt s'ouvre devant moi, et je me retrouve devant… une tour.
Une tour en pierre gigantesque, construite sur une base circulaire, mais de forme irrégulière au fur et à mesure qu'elle s'élève vers le ciel. Je n'aperçois même pas le sommet tant elle est immense. Je détourne rapidement le regard avant que le vertige me saisisse, et m'écarte vite de l'ombre imposante qu'elle projette sur ma carcasse humanoïde, minuscule en comparaison.
À quelques mètres de là, un panneau planté dans la neige indique différents lieux à l'aide de flèches.
"Chalets."
Je regarde dans la direction indiquée. Pas moyen de trouver mes lunettes, donc j'y vois que dalle, mais quelques taches marrons sont visibles un peu plus loin dans le paysage. Ça a pourtant pas l'air d'être une station de ski ici... Plus ça va et moins j'y comprends quelque chose.
"Infirmerie."
Dans la même direction que les chalets. C'est peut-être là que je devrais me rendre vu l'état de mon bras et de mes pieds. Je dois vraiment faire pitié. Bientôt je passerai dans les reines du shopping version SDF. Même si bon, j'ai encore de quoi faire du sarcasme, alors je dois pouvoir tenir encore un peu.
Une autre flèche pointe vers la forêt. "Sentier balisé." D'accord. Donc s'il y a un sentier, c'est pour éviter qu'on se perde, j'imagine ? Ça a de quoi poser question, quand même. Quelle taille elle fait, cette forêt ? Ça me fait me sentir encore plus con. Quitte à m'enfuir, j'aurais dû aller par là, ça m'aurait évité la séance de panique. En pleine nature, certes. Donc de la panique, mais attention, de la panique bonne pour la santé. Ha, ha.
Pas d'autres indications. J'ai quand même envie d'aller jeter un œil derrière cette tour surgie des enfers, histoire que mon mauvais pressentiment soit balayé. Je puise dans le peu de réserve qui me reste pour contourner le bâtiment, ce qui m'amène au bord… au bord d'une falaise. Pas très haute, cinq ou six mètres de haut tout au plus. Je lève les yeux, mon cœur loupe un battement. Ce n'est pas à cause de la hauteur.
Non, ce qui me glace le sang, c'est le paysage qui s'étend devant moi. Un lac, un large lac de glace qui commence tout juste à se craqueler. Et au-delà, des arbres, de plus en plus hauts, de plus en plus serrés. Une véritable muraille végétale. C'est la même chose que de l'autre côté. Cette tour est complètement cernée par la forêt. Il n'y a pas d'échappatoire, n'importe qui mourrait en quelques minutes là-dedans.
Je sens mes genoux percuter le sol. Mes jambes ne me portent plus, la tête me tourne, j'ai envie de vomir. Un bourdonnement envahi mon crâne et répète en boucle, aucune issue, aucune issue, tu es piégé.e ici. J'ai froid, pourtant je suis en nage. J'ai mal. Mon bras, mes pieds, je ne les sens même plus. J'ai peur, je suis mort de trouille, bordel, ressaisis-toi, sombre imbécile… Lève-toi. Bouge. Fais quelque chose. Bouge. Arrête de regarder l'horizon. Bouge.
Bouge, ou tu vas mourir.
– Dieu merci, tu es là…!
Une voix. On me parle.
On me parle. Il y a quelqu'un.
Je reçois une nouvelle claque. Je cligne des yeux, aspire de grandes bouffées d'air, je ne me suis même pas rendu compte que j'avais bloqué ma respiration.
Par contre j'arrive pas à tourner la tête. Ni à réellement bouger, en fait. Je suis en train de me changer en iceberg.
Je ressens du mouvement à ma gauche. La présence de quelqu'un.
– Mon dieu, dans quel état tu es…
De la chaleur, soudain. Quelqu'un vient de me prendre dans ses bras. C'est chaud, et doux…
J'ai une sainte horreur des contacts, d'habitude, mais là, j'en ai bien besoin.
– Je t'emmène à l'infirmerie tout de suite, avant que tu te casses en huit dans mes bras, soupire la personne qui me tient. Grimpe sur mon dos, ça ira plus vite !
