Chapitre 17 : Quand le trouble s'installe

Mes cahiers en main, je marchai dans le couloir prête à rejoindre le cours d'Histoire de la danse du second semestre.
Rosslan m'interpella et je m'arrêtai pour lui dire bonjour.

"Ça va ? Tu as passé une bonne fin de week-end? Demanda-t-il, en me souriant.

- Plutôt bien, même si j'ai un peu de mal à me remettre de la soirée de vendredi, avouai-je, un peu mal à l'aise.

- J'ai trop bu moi aussi, j'ai été malade tout dimanche, s'enquit-il, j'ai l'impression de tenir de moins en moins l'alcool...

- Tu deviens juste vieux, c'est tout, lâchai-je, en lui tapotant l'épaule. Bon, à plus tard. "

La soirée de samedi, mémorable, pensai-je, en entrant dans l'amphithéâtre D.
Nous étions retourné au Red Diamond, la bande à Maylee, Sophie, Mathéa, Diem et moi. En effet, conte toute attente, la soirée du vendredi s'était super bien passé et nous avions décidé de remettre ça le samedi.

Moi qui détestait Maylee, je commençai à la trouver intéressante et plus gentille qu'elle n'y paraissait. Sophie, elle, était plutôt méfiante et troublée par la manière d'agir de Maylee.

"Salut! S'enquit-Maylee, en m'attrapant par le bras, avec son éternel sourire faux. On se met à côté pour le cours?

- Désolé mais Sophie m'a gardé une place, lançai-je, en lui souriant.

- Une prochaine fois! Dit-elle, avant de rejoindre Louna qui commençait à descendre les escaliers."

Je rejoignis Sophie et m'assis à ma place, en soufflant un bon coup.

"Elle ne te lâche plus, dis moi! S'exclama-t-elle, avec moquerie.

- Elle m'adore que veux tu! Continuai-je, en refaisant les mimiques de Maylee.

- Je la trouve tellement pas nette, souffla-Sophie, alors que monsieur Lévèque entrait dans la salle.

- Honnêtement, je pense que tu exagères, elle a l'air de s'être calmer, répondis-je. Tu pourrais au moins faire un effort. Elle n'est peut être pas si méchante que ça dans le fond. 

- Un effort? Rétorqua-Sophie, pour moi, elle prépare un mauvais coup. Cette fille, c'est la peste incarnée. "

Je n'ajoutais rien et me concentrais sur le cours qui venait de débuter. À vrai dire, je n'appréciais pas beaucoup le comportement de Sophie depuis ce week-end. Je comprenais qu'elle se méfiait de Maylee, mais je pensais aussi que celle-ci avait le droit à une chance de nous montrer qui elle était vraiment. J'étais d'ailleurs entrain de lui donner, que Sophie ne le veuille ou non.

"On va réviser ce soir, dans la grande salle? Chuchotai-je à Sophie, en plein milieu du cours.

- Oui, j'ai pris mes affaires aussi, m'annonça-Sophie. D'ailleurs... à ce propos...

- Oui?

- J'ai demandé à Rosslan de venir nous aider, ajouta-t-elle, je pense que son expérience pourrait nous être favorable. Puis, c'est notre mentor ce semestre, après tout!"

J'hochai simplement de la tête et sourit à Sophie. C'était une bonne idée, et là, je reconnaissais totalement ma Sophie!

Le cours passa assez rapidement malgré les lamentations de Sophie qui détestait l'Histoire sous toutes ces formes. Dans la danse, il n'y avait vraiment que la technique et l'originalité qui lui plaisait. Le reste, c'était un bonus et elle n'y prêtait attention seulement pour se maintenir dans la course de la réussite.

"Tu te rappelles de ce qu'a dit Madame Ferion la dernière fois  sur le thème de l'examen? Demandai-je à Sophie, alors que nous nous changions en tenue de danse.

- Oui, elle a parlé de passion, d'amour, d'emotions. Je crois qu'elle veut qu'on lui hérisse les poils, s'enquit-Sophie, en riant.

- Ça ne va pas être facile, surtout avec ce thème là, sensation! Lâchai-je, en soufflant.

- C'est clair! Ajouta-Sophie, en faisant claquer sa langue. Mais, j'ai bien réfléchie et je pense faire ma chorégraphie sur Paris. C'est la ville de l'amour, alors je pense qu'il n'y aura rien de mieux pour montrer ce sentiment là.

- Je crois que je vais la faire sur l'amour tout court, moi... Soufflai-je, perdue."

Nous entrâmes dans la salle de danse. C'était l'une des plus belles de l'école et  elle était vide à cette heure plutôt tardive. Je m'avançais doucement sur le parquet lisse et contemplais mon reflet dans les miroirs qui me faisaient face. Mon regard était hagard et incertain. Un léger sourire venait étirer mes lèvres. Mon chignon, un peu désordonné, me donnait un air simple ce qui contrastait avec mon maquillage plutôt sophistiqué.
Derrière moi, de grandes vitres laissaient entrevoir la ville, qui s'étendait dans toute sa splendeur sur des kilomètres entiers.

"La vue est belle, n'est ce pas? Lança- la voix dure de Rosslan à côté de moi."

Surprise, je tournai mon visage vers le sien. Inconsciemment, je m'étais déplacé vers la vitre de la salle et j'observais l'immensité de la ville qui se dessinait sous nos pieds. Sophie, elle, était dans son monde, casque sur les oreilles et dansait.

"Très, c'est presque une des plus belles vues de Paris je trouve, mis à part celle de la Tour Eiffel, bien entendu! Dis-je, dans un murmure. C'est tellement apaisant. D'ici, on a l'impression de se sentir plus grand que la ville, plus grand que tout, alors qu'au fond ce n'est qu'une simple illusion.

