Chapitre II (23) : When does a man become a monster ?
TW : Implication de suicide et de self-harm.
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Il est là.
Mis à nu, une plaie à vif.
Le coupable dans toute son immondice.
Et pourtant il n'a pas cessé de sourire.
Alors même que Monoaku annonce le début du vote dans un silence complet et que les tablettes sur nos pupitres affichent dix-sept portraits, dont trois figés à jamais en noir et blanc.
J'appose mon index sur l'icône représentant Judicaël. Je suis sûr-e de mon choix, et pourtant ma main tremble.
Sora s'est relevé. Iel ne pleure plus, mais ses yeux sont éteints. Iel vote sans même vraiment regarder.
Les visages des autres sont fermés. De ce que je vois, tout le monde a voté.
Tout le monde sauf Theodosia, dont le doigt est suspendu à quelques centimètres de son écran. Elle finit par le poser et le retire aussi sec. La sonnerie annonçant la fin de la collecte retentit, trop joyeuse pour ne pas devenir sinistre.
Des chiffres apparaissent à côté des portraits.
Un vote pour Tritri.
Elle a encore voté pour elle-même, j'imagine.
Un vote pour Sora.
Jusqu'au bout, Judicaël n'aura pas voté pour lui-même.
Mais ça ne lui servira à rien puisqu'un énorme 12 rouge sang est imprimé juste à côté de son portrait.
L'aiguille unique au centre du cercle tourne à nouveau, et tourne, et tourne, ralentit, ralentit, dépasse le pupitre de Sora, et s'arrête devant celui de Judicaël.
Deux sons de cloches.
- C'est bien ça, bravo , lâche Monokuma. Le coupable est Judicaël Levavi, ultime Activiste LGBT+.
Michiru pousse un juron en frappant son pupitre du poing à nouveau. Elle est au bord des larmes.
- Tu n'as rien à nous dire ?
Je ne sais pas comment fait Altaïr pour paraître aussi calme. Parce que ce n'est qu'une façade, j'en suis sûr-e.
Et Judicaël sourit. Ce sourire est une insulte à tous les sourires du monde.
Personne, personne ne devrait pouvoir découper en deux son visage avec une fente tordue et artificielle et la maintenir en place comme le fait ce type.
- Mika a déjà tout dit. Tu veux que je répète peut-être ? C'est pas très intéressant. Je suis pas Hibiki, je vais pas m'épancher pendant un quart d'heure sur qu'est-ce qui m'a poussé à commettre un meurtre puisque de toute façon vous le savez déjà. C'est plus la peine que je me défende.
C'est raisonnable, mine de rien. Tellement raisonnable que ça me donne envie de lui éclater la tête contre son pupitre pour qu'il réagisse enfin comme quelqu'un qui regrette véritablement ce qu'il a fait.
- Mais comment tu peux dire une chose pareille ?! Judicaël, enfin, tu peux pas...
Theodosia n'arrive même pas à finir sa phrase. Ses yeux cherchent le visage de Judicaël, mais ils n'y trouveront rien. Il est juste à côté de moi et j'ai jamais vu un visage aussi lisse. Toute émotion s'y cognerait et glisserait dessus comme un moineau contre une vitre.
- Je vais pas me défendre. J'ai déjà nié, dit-il en haussant les épaules. Et clairement, c'était pas une bonne idée. J'ai perdu.
Sauf que c'est pas un putain de jeu, Judicaël. Ça marche pas comme ça. C'est pas t'as perdu on a gagné, non. On fait que s'acheter un sursis.
- Vous le savez au fond de vous-même, n'est-ce pas, Judicaël ?
La main droite d'Eiji agrippe fermement la gauche. Il y a quelque chose dans ses yeux qui ressemble à de la peine. Mais pourquoi est-ce qu'elle aurait de la peine pour ce connard ? Lequel n'a d'ailleurs pas l'air de comprendre plus que moi.
- De quoi ?
Elle le fixe droit dans les yeux, et il se raidit.
