Chapitre II (22) : Kill the Lights

(Music time :D)

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Judicaël me regarde comme si je venais de lui raconter une blague pas drôle et qu'il s'obligeait à rire pour ne pas me vexer.

– Mika, t'es pas sérieux-se…

Putain et il a l'audace de me sourire. Je rêve.

– Regarde moi bien, Levavi. J'ai l'air de déconner ?

Son sourire ne faiblit pas.

– Tu as l'air absolument sûr-e que c'est moi, mais t'as même pas expliqué pourquoi j'étais ton dernier suspect.

Connard. C'est évident et tu le sais.

– Ton fauteuil, je grogne. Tu as un compartiment de rangement dans le dossier, pas vrai ? Tu pouvais parfaitement y placer la bombe, ou même juste la mettre dans un sac à dos ou que sais-je. Personne n'aurait posé la moindre question parce que c'est normal que tu sois chargé avec ton handicap.

Autour de nous, rien d'autre que le silence. Ça les tuerait de m'aider un peu ?

Je relève la tête, et mes paroles meurent sur mes lèvres. Ce n'est pas qu'ils sont réticents à me croire, non.

Ils fixent tous Judicaël. Avec, pour la plupart, effarement et horreur.

Vous comprenez, maintenant ?

Judicaël a mené ce procès. Il a lancé les discussions, placé le doute dans nos esprits, a redirigé les suspicions. Bien sûr que ce type est entraîné à la manipulation, à la rhétorique. Sinon, comment il aurait survécu à Saint-Cyr ? Comment il aurait survécu en tant qu'ultime Activiste LGBT+ ? Au feu des projecteurs constamment braqué sur lui, à scruter son moindre mouvement, le moindre mot de travers ?

Il serait déjà mort avant même d'avoir pu être kidnappé dans une tuerie.

Qu'est-ce que ça fait, bande de crétins finis, de savoir que vous alliez livrer vos vies à un meurtrier ?

– Mika, attends. Ne tirons pas de conclusion hâtive…

Évidemment.

Évidemment que la seule à ne pas y croire, c'est Theodosia.

Ça devrait me faire de la peine, mais lorsque je la regarde, je ne ressens que de l'exaspération.

– Quoi ? Tu vas me sortir que t'as un alibi solide pour-

– J'étais avec lui !! Tout le long de l'atelier cuisine, j'étais avec lui ! On s'est parlé plusieurs fois !

J'entends un ricanement du côté d'Ema, et Theodosia frissonne.

– Q-Qu'est-ce qu'il y a ?

– Tout le long ? Laisse-moi rire, vous étiez même pas dans la même pièce ! Il était dans le labo de Sora et toi t'étais dans la cuisine de base ! Il est venu te parler deux fois grand max.

Le regard de la Mime devient plus sombre, son sourire disparaît.

– Arrête de réécrire l'histoire pour que ça corresponde à ce que t'aimerais, pauvre merde. T'as passé ton temps à accuser Sora, t'as même pas essayé de me défendre. T'as beau jouer à la maman, faire genre que tu veux prendre soin de tout le monde, tout ce qui t'importe c'est ton propre cul. Tu parles d'une adulte responsable.

Alors. Ema a certes des bons points mais même moi j'aurais dit ça plus gentiment. Theodosia est livide, ses yeux sont écarquillés et ses pupilles vibrent presque.

– E-Ema, je sais que tu es en colère, mais-

– Pourquoi je le suis, à ton avis ? la coupe la dénommée. Pourquoi, hein ? Parce que c'est toi qui m'énerve.

Claquement de langue.

– T'es pas une bonne personne. Moi non plus, hein, sauf que moi au moins je cherche pas à faire croire que je le suis.

Theodosia cligne des yeux pour chasser les larmes qui y montent, et Judicaël laisse échapper un rire qui me paraît presque menacant. Comme s'il était en position de se marrer, tiens.

