Chapitre II (9) - Oh, près du Danube dans la forêt, le rossignol chante

TW : Mention de drogue, Eugénie est un trigger à elle toute seule

***********************************************************************

L'orage a éclaté vers 19 heures, nous laissant dans le réfectoire, la tête baissée sur nos assiettes, dans un mutisme sinistre. Akimune, qui m'a portée jusque-là puisque le moindre mouvement, entre les brûlures, les coupures, et les douleurs relatives à ma condition d'amputée, me fait souffrir, entrelace nos doigts sous la table. Il ne s'est pas rendu compte de l'averse, c'est le seul à manger la purée faite à la va-vite par Arsinoé.

Monokuma paraît dépité devant sa fenêtre, et j'espère un court instant qu'il va annuler le procès. Mais... Ah, Nhan, il faut arrêter d'être naïve. Monokuma, c'est ce genre d'homme, celui qui, lorsqu'on ne lui donne pas ce qu'il veut, il le prend. Il s'adapte pour arriver à ses fins. Débarrasser et nettoyer les tables se fait en un éclair, Arsinoé cherche à disparaître dans la cuisine. Akissi la ramène parmi nous, en larmes, une tasse entre les mains, alors que notre tortionnaire tire une toile blanche, allume un vidéo-projecteur, nous fait réorganiser la salle.

— Malgré le mauvais temps, on ne va pas se laisser abattre ! s'écrie l'homme avec, aux coins des lèvres, le sourire malsain dont il a le secret. Allez, allez les enfants, veillée procès !
— Est-ce... Est-ce que je peux brancher l'ordi au vidéo-proj ? se risque LaToya en tapotant sur l'appareil.
— Fais comme tu veux, ma grande. Je ne vois pas ce à quoi ça pourrait te servir, mais soit.

Alors LaToya s'affaire, s'échine à relier son ordinateur, mais visiblement, ne s'en sort pas. Elle repousse l'aide de Tahel, et finit par y parvenir. Elle jette un regard indescriptible à la technicienne, et s'installe à la droite d'Akissi, à la gauche d'Hotaru.

— La miss Hayat va être ra-vie, vu qu'on est en intérieur, on va éviter de tirer au pistolet, soupire Monokuma. Et c'est bien dommage. De toute façon va falloir économiser la poudre, vu que l'ami.e Mendel ne pourra plus fournir.
— Est-ce que... Est-ce qu'on peut juste commencer ? lance Seung-Il sur un ton sec, mais étrangement enroué.
— On va commencer, calme-toi, mon grand. Pfiou, vous êtes impatients, les gosses.

Hayat cache le bas de son visage dans son écharpe, et tient Hotaru qui vient se réfugier contre elle d'un bras. Et elle soupire. Arsinoé sanglote, et les gestes tendres de Momo n'apaisent en rien ses larmes. Chhh. Je me sens vide, devant ce spectacle. Comme si j'avais des nuages, ou du coton, dans la tête, et des bouts de verre dans le cœur qui me blessent à chaque respiration. Seung-Il repousse la main de Tahel qui cherche à le réconforter.

— Donc, on va récapituler les faits, lance Ernesto en regardant son carnet de notes. Les deux meurtres sont commis aux alentours de 16 heures, celui de Mendel sans doute un peu avant celui de Jiraïr. Découvrent les corps : Nhan, Akimune et Arsinoé, Nhan et Akimune ont un alibi en béton et celui d'Arsinoé est corroboré par Hotaru et Eugénie. Hotaru a des preuves de son innocence, à savoir ses devoirs et Eugénie quand elle a eu des moments de conscience et Eugénie... Hé bien, vu son état, elle n'aurait de toute façon pas pu bouger. Pour les autres, heu...

Il tourne les pages de son carnet.

— Celui de Tahel et le mien sont corroborés par Akissi et LaToya, LaToya était immobilisée pour s'occuper de ses cheveux et Akissi lui faisait des tresses. Restent donc... Hayat et Seung-Il, conclut-il en levant les yeux.
— Vu que ton petit chéri est dans le lot, je doute qu'on puisse te faire confiance pour l'accuser, ricane Eugénie qui le fixe d'un air mauvais. Donc la pauvre, pauvre Hayat va devoir se défendre toute, toute seule. Et j'imagine que les preuves pour l'accabler ne manquent pas, ahah ! Comme c'est surprenant !
— Ben... Pas tant que ça, souffle LaToya. Y'a juste ce point d'ombre des toilettes.