- Vous savez que si vous sortez, alors vous risquez de tout perdre.
Un rire nerveux échappe à Judicaël, mais elle n'attend pas sa réponse.
- Si les gens qui vous sont chers sont des personnes qui tiennent à vous en retour, alors il ne vous pardonneront pas lorsqu'ils apprendront ce que vous avez fait.
Il n'y a pas le moindre reproche dans son ton, ni la moindre douceur. Elle énumère simplement des faits, avec peut-être un soupçon de pitié. Le fait qu'elle parle de cette éventualité comme si Judicaël allait sortir me fout des frissons. Ça a failli arriver. C'est vraiment, vraiment pas passé loin.
- Ce n'est pas que ça, enchaîne Altaïr. Ce n'est pas juste tes proches qui l'apprendront, mais le monde entier. Ils voudront la vérité. Et alors, tout le monde associera l'ultime Activiste LGBT+ à un meurtrier. Et tu sais comment sont les gens lorsqu'ils associent le représentant d'une communauté à la communauté en question.
Je réalise lentement ce qu'Altaïr veut dire. Nouveau frisson.
Toute la reconnaissance et tous les droits, que Judicaël s'est battu pour obtenir, toutes les batailles en cours, tout ça s'effondrerait en un clin d'œil si son crime était révélé au grand jour. Des années de lutte, anéanties en un instant.
Et au vu de toute la sueur qui recouvre son visage et de sa paupière qui tressaille nerveusement, Judicaël le sait. Il l'a sans doute réalisé bien avant le procès.
Mais c'était déjà trop tard.
Il secoue lentement la tête, écarte des mèches blondes collées à son visage, redresse le menton. Ses yeux rencontrent enfin ceux de Theodosia.
- Dodo, tu as dit que tu ne me pardonnerais jamais.
La voix de la Kinésithérapeute s'étrangle face au surnom alors que le sourire de Judicaël se fait plus réel. Presque triste.
- T'as bien raison.
Et sans même accorder attention au sanglot qui s'échappe de la gorge de Theodosia, il se retourne vers les fauteuils où siègent les exécuteurs.
- Monokuma, tiens ta promesse et montre-moi ce qui est arrivé à Valéry et Aude.
Le texte des règles du mobile refait lentement apparition dans ma tête.
Peu importe le résultat du procès, le coupable aura le droit de savoir ce qui est advenu des personnes dans sa vidéo.
Tout ça pour ça.
Monokuma ne répond rien. Elle fait quelques manipulations sur sa tablette, et les lumières de la salle baissent en intensité alors qu'un rectangle blanc est projeté sur le mur.
Putain, ils vont vraiment montrer la vidéo de Judicaël à tout le monde ? Un coup d'œil à ma droite me suffit pour savoir que lui non plus ne s'y attendait pas.
Anxiété. Espoir. Attente. Soulagement anticipé. Toutes ces émotions se mélangent sur son visage. Je sais pas pourquoi mais ça me fout la nausée.
"Cette vidéo sera envoyée à Judicaël Levavi."
Le son des hauts-parleurs me ramène à l'écran. Le blanc a laissé place à une scène qui me rappelle un peu trop celle de ma vidéo, tout en étant complètement différente.
Une femme d'une trentaine d'années est prostrée dans un coin de ce qui paraît être une cuisine. Elle est pieds nus et brandit un couteau à pain en direction de la caméra avec des mains tremblantes. Des mèches brunes tombent devant ses yeux écarquillés par la peur. Mis à part une estafilade sur sa pommette et des bleus aux genous, elle n'a pas l'air blessée.
"- ... Judicaël ?"
Son emprise sur son arme s'affaiblit, mais elle la redresse immédiatement, la mâchoire serrée.
"- Vous... Qu'est-ce que vous avez fait de lui ?!
- Rien. Il va bien, pour l'instant."
La femme - la dénommée Aude, donc - se raidit. Des larmes apparaissent au coin de ses yeux.