– Je te trouve bien directe d'un seul coup, Ema. Soulagée que le rôle du bouc émissaire me soit tombé sur le coin de la gueule ? C'est pour ça que tu te permets d'insulter Theodosia ?

… Son audace serait une qualité dans toute autre situation que celle-ci. Il se tourne vers moi sans laisser à la Mime le temps de répliquer.

– Passons. J'aimerais rester poli. Laisse-moi te poser une question, Mika, rien d'important, juste un détail…

Ses yeux percent les miens et il me faut toute ma force mentale pour ne pas détourner la tête.

– Pourquoi j'aurais visé Lan Yue, spécifiquement ? Parce que c'est bien ça le problème. On l'a vu pendant l'enquête, la porte était verrouillée de l'extérieur. Tu m'expliques pourquoi j'aurais tué une personne que je considérais comme un-e de mes meilleurs amis ? Je sais qu'on peut rien laisser passer, mais ça me blesse vraiment que tu croies un truc pareil.

Merde. Je peux pas dire qu'il ait exactement tort. Ils étaient proches, et ils l'étaient encore plus après la mort de Benedikt et Hibiki, des êtres qui leur étaient chers à tous les deux.

Sauf que quelqu'un m'a mis la puce à l'oreille pendant les interrogatoires. Noelle.

Noelle qui a analysé le profil de Lan Yue et relevé des incohérences avec les évènements précédents le meurtre. Je lui jette un regard. Elle regarde le sol avec une expression… perturbée ? C'est le mot. Je pensais pas qu'elle pouvait faire ce genre de tête.

– Lan Yue n'est pas venu à l'atelier cuisine parce qu'il s'entraînait au gymnase, on est d'accord ?

Judicaël incline la tête sur le côté, ses pupilles légèrement rétrécies.

– Oui ? Mais je vois pas où tu veux en venir.

– Pourquoi est-ce qu'il est pas venu ?

Je regarde autour de moi alors que les autres se mettent à cligner des yeux, à réfléchir, l'air soudain perplexe.

– C'est vrai que c'est bizarre, souffle Kiseki. Je veux dire, Lan Yue adorait être avec d'autres gens. Il m'a dit une fois que c'était ce qui le faisait tenir, ici. Alors pourquoi iel est pas venu-e ?

– Il savait peut-être pas cuisiner ?

– Shun, loulou, tu sais aussi bien que moi que c'est pas ça qui l'aurait empêché de venir, soupire Michiru. Mais j'avoue que j'ai pas vraiment fait gaffe à son absence non plus…

– Ça m'a surprise de trouver le corps dans le gymnase, intervient Noelle. Je croyais qu'iel était en cuisine avec vous tous.

Elle réfléchit un instant, et semble arriver d'elle-même à ma conclusion.

– Il aurait pu ne pas avoir envie de venir, mais cela ne lui correspond pas. Il aurait fallu qu'il soit cloué au lit. Ou qu'il ne soit pas au courant de l'événement. Sauf que pour cela, il aurait fallu qu'il évite tout contact avec nous autres pendant la journée. Par conséquent…

Sa bouche est légèrement ouverte, mais rien n'en sort, tandis que son œil visible s'écarquille très légèrement. Jamais je ne l'ai vue avec cet air incrédule. Jamais je ne l'ai vue aussi pâle. Lorsque sa voix sort enfin, ce n'est plus qu'un souffle.

– … Je me suis trompée.

Ouais. Ouais, tu t'es carrément plantée, même. Et vu ta tête, ça doit pas t'arriver souvent. C'est peut-être même la première fois.

– T'as compris cette fois, Vincent, pas vrai ? Lan Yue n'est pas stupide. Il a dû remarquer qu'il y avait de l'agitation. Mais il suffisait que quelqu'un lui dise que c'était une journée tranquille qui s'annonçait ou bien l'ait empêché de prendre connaissance de l'événement pour qu'il l'ignore.

