Chapitre I (3) : And if you could see the look in her eyes

Seigneur, sortez-moi de là. Ça ne fait pas cinq minutes qu'on a commencé à regarder la cuisine plus en détail et Hibiki et Benedikt sont déjà en train de se lancer des piques passives agressives, enfin, surtout agressives. Si Lan Yue ne s'était pas placé.e entre les deux telle la grande muraille de Chine, ils seraient sûrement en train de se mettre joyeusement sur la gueule. Qui a eu l'idée de mettre la fille la plus dissidente du tas avec le droitard de service, déjà ? Ah oui, c'est vrai, on ne peut pas laisser quelqu'un tout seul, et gna gna gni et gna gna gna, en attendant on va se retrouver avec le premier mort sur les bras. Et Lan Yue au milieu avec ses deux cellules grises à peine fonctionnelles… rappelez moi de ne plus jamais faire d'effort, même si Sora me fixe avec de grands yeux brillants.

Je soupire et essaie d'ignorer leur engueulade pour me concentrer sur le lieu. La cuisine est vraiment bien fournie, l'électroménager en parfait état, et le cellier ressemble plus à un entrepôt géant vu la quantité de nourriture stockée. Comme disait Monokuma, si on meurt de quelque chose, ça sera pas de faim… Brr. Non, non, je dois pas penser à elle et à ses yeux de rat mort. Vite, autre chose à se mettre dans le ciboulot-

– … Tu devrais reposer ces gâteaux. À ce rythme, il n'y en aura plus pour les autres, soupire Benedikt, la voix teintée d'une certaine irritation.

Derrière moi, Lan Yue est en train de s'empiffrer d'oreos, les fesses posées sur les plaques de cuisson et pas l'air honteux pour un sou.

– Roooh, t'as vu la taille du cellier ? Je pense pas qu'on va manquer de quoi que ce soit, Ben. Tiens, t'en veux un ?

– Non merci, réplique sèchement Benedikt en ouvrant un tiroir, plus pour s'occuper les mains que pour faire avancer les recherches.

– Tu sais pas ce que tu rates ! Mika, attrape !

Évidemment, comme j'ai des réflexes de bulot, l'oreo que Lan Yue m'a envoyé s'écrase par terre, en foutant des miettes partout au passage.

– Les gaaaars, Shun va vraiment nous buter si vous continuez vos conneries !

Dit Hibiki alors qu'elle se marre… Je ramasse le biscuit éclaté pour le jeter à la poubelle, et vais en voler un directement à Lan Yue. Iel me regarde comme si je venais de le planter, mais bon, c'est mérité un peu. D'ailleurs, c'était clairement pour son petit numéro de drama queen, puisqu'iel retrouve le sourire presque immédiatement.

– Hey hey, les gens, j'ai une blague !

Le soupir de Benedikt résonne à travers la cuisine. Mood, mec. Mood.

– Vous savez que si on mange un pépito à minuit, ça devient un pépitard ?

…….

Je me mords l'intérieur des joues.

Non. Non non non. Je ne vais pas rire. Surtout pas pour une blague à deux balles dans le genre de celle-là. Je ne ris pas, c'est faux.

En tout cas, pas autant qu'Hibiki, qui se bidonne contre le mur, pointant du doigt la porte de la cuisine et répétant "tu sors, putain, tu sors" à l'intention de Lan Yue.

C'est plus fort que moi, je me mets à pouffer dès que mes yeux se posent sur le visage de Benedikt. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu une expression aussi confuse. Il a pas eu de Pépito dans son enfance, lui ? Ça a dû être triste, tiens.

– … Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle, lâche-t-il, presque dépité devant nos têtes hilares.

Lan Yue descend de son perchoir et lui patpat l'épaule, un petit sourire aux lèvres.

– T'inquiète pas, tu finiras par t'habituer, Benny.

– Vous avez fini de flirter ou bien je peux dégueuler dans l'évier avant que vous ne vous léchiez mutuellement la glotte ?

Les joues de Benedikt s'enflamment à la remarque d'Hibiki, et il écarte brutalement la main de Lan Yue de son épaule avant de se déplacer à l'autre bout de la cuisine, comme s'il allait trouver quelque chose d'intéressant dans le mixeur. Je me retourne vers lae pole dancer, m'attendant à lae voir fier.e de son petit stratagème.

Tiens ? Non. Il a juste l'air… déçu ?

Sa main retombe le long de son corps, et il regarde dans le vide quelques instants. Puis il réalise que je l'observe, et un sourire réapparaît sur son visage, comme s'il ne s'était rien passé.

– Bon ! Je crois bien qu'on a fait le tour ?

– Attends, non, regarde ! s'écrie Hibiki, qui a légèrement décalé un meuble entre temps.