"- S'il vous plaît, ne... ne lui faites rien. Vous pouvez me prendre à sa place si vous voulez, mais ne lui faites pas de mal, je vous en supplie, il... il est comme mon fils..."
La caméra se rapproche. Celui qui la tient est en train de marcher vers Aude. Sa respiration s'accélère, elle sanglote.
J'ai comme du plomb dans la gorge.
"- S-S'il vous plaît-"
La caméra tombe au sol et l'écran devient noir. J'imagine que... la vidéo mobile devait s'arrêter là. Quelques secondes passent et elle reprend. La caméra est tombée au sol, à côté d'Aude. Sa tête est coupée par le champ, mais elle semble bien vivante et pas plus blessée. La voix robotique résonne à nouveau.
"- Nous ne vous ferons rien. Enfin, ça dépend de ce qu'il choisira."
La vidéo se coupe à nouveau, et un texte apparaît.
"Aude Lecomte a été enfermée dans son appartement jusqu'à sa libération au meurtre de l'ultime Pole Dancer. Elle a été envoyée à l'hôpital le plus proche en état de choc mais ses jours ne sont pas en danger."
La main de Judicaël relâche le tissu de son pantalon alors qu'il laisse échapper un soupir de soulagement.
Ça valait le coup de tuer Lan Yue pour ça ?
Moi, je suis pas soulagé. Pas alors que je sais qu'il y a une deuxième vidéo après celle-ci.
Noir.
Une pièce sombre. Une chambre dans un bordel pas possible. Les rideaux sont tirés mais laissent passer assez pour qu'on y voie quelque chose.
La caméra est posée sur un bureau, auquel est assis un jeune homme. Il est... famélique, c'est le mot. Son teint cireux est rendu presque cadavérique par la lumière blafarde de l'extérieur. Ses verres de lunettes sont dégueulasses, ses cheveux aussi. En plus d'être beaucoup trop longs, leur châtain est strié de mèches argentées, très fines mais visibles quand même.
J'imagine que c'est Valéry, l'ultime Gestionnaire. Mais dans quel état...
"Cette vidéo sera envoyée à Judicaël Levavi."
Il relève la tête vers la caméra, ses yeux bleus paraissent chercher quelque chose dans l'objectif.
Enfin, son œil bleu. L'autre moitié de son visage est recouverte d'une énorme brûlure. Bordel, ça doit être au moins au troisième degré.
Theodosia plaque une main sur sa bouche, Altaïr se rembrunit. Ils l'ont reconnu malgré tout.
Valéry laisse échapper un rire rauque, sans joie.
"- Hah. Judicaël nous regarde, alors ?"
Un temps.
"- Si vous comptez lui faire du chantage, vous n'êtes pas chez la bonne personne."
... J'ai un mauvais pressentiment.
"- Parce que t'en as plus rien à foutre de moi, pas vrai, Judi ?"
Le venin dans son ton ne surprend pas que moi, apparemment. Le choc sur le visage de Theodosia veut tout dire.
"- T'as bien voulu de moi quand il a fallu te porter hors de Saint-Cyr. T'as bien voulu de moi quand il fallait gérer l'administratif et les comptes de l'association. Mais quand tu as commencé à te faire un nom ? Y avait plus personne. Est-ce que tu m'as cherché quand j'ai disparu ? Est-ce que t'es venu me voir quand j'étais à l'hôpital après ma sortie de l'enfer ? Non. Parce que Valéry il est bien sympa quand on a besoin de lui, mais après, on le jette comme une vieille chaussette !"
J'ajouterai bien ces paroles à la liste de choses qui font de Judicaël un connard, mais il n'a pas l'air d'avoir la moindre idée de ce que Valéry raconte. Theodosia et Altaïr échangent un regard confus eux aussi. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Une disparition ? L'hôpital ? L'enfer ? Je comprends rien.
