Chapitre I (18) : He had it coming
L'écran de la tablette devant moi brille si fort qu'il me fait mal aux yeux. Dix-sept icônes sont affichées, dix-sept portraits, dont un grisé. De Benedikt Manninger-Semmelweis, il ne reste plus rien que des portraits en noir et blanc et un casier froid à la morgue. Je détache mon regard de sa photo en entendant la voix traînante de Monokuma.
– Pour voter, vous touchez l'icône de la personne que vous pensez coupable. Le vote doit être obtenu à la majorité relative, bla bla bla, je vais pas me faire chier à répéter.
Je ne cherche même pas à lui lancer de regard noir ou tout autre signe de désapprobation, j'ai des trucs plus importants à faire. Mes yeux de nouveau sur mon écran, j'hésite devant l'icône d'Hibiki. Malgré ce qu'il vient de se passer, je me pisse dessus rien qu'à l'idée de m'être trompé.e. Sauf que quand faut y aller… J'appuie du bout de l'index sur le portrait, et le retire comme s'il allait me brûler. C'est con, je sais, mais j'ai l'impression que cet écran va m'aspirer pour me changer en une image tout aussi grise que celle de Benedikt.
Rien ne se passe, ce qui veut dire que certains hésitent encore. Les visages de Michiru, Lan Yue et Judicaël sont les plus durs à regarder, si on retire celui, toujours noyé de larmes, de la Tatoueuse. Ema aussi semble particulièrement sonnée ; il faut dire qu'elle et Hibiki se valaient presque niveau chiantise, et je crois bien qu'Ema était plus proche d'elle que la normale. Enfin, je dis ça mais j'en sais rien. J'y ai à peine prêté attention jusqu'à maintenant. Hibari et Kiseki ont l'air sur le point de gerber, mais ça, c'est parce qu'ils sont rebutés à l'idée de cette justice qui n'en est pas une. En même temps, personne n'est emballé, mais eux ont encore du mal à l'accepter. L'expression de Sora aussi est douloureuse, mais je préfère ne pas m'attarder dessus.
L'écran géant s'allume, et m'arrache un sursaut. Les icônes sont projetées, et un nombre apparaît à côté de celle d'Hibiki. Ce n'est d'abord qu'un 1, qui passe très vite à un 5, et continue jusqu'à 15. Le "1" restant trône à côté de l'icône de Tritri. Hibiki fixe l'écran avec de grands yeux, puis se tourne vers la pilote.
– T'as… T'as voté pour toi-même ?
Le hochement de tête de Tritri est accueilli par un ricanement moqueur de Monoaku, mais il se fait royalement ignorer. On commence à avoir l'habitude. C'est ça le pire.
– 15 votes pour Hibiki Hibikaze, ultime Tatoueuse, contre 1 pour Tritri, ultime Pilote de drone. Hibikaze votée coupable à la majorité, récite Chirurgienne en jouant avec une peluche de son pull. On va voir maintenant si vous avez fait le bon choix ou pas…
Une nouvelle projection apparaît, cette fois sur le sol au milieu du cercle formée par les pupitres : une immense horloge en chiffres romains, dotée d'une seule aiguille. Ça me fait penser à un soldat amputé.
L'aiguille se met à tourner dans un tic-tac infernal, à une vitesse étourdissante. Sora se bouche les oreilles en grimaçant, c'est dire. Puis le rythme ralentit progressivement, l'aiguille se traîne sur le portrait de Benedikt, puis sur Michiru, sur Tritri… pour s'arrêter, pointant vers Hibiki comme un doigt accusateur. Un son de cloche solitaire se réverbère sur chaque mur, se cogne aux grotesques fresques murales avant de poignarder nos oreilles.
Il ne reste plus que le silence, et les lents applaudissements de Monoaku.
– Bravo, vous aviez raison ! Hibiki Hibikaze a tué Benedikt Manninger-Semmelweis.
– C'est sûr et certain ?
Monoaku regarde Lan Yue avec étonnement, mais bien vite il retrouve son sourire perfide.
– Tout à fait.