Elle me lâche, et s'accroupit dos à moi. Le doute me saisit. Je peux pas juste lui faire confiance comme ça… mais entre ça ou mourir de froid, le choix est vite fait. Je passe mes bras autour de ses épaules, et elle saisit mes jambes, sous les genoux, avant de se redresser en douceur. J'ai pas eu le temps de distinguer son visage, mon champ de vision ne couvre que des tresses bleues électriques relevées en queue de cheval haute, des créoles dorées, et le motif à fleurs d'une écharpe.
– J'ai vraiment eu peur… Il a suffi que je m'absente de l'infirmerie quelques minutes pour que tu t'enfuies. Tu aurais pu mourir, là-dehors, c'est vraiment dangereux.
Son ton est très maternel, l'aura qu'elle dégage également. Je cherche la condescendance dans sa voix, mais je n'en trouve pas. Elle semble juste… Inquiète, et soulagée. Je peux pas en dire autant de moi. Je me suis enfui.e de l'infirmerie ? Qu'est-ce qu'elle me chante ? J'ai aucun souvenir d'avoir fait un truc pareil. À part mes pieds, peut-être.
Ma sauveuse passe entre les chalets pour arriver jusqu'à une maisonnette de plain pied construite en bois clair, et pousse la porte d'un coup de pied, dévoilant une large pièce dotée de deux rangées de lit aux draps d'un blanc immaculé, certains déjà occupés. Elle me pose sur le premier venu, et je souffle doucement en sentant la chaleur se répandre dans mon corps. L'endroit est chauffé. Rien à voir avec l'extérieur.
Elle s'est retournée vers moi, et je peux enfin regarder son visage. La peau sombre, des yeux noisette surplombés d'un trait d'eye-liner bleu et des lèvres peintes en rouge, qui s'étirent en un sourire chaleureux. Son menton et son arcade sourcilière présentent chacun deux piercings argentés.
– Je vais te préparer un bain de pieds, attends-moi là.
La prochaine chose que mon cerveau embrumé par le froid imagine, c'est une baignoire remplie de pieds, avant que je ne la voie revenir avec une bassine remplie d'eau tiède. Je suis pas au maximum de mes capacités intellectuelles, c'est le moins qu'on puisse dire.
– Comment tu t'appelles ? me demande la jeune femme aux tresses bleues, alors que je trempe mes pieds dans l'eau en grimaçant.
Je remarque seulement maintenant qu'elle me parle en anglais, avec un accent assez prononcé. Grec, je dirais.
– Mika… Callaghan, je souffle dès que mes lèvres scellées par le froid se décident à s'ouvrir.
– Mika, répète-t-elle à voix basse. Ma question va peut-être te sembler bizarre, mais est-ce que tu possèdes un titre d'Ultime ?
Qu'est-ce que je suis censé.e répondre ? Je ne sais pas ce qui est la solution la plus avantageuse pour moi, mentir ou dire la vérité… Mais vu la situation, ça me servira sûrement davantage d'être honnête.
– … Oui. Je suis l'ultime Interprète.
Son regard s'assombrit légèrement. Chier, est-ce que j'ai dit une connerie ? Le sourire qu'elle m'offre ne renvoie que de l'inquiétude.
– Je vois… Eh bien, enchantée ! Je suis Theodosia Hoyle, l'ultime Kinésithérapeute, dit-elle sur un ton
exagérément enjoué.
Theodosia… Ouais, couplé à son accent, définitivement une grecque.
– … T'as dit que je m'étais enfui.e, tout à l'heure, je souffle après un instant. Mais j'en ai aucun souvenir, en fait. Donc si tu pouvais m'expliquer…
Le visage de Theodosia prend une expression de surprise, rapidement suivie par un rire gêné.
– Ah, et bien disons que l'atterrissage a été un peu brutal, et comme tu t'étais détaché.e dans la panique, le choc t'a projeté vers l'avant et tu as perdu connaissance. On t'a transporté.e à l'infirmerie, mais le temps que j'aille chercher de quoi te soigner, tu avais disparu… Tu as dû paniquer en te réveillant et chercher à t'échapper, ça arrive.
Atterrissage ? Détaché ?? "On" ? C'est pas un épisode que j'ai loupé, c'est toute la série. Mais alors…
– C'est comme ça que je me suis pété le bras ?
