Chapitre I (9) - Dayénou {2}
Avant tout, je tiens à remercier La_Corneille_Noire ! Sans elle, son talent et sa patience, ce chapitre ne serait pas ce qu'il est à présent.
Faîtes-lui des câlins.
*********************************************************************
— Vas-y, j'attends ma punition ! s'exclame-t-elle avec l'air le plus charmant qui soit.
Stefan serre le poing, et ça ne m'échappe pas. Monokuma éclate de rire. Un rire grave. Grinçant. Comme un violon désaccordé. Un rire qui irrite les oreilles. Un frisson descend le long de mon échine. Mon souffle se saccade. Une sensation étrange naît dans mes entrailles, une brûlure, c'est douloureux, on me consume de l'intérieur.
— On passe au vote, les enfants ? fait-il d'une voix euphorique.
La jeune fille lance un regard au joueur, puis se concentre sur Monokuma. Après la confession d'Eugénie, je me résigne. C'est elle, non ? De toute façon... Ça ne doit être qu'elle, non ? Puis... je ne suis pas assez proche d'elle pour que cela m'atteigne, et même si...
Non, non, non... C'est trop simple... C'est...
Non...
Non.
Non !
— Eugénie, si tu as agi de sang-froid, j'imagine que tu n'es pas le genre à faire des bavures. Tu as peut-être paniqué, mais tu es du genre précise, non ? Tu ne fais rien qui n'est pas nécessaire, non ? clamé-je rapidement de peur que l'on ne me laisse pas finir. Une fois que tu as réussi ton coup, tu t'en vas, non ?
— Disons que dans mon domaine, on évite de perdre du temps inutilement.
— Donc tu as appuyé sur son visage avec l'oreiller, poursuit Ernesto alors que je ne reprends pas assez vite. Et tu étais au-dessus de lui, non ?
— Je n'ai vraiment eu le temps de l'étouffer, c'est pour cela que je l'ai fini au couteau dès qu'il a commencé à se débattre.
— Enlève ton pull, et ton sous-pull si t'en as un, ordonne-t-il.
— Ernesto, arrête, gronde Stefan sur le ton de la menace.
— Stefan, je te demande pas ton avis, et Eugénie, enlève ton pull.
La jeune fille pousse un long soupir, et retire le col-roulé vert qu'elle porte malgré la douceur des jours. Elle ne porte qu'un soutien-gorge en dessous. Deux choses me frappent : ses os sont saillants, je peux compter ses côtes, ses vertèbres, et ses bras sont fins, les muscles et les organes internes tendent la peau, et c'est bien tout, et la pâleur de sa carnation, j'ai rarement vu quelqu'un d'aussi maigre, j'ai rarement vu quelqu'un d'aussi blanc. Enfin, cette dernière chose, elle ne fait que souligner l'horreur de ce que nous découvrons. Des griffures sur les flancs, les avant-bras, et des bleus, à plusieurs endroits du corps. Au cou, une marque violacée s'efface à peine. Je porte la main à la bouche. C'est... c'est affreux.
— C'est bon, vous vous êtes tous bien rincés l'œil ? dit-elle d'un ton railleur. On peut en finir, maintenant, et passer au vote ? On perd du temps, là.
Elle se rhabille, et croise les bras, toujours dans cette posture de défi.
— Eugénie, tu n'as pas utilisé le couteau, grogne Ernesto.
Tous les regards se tournent vers lui.
— Tu ne serais pas autant marquée si tu avais, à la première résistance comme tu le dis, utilisé le couteau. Ma théorie, c'est que tu l'as effectivement étouffé, mais que tu n'as pas réussi ton coup. Enfin, tu l'as fait tomber dans les pommes, mais pas bien plus, en déduit-il. C'est ton complice qui l'a achevé.
— Tu as rencontré quelqu'un en sortant, et qui a vu tes blessures, complété-je du bout des lèvres. Stefan, n'est-ce pas ? Puis... C'est le seul à avoir le sang-froid nécessaire pour que le meurtre soit aussi propre, et pour avoir la présence d'esprit d'effacer les empreintes, puis-
— Non, réfute Eugénie. Je n'ai vu personne. Allez, on passe aux votes, qu'on puisse faire autre chose de nos journées...