- C'est vrai, j'ai toujours eu moi aussi ce sentiment de puissance quand je suis ici, répondit-Rosslan, le regard perdu à l'horizon. C'est comme ci... j'étais protégé de la ville et du monde extérieur. "

Nous restâmes encore quelques minutes dans le silence à contempler la ville bouillir sous nos pieds.

"C'est Sophie qui t'a demandé, lachai-je, en souriant. Tu devrais aller l'aider, elle avait des questions à te poser.

- C'est déjà fait, s'enquit-il, tu sais, ça fait déjà un petit moment qu'on est là  mais tu étais tellement obnubilée par la vue que tu n'as même pas remarqué."

Je soupirai, puis fis volte face pour observer mon reflet dans le miroir. J'étais perdue. En réalité, je ne savais pas du tout quoi faire et quoi penser pour cette chorégraphie. Ça faisait des jours que je réfléchissais et ça faisait des jours que j'échouais à sortir ne serait-ce que quelques pas.

"Tu sais ce que tu veux faire? Demanda-Rosslan.

- Non. Je me voile la face depuis des jours mais non, repris-je, je ne sais pas ce que je veux. Je n'en ai aucune idée et je crois que c'est ça qui me fait le plus peur. Ça ne m'était jamais arrivé avant, j'ai toujours eu de l'inspiration, mais là, je suis totalement perdue...

- Tu sais, ça arrive à tout artiste un jour ou l'autre cette situation là, m'expliqua-Rosslan. Pourquoi crois-tu que certains chanteurs ou même certaines danseuses font des pauses dans leur carrière ? Ce n'est pas pour rien. Chacun a ses moments de doutes. Chacun a ses moments de faiblesses et de peurs. Chacun a ses moments où plus rien n'arrive à sortir de leur tête.

- Et qu'est ce que l'on fait alors dans ces moments là? Demandai-je, penaude.

- On se fait aider par un ami, lança-t-il, simplement en me tendant la main."

Un sourire franc s'installa cette fois sur mes lèvres et j'attrapai sa main. Il sourit à son tour et me fit tournoyer sur moi même. Surprise, je résistai aux mouvements qu'ils m'imposaient. Puis, peu à peu, je me détendis et je me laissai bercer par ses pas, à droite, à gauche. J'étais comme une marionnette. Mes mains bougeaient dans tous les sens et capturaient l'air avec une facilité déconcertante. Mes pieds tapaient sur le sol comme sur un piano. Ma tête, elle, ne restait jamais droite et suivait les mouvements que mon corps lui infligeait.

La musique était douce et me portait comme une fleur sur le parquet. Au bout d'un temps que je ne saurais définir, mes pied commencèrent à bouger d'eux même. Mes mains reprirent le dessus et tentèrent de brasser l'air d'elle même.
Tout mon corps reprenait le dessus et voulait maintenant imposer ses propres gestes.

Mes mouvements saccadés devinrent plus fluides et peu à peu, en répétant les mêmes gestes, je formai ma chorégraphie. Rosslan était toujours auprès de moi, m'appuyant sur certains membres pour m'aider dans certains mouvements.

Au bout d'un moment, j'étais seule. Je construisais un chemin, une histoire, quelque chose de simple, d'élégant et de sensuel à la fois.

"Jette toi! Lança-Rosslan soudainement."

Sans réfléchir, je courrais vers lui, supprimant la distance qui nous séparait avant de sauter dans les airs. Il me rattrapa à bout de bras et me porta un moment alors que j'en profitai pour tendre les mains vers le ciel. Après un moment passé en équilibre, Rosslan me fit glisser au sol délicatement. Nos corps se caressèrent dans le mouvement et je sentis mes joues s'échauffaient.

"Alors, qu'en penses tu ? Demanda-Rosslan, en souriant. Ça ferait une bonne chorégraphie, n'est ce pas ?

- C'est sublime! Dis-je, en reprenant le pas sur mes émotions. C'est parfait, sensuel, rythmée et original. Merci, je n'aurai jamais réussi sans toi!

- Bien sûr que si, Camille, tu aurais réussi, lâcha-Rosslan, en me souriant. C'est juste que tu avais besoin que quelqu'un te rappelle ton potentiel!

- Mon potentiel? Lançai-je, en riant. Il y a  des personnes beaucoup plus talentueuses et techniques que moi dans cette école.

- Peut être, mais la technique ne fait pas tout, chérie! Rétorqua-t-il, alors que nous étions toujours qu'à quelques centimètres l'un de l'autre.

- Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler chérie, m'écriai-je, en m'éloignant de lui. Combien de fois faudra-t-il que je te le répète... C'est pas possible... Tu...

- Tu veux aller prendre un verre ? Dit-il, amusé.

- Fou toi de moi, c'est ça! Soupirai-je, en ramassant mes affaires. Tu sais quoi? À demain!"

Je sortis de la salle en claquant la porte et marchai précipitamment vers la sortie de l'école. Derrière moi, j'entendis la porte de la salle d'ouvrir à nouveau et Rosslan s'écria :

"Tu es sûr que tu ne veux pas aller prendre un verre? Et bien, si c'est comme ça que tu me remercies! "

Je m'arrêtai quelques secondes et me tournai vers lui, vaincue.

"Tu as gagné, mais c'est la première et dernière fois que tu m'appelles "chérie", c'est compris?"

Il ne me répondit pas et me lança un sourire énigmatique.

Adviendra ce qu'il adviendra, pensai-je finalement, alors que Rosslan courrait pour me rattrapait.

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