Elle sort le nez de l'ordinateur, et se tourne vers l'assistance.

— Seung-Il et Hayat sont allés aux toilettes à peu près en même temps et se sont croisés, explique-t-elle. Mais quand, on sait pas.
— Si vous voulez m'incriminer, dit Hayat avec un grand calme, j'admets que ma force physique ne joue pas en ma faveur. Vous savez tous que je suis plus forte que Jiraïr, et que j'aurais pu le pousser sans problème. Et que j'aurais pu tuer Mendel. Mais cui bono ?
— Ça veut dire « à qui profite le crime », explique la Française en m'adressant un sourire en coin. Vu ta tête, la cul-de-jatte, t'avais pas capté. Et.... Oh, vous êtes vraiment tous des incultes, ça me bute.

Elle éclate de rire, puis sort de la poche du hoodie une petite boîte, et du papier à cigarette. Elle se roule un joint, sans se préoccuper de quoi que ce soit, le glisse entre ses lèvres, l'allume. Elle tire, l'odeur âcre et douceâtre se répand dans la pièce, et elle souffle au nez de Monokuma, avant d'éviter la gifle avec un rire.

— Hayat peut pas aboir tuer qui que ce soit ! s'exclame Hotaru en se levant d'un bond, les bras tremblant. E-elle aimait beaucu Jiraïru. Vuraiment beaucu. Et... Elle aurait pas fait ça ! E-elle... Elle...

Des larmes coulent sur ses joues, des sanglots l'agitent. La main de la polyglotte se pose sur son épaule, puis le tire doucement contre elle.

— Ouah, on fait une séance émotion ou un procès, là ? s'écrie Eugénie. Vous êtes troooop mignons, ah la la. Mais en attendant, mes potos Jiraïr et Mendel sont morts, donc désolée mais vos sensibleries, désolée, mais c'est dégueulasse. Comme mon hoodie, d'ailleurs. Ahah.

De l'eau roule sur ses joues. Elle pose une main sur la table, de l'autre elle essuie ses yeux.

— Donc, je disais. Je suis peut-être un peu chafouine, là, mais ça commence à faire beaucoup pour moi. Je ne peux pas supporter ni Hayat et ses faux airs de madone et c'est encore pire pour l'imbécile heureux en chemise hawaïenne. Donc vous allez m'excuser, je veux que ce procès avance, et que le coupable crève. Car là, il a pas l'excuse de buter un violeur. Là... Là, c'est de l'acharnement, braille-t-elle avant d'étouffer un sanglot. J'ai déjà perdu mon putain de bouffeur de harengs, et visiblement y'a l'un de vous qui trouve rigolo de me priver de mes deux seuls amis. Ça doit vous éclater de vous acharner sur la gamine anorexique, hm ? En plus c'est une connasse et une menteuse, donc bon, pas trop de remords, hm ?
— Eugénie, calme, intervient Akimune en lui prenant les épaules. Du calme...

Elle le regarde un instant, soupire. Elle tire sur son joint, et croise les bras.

— J'en peux plus, lâche-t-elle. Je suis fatiguée, si fatiguée...
— Je sais, je sais, souffle mon copain en lui caressant les cheveux. Là on a besoin de toi, d'accord ? Après, tu vas aller dormir, un gros dodo.

Elle fait oui de la tête, et continue de tirer, en silence.

— Si je peux me permettre, se risque Akissi, j'aimerais bien savoir pourquoi toi, Monokuma, as demandé à Seung-Il de prendre des photos des corps si ce n'est pas pour les utiliser.
— Oh.

L'homme tourne dans une lenteur presque mécanique ses yeux hétérochromes vers le Cinéaste, un sourire s'étirant sur son visage.

— Le petit menteur, dit-il de sa voix rocailleuse.

Seung-Il lève à peine la tête, il s'effondre même sur la table, et sa tête cogne contre le contre-plaqué. Il pousse un petit grognement, sans rien ajouter.

— Seung-Il ? souffle Ernesto avec une drôle d'intonation.
— Je peux pas nier. J'ai menti, j'ai menti, réplique Seung-Il sur un ton sec.
— Oh ben alors, Seung-Il, ça traite avec le bourreau ? braille Eugénie avant d'avoir un gloussement. T'as fait quoi, en vrai, hein ? Vous avez dit quoi, hein ?

Il marmonne quelque chose, sans se redresser. Tahel se penche sur lui, lui murmure quelques mots à l'oreille, et le voilà qui se force à faire face à l'Arnaqueuse, la dévisageant avec froideur.