Monokuma éclate de rire à nouveau. Un rire qui me glace totalement. Je ne parviens même plus à bouger les doigts, figée dans l'horreur.
— Tu veux donc tant mourir que ça, la miss, ricane-t-il.
— Quoi ? lance Akissi, interloquée.
— Hé bien, ma grande, œil pour œil, dent pour dent, une vie contre une vie, explique l'homme sans se démonter. C'est juste naturel.
— Mais c'est totalement immoral ! crie-t-elle. La peine de mort est une amputation barbare ! On-
— Akissi, la coupe-t-il avec un rictus lugubre sur le visage, c'est pas toi qui fais les règles et j'en ai absolument rien à foutre, de ta morale.
La face d'Eugénie se décompose. Ses yeux cherchent un point d'ancrage, sans succès. Elle a compris. Elle a compris qu'elle va mourir. Elle sait. Elle se sait prise au piège. Pourtant... Pourtant, elle reste immobile. Stoïque. Ses paupières se ferment, et ses mâchoires se crispent.
— Nhan a raison. Sur toute ligne, crie Stefan en se précipitant vers Eugénie.
— Stefan, n...
Il se tourne vers l'assemblée, et ne lui laisse pas le temps de finir.
— Après avoir écrasé Ernesto, je suis parti chercher Eugénie. J'avais à peine bu, j'étais lucide. J'ai vu Eugénie en train de pleurer devant le chalet de Lutz, raconte-t-il avec une voix qui trahit une rage sourde. Vous imaginez ? Voir la femme que vous aimez, au milieu de la nuit, blessée, en train de pleurer, et à moitié nue, devant l'endroit où le type qui n'a pas franchement une grande considération pour la femme dort... Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, c'était clair. Il l'avait violée, ou du moins il a essayé. On ne peut juste pas rester indifférent !
Ses mots résonnent dans l'hémicycle et me font frissonner. Pour la première fois, je crois, Stefan n'est plus dans le contrôle de ses émotions. Ses yeux vairons brillent, ils témoignent de sa rage. Il ne regrette rien. Absolument rien. Si c'était à refaire, il le referait. Et mon cœur se serre, une pointe de jalousie me pique l'estomac. C'est horrible. Ce n'est pas raisonnable.
Personne ne se préoccupera jamais assez de toi, et tu le sais Nhan.
De toute façon personne ne s'intéressera jamais assez à toi. Tu le sais, au plus profond de toi. Parce que tu ne les mèneras que vers la ruine.
— Eugénie avait un couteau entre les mains, je l'ai pris, et j'ai tué Lutz. J'ai récupéré les vêtements d'Eugénie, elle est partie se rhabiller. Et en l'attendant, j'avoue, j'ai mutilé le cadavre. Je serais allé beaucoup plus loin si elle ne m'en avait pas empêché. J'ai écrit sur le mur, j'ai effacé les empreintes, et nous sommes partis. C'est tout.
Il revêt à nouveau son attitude neutre et calme, annihilant tout sentiment qu'il a pu admettre éprouver. Son regard se pose sur Eugénie, il lui adresse un faible sourire.
— Hé bien, c'est absolument charmant, ironise Monokuma en poussant violemment Eugénie qui perd l'équilibre et se rattrape sur Stefan. Votez, les kidz ! Alors, qui a fait le coup ?
— Heu... Hotaru me dit de vous dire qu'Hayat peut pas voter, dit un Akimune tout penaud.
— Quoi ?
— Ben... Hayat peut pas voter, répète-t-il en la désignant.
La polyglotte est pâle. Ses mains plaquées sur les oreilles, les dents qui claquent, les genoux contre la poitrine, elle est statique, figée avec l'expression d'une terreur ineffable dans les yeux. On a tous vécu trois vies avant d'atterrir ici, et c'est d'autant plus vrai pour Hayat. Arsinoé se précipite à la rescousse. Mon cœur se serre devant mon impuissance.
— Fais comprendre à ton compatriote qu'il vote pour elle, soupire l'homme d'un ton presque agacé. Alors, les mômes, j'pense qu'il n'y a pas beaucoup d'hésitation à avoir, qui vote pour Stefan Holgersson notre Ultime Joueur ?