Lan Yue baisse les yeux. Il serre les poings, le visage fermé. Theodosia soupire, son visage empreint d'une profonde lassitude.
– Hibiki, pour-
Elle n'a pas le temps de terminer sa phrase, parce qu'un son mat l'interrompt. Le poing de Lan Yue vient d'atterrir en plein dans le nez d'Hibiki.
– POURQUOI T'AS FAIT ÇA ?!
Iel hurle, alors que Hibiki a plaqué ses mains sur son visage et lâche une flopée de jurons. Tritri bondit de sa place pour repousser le pole dancer, qui, heureusement, se calme vite en voyant le sang couler du nez d'Hibiki. Iel a le souffle court, et ses yeux sont humides derrière ses lunettes.
– Pourquoi tu l'as buté, Hibiki ?
La Tatoueuse renifle, une main sur son nez en sang.
– Pourquoi ça t'intéresse ? réplique-t-elle, la voix tremblante.
Je sais pas si je dois être impressionné.e ou consterné.e qu'elle ait encore l'audace de répliquer après tout ça. Peut-être que l'énorme pain qu'elle vient de se prendre lui a remis les idées en place, après tout.
– C'était à cause de son père, n'est-ce pas ?
Elle sursaute, et se retourne vers Hibari qui la regarde d'un air grave.
– Quoi ?
– Son père. Tu as écrit dans la note que tu voulais lui parler à propos de son père… Josef Manninger-Semmelweis.
Hibiki se fige à ces paroles, et sa voix devient sifflante tandis que ses yeux lancent des éclairs en direction du Croupier.
– Ne. Redis. Plus jamais. Ce. Nom.
– Donc j'ai raison, conclut Hibari, imperturbable.
Bordel, mais qu'est-ce qui se passe ici ? Bien sûr, le nom de Josef Manninger-Semmelweis est familier, ce gars contrôle la quasi-totalité de l'économie autrichienne et je l'ai déjà aperçu de très loin à certains colloques, mais c'est tout. Je sais pas ce qu'il a fait pour que Hibiki semble aussi terrifiée, mais je crois pas que ce soit particulièrement joyeux. Je me rappelle bien de l'expression de Benedikt lorsqu'il a mentionné son père : de la crainte dissimulée sous un masque de respect. Et Hibari a parlé de quelque chose lors des interrogatoires. Quelque chose à propos de sa rencontre avec Benedikt en 2020, de ce qui lui avait donné envie de le protéger.
– Hibiki, dis-nous ce qu'il s'est passé, s'il te plaît. On a… il faut qu'on comprenne, la supplie Theodosia.
Hibiki se mord la lèvre, et frotte les traces de sang séché qui subsistent sous son nez. Elle hésite, ça se voit à la façon dont ses yeux glissent sur nous. Je suis pas sûr.e de vouloir l'entendre s'expliquer, moi. Parce que j'ai pas envie de regretter.
– Je veux garder de toi le souvenir d'une amie, déclare soudainement Altaïr. Et pour ça, j'ai besoin d'explications. Tu n'avais pas prévu de commettre ce meurtre, je me trompe ?
Sa voix reste toute aussi douce, lisse, sans imperfection que quelques secondes plus tôt, mais il est sincère. Sûrement.
Par contre, je capte rien de ce qu'il baragouine. Comment ça, elle n'avait pas prévu la mort de Benedikt ? Elle a donné une note, ça veut bien dire ce que ça veut dire… Non ?
Hibiki fixe Altaïr de ses yeux noirs vidés de tout désir de résistance, mais encore emplis des larmes qui se sont remises à couler à flots après le coup de Lan Yue. Elle déglutit, et s'essuie les yeux.
– Ok, comme vous voulez. Par contre, ça risque d'être long, hein. Vu que ça remonte à loin.
Elle renifle, et regarde le portrait de Benedikt, un peu plus loin.
– Son daron, là. Josef. Il avait prévu de créer une sorte de… dispositif, de machine qui servirait à implanter le Désespoir à l'intérieur de quelqu'un. Le Désespoir avec un grand D. Parce que ce putain de connard était persuadé que c'était ça qui faisait les Génies, donc il voulait pouvoir utiliser ce truc sur des humains. Sur ses propres gosses.