— C'est clairement pas tes affaires, salope. Je vois pas pourquoi je devrais me justifier à la connasse qui a lancé la machine infernale.

Je reste bouche bée. Mon coeur. Boum boum boum. Mon coeur, mon coeur, mon coeur. Eugénie grimpe sur la table, tremblante. Tire une lame de cutter du sweatshirt. Elle brille à la lueur des néons du réfectoire, et ses doigts squelettiques se serrent dessus, si fort que des gouttes rouges perlent et s'écrasent sur la table.

— Vas-y, vas-y, répète, j't'attends, feule-t-elle. Tu veux la guerre ? On va se battre. J'vais t'égorger. Vas-y. Répète. Répète.

Un couinement d'Hotaru. Hayat lui cache les yeux. LaToya s'écrase sur elle-même. Akissi s'est figée dans un air horrifié. Tahel me fixe à travers sa frange.

— RÉPÈTE SI T'AS DES COUILLES CONNARD !

Ses membres flageolent. Ses cheveux ébouriffés, emmêlés, autour de sa tête comme une crinière. Sa peau grisâtre, tendue par les os et seulement des os. Les dents sorties qui serrent son joint fumant, les lèvres retroussées, le nez froncé comme un chat sauvage, les yeux fous, la bave au coin de la bouche. Un monstre de film d'horreur. Face à elle, Seung-Il se contente de la regarder en chien de faïence. Ernesto abandonne son carnet sur une table pour intervenir. Akimune saute sur une chaise, et la ceinture. Elle se débat en hurlant. Le joint tombe par terre. Hayat tousse, blême, à contempler la scène.

Monokuma soupire, s'approche, et dégaine un pistolet. L'appui contre sa tempe.

Je m'en souviens. Je me souviens de ce pistolet. Comme je me souviens du moindre détail.

Eugénie aussi s'en souvient. De la furie à fendre les tympans, elle mue en une petite fille en sanglots s'affaissant contre le torse de mon amoureux.

— Maintenant elle est calmée, on peut reprendre, lance-t-il en rengainant. Vous êtes chiants, ce soir, les jeunes.

Akimune la descend de la table en douceur, l'assoit sur une chaise. Elle commence à marmonner quelque chose, avant de se rouler un nouveau joint, de tirer longuement, et de se taire. Elle ferme les yeux.

Inspire, expire.

Arsinoé pose sa tasse. Hotaru enlace Hayat. Akissi se rassoit. Ernesto reprend son carnet.

Retour au calme.

— ...Si vous voulez, le vidéoprojecteur peut être utilisé maintenant, souffle LaToya.
— Je veux entendre la justification de Seung-Il, avant, dit la Primatologue avec un léger tremblement dans la voix. Que t'a dit Monokuma ?
— Pas vos affaires.

Tahel passe ses bras autour du cou de son copain.

— Seung-Il, dis-nous, supplie-t-elle. Je peux pas croire que t'es un meurtrier ou quoi, alors dis-nous. Dis-nous...
— Il m'a rien dit.
— On t'a vu, répond Akissi. Tu ne peux pas nier.

Seung-Il baisse les yeux.

— J'ai pas le droit de le dire, murmure-t-il.

Le sourire de Monokuma s'élargit.

— J'ai vraiment pas le droit, vous comprenez ? C'est pas par plaisir que je vous le cache, j'aimerais jouer franc-jeu m-mais je ne PEUX pas ! s'exclame-t-il alors que les larmes lui montent aux yeux. JE NE PEUX PAS !

Le regard et le mutisme de la Technicienne en disent long. Elle s'écarte de lui, et vient me prendre la main.

— Je ne peux pas, répète-t-il en se passant les mains dans les cheveux. Je ne peux pas.
— Je propose de passer aux votes, suggère Hayat l'air soudain dur. Je sais que je ne suis pas innocentée. Mais... Si Seung-Il n'avait rien à se reprocher...
— Je suis assez d'accord, approuve Akimune. Si il avait rien à se reprocher, il aurait parlé, et pas menti. Il a tué Mendel, puis Jiraïr. Comment, on s'en fout. C'est juste... Arrivé.

Un murmure approbateur dans la pièce. Ernesto reste sombre, comme vaincu. LaToya toussote.

— Le vidéoprojecteur, couine-t-elle. J'aimerais vraiment, vraiment qu'on puisse l'utiliser.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top