Nous nous rassemblons derrière elle pour constater sa trouvaille. Une simple porte, à peine dissimulée derrière l'un des frigos, décorée d'un petit dessin de Sora et de l'inscription suivante : 궁극의 셰프스 랩, 선소라.

– Laboratoire du chef cuisinier ultime, Sora Seon, je lis à voix haute.

– Un labo ? Pourquoi faire ?

– Tu le saurais si tu avais un minimum de connaissances littéraires, soupire Benedikt en sortant de sa poche son téléphone. Les laboratoires sont des pièces dédiées à l'activité de l'ultime qui lui correspond. C'est pour ça que nous avons reçu ce téléphone reconditionnée, pour que le scanner détecte notre identité.

Hibiki émet un claquement de langue agacé. Elle fixe le tailleur de pierre avec un regard tout sauf amical.

– Tu commences vraiment à me les briser, avec ton petit air suffisant de pète-sec qui se croit mieux que tout le monde, tu sais ça ?

– Les enfaaaants, s'il vous plaaaaît, soupire Lan Yue. On va aller explorer le reste, après vous réglerez vos problèmes, ok ? Si j'ai bien capté ce qu'a dit Benedikt, Sora est le seul à avoir la clé de son labo, ça sert à rien qu'on essaie d'ouvrir. On reviendra plus tard !

Sur ces bonnes paroles, le voilà qui pousse les deux autres hors de la cuisine sans interrompre le flot de ses paroles, pour éviter qu'ils ne se remettent à faire n'importe quoi j'imagine. Je lui emboîte le pas à une certaine distance, pour éviter de lui coller une beigne. J'aurais vraiment pas pu tomber mieux comme groupe d'exploration, notez le sarcasme.

Nous traversons les couloirs pendant plusieurs minutes, qui me semblent interminables. Lan Yue me donne mal à la tête, et ça doit être la même chose pour les deux autres, parce qu'ils sont totalement silencieux, désormais. J'espère qu'ils ont compris la leçon. Ça me rappelle lorsque Mimi se plaçait entre Warren et Emily pour arrêter leurs engueulades, plus jeunes. Elle les abreuvait de paroles jusqu'à ce qu'ils demandent grâce, et ils en oubliaient la raison même de leur dispute. Je sens un petit sourire apparaître sur mes lèvres, peu importe à quel point j'essaie de le réprimer. Je sais que je devrais probablement arrêter de comparer ces trois cons à mes adelphes et l'une de mes mères, mais dans l'état actuel des choses, les souvenirs sont tout ce qu'il me reste.

Arrivé.e.s devant une porte, je vois Benedikt froncer le nez. Allons bon, qu'est-ce que sa majesté la princesse d'Autriche a encore à redire ?

– Qu'est-ce que c'est que cette odeur ?

Ah ouais. C'est vrai qu'il y a comme un vague relent de… chlore ? Lan Yue et Hibiki se regardent avec de grands yeux brillants, et je sens mon sixième sens s'agiter désagréablement.

– Bouche-toi les oreilles, je soupire à l'intention de Benedikt.

– … Pourquoi faire ?

Bon. Il pourra pas dire que je l'avais pas prévenu.

Et j'avais raison, car les deux autres crétins ouvrent la porte en grand tout en poussant le cri le plus enthousiaste que j'ai jamais entendu.

– PISCINE !!

Benedikt fait un bond au plafond, contrairement à moi qui ait protégé mes oreilles de mes mains à la dernière seconde. Il aura qu'à m'écouter, la prochaine fois.

Je fais quelques pas à la suite d'Hibiki et Lan Yue, qui sont déjà parti.e.s devant comme des fusées. C'est la plus grande piscine que j'ai jamais vu… de taille olympique, si ce n'est plus. Il y a même des toboggans et des jacuzzi au fond de la pièce. Le plafond, une immense verrière, laisse entrer à flots la lumière du jour. Je nagerais bien quelques longueurs pour me détendre si je pouvais, mais encore une fois, ça attendra que mon bras se remette en place.

On est pas seul.e.s cette fois, tiens. Eiji est en train d'inspecter les toboggans, même si je doute qu'il y en ait besoin… si ça peut lui faire plaisir. J'aperçois Mao discuter avec sa sœur à l'entrée des vestiaires, ce qui veut dire que le groupe des darons et de leurs gosses à problèmes doit être ici au grand complet. En parlant desdits gosses, Altaïr est bel et bien présent, en train de taper sa meilleure brasse dans la piscine. Tout habillé, bonjour l'hygiène. Par contre, Theodosia et Hibari ne sont nulle part en vue. Ils ne doivent pas être bien loin, j'imagine. Enfin. J'espère, surtout, vu l'imprévisibilité de ceux qui les accompagnent. Tritri est assise dans un coin, Hibiki l'a rejointe et lui dit quelques mots d'un air rassurant. Lan Yue est allé.e taper la discute avec une Eiji visiblement prise de court. Il ne reste que… Noelle.