Ah. Ah d'accord. En fait, Josef Manninger-Semmelweis était un taré complet. Je frissonne en pensant à ce à quoi Benedikt a échappé en arrivant à Hope's peak.
Tout ça pour se faire buter deux ans plus tard.
Tu parles d'une vie.
Même Hibari et Judicaël, qui avaient l'air d'en savoir un rayon sur ce salaud, ont l'air sur le point de vomir leur petit-déjeuner. Non mais moi aussi les gars, moi aussi.
– Sauf que pour développer son truc là, il avait besoin d'ingénieurs pour concevoir la machine et de neurologues pour la transmission du Désespoir.
Hibiki laisse échapper un rire amer et saccadé, en reniflant à nouveau.
– Devinez quels métiers faisaient mes pères ?
Silence.
On devine tous la réponse.
Je crois entrevoir ce qu'il s'est passé ensuite et ça me plaît pas du tout.
– Ils ont refusé dès qu'ils ont entendu parler du projet, évidemment. Sauf que ce connard a pas trop kiffé et a décidé d'envoyer ses larbins pour me faire chier. Je savais rien, alors je les ai tous tabassés.
Elle fourre ses mains dans les poches de son short et regarde sur le côté.
– J'ai fini en prison à Vienne. Sans procès, sans rien. C'est ça, le pouvoir de ce genre de type. Il a forcé mes pères à venir travailler pour lui, en leur disant qu'il allait me tuer s'ils obéissaient pas. Alors ils sont venus. Parce qu'ils m'aimaient même si j'étais insupportable et que j'étais une petite conne impulsive qui méritait que ça, de crever.
Son rire résonne à la fin de chacune de ses phrases, haché, sans joie, une parodie de sanglot. Elle essaie de paraître détachée, mais ses mains tremblent à l'intérieur de ses poches.
– La prison, c'était un putain d'enfer. Ils m'avaient foutue dans le quartier des mecs. Je me faisais tabasser tous les jours, j'ai perdu la vue à mon œil gauche pendant plusieurs mois, j'avais un coquard gros comme ça. Si un tatoueur parmi les détenus m'avait pas prise sous son aile, je sais pas ce qui me serait arrivé. Je veux même pas y penser.
En effet, une ado seule au milieu de criminels, j'entrevois comment est-ce que ça aurait pu se finir. Hibiki passe une main au travers de la portion rasée de ses cheveux, le visage fermé. Bordel de merde. L'histoire est déjà assez horrible comme ça, mais c'est pas terminé, apparemment.
– Au bout de quelques mois on m'a foutu dans une pièce à l'écart. Mon père, l'ingénieur, il s'est révolté au bout de quelques mois de travail. Il avait rempli sa part du marché, alors il voulait me voir. Et l'autre connard l'a amené en personne jusqu'à la pièce.
On comprend vite qui elle désigne par "l'autre connard". Le père de Benedikt. Dans mon esprit, il se présente comme une espèce de longue silhouette obscure et sans visage, mais je vois dans les yeux de la Tatoueuse quelque chose qui me donne envie de lui rajouter un sourire démoniaque.
– J'avais jamais vu mon père aussi soulagé. Le premier truc qu'il a fait, c'est lâcher des insultes sur ceux qui m'avaient frappé. Après il m'a prise dans ses bras, il m'a promis qu'il allait me sortir de là, qu'on serait tous ensemble à la maison bientôt, et, et…
Le détachement dont elle avait fait preuve jusqu'à présent vole en éclats, les larmes lui sautent aux yeux et se remettent à couler.
– Et tout le sang m'a giclé dessus d'un coup. J'ai rien capté. La seconde d'après il était par terre, il m'avait glissé des bras, mes mains mon visage mes vêtements partout du sang, et lui, lui il se tenait là avec le putain de canon de son putain de pistolet et il a juste dit… il a juste dit qu'il n'avait plus besoin de lui, et il m'a laissé là avec le putain de cadavre de mon père comme si c'était un déchet…!