À l'écran, Valéry rit. Plusieurs minutes, jusqu'à ce que ça se termine en une violente quinte de toux. Il passe une main dans ses cheveux, et la manche de sa chemise glisse de son poignet squelettique pour révéler de longues cicatrices horizontales, tout le long de ses avant-bras. Putain.
"- Tu sais quoi ? Finalement, c'est très bien. C'est parfait même."
J'ai le temps d'apercevoir ses yeux écarquillés et son sourire avant qu'il ne se lève et que son visage ne disparaisse du champ de la caméra. Puis c'est tout son corps qui part.
"- Comme ça tu vas pouvoir comprendre ce que tu as fait."
Noir.
...
La vidéo s'arrêtait là dans sa version mobile ? Bordel. Bordel, c'est horrible.
Mais c'est rien à côté de ce qui apparaît à l'écran lorsqu'elle reprend.
Valéry est debout sur la chaise de bureau, sur la pointe des pieds. Il est en train de trafiquer avec... quelque chose ?
L'horrible réalisation me frappe seulement lorsque je remarque le tas de corde sur le bureau.
Elle a été coupée. Et il y a des bruits, comme....
Comme quelque chose qu'on attache.
Non. Non, ils auraient pas osé.
Valéry tourne ses pieds de côté. On ne voit que jusqu'à ses hanches.
"- Admire, Judicaël. Admire et rigole."
Je veux hurler.
Je veux tendre la main.
Mais ce n'est qu'un écran
Et sur l'écran
Valéry saute.
Quelqu'un hurle. Je crois que c'est Kiseki.
Noir.
Noir ?
Ça s'arrête là ?
Pas de texte ?
Non. Ça... Ça peut pas s'arrêter là. C'est pas logique. C'est pas...
Les lumières se rallument d'un seul coup, illuminent le visage de Judicaël.
Il...
Il ne sourit plus.
- C'est quoi, ce bordel ?
Sa voix tremble alors qu'il tourne très lentement la tête vers Monokuma.
- C'est un fake. C'est un montage. C'est pas possible autrement. Vous pouvez pas faire ça. Parce que s'il est... S'il est mort, c'est quoi l'intérêt du putain de mobile ?!
Monokuma incline la tête, mais répond avec un bon temps de retard et une voix bizarrement cassée.
- J'ai dit que les personnes dans la vidéo seraient sauvées si un meurtre était commis ?
- Oui !! Oui, tu l'as dit !!
- Ah. J'aurais peut-être dû préciser que ceux qui sauraient sauvés, c'étaient juste ceux qui pouvaient encore l'être.
....
Attendez une minute. Donc ça veut dire que...
Que des personnes vivantes dans les vidéos peuvent très bien être mortes à l'heure qu'il est....?
Tous les autres semblent le réaliser avec moi.
Ma mère. Blue. La sœur de Sora. Le copain d'Hibari. L'ami d'enfance de Michiru, celle d'Ema et Mao, et tous les autres...
Ils sont peut-être morts depuis longtemps.
J'ai envie de hurler. J'ai mal dans la poitrine.
Une autre douleur s'ajoute alors que je réalise encore autre chose, et je me plie en deux.
Si Valéry est déjà mort, alors Lan Yue est mort-e plus rien.
Judicaël a tué un-e ami-e pour rien.
Il va mourir pour rien.
Pas que son acte était acceptable autrement. Mais il vient de perdre tout son sens.
- Assez traîné.
... Non.
- C'est l'heure de l'exécution.
Non. Non, pas maintenant ! J'ai encore tellement... J'ai encore tellement de questions à lui poser.
Judicaël...
Judicaël, est-ce que tout ça était planifié depuis le début ? Lan Yue était ta victime de choix au cas où tu voudrais tuer ? Ou bien est-ce que c'est le désespoir qui t'y a poussé ?
Comment est-ce que t'as pesé leurs vies, Lan Yue, Valéry, Aude, dans la balance ? Comment tu as fait ton choix ? Qu'est-ce qui faisait que ça valait le coup de te perdre et de tomber au plus bas ? De devenir un assassin ?
