Chapitre I (6) - Il était un petit homme, pirouette, cacahuète
TW : cadavre ouvert, mention de viol, mention de mutilation génitale
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Je reviens à moi quelques secondes plus tard. J'ai rêvé. J'ai forcément rêvé. Je me frotte les yeux, encore un peu dans le coton, mais tout va bien. C'est juste faire sauter les repas, ça, ou mon rythme de sommeil absolument affreux...
Une mouche se pose sur mon front et me ramène à la réalité.
Oh bon sang.
C'est réel.
Je n'ai pas rêvé.
C'est réel.
L'image est gravée dans ma mémoire.
C'est réel.
C'est réel.
Les pensées se bousculent et s'entrechoquent dans ma tête dans un vacarme insoutenable. Le bruit est si fort, si intense... Et laisse place au silence. Je prends appui sur le cadre de la porte. L'horloge sur sa table basse est intacte. Mes yeux restent collés sur le cadavre, une curiosité macabre et malsaine me saisit un même temps qu'un frisson de dégoût. La mort, ça a quelque chose de fascinant. Je suis de ces gens qui se demandent ce qu'on ressent quand on prend une vie... Mais devant l'horreur de cette réalité, je...
Je me redresse avec peine.
Un pas de recul.
Je me retourne et vomis. Le goût de la bile envahit ma bouche. La sueur sur mon visage me gratte. J'ai mal... J'ai mal...
— Nhan, tout va bien ? Lance Akissi en courant vers moi.
Elle me tend un mouchoir pour m'essuyer la bouche, et me frotte le dos comme on l'aurait fait avec un enfant qu'on voudrait rassurer. Les mots se bloquent dans ma gorge. Je lui pointe l'intérieur du chalet, avant d'avoir à nouveau la tête qui tourne et de perdre l'équilibre dans ses bras.
J'entends sa respiration s'arrêter nette. Je lève les yeux vers elle... Akissi est blême et une expression d'horreur s'est fixée sur son visage.
Monokuma s'approche de nous, et entre dans le chalet. Il constate la scène, puis se tourne vers nous. Ses yeux blanc et rouge provoquent un frisson le long de mon échine. Son petit sourire satisfait me coupe le souffle. Il pose une main sur mon épaule et souffle :
— Akissi, j'me charge de Nhan. Va plutôt prévenir les autres.
Sans un mot, elle approuve. Les bras de l'homme me soulèvent alors que mon amie détale vers le bâtiment Bêta. Mes membres tremblent.
— Même pas eu besoin de forcer. Vous avez bien mis votre temps mais vous l'avez sans aucune pression extérieure. Vous êtes des malades, ricane-t-il. Ça promet, cette Tuerie.
Mes yeux s'embuent de larmes. Ma vision se trouble. On va mourir, alors. On va tous mourir. Je n'ai pas voulu le croire... Mais quelle idiote, idiote, idiote ! Ah Nhan, pour mal parler des autres y'a du monde, mais pour utiliser ton cerveau y'a plus personne...
À 14 heures, tout le monde sait. Tout le monde est au courant. Nous sommes réunis dans l'amphithéâtre, et la plupart d'entre nous ne sont pas remis de la veille. Certains plissent les yeux, d'autres se bouchent les oreilles dès que Monokuma ouvre la bouche. Un corps a été découvert. Tête baissée, je repasse le film de ce matin. Hier Lutz jouait aux dames et faisait la fête. Aujourd'hui, il est mort.
Il est mort.
Mort.
— Enfin bref, passez me voir dans la journée dans le chalet de Lutz, le temps de l'autopsie plus ou moins réussie performée par moi-même, lance-t-il avec son ton de moniteur de colonie de vacances. Le corps a été découvert vers 12 heures 40 par Nhan ci-présente, donc... On va considérer que demain, midi quarante, on commence l'activité procès ! Bon courage pour cette enquête, organisez-vous comme vous voulez, c'est plus mon problème !
— Tu sais qui a fait le coup, non ? braille Akimune avec une voix cassée avant de se faire faiblement taper par une LaToya visiblement au bout de sa vie.