Elle est assise sur le rebord de la piscine, les pieds dans l'eau, ses chaussures bien alignées le long du mur. Toute seule, quelle surprise. Je m'éloigne un peu du rebord pour la contourner, espérant la dépasser sans encombres… mais l'univers semble en décider autrement.

– Stratégie d'évitement classique. Tu ne m'apprécies pas. Tu n'aimes pas ceux qui peuvent lire au fond de toi, il me semble… Ça pourrait s'expliquer par diverses hypothèses. Ton estime de toi très basse, qui fait que tu es persuadé.e d'être une mauvaise personne, et que si les gens voient ce que tu crois être le "vrai toi", ils s'éloigneront. Ou bien, on t'a appris à te méfier d'autrui, par conséquent tu pars du principe que tout le monde te veut du mal, jusqu'à preuve du contraire. Les personnes dans ton cas ont souvent un style d'attachement dit "anxious-avoidant". Je pourrais continuer là-dessus pendant un moment, mais je ne pense pas que ça te plairait.

Putain. Je dois vraiment avoir une sacrée dette en karma. Elle peut pas garder son foutu clapet fermé pour une fois ?! Je sens ma respiration s'accélérer et mon sang affluer douloureusement jusqu'à mes tempes alors que je mobilise toutes mes forces pour continuer de marcher sans l'écouter.

Évidemment, ça ne marche pas. Je ne peux juste pas ne pas répondre à ce tas de merde qui sort de sa bouche.

– Mais tu vas me foutre la paix, oui ?!

Ma voix résonne beaucoup plus fort que prévu dans l'immense espace de la piscine. Je sens les regards des autres sur ma peau, mais mon champ de vision s'est rétréci jusqu'à ne plus percevoir que le regard de Noelle. Ce putain de regard. Cet œil de faucon derrière son bouclier de verre transparent.

– Qu'est-ce que tu me veux, à la fin ?! Je t'ai fait un truc, c'est ça ? Si c'est le cas, dis-le moi en face plutôt que de passer par la récitation de je ne sais quel traité de psychologie ! Les hypocrites dans ton genre, je peux pas les sentir ! Alors dis-moi les choses clairement ou ferme ta gueule, merde !

Elle me regarde sans un mot, tout le long de ma gueulante. Elle semble attendre. Et ça m'énerve encore plus. Dit quelque chose, putain. Arrête de me fixer. Parle. T'as perdu ta langue ou comment ça se passe ? Non ? Alors réponds-moi. Vas-y, je t'attends.

– Je n'ai aucun biais à ton égard. Je te dis ce qui me vient naturellement après observation de tes actes et de tes paroles.

Bah voyons ! Mon cul, oui. À d'autres, mais pas à moi.

– Tu te demandes peut-être pourquoi, c'est normal. Je ne cherche pas à te perdre, plutôt de t'exposer les choses de façon claire, justement. Tu es intelligent.e, je pense que tu peux tout à fait comprendre.

Elle darde de nouveau son œil visible sur moi. Ses mains n'ont pas bougé, elles restent appuyées sur le rebord de la piscine, immobiles. Je préfère me concentrer là-dessus, ça m'évitera de péter un câble. Elle porte une bague sur son index gauche. Fiancée ? L'heureux.se élu.e a des goûts plus que discutables.

– Ou plutôt, tu pourrais comprendre. Si tu ne t'acharnais pas à rester dans le déni et la non-verbalisation de tes problèmes.

Pardon ??? Non mais je rêve ! Madame m'a rencontré.e il y a moins d'une semaine, mais Madame me connaît déjà mieux que moi-même, Madame décide de me traiter comme si j'avais trois ans et que j'avais perdu ma mère au supermarché !! Et tous les autres qui me regardent avec des yeux de merlan frit… vous voulez ma photo peut-être ? Vous avez rien de plus intéressant à faire ?

– T'aimes bien te foutre de ma gueule, hein ? je continue, la voix vibrante. D'accord, très bien, admettons que tu sois parfaitement sincère. Dans ce cas, ça veut dire que t'as aucune putain de considération pour les sentiments des autres. Personne a envie de se faire disséquer le ciboulot dès la première rencontre, tu devrais le savoir. Enfin, je suis même pas sûr.e que tu passes les captcha de vérification anti-bot, donc j'imagine que j'en attends trop de toi, hein, Vincent ?! Ça se dit neuroscientifique mais ça pige rien aux sentiments ! Tu te rends pas compte que tu me traites comme si j'étais une horrible personne ?! Reconvertis-toi en ultime robot plutôt, puisque visiblement c'est tout ce que tu es !!