Je foudroie l'Activiste du regard.

– Qui de mieux pour ça qu'une personne en qui iel a entièrement confiance ? Une personne qu'iel sait être son alliée et en qui il a désespérément besoin de croire après que son amie se soit révélée être une meurtrière ? Judicaël, c'est précisément parce que tu es son meilleur ami que tu as pu le convaincre que rien n'allait avoir lieu aujourd'hui.

Le concerné croise les bras sur sa poitrine et soupire, toujours aussi flegmatique malgré les regards de plus en plus suspicieux braqués sur lui. Rien à voir avec la panique d'Hibiki. Même lorsque je l'ai mentionnée, il n'a pas réagi.

– Et tu penses que je suis assez fort pour empêcher Lan Yue de parler avec qui que ce soit ?

– Pas besoin d'être fort. Il suffit juste d'avoir sa confiance, et tu l'avais. Tu n'avais qu'à l'isoler et je vais le montrer à tout le monde.

J'inspire et me détourne de lui.

– La dernière personne qui a vu Lan Yue en vie, c'était Theodosia, en début d'aprèm. Et dis-moi, Theodosia, vous avez parlé de l'atelier cuisine ?

La Kinésithérapeute secoue la tête, l'air toujours aussi choquée.

– Non… Je te l'ai dit, il partait en direction du gymnase et moi de la cuisine, je lui ai juste dit bonjour…

– Exactement. Les deux autres personnes qui l'ont vu aujourd'hui, c'était Kiseki et Judicaël. Sinon, personne ne l'a revu-e après le dîner, hier soir.

– C'est vrai ! s'exclame Kiseki. On a fait un jogging ensemble ce matin, que les deux, mais j'étais pas au courant qu'il y allait avoir un atelier… Il est parti après en me disant qu'il devait petit-déjeuner avec Judicaël et…

Elle relève d'un coup la tête, les yeux ronds.

– Attends, c'est ça qui est bizarre !! D'habitude il vient toujours petit-déjeuner au réfectoire ! Mais cette fois non !

Je retiens un sourire. C'est qu'elle est plus futée qu'elle en a l'air.

– Tiens donc, c'est presque comme si Judicaël lui avait spécifiquement demandé de petit-déjeuner avec lui au chalet ce matin-là. Pour qu'il n'entende pas l'annonce de Sora, peut-être ?

Judicaël se tourne vers moi avec ce même sourire indulgent. Condescendant, presque.

– Bien sûr, tu insinues que j'étais au courant que Sora allait organiser un atelier avant même qu'elle l'annonce ?

– On n'a qu'à lui demander, je lâche. Sora ?

Je tape du pied par terre pour attirer son attention. Ses yeux sont encore gonflés d'avoir pleuré, il fait peine à voir.

– À tout hasard, tu avais dit à Judicaël que tu allais organiser un atelier ? Avant ce matin, je veux dire.

Il me regarde, l'air un peu perdu.

– … Bah… C'est lui qui m'a suggéré l'idée, alors…

Dans le mille.

Cette fois, je le tiens.

– Tiens donc.

Judicaël sourit toujours, mais son visage a perdu de sa couleur et son front luit légèrement à la lumière des néons. Une goutte de sueur dévale son visage.

– Judi ? C'est vrai ce que dit Sora ? demande Theodosia d'une voix blanche.

– Donne-nous la vérité, Judicaël, renchérit Altaïr. Nous sommes tout ouïs.

L'Onirologue ne paraît pas plus angoissé que d'ordinaire, si on exclut l'absence totale de sourire sur son visage. Je réalise lentement ce que ses accusations répétées voulaient dire.

Altaïr savait que si Sora n'était pas coupable, alors… ça ne pouvait être que Judicaël. Et même lui a préféré accuser une innocente que d'accepter pareille vérité. Tu es comme nous tous au final, Altaïr Calliope.

Irrémédiablement humain.

