Chapitre III (1) - Je voudrais que la rose fût encore au rosier.
TW : mention d'auto-mutilation, viol, avortement, inceste
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« C'est à Lutz. »
Une montre qui brille
Trouvée par hasard
Laissée chez moi
Nausée.
Réveil.
Le soleil est haut j'ai mal
Aux yeux.
Quelqu'un est là
Des jours depuis la Chute
Des jours
Une semaine peut-être plus
et je veux
Oublier.
Oublier.
Je ne peux pas
Oublier.
Les yeux fermés
« Violeur »
La brise de mai
Bris de verre
Cri d'Arsinoé
Tout se mélange comme plusieurs films superposés.
Tout est clair.
Tout est trouble.
J'ai mal
Donc j'ai coupé
Pour avoir mal dehors
Pas dedans.
Partout partout ça a giclé.
Coupé plusieurs fois.
Sans réfléchir.
Oublié combien.
J'ai peur de l'oubli.
Pas normal.
J'ai bu
De la tisane.
Quand Tahel m'a trouvée.
Elle a bandé sans poser de question.
La seule chose posée
C'est ma tête sur son épaule.
Les yeux fermés.
« La montre de David. »
Ton sec
Constat amer
La montre est belle pourtant.
Précision d'orfèvre.
C'était un orfèvre
Un artiste
Et un monstre.
Montre cassée d'un coup de marteau comme il a écrasé son innocence.
Il est pour toujours 4 heures 48.
Détruire les traces.
Elle en a sur les bras
Sur la longueur.
« Plus efficace. »
Sourire aux larmes.
« Mais mon père m'a trouvée. J'ai expliqué quand nous sommes rentrés de l'hôpital. »
Un face-à-face, il nie tout, c'est donc une menteuse.
Un bout de chocolat.
Elle reste la nuit
Elle ne dort pas
Elle guette.
À 4 heures 48 ses yeux sont grands ouverts.
Et mes larmes coulent
À l'ombre de nos morts
J'ai envie de prendre un ruban, l'accrocher à un arbre, y nouer mon cou.
Elle mélange les médicaments
Son traitement habituel
Elle arrive au bout
Donc ça l'angoisse
Et elle double la dose d'anxiolytiques.
Sa tête sur mon épaule.
Elle crie dans le vide
Le silence le plus complet
Tahel n'a jamais cessé de crier.
Du bout des lèvres
Sur les miennes
Elle confie qu'elle n'est jamais sortie
de sa chambre.
Et qu'elle pense qu'elle n'en sortira
jamais.
Mais qu'on s'y fait.
Qu'elle reste en colère
Qu'elle sera toujours en colère
Même s'il est mort.
Que ce qui la met le plus en colère, c'est la mort de Stefan.
Qu'elle aurait préféré mourir à sa place.
Des larmes sur mes joues
Mon cœur qui se serre
Je ne veux pas.
Mes lèvres
Sur les siennes
Pour faire taire
Les horreurs
dans sa tête.
Je l'aime.
Je le sais maintenant.
Que j'aime au pluriel.
Elle est toujours enfermée dans sa chambre
Elle laisse échapper un sanglot.
« Je
Suis
Une tueuse. »
Elle avait quatorze ans
et n'avait rien pour se protéger.
Et elle était une menteuse.
Un mois sans
sans
sans
sans
sans
sans
le sang.
Elle devait passer le Te'udat Bagrut
finir le lycée, le meilleur lycée de Tel-Aviv
où elle était la chouchoute du prof de maths et du prof de sciences.
Petite tête blonde avec un appareil dentaire
Au milieu des lycéens déjà adultes
Elle était une sorte de mascotte
Tout le monde connaissant la petite Tahel Bensoussan qui allait, à l'avis général, avoir son diplôme avec les meilleurs résultats possibles, la petite major de promotion qui était dans la lignée
La droite lignée
de
de
de
David.
Elle devait passer le Te'udat Bagrut.
Elle a fait sauter le cours d'Hébreu car elle n'y tenait plus.
Les
trois
minutes
Cent
quatre-vingts
secondes
Deux
Cents
bpm
et d'innombrables larmes
Le moment le plus long de toute sa vie.
Et le pire est advenu.
Une camarade l'a trouvée en sanglotant.
« Elle s'appelle Romi. »
Sa voisine de classe en Histoire.
Elles sont allées ensemble parler à l'infirmière.
La machine était lancée
C'était une machine infernale
Mais elles ne le savaient pas
Comment
Deux gamines
Pouvaient-elles savoir
Que pouvaient-elles savoir
de la cruauté
du monde ?
« L'infirmière a été merveilleuse. »
Un sourire allume un visage mort.
« Madame Rozenblum »
Ses yeux noisette se tournent vers les miens
« Un ange. »
Un ange.
Madame Rozenblum portait le tichel
Et une étoile
de
de
de
de
de
David
autour du cou.
« J'ai fini par l'appeler Déborah. »
Et elle en était amoureuse.
Très amoureuse.
Car Déborah était un ange.
Mais pour avoir aidé une élève
à avorter
à porter plainte
Déborah avait dû démissionner.
À 4 heures 48, elle arrête de respirer.
Les battements de cœur qu'on l'avait forcée à écouter résonnent dans sa tête.
Ils résonnent pour toujours dans la chambre.
« Je
suis
une tueuse. »
Non, Tahel.
Tu avais quatorze ans.
Ce ne sont que des mots
Du père
De la mère
Du grand-père
qui t'a pourtant ouvert sa maison.
Elle a passé le Te'udat Bagrut
Puis elle est partie.