Ses sanglots envahissent tout l'espace maintenant, je les ressens jusque dans ma poitrine, la souffrance de cette fille obligée de revivre cette même scène encore et encore.
– Tu sais te servir d'un pistolet ?
– … Ouais. Mais je préfère pas.
Évidemment. Évidemment qu'elle ne voulait pas, son père s'est fait trouer la cervelle, il est mort dans ses bras.
Voilà pourquoi elle n'aurait jamais commis un tel crime de sang-froid. Hibari me jette un coup d'œil. Il a les mêmes pensées. Son regard, horrifié, revient vite vers la Tatoueuse en pleurs.
– Hibiki…
– Hagane, ferme ta gueule, j'en veux pas de ta pitié ! s'écrie-t-elle en essayant vainement de calmer le flot de ses larmes.
Au moins c'était clair. Hibari se stoppe net et la regarde avec toute l'impuissance du monde. Il voudrait l'aider, mais c'est trop tard.
À partir du moment où elle a pressé la détente, c'était trop tard.
– Et là, pendant la fête… Je reçois un mot qui me dit que Benedikt était le fils de cette foutue raclure de mes deux. J'étais bourrée, je savais pas ce que je faisais, je me souviens même pas avoir écrit ce mot, juste que j'ai donné un papier à quelqu'un en lui disant de l'apporter à Benedikt… Je crois que c'était l'autre en rouge, là.
Évidemment. Je ne me prive pas de fusiller Monoaku du regard, cette fois. Le pire c'est que techniquement, il n'outrepasse aucune règle vu qu'il a juste obéi à la requête d'Hibiki. Celle-ci relève la tête, son visage encore strié de larmes tourné vers Michiru.
– Je… Je lui ai jamais dit de te l'apporter. Je pensais qu'il l'amènerait direct, pas qu'il ferait ça ! Je voulais pas t'impliquer, Michiru, juré ! Je suis, je suis désolée…
Jamais je n'ai vu une expression aussi désemparée sur le visage de la Toxicologue. Elle finit par croiser les bras, comme pour réprimer l'instinct de réconfort qui lui vient devant cette gamine en pleurs.
– C'est pas tes excuses qui vont changer ce que t'as fait, mais si ça peut te faire te sentir mieux, je les accepte.
– Pas moi.
La voix de Lan Yue claque sèchement, et j'ai presque envie de dire que les excuses ne lui étaient de toute façon pas adressées, mais bon. Mieux vaut fermer sa gueule.
– Tu peux arrêter de tourner autour du pot, Hibiki ? On sait toujours pas pourquoi t'as fini par le buter, pour info.
La concernée renifle et tente de se recomposer, mais elle s'est déjà à moitié effondrée. La seule chose qui la maintient debout, c'est un misérable reste de fierté.
– J-Je sais même pas pourquoi ça s'est passé comme ça… Je crois que je lui ai balancé des reproches, et puis il a commencé à crier, moi aussi, j'ai essayé de le frapper alors il… il a tiré en l'air. J'ai tapé sa main, j'ai flippé, je hais les pistolets, je les hais, et je crois que c'est là que j'ai commencé à le frapper plusieurs fois, je sais plus… J'ai arrêté quand, quand j'ai entendu ses os craquer. J'ai eu peur, alors j'ai commencé à partir et il… il a dit…
Elle secoue vigoureusement la tête, les yeux dans le vague, en train de revivre la scène comme si elle avait eu lieu deux minutes plus tôt.
– Non, je peux pas, je peux pas continuer, je-
– Dans ce cas, on va le faire pour toi.
La voix joyeuse, déplacée de Monoaku nous prend tous de court, et je détourne mes yeux d'Hibiki juste à temps pour voir Chirurgienne appuyer sur sa tablette.
Une voix familière résonne soudain dans les enceintes, Lan Yue et Judicaël blêmissent, Eiji grimace, Hibiki écarquille les yeux. Mes entrailles se tordent douloureusement.
La voix de Benedikt.