Un très, très long silence. Jusqu'à ce que Judicaël soupire et prenne une longue inspiration en croisant les bras sur sa poitrine.

– Ok, j'admets. C'est moi qui ai posé la bombe.

J'ai froid d'un seul coup.

Ça sent pas bon.

Il l'a admis.

Personne n'admet aussi facilement un crime à moins de-

– Mais ce n'est pas moi qui ai tué Lan Yue.

Il sourit. Il sourit. Il sourit encore.

Il sourit, l'enflure.

– Mais qu'est-ce que tu racontes encore, espèce de connard ?! hurle Michiru en frappant du poing sur son pupitre. Si c'est toi qui l'a posée, alors c'est toi le meurtrier ! Point !

Judicaël secoue la tête.

– Pas du tout. Mika, tu te rappelles de la cause de la mort de Lan Yue sur le Monodossier ?

J'ai envie de lui hurler de ne pas me parler, de ne pas prononcer le nom de Lan Yue. Au lieu de quoi, je déglutis.

– Ouais. Et donc ?

– C'est un morceau de plafond qui s'est détaché et qui lui est tombé dessus alors qu'iel était coincé-e sous les décombres.

Comment il peut dire ça avec un air aussi détaché ? Putain, comment ?

– Monokuma ?

L'interpellée entrouvre l'œil depuis son fauteuil.

– Quoi.

– Dans ce cas présent, Lan Yue est mort-e sans que personne ne se salisse concrètement les mains. Quelles sont les modalités dans un cas comme ça ?

Monokuma réfléchit pendant ce qui me paraît être une éternité.

– Dans ce cas, celui qui est responsable de la réaction en chaîne ayant entraîné la mort est considéré comme le coupable. Ici… Celui responsable de la chute du bout de plâtre. Ça répond à ta question ?

– Tout à fait.

Judicaël se tourne vers l'assistance, ce foutu sourire toujours présent sur ses lèvres.

– Il y a plusieurs choses qui peuvent provoquer la chute d'un morceau de plafond. Une explosion, entre autres.

Son regard se tourne vers Sora. Il ralentit son rythme de voix, articule distinctement chaque mot.

– Mais aussi une porte qui claque contre un mur après qu'on l'ait forcée.

….

Non.

Non.

Dites-moi que c'est pas vrai.

C'est un cauchemar.

Je dois m'agripper à mon pupitre pour ne pas tomber.

Et Sora… Sora est blême.

– … Quoi ?

– Réfléchis. Lan Yue n'est pas mort tout de suite. Il est mort après que tu sois entré-e, non ?

Son sourire est presque cruel.

– Rien n'empêche que tu aies provoqué la chute d'un plafond déjà fragilisé par une explosion.

… Mais quel…

– … Enfoiré, lâche Shun, livide lui aussi.

Michiru a l'air sur le point de s'effondrer.

– Tu te fous de nos gueules…

Sora se laisse glisser par terre, et éclate en sanglots. Ema la regarde faire, puis se met à rire, un rire désabusé, incrédule, en regardant l'Activiste.

– Wow. Chapeau, mec. Même moi je suis pas aussi pute.

Peu importe à quel point le choc se lit sur tous les visages, c'est rien à côté de celui de Theodosia. Alors même qu'elle ne verse pas la moindre larme, son expression est décomposée. Judicaël évite d'ailleurs soigneusement son regard. Bah alors ? On se sent coupable maintenant ?

C'est trop tard. Beaucoup trop tard.

– Pourquoi luel ? Pourquoi Lan Yue ?

La voix d'Hibari me paraît lointaine. Son regard sur Judicaël est presque suppliant, mais ce dernier ne lui renvoie que de la froideur.

– Parce qu'iel ne manquerait pas à grand monde là-dehors.

Je me fige.