Et les larmes ? Les larmes que tu as versées au-dessus du corps de Lan Yue, c'était de la comédie ? Des larmes de joie, de voir que ton plan était un succès ? Ou bien des larmes de désespoir, de deuil de ton ami et de la personne que tu as été ? Ou est-ce que tu as pleuré parce que tu as réalisé que peu importe l'issue du procès, tu avais atteint un point de non-retour ?
Comment as-tu fait le choix de ruiner toutes ces vies en quelques heures ?
Judicaël ne me répond pas.
Il ne me répondra jamais.
Le sol s'ouvre sous son fauteuil et l'engloutit avant que ma main ne l'atteigne.
"Mort au Traître"
Exécution de Judicaël Levavi, ultime Activiste LGBT+
(TW : suicide et représentation graphique de sang)
Les murs de verre qui avaient déjà servi lors de l'exécution d'Hibiki entourent à nouveau le cercle central. Il y a un trou au milieu, vite remplacé par une plateforme montante.
Sur celle-ci, Judicaël, face contre terre, sans son fauteuil. Incapable de faire plus que de se redresser sur ses coudes, le torse bougeant de haut en bas au rythme saccadé de sa respiration.
D'autres morceaux de carrelage descendent dans le sol, pour remonter avec... des personnes. Des personnes, debout sur chaque plateforme.
Ce ne sont pas des humains. Leurs mouvements sont trop raides, leurs expressions trop figées, les bruits qu'ils font trop métalliques.
Des robots.
Ils sont quatre.
Le premier est un homme vêtu d'une veste rouge et coiffé d'un feutre. Son teint est mat, ses cheveux bouclés et ses yeux d'un bleu sombre.
Le deuxième est une femme à la peau sombre, aux longs cheveux bruns, une longue jupe à fleurs flottant dans son sillage.
Je me rappelle vaguement de la mention de deux noms par Judicaël, lorsqu'ils parlaient des gens qui l'avaient sauvé après Saint-Cyr.
Humberto.
Baihya.
Le visage de l'Activiste, d'abord hargneux, se décompose à peine les a-t-il reconnus.
Le troisième robot est quelqu'un que je reconnais. Un adolescent hautain que l'on a retrouvé percé de cinq balles un matin de mai.
Et le quatrième...
Le quatrième robot était encore en vie quelques heures auparavant. Mais il ne l'est plus. Il ne l'est plus, j'ai vu ses yeux morts, j'ai vu son crâne éclaboussé de sang.
Ils ne peuvent pas être là.
Ce sont Benedikt et Lan Yue.
Ce ne sont pas Benedikt et Lan Yue.
Judicaël ouvre la bouche, des larmes au coin des yeux, les premières depuis le début du procès, mais aucune des machines ne lui laisse le temps de parler.
Les quatres sont sur lui en une fraction de seconde, lui maintiennent les bras.
Et commencent à le rouer de coups.
Judicaël hurle, se débat de toutes ses forces, mais le bas de son corps reste irrémédiablement immobile. Il commence à sangloter, à essayer d'articuler quelque chose.
Il leur demande une explication -
"Humberto" lui assène un coup dans le ventre et il se tord.
Il leur demande de l'écouter -
La main de "Baihya" arrache une poignée de ses cheveux et il s'étrangle.
Il leur demande d'arrêter -
Le poing de "Benedikt" atterrit en plein milieu de son visage et le sang gicle de son nez.
Il leur demande pardon -
La chaussure compensée de "Lan Yue" écrase sa jambe gauche, et il hurle, suffoque alors que la douleur atteint son bassin et sa colonne vertébrale.
Stop, supplie Theodosia, ses mains collées aux parois, mais aucun d'eux ne l'entend.
Les coups pleuvent et pour chaque coup un bleu éclot et du sang gicle.
Lorsqu'enfin ils cessent, Judicaël n'a même plus de voix pour crier. Son visage est tuméfié au point d'en être presque méconnaissable. Il halète, une main posée sur ses côtes en miettes, chaque respiration douloureuse.