— Évidemment, mais comme vous êtes des grands gamins démerdez-vous ! Bon courage, mes petits !
Sur ces mots, il tape plusieurs fois des mains, puis disparaît de la petite estrade de l'amphithéâtre. Un silence assourdissant nous enveloppe. J'ai l'impression d'étouffer.
— On est tous suspects de toute façon, soupire Arsinoé les larmes aux yeux. Mais quel enfer... On va mourir... Je vais jamais rentrer chez moi... Et ils vont s'inquiéter, ils vont pas pouvoir se débrouiller sans moi, et... Et...
Mendel court vers l'Ultime Femme au foyer, et la serre dans ses bras, lui murmure des choses que je ne peut pas comprendre. La plupart d'entre nous n'arrive même pas à se défendre. On est tous suspects, hein... On n'a aucun moyen de s'innocenter...
— En fait, articule Seung-Il en se tenant la tête, j'ai posé des caméras chez Nhan hier soir pour... heu... filmer son travail. On a... on a... on a toute sa soirée sur des rushs. Si elle a pas quitté son chalet, elle est hors de tous soupçons.
Il cligne plusieurs fois des yeux, et nous invite à le suivre jusque dans mon chalet. Il montre les caméras qui tournent toujours, le micro sur mon lit, il montre les enregistrements en avance rapidement, qui consistent majoritairement en moi assise à ma table à placer des éléments dans ms dioramas.
— Elle est clean, admet Stefan.
— Elle a donc aucune raison de falsifier les preuves, poursuit Ernesto. Nhan, ça te... heu... C'est ton rôle de mener l'enquête, maintenant.
Il me sourit faiblement.
Pardon ?
À moi ?
Moi l'idiote ?
Moi l'imbécile ?
Autant dire au coupable qu'il a commis le crime parfait, hein, je vais jamais y arriver...
Mon cœur tape fort, trop fort. Je m'assois sur mon lit pour ne pas tomber.
— Est-ce... Vous pourriez tous partir de mon chalet ? demandé-je les yeux fermés. J'ai... besoin d'un moment.
J'entends des pas s'éloigner de moi. Seung-Il et Tahel doivent sans doute décrocher tout l'attirail. Inspire, expire. La scène de crime est tatouée sous mes paupières. J'ai mal. Mes jambes me font mal. Mes jambes me font terriblement mal.
Je retire mon collant. Mes prothèses. Les manchons. Il n'y a rien, Nhan. Plus rien. Tu n'as pas mal. C'est dans la tête. Rentre-toi ça dans le crâne.
À l'aide de mes bras, je me déplace jusqu'à ma table basse. Je pousse mon travail de la nuit pour faire place nette pour le diorama du chalet. J'attrape la figurine de Lutz, je la dénude, et j'attrape mon pinceau pour conformer son apparence à ce que j'ai vu. Un désir impérieux de reproduire la scène m'agite. Je mélange du rouge et de l'ocre pour avoir la teinte exacte du sang sur les draps. J'agence les meubles, je plisse le tissu, et je grave les lettres exactement comme je les ai vu.
Ma Nutshell Study prend forme sous mes yeux.
Une fouille géométrique. Inspire, expire.
Je ne suis en aucun cas une experte de la médecine légale. Cependant, à force d'admirer le travail de Frances Glessner Lee, je remarque certaines choses dans les taches de sang. Pas d'éclaboussure. Seuls les draps sont souillés. À échelle réduite, c'est plus simple pour moi, c'est moins douloureux, c'est moins affreux. La couette ne recouvre que le bas du corps. Une blessure béante, verticale, ouvre la gorge. Le couteau, car c'est forcément au couteau, a été planté dedans puis retiré. Le sang a coulé et taché le drap autour du cou, et il macule le visage, il a dû en sortir par la bouche. Pourquoi la couverture est sale, alors ?
Oh.
Le coupable ne s'est pas contenté que de la gorge.
Avec le « RAPIST » sur le mur... Je ne serais pas surprise si Monokuma me révèle que le coupable a subi des mutilations génitales. À ce stade, je ne peux pas affirmer que ce n'est pas un moyen de camoufler le mobile. Lutz est... ou plutôt, n'était pas le plus grand des gentlemen, et c'est un euphémisme. Mais au point d'être un violeur... Je ne sais pas.