– J'ai vu sa vidéo mobile, iel m'a parlé de sa famille. Des ordures qui n'allaient pas le regretter, qui souhaitaient sa mort même. Et la plupart de ses amis… Soit disparus dans des Tueries, soit coincés ici.

J'aimerais pouvoir dire qu'il est en train de nous rouler dans la farine. J'aimerais vraiment. Sauf que… sauf qu'il a vraiment l'air d'y croire.

– Tu aurais préféré que je te tue toi, Hibari ? Alors que ton copain t'attend dehors ? Michiru, alors qu'elle est enceinte ? Tritri, alors qu'elle est impossible à approcher ? Mika avec sa tripotée d'adelphes ?

Je vois la peau de sa gorge bouger lorsqu'il avale sa salive.

– Il me restait plus masse de choix.

– Iel t'avait pas dit ? je souffle.

Judicaël hausse un sourcil en me regardant.

– Dit… quoi ?

– Pour Xiao Wei et Héloïse. Iel t'avait pas dit ?

Il me regarde sans comprendre, et je sens mes intestins se contracter douloureusement. Il ne sait pas de qui je parle.

Lan Yue a pris garde à ce qu'il n'entende rien de ses affaires de cœur. Parce qu'iel savait que son meilleur ami était une foutue commère et qu'iel ne voulait pas que ça se répande dans tout Babel. Ça fait sens. Son tatouage sur la nuque qu'il refusait de révéler en public. Le moment au gymnase, où il m'a tiré à l'écart.

Judicaël pense vraiment que personne n'attend Lan Yue dehors.

– San partenaire. Et son… son amie. L'ultime Bactériologue et l'ultime Maître de Jeu. Il ne t'a pas parlé d'iels ?

Il me regarde longuement, le visage de plus en plus blanc, et un rire nerveux s'échappe de sa gorge.

Mais il n'a pas le temps de m'en demander plus.

– J'ai une question, moi aussi, déclare Altaïr. Pourquoi avoir tué ?

En un clin d'œil, Judicaël a retrouvé une expression calme. Ou presque, parce qu'il continue de transpirer.

– Comment ça, pourquoi ? C'est évident, non ? Tous nos proches allaient mourir si personne ne faisait rien, alors si quelqu'un devait se sacrifier, autant que ce soit m-

– Alors pourquoi tu ne t'es pas tué ?

L'atmosphère se glace.

– … Pardon ?

– Il ne fallait qu'un mort et les règles ne stipulaient nullement que le suicide était interdit. Tu aurais pu le faire sans problème. Je sais que ce n'est pas l'envie qui manque, chez toi.

La bouche de Judicaël s'ouvre en grand, comme si on venait de lui foutre un coup de poing dans le ventre. Un faible rire lui échappe.

– C'est… C'est petit, ça, Altaïr.

Dit le mec qui a buté son meilleur ami.

– Je ne vois qu'une seule explication au fait que tu aies décidé de tuer quelqu'un, continue le dénommé en l'ignorant royalement. Et cela est que tu tenais absolument à sortir. Ou du moins à savoir ce qui était arrivé à tes proches. Tu as fait un sacrifice, certes, mais ce n'était pas le tien.

Il se penche au-dessus de son pupitre, très lentement, et continue d'une voix égale :

– C'est Lan Yue que tu as sacrifié. Et avec lui, l'entièreté des participants de cette Tuerie. 

Il ne crie pas. Il n'a même pas l'air en colère. Ça le rend d'autant plus terrifiant.

Et Judicaël garde le sourire alors même que tout le monde le regarde. Alors même que Theodosia lâche, d'une voix tremblante :

– … Je ne te le pardonnerai jamais.

Elle déglutit, retient ses larmes à grand-peine. Si elle ajoute quoi que ce soit, le barrage va céder.

Judicaël regarde dans le vide.

Et moi, je regarde l'écran posé sur mon pupitre.

Alors c'est comme ça que ça va se passer ? On va exécuter Sora et je vais devoir regarder Judicaël dans les yeux tous les matins jusqu'à ce qu'on sorte de cet endroit de merde ?

