Chapitre II (10) - Mon amour, la lune, oh ton visage jaune à la forme d'anneau

TW : Médicaments, mention de suicide et de violences conjugales

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La voix de LaToya finit par se faire entendre. Elle n'attend plus de réponse positive, elle triture nerveusement une de ses nattes et lance une vidéo.

— C'est une piste que j'ai trouvé en trifouillant la carte mémoire d'une caméra que Tahel avait, explique-t-elle. Et vu comment j'ai galéré pour la sortir... Il a fallu s'y mettre à plusieurs, je suis pas une pro de l'informatique ou quoi donc forcément, passer les sécurités bien tordues de l'Ultime Technicienne...

Ernesto blêmit, et Tahel serre ma main plus fort.

— Qu'est-ce que tu as fait ? lui murmuré-je.
— Rien. Elle ment, réplique sèchement Tahel.
— Elle ne ment pas, poursuit LaToya en jetant un regard désolé à Ernesto. Désolée de t'avoir pas tout dit quand je t'ai fait fouiller...

Le journaliste serre les dents, s'assoit, pose son carnet.

— Je vais fermer ma gueule jusqu'à la fin de ce procès car je vais vraiment péter un énorme câble si ça continue, lâche-t-il. Entre mon copain qui est franchement pas net, ma copine qui visiblement m'a mené en bateau comme Eugénie, et mon amie qui me ment ouvertement, j'ai plus envie de faire d'effort.
— Woah, tu fais preuve d'honnêteté intellectuelle, maintenant ? lance Eugénie, la voix tremblante et les yeux pleins de larmes. C'est pas Noël m-mais on a quand même des miracles.
La puta madre Eugénie si t'ouvres encore ta gueule, je te pète les dents qui te restent, crache-t-il.

Elle le regarde, tire sur sa joue. Sa gencive rose vif me répugne, et l'état de ses dents, usées, jaunies, cassées pour certaines, d'autres arrachées, m'arrache un haut-le-coeur. Elle tire la langue, butant contre une incisive qu'elle renverse, et lui lâche un doigt d'honneur, avant de se blottir comme Akimune, qui lui murmure ce que je ne peux entendre.

Mon coeur me pince.

LaToya tente une dernière fois d'avoir l'attention de son public, avant d'abandonner, et de lancer la vidéo. Mendel apparaît. Les yeux humides, cernés de noir, des mains gantées triturant le cellophane. Iel a des hématomes, bien visibles, et iel renifle. Avec la qualité de l'image, je devine des saignements de nez.

Iel a... pris une porte.
Iel est... tombé.e dans un escalier.
Ah ces foutus coins de table alors.
Ces tapis, bon sang...

La voisine avait la même tête. J'avais dix ans et je refusais d'aller à l'école, et mes parents ne pouvaient pas lutter contre ma force d'inertie. Donc je regardais la télé et je faisais des miniatures pour m'occuper. La voisine de gauche, au moins une fois tous les deux jours mais souvent plus, criait et pleurait en journée, pendant que mes parents travaillaient. Je suis une fois sortie sur le pallier, c'était le 4 avril, j'ai frappé à la porte et la voisine a ouvert. Je la connaissais bien déjà, elle m'avait gardée quelques fois et j'avais eu l'occasion d'aller lui demander du lait, du sucre ou des œufs. Elle faisait peine à voir, et expliquait toujours son état par une porte, un escalier, et cette fois-ci elle saignait du nez. J'en ai parlé à mes parents, leur racontant les cris et ayant reproduit le visage tuméfié de la voisine en pâte fimo, et mon père a sur-le-champ appelé le 911. La police est arrivée, et la voisine a déménagé. Ma mère m'a expliqué le lendemain.

Le flash s'arrête. Mendel toussote.

— Déjà... Je m'excuse pour tout le grabuge dit-iel avec un rire nerveux et le regard perdu. Pardon. Et... je compte sur Seung-Il pour montrer cette vidéo que personne ne perde de temps sur l'enquête. Je... Enfin, j'ai fait ce que j'ai pu avec ce que j'avais pour synthétiser les neuroleptiques de tout le monde avant de, enfin...

Iel retire un de ses gants pour remonter ses lunettes, replacer une mèche blonde derrière son oreille.