– T… Tu penses vraiment pouvoir t'en aller comme ça ?!
Sa respiration est lourde, hachée par la douleur, et sa voix remplie de peur et d'indignation.
Je sais ce qu'il va se passer.
– Hein ?
La voix, tremblante, lointaine, d'Hibiki.
Je sais que cet enregistrement appartient au passé, mais je sens l'angoisse me gagner, comme si je pouvais y changer quelque chose.
Non.
Benedikt, tais-toi.
– Mon père… Il ne te laissera pas t'en tirer aussi facilement ! Il te remettra en prison, l-là où tu aurais dû pourrir !
– … C-C'est pas vrai. T'essaies de m'intimider, c'est sûr…
Benedikt a dit toutes ces horreurs sous le coup de la peur, je le sais. Mais bordel, il a loupé une belle occasion de se taire. La voix d'Hibiki est déjà fébrile, mais il continue.
Il continue, cet abruti.
– Pas du tout ! Dès que je serais sorti d'ici, il fera en sorte que tu ne revoies plus jamais la lumière du jour, tu entends ??
La Hibiki du présent, celle qui se tient de l'autre côté du cercle, a plaqué ses mains sur ses oreilles, ses iris noirs teintés d'une terreur innommable. Mais Monokuma n'arrête pas l'enregistrement.
– F-Ferme-la…
– Tu n'aurais pas dû t'en prendre à moi ! Je n'ai rien fait, moi, c'est toujours les gens comme toi qui s'en prennent aux autres… Vous n'êtes rien que de la vermine qui infeste la société et qui devrait fermenter sous les barr-
– FERME-LA !!
Quelque chose se brise.
Le cri est si fort que les enceintes se mettent à siffler.
Le bruit d'une respiration erratique, entrecoupée de sanglots, le son d'un cliquetis. Une tentative de protestation de la part du tailleur de pierre.
– Ta gueule ta gueule ta gueule ta gueule TA GUEULE TA GUEULE !!
Une première détonation
Puis une autre
Et encore une autre
Et deux autres encore.
Puis, clic.
Le bruit d'une détente qu'on continue de presser en vain.
Clic clic clic clic clic clic clic clic….
Et puis tout s'arrête
Et puis un silence incrédule
Et puis la respiration qui s'accélère
Et puis un "Non" à peine exhalé
Et puis l'enregistrement se coupe.
Il ne reste plus rien.
À part cette fille qui pleure en silence, debout au milieu des regards, le visage recouvert de ses mains.
– M-Me regardez pas comme ça ! À ma place, v-vous auriez fait la même chose ! Prétendez pas être meilleurs que moi, je…
Les larmes coulent entre ses doigts, les mots lui échappent avec. Je voudrais pouvoir dire que non, je n'aurais pas fait ça. Mais je n'en sais rien. C'est ça le pire.
– Je… Je voulais juste… Qu'il la ferme…
Son gémissement pathétique, sa dernière tentative de se défendre ne reçoit aucune réponse. Tout le monde fixe le sol. Ce qu'on vient d'entendre est de l'ordre du cauchemar. Mais je sais que même si je me pince, rien ne changera.
C'est foutu.
On ne s'échappera jamais d'ici.
– Vous avez fini la minute émotion, c'est bon ? On peut passer à l'exécution ?
Les mots de Monokuma me saisissent à la gorge pour mieux me frapper en plein dans l'estomac. Un mot, surtout.
L'exécution.
L'exécution.
– A-Attendez, l'interrompt Lan Yue, livide. Vous pouvez pas lui laisser un peu plus de temps ?!
Monokuma ne lui accorde même pas un regard. Son œil écarlate est perdu sur sa tablette.
– Mais bien sûr. Je vais lui laisser une minute, pis une autre, et on sera toujours là demain. Non, vous avez eu assez de temps comme ça.
(Time to put this music on :D)
Ses doigts sans grâce bougent au-dessus de l'écran, et le pupitre d'Hibiki se met à vibrer. Dans ses yeux rougis, un bref éclair de compréhension, de panique. Elle retire ses mains de son visage, et se penche au-dessus de son pupitre comme une passagère du Titanic à qui on a refusé l'accès aux canots de sauvetage.
