Chapitre III (5) - Ainsi font, font, font les petites marionnettes
TW mention de sexe
***********************************************************************
— Coucou, toi...
Akimune écarte doucement les cheveux de mon visage. Je m'assois sur mon lit, m'étire avant de bâiller avec la grâce qui me caractérise.
— Tu m'as regardée dormir ? dis-je avec un sourire.
— Nan, j'ai amené le p'tit-déj, vu qu'il est bien 10 heures et demi et que je m'inquiétais pour toi. Mais je vois que t'as passé la nuit en bonne compagnie...
Il fait une pichenette à Eugénie qui somnole à côté de moi. Enfin, somnolait, maintenant elle marmonne des jurons en français, puis se tourne vers le mur du chalet. Le rouge me monte aux joues, mon cœur s'affole, ma gorge se serre.
— C'est... c'est pas ce que tu crois ! m'écrié-je.
— Ch-ch-ch. On en avait parlé avec Eugénie, puis j'ai eu une conversation ce matin avec Tahel aussi, t'en fais pas Nhan.
Sa main trouve la mienne, et la prend avec douceur.
— Je t'aime, et je sais que tu m'aimes. Je te fais confiance, Nhan, pour me dire quand tu m'aimeras plus. En attendant, je sais aussi que c'est pas parce que tu aimes aussi quelqu'un d'autre que tu ne m'aimes plus. T'es libre de toi-même, sourit-il. C'est pas car je suis très exclusif dans ma manière d'aimer que toi aussi tu es obligée d'être coincée avec juste moi.
Il dépose un baiser sur ma joue.
— Mais à l'avenir, glisse-t-il, j'aimerais l'apprendre de ta part, pas avoir une rumeur de LaToya et la confirmation par Tahel, hm ?
— Je savais pas... comment te le dire...
— Hey, c'est pas grave, maintenant je sais, c'est juste à l'avenir !
Je baisse les yeux, serre les dents.
— T'as pas à t'en vouloir, c'est pas grave...
— Bah trop tard, répliqué-je sur un ton sec.
— Nhan...
Je le repousse alors qu'il essaie de me faire un câlin. Nos regards se croisent. Je lis dans ses yeux l'incompréhension, la peine, et ça me retourne le ventre.
— Pars. S'il-te-plaît. Pars.
— Nhan...
— PARS !
Un grognement d'Eugénie ponctue ma phrase. Elle tire la couette à elle. Akimune et moi échangeons un dernier regard, avant qu'il baisse les épaules, soupire, et tourne les talons. Son absence m'envole alors qu'il ferme la porte derrière lui.
Tu es affreuse. Tu vois comme tu lui fais du mal ? Connasse. Il ne va plus t'aimer.
Arrête...
Tu sais que j'ai raison. Tu le sais. Tu n'es pas capable d'être heureuse et de ne blesser personne.
— Pourquoi ça gueule dès le matin...
J'attrape mes manchons, mes prothèses, et me sors du lit sans rien lui répondre. Eugénie se défait de la couette, et si la voir en string m'a retourné la tête hier soir, ce matin sa maigreur me rappelle mes rondeurs et me donne la nausée. Je lui jette sa robe, du beau tissu blanc avec des motifs flashy, ça a dû coûter une fortune et ça me dégoûte, ça me dégoûte car ça pourrait être un vêtement de poupée et elle y nage dedans.
Hier soir, elle s'est déshabillée, et la sentir en sous-vêtement contre moi, à m'embrasser, à me caresser, m'a enflammée. Le crucifix entre ses seins était une vision particulièrement lancinante, je n'ai pas pu m'empêcher de l'embrasser à cet endroit, là où la croix a un peu marqué la peau, mais... Hier soir, j'ai pris peur, elle s'est écartée avant de s'allonger à côté de moi, elle m'a dit qu'elle était née à Perpignan, dans le sud de la France, qu'elle voudrait y retourner « pour voir ». Je lui parle de Hong Gai, enfin la ville s'appelle Hạ Long, Hong Gai n'étant qu'un quartier, celui de la famille de ma mère. Que j'y étais allée plusieurs fois, voir mes cousins vietnamiens. Elle a proposé qu'on y aille ensemble, après cet enfer. J'ai pris sa main, elle s'est blottie contre moi, et nous nous sommes endormies.
Ce matin, j'abhorre sa simple vue.
— Tu me vires aussi ? soupire-t-elle en se recoiffant avec mon peigne. Ouh là, t'es mal levée. Si on avait couché ensemble t'aurais été plus détendue.
— Ta gueule, Eugénie. J'ai déjà gueulé sur mon copain, je veux pas m'en rajouter.
Elle lève les yeux au ciel, avant d'enfiler sa robe.
— Tu sais, Nhan, je me permets de te le dire...
Elle va chercher ses sandales.