Theodosia ouvre de grands yeux, l'air effarée.
– Tu t'es cassé le bras ?! Laisse-moi voir.
Elle écarte un peu le trench qui recouvre mes épaules, et manipule mon bras avec toute la douceur possible, ce qui ne m'empêche pas de grimacer de douleur.
– … Ça n'a pas l'air d'être trop grave, mais ça doit être fracturé malgré tout, conclut-elle en me lâchant. Je ne suis pas assez qualifiée pour te faire un plâtre, mais on doit avoir des attelles et une écharpe quelque part, en attendant de trouver mieux…
Elle s'éloigne en continuant de monologuer à voix haute, ce qui me laisse tout le loisir d'observer les autres occupants de l'infirmerie. Ils sont trois. Une fille métisse, une moitié du visage occupé par un tatouage et une partie du crâne rasée, qui grelotte entre ses draps, et deux gamins aux cheveux noirs, blottis l'un contre l'autre dans un seul lit. J'entends leur respiration, ils ont l'air de dormir. L'un des deux gosses est même en train de ronfler doucement.
La porte s'ouvre soudain à la volée, m'arrachant à mes contemplations, et une personne entre dans l'infirmerie. Ses cheveux noirs aux pointes teintes en roses sont relevés en queue de cheval, il porte une veste en cuir au-dessus d'autres fringues en cuir et ses yeux sont maquillés derrière ses lunettes teintées. La porte claque sans ménagement derrière luel, et la fille au tatouage se retourne dans son lit en grognant. Nickel, iel me soule d'avance. Comme quoi, y en a que le froid ne prive pas de leur énergie.
– Theodosia, lance-t-iel, il te reste des couvertures ? On en manque dans l'av-
Iel cligne des yeux en me remarquant, et un sourire plus moqueur que bienveillant se dessine sur son visage.
– Oh pardon, t'es si petit, je t'avais pas vu !
…. C'est officiel, je lae déteste déjà. C'est facile de se foutre de la taille des gens quand on fait plus d'1m80, hein.
– Roooh, ça va, pas la peine de me foutre le feu par le regard, c'était une blague !
– Une blague, c'est censé être drôle, je réplique vertement.
– Mais c'était drôle ! Enfin, pour moi seulement, j'imagine. J'essayais juste de détendre l'atmosphère, me regarde pas comme ça. Tu t'appelles comment ? Je t'ai vu te viander magistralement tout à l'heure mais t'as pas crié ton nom en tombant.
– Mika Callaghan, je marmonne de mauvaise grâce. Ultime Interprète.
– Interprète ? C'est stylé. Moi je suis l'ultime pole dancer, tu peux m'appeler Lan Yue, dit-il en souriant. Oh, et mes pronoms sont il, iel, et ael ! Et toi ?
Quelqu'un qui demande les pronoms des autres ? Il remonte un peu dans mon estime.
– Iel. Avec les accords au masculin si besoin, je réponds.
– Ha ! Je me doutais que t'étais enby, t'as des vibes.
– Lan Yue ! Moins fort, tu vas réveiller tout le monde, souffle Theodosia, qui revient dans la pièce avec une attelle et une écharpe dont elle s'empresse d'entourer mon bras.
Lan Yue lève les yeux au ciel, et Theodosia part chercher des couvertures avec luel alors que je me replonge dans mes pensées. Ça fait déjà trois ultimes présents au même endroit. Autant je suis content de pas être seul.e, autant ça me rassure moyennement que ce titre soit le seul point commun que je possède avec ces gens. Et je vais pas réveiller les trois autres occupants de l'infirmerie pour leur demander s'ils sont aussi des ultimes.
Je m'allonge sur le flanc, en essayant d'ignorer le pressentiment qui me serre la gorge, et je ferme les yeux. Peut-être que dormir un coup me fera du bien. Peut-être que quand je me réveillerai, je serai chez moi, dans mon lit, et que maman me criera encore dessus parce que j'ai trop dormi.
J'espère vraiment que tout ça n'est qu'un rêve.
Mais j'en doute fortement, alors même que le sommeil m'emporte et qu'un titre écrit en lettres de sang flotte derrière mes paupières closes : Danganronpa, par Wen Xiang Monogatari.
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