– Callaghan !!
Je sursaute. Elle vient de crier en arabe. Dans ma direction.
Non.
Non, tais-toi.
Je ne veux pas t'entendre.
Appelle quelqu'un d'autre. Pas moi. Tout le monde sauf moi.
– Si je survis pas, tu dois me promettre un truc, ok ?!
"Si" ? Mais il n'y a pas de "si" ! Tu vas crever aujourd'hui, pauvre conne !! Je peux pas juste collecter tes dernières volontés comme ça, tu me prends pour qui ?!
– Je veux que tu veilles sur Tritri, je veux que tu lui apprennes l'anglais, t'entends ?! T'es lae seul.e à qui je peux demander ça !
Ses cris désespérés me donnent envie de disparaître dans le sol, pour qu'elle ne me voie plus, qu'elle arrête de chercher mon aide.
Je suis pas prof, bordel. Et puis tu m'as bien regardé ? Je sais pas prendre soin des gens. Je sais même pas prendre soin de moi-même.
– Jure-le, Callaghan !! Jure que tu le feras !
Mes lèvres sont serrées entre elles. Non. Je ne ferai pas de promesses que je ne peux pas tenir. Je ne ferai pas de promesses à une meurtrière, aussi pathétique soit-elle. Je…
– Mika-
Un claquement.
Le sol s'ouvre sous ses pieds et emporte ses mots dans un cri qui disparaît dans les ténèbres.
Je serre mon pantalon dans ma main. Elle tremble. Pourquoi elle tremble ? Je m'en fous de sa requête à la con. Je m'en fous de ne pas y avoir répondu.
Je m'en fous.
Des murs.
Des murs de plexiglas aussi clair que du verre s'élèvent devant nos pupitres, isolant le centre du cercle de l'extérieur.
Une lumière aveuglante me perce la rétine, et nous nous cachons tous les yeux dans un même mouvement. Les écrans géants viennent tous de s'allumer en même temps, et alors que le sol au milieu du cercle s'ouvre lentement, des lettres apparaissent dessus.
Tatoue-moi
Exécution d'Hibiki Hibikaze, ultime Tatoueuse
(TW représentation graphique de sang et matériel médical, aiguille)
Du puits sans fond qui vient de s'ouvrir dans le sol, émerge Hibiki, sur un fauteuil en cuir. Ses chevilles, son cou, sa main gauche, tout est enserré par des liens. Seul son bras droit est laissé libre, avec dessus ce qui ressemble étrangement à un cathéter. À sa droite, une tablette sur laquelle sont alignés proprement de multiples instruments. Aiguilles, encre, cotons, tout est là. Hibiki regarde ces instruments avec une peur palpable, le visage livide et les yeux encore bouffis par les pleurs. Rien à voir avec l'excitation ressentie lors de l'ouverture de son laboratoire. Ces objets familiers ne signifient plus qu'une seule chose, la mort.
– Tu as un temps limité pour reproduire sur ton avant-bras gauche le motif indiqué sur le papier devant toi, explique la voix de Monokuma dans les enceintes. Si tu manques d'encre, appuie sur le bouton rouge sur ton accoudoir droit. C'est tout.
Une autre de ses toux résonne dans la salle, amplifiée par les enceintes. Hibiki jette un œil au motif, et devient encore plus pâle que ce qu'elle n'était déjà. Elle se débat, mais les liens l'empêchent de bouger et impossible de les arracher, peu importe à quel point elle tire.
– Sur ce, je déclare l'exécution ouverte.
Un buzzer retentit, et le compte à rebours s'enclenche. Les chiffres se brouillent devant mes yeux. Je ne distingue plus qu'une seule chose, Hibiki, l'aiguille qu'elle saisit dans sa main tremblante, et la rage de vivre dans ses yeux brillants. Elle inspire, et après un bref nettoyage de sa peau, y pose l'aiguille.
Immédiatement son expression se crispe, et sa mâchoire se serre sous la douleur. Mais elle ne retire pas l'aiguille. Elle continue, d'un geste précis.