— Tu vis les trucs de manière intense, je le comprends, moi aussi je fonctionne comme ça. Et c'est chiant, on est bien d'accord. Mais ça nous donne pas le droit d'être de parfaits connards, lance-t-elle en attrapant ses chaussures. Oh, elles sont là !
Elle les enfile, et resserre les sangles.
— La majorité du temps t'es adorable, mais dès que ça va pas dans ton sens, ou dès que tu te sens menacée, ou embarrassée, ou quoi que ce soit, tu deviens imbuvable. D'accord, les hormones, très bien, mais c'est pas une excuse. Alors arrête de casser les couilles, tu veux ?
Elle m'accorde un sourire édenté, avant de sortir en claquant la porte et me laisser seule. Les larmes ne tardent pas, et m'étranglent, tombent sur mes draps alors que je me vautre dans mon lit, à serrer mon oreiller contre moi. Mon ventre se tord. J'ai envie de vomir. J'ai mal, j'ai mal, j'ai mal !
J'ai mal...
Mais évidemment, dans cette putain de vie, on peut pas se morfondre en paix, Seung-Il tape à mon carreau avec un grand sourire, avec Tahel et Akissi derrière. Voilà ce qui me faut pour me sentir encore plus minable ! Je m'habille en vitesse, la première robe qui me passe sous la main, et sors pour venir à leur rencontre.
— Quoi ?
J'ai dit que j'y allais, pas que je serais aimable.
— Ouh là, j'en connais une qui a mal dormi, sourit Seung-Il sur un ton beaucoup trop heureux pour un mec qui est en manque d'antidépresseurs. Je fais un film avec tout le monde sur notre expérience, et donc... J'ai besoin de toi !
— Et je peux refuser ?
— Ahah, je te le déconseille, s'esclaffe-t-il. Ma chère Tahel peut confirmer que je suis un réalisateur extrêmement pénible et que c'est encore pire quand on me laisse pas faire ce que je veux dans mes films.
Je lève les yeux au ciel, je croise les doigts, et je soupire.
— Laisse-moi au moins prendre un petit-déj, ok ?
— Nous te suivons !
Le voilà qui dégaine son caméscope et me le fout dans la gueule. Wow, je ne pensais être plus irritée que je ne l'étais déjà, mais il réussit à me mettre sur les nerfs comme personne aujourd'hui, le Californien.
— T'es obligé de filmer ?
— Oui, lance-t-il avec un grand sourire.
Je croise le regard d'Akissi qui me fait comprendre que j'ai trop besoin d'énergie pour en gaspiller à me battre contre lui. Un soupir agacé m'échappe, et je me mets en route vers le réfectoire pour me sustenter, les trois mousquetaires sur mes talons entre Seung-Il et sa caméra, Tahel et sa perche, Akissi et son singe qui galope derrière elle.
Je pousse la porte.
Je pousse la porte sur une scène infâme. Voici le tableau d'un désastre :
ARSINOÉ, ERNESTO, EUGENIE, HAYAT, LATOYA, MONOKUMA
La scène est dans le mess.
Arsinoé regarde dans le vide, assise à table seule, un bol renversé devant elle. Le lait goûte de la table, jusqu'à ses genoux, et se répand par terre. Elle ne réagit pas à la scène devant elle, elle est comme anesthésiée et ses yeux de merlan fris la présente comme un témoin absent de ce qui se déroule sur le plateau.
Hayat tremble dans un coin, derrière une table retournée, prostrée, couverte de saletés. Elle est recroquevillée, elle a les mains sur la tête, et elle est sans doute tombée de son banc.
LaToya nous remarque, et court vers nous, en larmes, incapable de formuler une phrase cohérente. Elle a pris un coup, peut-être plusieurs, elle a un bleu sous l'œil, et vient se réfugier entre les bras de Seung-Il après que celui a bien pu filmer sa blessure à travers son objectif indécent.
Eugénie crie, appuyée contre un mur. Ce n'est plus la femme pleine d'orgueil qui a quitté mon chalet, on dirait une petite fille terrifiée. Du sang coule de son nez et a taché la robe blanche.
Voici enfin nos deux personnages principaux. Ernesto, au sol, tente de protéger son visage avec ses avant-bras. C'est terrible, on a l'impression qu'il a l'habitude de ce genre de situation, il ne panique pas le moins du monde. Monokuma quant à lui le maintient par terre en appuyant son genou sur la cage thoracique, et le frappe à coups de poings.
Bordel mais qu'est-ce qu'il s'est passé ici entre le moment où Eugénie s'est barrée et le moment présent ?
— HEY ! hurle Seung-Il en tenant contre lui la pauvre petite animatrice radio en sanglots.
C'est l'instant fatal où la machine infernale s'emballe. Monokuma est surpris par ce cri, et cherche d'où il peut provenir. Comme la pression sur sa poitrine se relâche, Ernesto réagit au quart de tour, et lui balance un uppercut, du côté de son œil blanc. Monokuma n'a rien fait pour le contrer, et se prend toute la puissance de l'impact sans pouvoir lutter. Ce coup le repousse, et permet à Ernesto de se libérer.