L'oreiller, aussi. Jeté au sol, à l'autre bout de la pièce. C'est... Pour le moins... Étrange.
Je remets mes manchons, mes prothèses tibiales, mes collants, mes chaussures. Je me relève, et j'observe mon œuvre. Sur un bout de papier, je note : « 12:40 ». Le meurtre a forcément eu lieu pendant la nuit, vu l'odeur, et les mouches... Oh les mouches.
Une réalisation me frappe.
Seung-Il filme tout, ou du moins beaucoup de choses. Je n'y ai pas prêté attention, mais je pense qu'il est parti avec un caméscope pour faire la fête. Il a dû prendre des images. Mais quelle idiote, pourquoi est-ce que je n'ai pas...
Et Monokuma. Je dois savoir ce qu'il a trouvé à l'autopsie.
Je sors immédiatement, et je cours vers le chalet de Lutz. Monokuma discute sur le pas de la porte avec Jiraïr. Dès qu'ils m'aperçoivent, ils se taisent, et l'homme me tend un masque.
— Ça pue un peu beaucoup, là-dedans, dit-il avec un sourire. J'y crains pas mais toi, ma grande, j'en suis pas aussi sûre.
Il s'efface pour me laisser rentrer.
Le corps est posé sur le sol, exposé dans toute sa nudité, et je vois surtout que Monokuma s'en est donné à cœur joie. Je ferme les yeux. Bon sang, ce cadavre ouvert de toute part va hanter mes cauchemars...
— Alors, le corps commençait à devenir flasque quand je m'y suis mis donc je suppose que la mort est arrivée entre 22 heures trente et minuit, dit-il. Y'a des traces de coups, mais c'est post-mortem, tout comme, hé bien...
Il éclate d'un rire gras.
— La personne qui a fait le coup lui a coupé les couilles, pour pas faire de détour ! Aussi, petit truc rigolo, le coussin là-bas a été limite déchiré à coup de dents.
— Je peux avoir un rapport d'autopsie ?
— Évidemment, ma grande.
Il glisse entre mes doigts une feuille de papier, et je cours à l'extérieur, arrachant le masque et relevant les paupières. Tu parles d'un rapport d'autopsie ! C'est une pauvre feuille A4, rédigée à la va-vite, signée Monokuma. Ah bah super. J'adresse un sourire à Jiraïr.
— Courage pour ton enquête, me souffle-t-il avec une mine fatiguée et inquiète.
— Merci... Tu sais où je peux trouver Seung-Il ?
— Il a chopé Mendel et Tahel il y a presque une heure, je pense qu'il est dans le bâtiment Alpha, dans... la salle informatique, je crois ?
— Merci Jiraïr.
Un objet brillant attire mon attention. Je m'approche, pour voir de plus près...
Un couteau de cuisine.
Avec le masque pour empêcher d'y imprimer mes empreintes digitales, je l'attrape par le manche, puis m'élance vers l'endroit que l'Ultime Jardinier m'a indiqué, une salle pleine d'ordinateurs au deuxième étage. Heureusement, ceux que je cherche y sont tous les trois.
Fabuleux.
Tahel est penchée sur un ordinateur, sa frange tenue par Seung-Il qui fixe l'écran avec attention. Il a filmé, évidemment, merci Seung-Il ça t'innocente en plus.
— Ah ! Tu arrives au bon moment ! S'exclame Mendel. Tahel défloute les images !
— C'est toi qui as filmé, non, Seung-Il ? Demandé-je.
— Heu... Pas toute la soirée, admet-il. J'ai demandé à Mendel de me prendre l'appareil dès mon premier verre, j'avais trop peur de l'abîmer et comme Tahel et Ernesto boivent aussi... Ben, iel est sobre à cent pourcents ! Sauf que... bon, j'ai pas envie de te mentir, mais... Ne fais jamais de cinéma, Mendel.
— Ne t'inquiète pas, je ne le prévoyais pas, répond-t-iel avec un sourire distrait.