Mais s'arrête à peine quelques minutes plus tard. Vérifie les instruments, blêmit.
Plus d'encre. Elle appuie sur le bouton.
Rien ne se passe.
Alors elle recommence plusieurs fois de suite, le visage teinté d'un mélange de panique et d'agacement.
Ses yeux s'écarquillent.
Du sang glisse comme un serpent dans le tuyau transparent du cathéter, et arrive jusqu'au bout de son aiguille, au compte-gouttes.
Mon cœur rate un battement.
L'encre…
L'encre est son propre sang.
Et le processus de transformation prend du temps. Beaucoup trop de temps.
Elle hésite, et je peux voir sa respiration, si difficile et lourde qu'on pourrait la toucher.
Mais pas une seule fois je ne peux distinguer la résignation dans ses yeux.
Elle veut vivre.
Peu importe si elle doit en mourir.
Elle trace le motif sur sa peau, désespérément, et appuie, de plus en plus frénétiquement, dès que l'encre commence à manquer. Son visage porte toute la douleur et l'épuisement du monde, ses yeux ne voient plus rien ni personne, ils ne font que revivre des scènes d'une horreur que nous ne pourrons jamais imaginer.
Et pourtant elle continue.
Tracer, appuyer, tracer, appuyer, tracer, appuyer.
Combien de temps dure ce cycle infernal ? Je ne sais plus. Le temps se dissout dans la lumière des écrans. Tout ce que je peux voir, c'est ses gestes qui ralentissent. Son souffle de plus en plus pénible. Son visage de plus en plus pâle.
Le sang de plus en plus rare.
Plusieurs fois elle semble sur le point de perdre connaissance, de tout lâcher. Mais elle continue, inlassablement.
Je sais qu'il n'y a plus d'espoir.
Mais j'ai envie qu'elle y arrive.
Elle pose l'aiguille, s'essuie le front, tousse. Appuie sur le bouton, sans réelle force. Son regard est trouble, elle ne voit plus ce qu'elle fait. Ses gestes semblent tous être le résultat d'un guidage automatique.
Allez.
Dépêche-toi.
Il faut que tu termines vite…
Sa respiration siffle, maintenant. Sa poitrine, comme écrasée par du plomb, se soulève à peine. Sa main, secouée de spasmes, appuie de nouveau sur ce foutu bouton de malheur.
Le sang gicle.
Du cathéter. De sa bouche. Roule le long de son menton. Sa main, dans un ultime sursaut, attrape l'aiguille. L'amène vers son avant-bras.
Mais elle ne peut même plus la bouger.
Son dos s'affaisse contre le dossier.
Sa main lâche son instrument.
Ses yeux, brièvement écarquillés d'horreur, roulent en arrière.
Elle semble fixer le plafond, à la recherche du ciel. Sa bouche s'entrouvre, pour faire un vœu à une quelconque étoile filante invisible, une prière à Dieu peut-être.
Mais Dieu est mort.
Un dernier spasme désespéré
Et ce qui restait de vie dans les yeux d'Hibiki Hibikaze s'éteint.
Le compte à rebours disparaît, révèle un motif de barreaux de prison.
Son dernier tatouage.
Les écrans affichent tous les deux mêmes mots.
Game over.
Hibiki a perdu.
Perdu au jeu où l'on a qu'une vie.
Il ne reste plus rien d'elle
Il ne reste plus rien dans ses yeux
Il ne reste plus rien dans ma tête
Plus rien d'autre
Que du vide et du rouge.
______
Welp.
La vie c'est du pain.
La douleur que ça a été d'écrire ce chapitre :')
Mais bon, Hibiki nous rejoindra dans les notes d'auteur et je crois qu'un certain tailleur de pierre a deux mots à lui dire, hmm ?
Benedikt : Oh que oui.
Bon je vous laisse vous expliquer entre vous hein-
La prochaine partie arrive vendredi, et avec elle le vote des FTE~
Sur ce dites-moi ce que vous en avez pensé et portez vous bien !
- Noa
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