La première main à se lever est celle de Stefan. Mes joues me brûlent. Je baisse la tête et ferme les yeux, incapable d'affronter la honte qui me dévore, et je le condamne à mon tour. Une vie... Une seule vie... Est moins importante... que la survie du groupe. Une seule vie est moins importante que la survie du groupe. Une seule vie est moins importante que la survie du groupe. Une seule vie est moins importante que la survie du groupe. Une seule vie est moins importante que la survie du groupe. Une seule vie est moins importante que la survie du groupe... Une seule vie est...
J'espère arriver à m'en convaincre, à force de répétition.
Ah, qui j'espère tromper ?
Une vie est une vie.
Lorsque je rouvre les yeux, toutes les mains sont levées, avec plus ou moins d'hésitation, sauf celle d'Akissi.
— Je ne voterai pas, déclare-t-elle la voix tremblante. C'est... C'est... C'est immoral, enfin, c'est affreux...
— Akissi. Akissi, ma grande, souffle Monokuma en avançant avec calme face à elle, tu sais...
Il s'arrête pour désigner toute l'assemblée.
— Si tu ne votes pas maintenant, tu les condamnes tous, tu sais ?
— Akissi, ne l'écoute pas, c'est du bl-
— Bien essayé, Ernesto, mais ma Tuerie, mes règles, siffle l'homme comme un serpent. Si... Par un élan moral ou une autre bêtise du genre, l'un de vous choisit volontairement de ne pas voter... Toute la classe mourra par sa faute. Alors, Akissi ?
Il fait encore un pas vers elle. Ses yeux dichromates sont remplis d'une extase croissante.
— Tu veux vraiment avoir la mort de tous tes petits camarades sur la conscience ?
L'Ultime Primatologue tremble. Elle ferme les yeux, ma gorge se noue en distinguant des larmes roulant le long de ses joues. Ses doigts se lèvent, jusqu'au niveau de sa tête, et elle se laisse tomber sur une des marches de l'amphithéâtre.
— Hé ben voilà, quand tu veux ! lance joyeusement Monokuma avant de repartir vers Stefan. Alors, toi, toi...
Un nouveau rire l'agite. Il extirpe de son sac un revolver. Il vide le barillet dans sa main, et n'y insère qu'une balle.
— Tu connais la roulette russe, bonhomme.
— Exact...
Monokuma fait tourner le barillet, colle le canon de l'arme contre sa tempe, puis appuie sur la détente. Je retiens mon souffle, je ferme les yeux. Un petit bruit se fait entendre, mais l'homme en noir et blanc n'est pas blessé. Il tend l'arme à Stefan, un rictus sinistre sur les lèvres.
— Tu vois, pas de triche, sourit-il. Je te laisse refaire tourner le barillet. Une chance sur six, Stefan. J'me sens d'humeur magnanime : si tu gagnes, tu restes en vie.
— Je gagne toujours, réplique l'Ultime Joueur d'un ton bravache en se saisissant du revolver.
Il se penche vers Eugénie pour l'embrasser, lui demandant de lui porter chance. Je détourne le regard. Une partie de moi veut croire que l'exécution échouera. Stefan gagne tout le temps, non ? C'est le principe de son Ultime, n'est-ce pas ? Il n'y a qu'une misérable chance sur six de mourir ....
Lui-même semble plutôt confiant. C'est ridicule oui. Aucune chance de mourir. C'est une exécution bien gentille.
Il s'écarte d'Eugénie, et je ne peux m'empêcher de l'observer, une affreuse curiosité morbide s'emparant de moi. Mon souffle se coupe. Je ne peux plus bouger. Plus personne ne le peut. Tous fixent le Joueur, et son arme.
Stefan donne toujours cette impression de calme, il a sa poker face. Mais... Pourquoi... Pourquoi ses mains tremblent ? Sa mâchoire se crispe par intermittence. Je peux voir... Non... Je peux voir une goutte de sueur couler le long de son front, jusqu'à sa joue. Il inspire, expire profondément. Sa main libre, il la cache dans sa poche. Ses jambes flageolent.