Les robots reculent, leurs chaussures et leurs poings couverts d'un sang qui ne coulera jamais dans leur veine, et disparaissent par là où ils étaient venus.
Une autre plateforme monte.
Il y a quelqu'un d'autre debout dessus.
Quelqu'un qui n'est pas une machine, qui tient à peine debout et qui est obligé de s'appuyer sur le manche de l'immense drapeau arc-en-ciel qu'il tient dans sa main. Un humain. Un homme.
Mais ce n'est pas possible.
Ce n'est pas possible parce que nous avons tous vu cet homme sauter de sa chaise de bureau il y a quelques minutes à peine.
Je n'y croirais pas s'il n'y avait pas ces marques violacées tout autour de son cou.
Mais c'est la même chemise, les mêmes avant-bras meurtris, les mêmes cheveux en friche et le même regard vide derrière des verres sales.
Valéry est vivant et il se tient en silence au-dessus du corps malmené de Judicaël.
Ce dernier cligne des yeux, plusieurs fois, et rien que ce geste le fait grimacer de douleur. Son regard est trouble, il y a du sang sur son front, il doit avoir un traumatisme crânien. Mais un sourire tremblant déchire sa lèvre déjà ouverte alors qu'il murmure quelque chose, t'es vivant.
Le soulagement est de courte durée.
Valéry éclate de rire et c'est un rire de fou, et de sa bouche tombent en cascade des insultes, des accusations, des moqueries, des fais pas comme si t'en avais quelque chose à foutre, des on n'a jamais été des amis, des j'étais que ton putain d'outil-
Et un seul j'aurais dû te tuer plus tôt.
- Valéry !
Les poings de Theodosia tambourinent contre le verre.
- Écoute-moi !
Valéry lève le drapeau.
- Ne fais pas ça !!
Le bout du manche ne devrait pas être aussi pointu.
- VALÉRY !!
Son bras s'abaisse violemment, droit vers le ventre de Judicaël.
Le hurlement de ce dernier se mêle à celui de Theodosia.
Le drapeau a traversé le cuir de sa veste pour s'enfoncer dans son estomac et traverser son dos. Le sang gicle de la plaie, de sa bouche, ses cris s'étranglent dans un gargouillis alors que Valéry tourne le manche encore davantage, l'enfonce aussi profond que possible.
Ce dernier halète, les yeux dans le vague, et sa voix n'est plus qu'un sifflement alors qu'il décroche de sa ceinture un pistolet que je n'avais pas remarqué jusque là et s'adresse à Judicaël, en train de s'étouffer dans son propre sang au sol.
Regarde-moi. Regarde-moi bien.
Judicaël écarquille les yeux, et sa bouche articulé un non silencieux, mais Valéry a déjà pointé le canon sous son propre menton.
On se reverra en enfer.
Une détonation.
La balle traverse la mâchoire, puis le crâne. Une gerbe de sang éclabousse la paroi.
Le corps sans vie de Valéry reste debout pendant quelques secondes avant de s'effondrer sur les jambes de Judicaël. Le drapeau le recouvre comme un linceul.
Judicaël sanglote, mais les sanglots s'étranglent dans sa gorge encombrée. Tout son corps est traversé de violents frissons. La flaque de sang se fait de plus en plus grande.
Les ongles de sa main droite, qui ne sont plus que quatre, griffent le carrelage dans une tentative désespérée pour se raccrocher à la vie, mais celle-ci s'échappe de lui sous la forme d'un liquide rouge.
Je ne sais pas combien de temps dure son agonie. Plusieurs minutes. Peut-être une heure.
Son visage garde une telle expression désespérée, sa main une telle crispation qu'il me faut un moment pour réaliser que la poitrine de Judicaël Levavi ne se soulève plus depuis au moins cinq minutes.
Tout ce qu'il reste, c'est un cadavre à la bouche ouverte dans un cri silencieux, la main tendue vers moi.
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