Non.

Non, je refuse.

Il doit bien y avoir quelque chose que j'ai manqué.

Pas pendant l'enquête, avant, bien avant, quand je suis allé chercher Sora dans le gymnase en flammes.

Ma mémoire est emplie de brouillard et de poussière, mais les souvenirs sont là.

Je suis entré-e dans le gymnase.

Et après ?

J'ai cherché Sora.

Et après ?

Je lui ai trébuché dessus.

Tu n'oublies rien ?

Si. Des décombres ont failli m'écraser et m'ont bloqué le passage.

Et avant ?

Avant ? Avant….

…..

Il y avait quelqu'un.

Il avait une silhouette étendue par terre, qui bougeait, qui était consciente. Et ce bien loin de l'endroit où j'ai trouvé Sora évanouie.

Elle appelait à l'aide.

Peut-être que j'aurais pu la sauver ?

Non.

Je n'aurais rien pu faire.

J'ai fait ce que j'ai pu, et c'était pas suffisant.

Je ne suis qu'un-e humain-e.

Et l'univers dans lequel j'ai pu sauver Lan Yue n'existe pas.

… J'avais tort, tout à l'heure.

– La dernière personne à avoir vu Lan Yue vivant-e, c'était pas Theodosia.

Mon regard se plante dans celui de Judicaël.

– C'était moi.

Il devient encore plus blanc qu'il ne l'était déjà. Visiblement, c'était pas prévu dans son plan.

– Quoi..?

– Lan Yue était encore en vie quand je suis arrivé-e dans le gymnase. À ce moment-là, Sora devait déjà avoir perdu connaissance et j'ai pas eu besoin de forcer la porte, ce qui veut dire…

La respiration de Judicaël se fait plus rapide, plus erratique. Il transpire de plus en plus, je vois son haut se couvrir de tâches sombres. Il est coincé.

– Que la seule chose responsable de la chute du plafond était la bombe. Bombe que tu as toi-même enclenchée.

Le silence se fait à nouveau. Les regards ne sont plus sur moi. Ils sont braqués sur Judicaël comme autant de projecteurs.

J'inspire, expire.

– Bon, vu le bordel que c'est, je crois bien qu'il va falloir tout réexpliquer, hein.

Je lève mon index.

– Tu voulais sauver les gens dans ta vidéo mobile, mais plus que tout tu voulais savoir ce qui leur était arrivé. Alors tu as choisi ta cible. Lan Yue.

Le sourire ensanglanté du portrait du Pole Dancer n'a en lui aucune joie.

– Tu as suggéré à Sora d'organiser un atelier cuisine et tu as fait en sorte que Lan Yue ne l'apprenne pas, en l'isolant. Tu t'es occupé de prendre une bombe dans le chalet de Tritri, et tu as enfermé Lan Yue dans le gymnase. C'était sa routine d'y aller et tu le savais très bien.

Je n'ai en moi aucune joie.

– Tu as participé à l'atelier avec nous tous. Tu n'es d'ailleurs pas sorti une seule fois. Et lorsque l'occasion est survenue, tu as enclenché le minuteur de la bombe et tu l'as mise dans un monte-plat.

Je n'ai en moi aucune pitié.

– La bombe a explosé dans le gymnase. Lan Yue était piégé-e et a été écrasé-e sous les décombres avant de pouvoir fuir. Un débris lui a défoncé le crâne, et iel est mort.

Je n'ai en moi aucune peur.

– Sora s'est précipité pour le sauver, et moi à sa suite. Mais ni lui ni moi n'aurions pu tuer Lan Yue pour les raisons que j'ai expliquées plus tôt. Par conséquent…

Je n'ai en moi aucun scrupule.

– L'assassin de Lan Yue ne peut être que toi, Judicaël Levavi !!

Je n'ai plus en moi que de la colère.

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