— Entre le fait que Mendel sache pas tenir une caméra et la nuit, je vous cache pas qu'on voit pas grand-chose sur les images, râle Tahel un brin désespérée. Je suis désolée...
— T'inquiète ma chérie, tu as fait ton possible, lui souffle Seung-il avant de l'embrasser sur le front.
Compte tenu de ce que j'ai découvert en apportant l'aspirine au chalet d'Ernesto, j'ai encore plus de questions qui me brûlent les lèvres. Mais elles sont totalement... impertinentes, compte tenu le contexte.
— D'après Monokuma, le meurtre a eu lieu entre 22 heures 30 et minuit, dis-je.
Tahel lance la vidéo, vitesse fois huit, à partir de ce que je pense être 22 heures et quelques. Le feu d'artifice avec le film qui tremble et le son, que la technicienne coupe, qui sature, on apprécie, Mendel, on apprécie. J'ai le temps de voir LaToya faire ce que j'interprète comme une danse satanique, Arsinoé se comporter comme si elle avait trois ans, Seung-Il et Ernesto qui se roulent des pelles, Jiraïr qui semble parler très fort à la caméra, Stefan servir beaucoup trop d'alcool à tout le monde... Je pense avoir perdu espoir en l'Humanité.
— Oh, attends, m'écrié-je. Là. Tu peux remettre en marche normale ?
— Comme tu veux...
À l'image, ce n'est pas clair et c'est dans le noir, mais on voit Lutz partir. Et il ne doit pas être seul. Difficile de discerner qui est-ce...
— Le meurtrier, dis-je, sûre de moi. Est-ce que je peux... regarder un peu plus en détail ? Pour savoir qui a disparu à ce moment-là ?
— Fais-toi plaisir, dit Tahel en me laissant la place.
Je m'installe, et commence à me passer en boucle les dix minutes d'extraits qui contiennent ce passage. Le problème... C'est qu'entre l'image et le chaos à l'écran... C'est un peu compliqué. Je suis entièrement sûre que, en dehors de Lutz, sur l'extrait, Akimune, LaToya, Akissi, et Tahel ont disparu. Les autres... C'est plus difficile à dire. J'entends la voix de Stefan qui encourage beaucoup trop Ernesto à jouer contre lui à son jeu à boire, les deux sont donc présents, et Mendel aussi. Ce sont les trois seuls dont je peux attester la présence.
— Mendel... est-ce que tu peux relever des empreintes ? L'interrogé-je.
— Heu... Je devrais en être capable, mais je pense que Tahel est plus qualifiée...
— Je suis technicienne, pas magicienne ou médecin légiste, nous contre-t-elle.
— J'aimerais... J'aimerais juste que vous me disiez à qui sont les empreintes sur ce couteau, dis-je du bout des lèvres en pointant l'arme au manche enveloppé dans un masque chirurgical. Je viens avec vous.
— Aucun problème.
— Seung-Il ? l'interpellé-je.
— Oui ?
— Tu peux faire passer un message ? Je veux interroger tout le monde d'ici une heure, au studio d'enregistrement. L'un après l'autre.
Il hoche la tête, puis s'en va immédiatement. Mendel sort de sa poche des gants en latex bleu, puis les enfile, et attrape le couteau. Iel quitte la salle, et Tahel lui emboîte le pas. Je me saisis de la carte mémoire de l'appareil contenant toutes les images d'hier soir, et les rejoint.
Un bon moment plus tard, le.a chimiste agite la tête d'un air désolé.
— Il n'y a aucune empreinte sur ce couteau. Du sang, oui, mais pas d'empreinte.
Je soupire, ravale ma salive. Je ne dois pas me démonter ou céder à la panique. Les attentes de tout le monde pèsent sur mes épaules. Je vais échouer. Je suis trop nulle pour ça. J'en suis incapable. Non...
Non...
Je n'ai pas le droit à l'erreur.
Plaquant un air calme et déterminé sur mon visage pour cacher le tourbillon de mon angoisse, je marche vers le studio d'enregistrement, songeant aux questions que je vais devoir poser.
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