— Alors... C'est ce que font les gens, ils laissent une lettre. Voilà ma lettre. Déjà en arrivant ici ça n'allait pas, parce que la vie, c'est... C'est dur pour tout le monde, sourit-iel avec éclat de rire. J'avais mes propres problèmes déjà avant. Puis... Ben j'ai cru qu'en rencontrant quelqu'un qui me faisait du bien arrangerait les choses. Comme si l'amour pouvait tout résoudre.

J'échange un regard avec Akimune.

— Je t'aime, Jiraïr. Vraiment. De tout mon coeur. Et je suis désolé.e de te faire ça. Et... T'aurais rien pu faire. T'en veux pas. Mais... C'est à ce moment-là où je demande à l'aimable assistance de couper la vidéo. C'est vraiment pour Jiraïr, ce qui va suivre, et personne a besoin de savoir, c'est juste privé.

Mendel remet son gant.

— On devrait peut-être couper, se risque Hayat.
— Non, répond LaToya. C'est ici que ça devient vraiment important.

Notre Chimiste prend une grande inspiration.

— Alors. Jiraïr. Je t'en veux pas. Pour rien du tout. Je sais que tu contrôles pas. Je sais que tes grosses crises sont pas ta faute et que je suis juste au mauvais endroit au mauvais moment. Que si Eugénie ou Hayat était à ma place elles auraient pris autant. Je sais que tu fais ce que tu peux pour te contrôler, et c'est compliqué quand t'as jamais appris que la violence autour de toi.

Des larmes coulent sur ses joues. Iel laisse faire, observe un léger silence par une grande inspiration.

— Mais moi je peux plus. J'en peux plus d'avoir peur de l'homme que j'aime car un mauvais coup et je vais mourir. J'en ai marre de constater des bleus, toujours pleins, ou de sentir mon coeur qui s'affole comme si j'allais me prendre un bombardement sur la gueule quand je suis dans tes bras. Je t'aime et j'en peux plus d'avoir mal. Et tu sais ce qu'ils disent sur les Génies, qu'on tend vers le Désespoir. On a vu ce que faisait le Désespoir. Je veux pas devenir un danger. Je veux pas céder face aux voix dans ma tête qui me hurlent de t'empoisonner. Je t'aime et je veux que tu sois heureux, que... Que t'arrives à dépasser tout ça, lâche-t-iel en éclatant en sanglots. Ta mère, la rue, tout... Que tu sois heureux.

Eugénie laisse échapper un sanglot bien sonore. Tahel se blottit contre moi.

— Donc... Il faut que je prenne mes responsabilités. Adieu. Je t'aime, de tout mon cœur.

Mendel se donne un temps pour pleurer un peu, avant de s'avancer vers la caméra, sans doute pour la couper. Un bruit sec, sans doute a-t-iel plié le retour. Iel se fige un instant, nous jette un regard plein de confusion, avant sans doute de se dire qu'iel a réussi à l'éteindre. Alors, sans un mot, iel se saisit d'un erlenmeyer rempli d'une solution bleue, visiblement à peine diluée, et avale d'un trait. Iel repose la verrerie, en laissant échapper quelques mots sans doute en russe ou en ukrainien. Quelques secondes suffisent à ce qu'iel s'effondre.

La voix de Jiraïr résonne, il l'appelle. Ma gorge se serre. Il va découvrir la scène. Et nous sommes les témoins impuissants

Le Bon Gros Géant est sans doute arrivé au laboratoire. Il est resté silencieux quelques secondes, et il commence à s'affoler. Il apparaît à l'écran, il essaie de secouer, de réveiller Mendel. Peine perdue. Mendel ne se réveillera jamais.

Le troisième protagoniste entre en scène. La voix de Seung-Il résonne.

— Qu'est-ce qu'il se passe, ici ?

Ernesto est livide. Ses yeux dévient vers son petit-ami, qui enfouit sa tête entre ses bras.

— LaToya, arrête la vidéo. Je t'en supplie, murmure-t-il.

Et LaToya n'arrête pas la vidéo. Nous assistons à l'altercation, et il y a quelque chose de ridicule à voir Seung-Il, brindille de son état, et Jiraïr, notre titan. Jiraïr ne résiste pas. Son visage se ferme.

— Je peux pas vivre sans luel...