Elle garde le silence
Qui cache les cris.
Elle ne peut pas tout dire et je ne peux pas tout entendre.
L'accident
Sans savoir pourquoi
il fallait parler de l'accident
moi j'avais treize ans.
Un accident de voiture
C'était banal
Et pas si dramatique.
Ma grand-mère conduisait
On revenait des courses
Vacances au Wyoming
Juillet 2018
Chez des cousins
Un grand lac
Des arbres et des champs
Mary venait de naître.
Maman venait de sortir de la maternité et c'était revenu cher, heureusement que l'assurance couvrait une partie des frais.
Il y avait ma grand-mère
Ma cousine Imogen qui jouait à Pokémon sur la banquette arrière
Mon cousin Asher qui proposait des recettes
et moi à la place du mort.
Un moment de malchance.
Je suis la seule victime.
Mamie a quelques contusions
Imogen sanglote, elle a six ans après tout
Asher hurle
et moi je me réveille à l'hôpital dix jours plus tard.
Ma mère tenait ma main
et Mary m'a rencontrée comme ça
Mon père a traîné en justice l'autre conducteur
c'est lui qui a payé mes frais.
J'ai fait peur à tout le monde.
Imogen ne veut plus monter en voiture depuis trois ans.
Comme ses parents ont une ferme, elle va à l'école à cheval.
« Je ne me rappelle pas de l'accident »
Juste de l'impact
puis d'avoir dormi.
Sa main dans mes cheveux
Et des mots
de compassion.
À 4 heures 48 nous nous regardons comme deux idiotes
Qui rient
Qui pleurent
Et qui s'enlacent
Et s'embrassent
Et oublient que
le monde existe.
Le flot de la conscience nous relie
Comme
Dans un de ces bouquins
Que je n'ai pas lus
Qui parlent du monde d'avant.
Deux êtres en un seul
Une confession sur les lèvres
Une confession aux doigts entrelacés.
« Plus rien ne fait sens ».
Ton front contre le mien.
Elle ramasse les éclats de la montre.
Un cadeau
Une montre qu'il avait eu en entrant au lycée
Car il avait toujours été passionné d'horlogerie.
Montre mécanique à gousset
Il l'avait démontée pour apprendre à ses sœurs le fonctionnement.
L'un des derniers
souvenirs
heureux
D'un frère mort
Qui n'a peut-être jamais existé.
Car il était rentré très jeune au lycée
Onze ans à peine
Il était un garçon joyeux et doux
Taquin
Vif
Et elle avait neuf ans
Et ils étaient inséparables
Comme un frère et une sœur surdoués
Qui n'avaient été que tous les deux.
Deux enfants étranges
qui se comprenaient.
C'étaient eux contre le monde.
Ils avaient d'office exclu leur petite sœur
Rebekah
Elle avait sept ans
c'était une petite fille normale.
Même si les parents adoraient leur fils
car c'était le garçon de la famille
Rebekah était la préférée.
Tahel et lui faisaient passer les adultes pour des idiots et c'était un comportement bien détestable pour de si jeunes personnes.
Duo infernal
Elle en a les larmes aux yeux
« Le bon vieux temps. »
Bien sûr que donner naissance à des petits génies
Avait quelque chose de gratifiant
Pour ce couple sans histoire
à la vie morne
Mais nul parent
n'a le mode d'emploi
pour les enfants
Différents.
Car les Bensoussan étaient cultivés
Et les enfants nourrissaient leur neurones avides
Mais pour des parents
Tout membres de la petite bourgeoisie intellectuelle qu'ils sont
Un fils qui ne rit ni ne pleure
Une fille qui ne supporte pas qu'on perturbe son ordre bien à elle
Des enfants qui comprennent la théorie quantique
Mais pas le concept d'ami
ou d'émotion
ou d'humiliation
et qui dans ces situations
font des crises
C'est incompréhensible.
« On avait des imagiers chez le pédopyschiatre ».
Ils ont appris que ce qui pouvait bouillonner
dedans
C'était normal.
Que rire et pleurer
C'était une fatigue nécessaire.
Qu'il fallait parfois accepter
Le chaos des autres.
Qu'ils ne seraient pas toujours ensemble
Donc qu'ils avaient besoin des autres.
Qu'être la personne la plus intelligente de la pièce
Parfois
Parce qu'elle existe en étant elle-même
Insulte la personne la plus stupide.
Qu'ils étaient différents
Mais ni inférieurs
Ni supérieurs
Et qu'ils avaient d'autres besoins.
Que l'on pouvait gérer les crises
Et qu'elles n'étaient pas une fatalité
Et que ce n'était pas des caprices
Pas de leur faute.
Que c'était à eux de s'adapter
Et que ça allait être difficile
Fatiguant
Harassant
Mais un mal nécessaire
Pour survivre dans la société.
Rire amer.
« J'ai refusé de m'adapter ».
J'avais arrêté d'aller à l'école
Car je ne voulais pas
M'adapter.
Je ne voulais pas m'adapter
À des gens qui ne me respectaient pas
À des gens qui ne me respecteraient jamais
Même si je m'adaptais.
Elle me trouve courageuse en appuyant sa tête contre ma poitrine
D'exister en étant moi
Sans compromission.
Ma mère dit
que c'est mon côté américain.
« Quelle heure est-il ? »
« 4 heures 48. »
Ça n'a plus vraiment de sens.
Je l'embrasse encore
Plus rien ne compte.
Plus rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
rien
ne compte.
Le sentiment de l'absurde.
La vie.
La mort.
C'est devenu ma normalité.
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