Ma propre voix m'irrite les oreilles tant elle est forte, seul le son de ma respiration erratique s'ensuit. J'ai tout débité d'une traite. Ma gorge me fait un mal de chien. Et elle n'a pas détourné son regard d'un pouce. J'ai quelque chose dans l'œil, impossible de savoir si c'est de la sueur ou une larme de rage. Je veux pas savoir. Plus aucun mot ne sort de ma bouche, mais j'ai l'impression d'être abominablement bruyant.e dans le silence du lieu.

– Tu as fini ?

La voix de Noelle achève de couper le fil qui me maintenait à ma dernière parcelle de fierté. L'atmosphère me tombe dessus comme une enclume.

Ridicule.

Je suis ridicule.

Et leurs yeux. Leurs yeux qui me rongent.

– Qu'est-ce que vous foutez encore là ? C-Circulez, y a rien à voir…

Ma voix tremble. Ce n'est plus qu'un filet. Après, disparaître sous l'eau serait une bonne option, aussi.

– Tu n'es visiblement pas prêt.e pour avoir cette discussion maintenant, Callaghan. J'ai eu tort d'essayer, je l'admets. Je ne vais pas pousser plus loin.

Elle ferme sa gueule. Cool. Ça me fera ça de moins, niveau humiliation. J'attendais ça depuis un bail, qu'elle la ferme.
Je suis pas frustré.e.
Je suis pas frustré.e.
Ça me va très bien.

– Oh, et on me dit souvent que je ressemble à un robot, ajoute-t-elle. Ça ne me touche pas. Je sais très bien qui je suis.

Elle détourne le regard vers l'eau. Fin de la discussion, semble-t-elle me dire. C'est sans appel.

Et me voilà, debout à côté d'elle comme un con, le souffle court et au bord des larmes. Alors, quoi ? C'est tout ? Ça se finit comme ça ? Pourquoi…Pourquoi je suis toujours lae seul.e à subir ce genre d'humiliation ? Pourquoi elle s'en tirerait comme ça… après m'avoir lâché tout ça comme si de rien n'était ?

Elle a pas le droit.

J'ai du mal à compréhender ce qui se passe ensuite. Tout est flou, trop rapide pour mon cerveau. Tout ce qui me reste, c'est la vision de mes deux mains dans le dos de Noelle, de son regard perçant qui disparaît sous l'eau. Et le silence.

Interrompu par un éclat de rire d'Ema, loin derrière moi, qui perce la bulle de coton entourant ma tête.

– Oh la vache !! Vous avez vu ça ? Iel l'a vraiment fait !

Je fixe la surface, alors que d'autres s'approchent de l'eau, les yeux écarquillés. Les secondes passent, et seules des bulles remontent à la surface. Le silence s'épaissit.

Putain.
Putain putain putain.
Est-ce que je l'ai…

Une main à la peau de marbre saisit le rebord de la piscine.
Noelle se hisse à l'air libre, ses cheveux bruns devenus presque noirs à cause de l'eau collés à ses épaules, sa paire de lunettes dans la main. Son visage n'a pas changé d'expression. J'ai l'impression que le mien s'est figé.

Elle fait un geste. Je me crispe, m'attendant à une riposte. Mais elle se contente d'essuyer ses lunettes, et de vérifier qu'elles ne sont pas cassées.

– Je ne te pousserai pas à l'eau. Je n'apprécie guère le concept de vengeance, surtout lorsqu'il s'inscrit dans la continuité d'une attitude qui frise le puéril.

Son ton est égal, mais je frissonne. C'est la première fois qu'elle m'applique ce genre d'adjectif.

– Une dernière chose, Callaghan. Tu te trompes lourdement sur un point. Je n'ai jamais dit que tu étais une mauvaise personne.

Elle me regarde de nouveau. Son œil gauche me scrute, et alors qu'elle soulève brièvement sa frange pour l'essorer, j'aperçois brièvement un éclat bleu du côté droit. Nouveau frisson.

– Tu es lae seul.e à penser ça.

Et la voilà qui s'éloigne en direction des vestiaires, suivie de Mao et Eiji. Je reste planté là, comme un con.

Un scintillement au sol attire mon regard. Sa bague gise sur les carreaux à mes pieds, petit cercle de métal argenté.

Le silence est celui d'une fin de spectacle, et j'attends un tonnerre d'applaudissements pour le clown de service. Rien ne vient, bien sûr.

La chute n'est même pas drôle. J'ai juste tout gâché.

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Et voilà les enfants comment démarrer une relation sainement :D
Fallait vous y attendre en choisissant Noelle pour les FTE aussi-

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