À cette réalisation, il s'assombrit. Quitte le cadre. Seung-Il le regarde incrédule, et le suit. Des bruits de dispute. Puis des bris de verre. Jiraïr qui crie. Seung-Il qui réplique. Puis l'instant fatal, celui qu'on imagine. Un bruit sourire. Seung-Il revient dans le cadre. Blême. Tremblant. Les larmes aux yeux.

Une musique se joue faiblement dans le couloir. Je la reconnais, c'est la chanson préférée d'Hayat. Celle qu'elle utilisait pour calmer les cauchemars de son petit frère.

Seung-Il repère la caméra. Il tend la main vers elle, l'éteint, il l'emporte sans doute.

— ...Tahel gardait la caméra dans son chalet, explique LaToya. Elle m'a dit qu'elle l'avait visionnée, que c'était celle laissée à Mendel, mais qu'elle avait rien d'intéressant. Je veux pas accuser Seung-Il, mais entre la vidéo, Monokuma, et le comportement de Tahel...

Le Cinéaste s'effondre. Des spasmes l'agitent. Des sanglots le secouent. Monokuma sourit, de toutes ses dents.

— ...Je savais pas quoi faire, lâche-t-il. Mendel était là. Et Jiraïr... Je savais pour les coups et iel voulait pas qu'on s'en mêle. E-e-et c'est arrivé tellement vite, tellement...
— Un truc me chiffonne à la lumière de tout cela, le coupe Akissi. Seung-Il, malgré tout le respect que j'ai pour toi et mon envie que ce procès se finisse d'une manière simple, tu es faible. Jiraïr pèse son poids, et... Tu ne me feras pas croire que tu l'as poussé. Même si l'humain restreint toujours sa force physique sauf dans des cas extrêmes, et que c'était un cas extrême, j'ai vraiment du mal à croire que tu aies pu vaincre la force d'inertie de Jiraïr.

Elle lève les yeux vers Monokuma.

— C'est un double-suicide, non ? lance-t-elle.
— T'es moins conne que ce que t'en as l'air, la Jane Goodall au rabais, dit Monokuma sans se départir de son rictus.

Il monte sur une table, puis s'y assoit en tailleur.

— Je pense que... Je pourrais vous faire voter. Je pourrais. Mais l'ambiance en est ici à chialer comme des gosses. Aaaaah, même pas drôle, le seul qui pourrait démarrer tout le monde ici serait notre cher Ernesto, mais voir un grand mec déglinguer un squelette qui pleure, ça ira merci, ricane-t-il. Et la petite Eugénie est bien trop occupée à ses larmes pour vraiment s'énerver. Non, non, on a pas l'électricité du dernier procès, et ça m'agace. Les enfants, on est là pour s'amuser, si vous y mettez aucune bonne volonté, je dois couper court au jeu.

Il soupire.

— Et j'avoue qu'entendre chialer, là, ça commence à me vriller les tympans. Donc on va poser les choses : Jiraïr a pas eu besoin d'aide pour essayer d'apprendre à voler. Et Mendel... Hé bien, en direct, le maître des potions, en direct. Ce procès est décevant. Vraiment. Enfin.

Il s'étire.

— J'ai hâte de vous voir vous entretuer car vous êtes en manque de vos médocs. Là, ça promet. Déjà que l'imbécile pas si heureux est en gros manque de ses anti-dépresseurs, affirme-t-il en désigner Seung-Il. Quand l'abruti qui parle pas anglais va se retrouver à court d'anxiolytiques et la blondinette va devoir se sevrer, là, on va s'amuser.

Monokuma tire de sa poche un flacon en verre. Risperdone. Ce que prenait Jiraïr. Il le laisse s'écraser par terre. La bouteille éclate, les bouts de verre se répandent partout.

— Oups. Que je suis maladroit. Je suppose que ça fait ça de moins à se partager.

Je repère quelques regards. Tahel s'écarte de moi. Un silence nous recouvre, un silence lourd, qui m'écrase la poitrine. Je m'arrête de respirer, sans comprendre ce qu'il se passe autour de moi. Ils ont l'air d'être prêts à se sauter à la gorge, prêts à s'étriper.

Un coup de tonnerre déchire le silence. Hayat hurle. Monokuma a disparu, laissant derrière lui une bombe sur le point d'exploser.

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