— La dernière qui a fait ça l'a bien regretté, dit-il avec un petit ricanement discordant.
— Je ne suis pas Wen Xiang Monogatari.
Il se frotte la joue, et tourne la tête vers le Colombien. Il le gifle.
— En effet, p'tit con, t'es pas elle, crache-t-il. Elle avait au moins la décence de la fermer de temps en temps, mais toi tu joues avec mes nerfs depuis le début. Je sais pas ce qui me retient de t'exploser ici, devant tout ce petit monde, pour l'exemple.
— Les putain de règles que ta putain de bande de terroristes a mises en place pour vos tueries, réplique Ernesto en portant la main à sa pommette. T'as pas envie que le Pontife te reproche une bavure.
— Tu vas calmer tes ardeurs de suite, rétorque-t-il en braquant sur son ventre un pistolet.
Ernesto blêmit. À Eugénie de fondre en larmes, et de se précipiter vers l'homme, de se jeter à ses pieds, de s'humilier de la sorte. Ce revolver, c'est celui qui a tué Stefan.
— Laisse-le... Laisse-le tranquille, i-il a rien f-fait, il a rien fait d-de mal, balbutie-t-elle en s'accrochant à son pantalon. J-je ferai tout ce que t-tu veux ! Tout !
Tahel lâche la perche, et court s'interposer entre l'arme et Ernesto.
— T'as pas le droit de tuer un innocent, crie-t-elle alors que sa voix tremble. Arrête ! Laisse-nous tranquille ! Tu as déjà ce que tu veux, c'est nous rendre tous fous ! Arrête !
Des pleurs l'étouffent. La physionomie de l'homme se radoucit, et il tapote doucement la tête de la jeune fille blonde. Un grand sourire lui barre le visage maintenant.
— Roh la la, que c'est dramatique à cet âge. Entre un qui se précipite vers la demoiselle en détresse qui se fout dans la merde toute seule, l'autre qui veut aider son chevalier servant, et la dernière qui joue à l'héroïne de la situation... Rah, les kids, vous me fatiguez.
Il range son flingue, avant de se saisir d'une balle rebondissante et de la jeter au front d'Arsinoé.
— La bonniche, tu me nettoies tout ça, je veux pouvoir me voir dedans. Compris ?
Un sursaut de révolte l'agite, mais elle le réprime. Elle ne fait qu'opiner du chef, puis se lève pour aller chercher balai, seau et serpillière.
— Allez, arrêtez un peu votre mélodrame et faites des trucs intéressants pour une fois. Que je ne sois plus obligé de créer moi-même les trucs intéressants, soupire-t-il. On a perdu les meilleurs dès le début, c'est vrai quoi, Lutz, enfin David, face à sa sœur qu'il a violé, mise enceinte même, ça, ça aurait été drôle.
Tahel se fige. L'homme lui écarte sa franche, et se penche vers elle.
— Regarde-moi comme il te disait de le regarder, lui souffle-t-il.
— ARRÊTE !
Seung-Il jette sa caméra à Akissi avant de filer au secours de sa petite-amie. Tahel lui tombe littéralement dans les bras.
— Dramatiques, comme je disais, confirme-t-il redressant son dos. Sur ce...
Monokuma quitte le plateau, d'une démarche nonchalante, laissant derrière lui le chaos et la déroute qu'il a lui même instigués.
Seung-Il frotte le dos d'une Tahel qui ne respire plus et qui s'accroche à ses épaules. Ernesto aide Eugénie à se lever. Le claquement que la caméra nous indique qu'Akissi a fini de filmer. LaToya ravale ce qui lui reste de larmes et court à l'assistance d'Arsinoé, et je vais, bon gré mal gré, voir Hayat.
— Hey.
Elle ne me répond pas. Je bouge la main devant ses yeux. Aucune réaction. Je claque des doigts. Elle ne réagit pas.
— Hé oh.
— Laisse tomber, Nhan, dit Ernesto de derrière moi, encore fébrile. Le mieux que tu puisses faire c'est la laisser tranquille, elle a besoin d'espace.
Je m'écarte aussitôt, puis le rejoins.
— T'es un grand malade.
— J'allais pas permettre que Monokuma casse en deux Eugénie. Elle a trop tapé là où ça fait mal, il allait la tuer, marmonne-t-il.
— Même. T'es un grand malade.
— Il ne me tuera pas. Il ne peut pas.
Il répond à mon regard perplexe par un sourire énigmatique.
— ...Joli coup, sinon, commenté-je puisqu'il n'est pas prêt de répondre de ses insinuations.
— J'ai pas grandi dans un coin facile, fallait se défendre, explique-t-il. Puis il est pas si difficile à toucher.
— Comment ça ?
Nouveau sourire.
— Il est aveugle d'un œil.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top