Il marque une respiration, vient poser le canon sur sa tempe, puis déclare d'une voix forte, mais marquée par ce léger tremblement :
— Une seule balle, hé bien... Je vais m'en sortir, donc... Vous tous ! Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idi-
Détonation.
Silence.
Le son doucereux de la brise de mai.
Stefan chancelle, et s'écroule. Le sang macule son visage, ruisselle sur la pierre. Il a perdu. Pour la première fois, sans doute.
Il a perdu.
Et il est mort.
Et c'est ma faute.
Uniquement ma faute.
Le cri d'Eugénie, viscéral, douloureusement sincère, déchire l'instant, me rattache à la réalité. Voir cette fille maigre, échevelée, agenouillée à côté du corps, frapper le dos du condamné, me donne la nausée. Elle hurle, elle cherche son souffle, elle le secoue comme s'il allait miraculeusement revenir à la vie. Et elle crie, elle crie, elle crie.
Soudain, elle se tait, se tourne vers Tahel. Ses traits fins sont tirés dans l'expression d'une furie monstrueuse.
— TOI ! C'est de TA faute ! rugit-elle en se dressant d'un bond sur ses jambes.
— Eugénie, c'est toi qui as prémédité le meurtre, la défend Seung-Il. C'est toi qui as décidé de le tuer ! À aucun moment Tahel t'a demandé quoi que ce soit, elle t'a juste fait assez confiance pour se confier. C'est ta faute, putain !
— Ferme ta GUEULE DE MERDE ! vocifère la jeune fille. C'est entre cette sale pute et moi !
Elle s'égosille. Crache des mots que je ne comprends plus. C'est du français ? Sans doute. Même si on ne la comprend plus, on sait qu'elle hurle des horreurs. Ernesto attrape le cinéaste pour l'empêcher de sauter à la gorge de l'arnaqueuse. Je me saisis du bras d'Eugénie, pour la retenir. Elle se retourne et me gifle, mais je ne lâche pas prise malgré ma joue qui me brûle.
Sifflement dans l'air.
Eugénie se fige, puis s'effondre. Je la soutiens tant bien que mal. Quelque chose s'est planté dans son bras.
— Fléchette tranquillisante, explique Monokuma d'une voix joyeuse en rangeant sa sarbacane dans son sac. Elle ne devrait pas se réveiller avant un bon moment. Allez les enfants, quartier libre ! Profitez du temps qu'il vous reste !
Jiraïr vient m'aider à porter Eugénie. Je regarde une dernière fois mes camarades. Le choc sur les visages se lit toujours, et il s'est fixé à jamais dans ma mémoire. Hayat n'est pas revenue à elle, et Hotaru la tient dans ses bras comme on serrerait un doudou contre soi. Arsinoé... Arsinoé fait ce qu'elle peut. Mendel nous rejoint, tête baissée, incapable d'articuler le moindre mot.
J'aperçois avant de quitter l'hémicycle Ernesto et Akimune qui s'accroupissent près de la dépouille.
— Quand l'oiseau est près de mourir, son chant devient triste ; quand l'homme est près de mourir ; ses paroles portent l'empreinte de la vertu, soupire le journaliste sur un ton qui se veut sans doute détaché mais qui trahit son angoisse.
— ... Confucius ? répond l'artificier.
Je surprends Ernesto à se signer. Si se remettre à une puissance supérieure est le dernier espoir du type le plus rationnel et efficace de la classe...
Nous sommes perdus.
Nous allons tous mourir.
Tous.
Jiraïr installe Eugénie dans son chalet, je lui retire ses chaussures et la borde. Mendel se laisse tomber contre un mur. Iel retire ses lunettes, et enfouit sa tête entre ses bras. Je m'assois à côté de iel, sans trop savoir quoi faire de mieux, et j'appuie ma tête contre son épaule. Jiraïr s'installe en tailleur face à nous. Les yeux perdus dans le lointain, il a un léger sourire sur le visage. Il y a quelque chose d'apaisant dans la physionomie de ce géant tranquille. De rassurant. Avec douceur, il nous prend les mains.
— Tout ira bien.
La voix du jardinier meurt en même temps que naissent mes pleurs.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top