7. ZEYNA ADAMOVICH
Ça va faire une heure que je regarde la clé USB avec une attention obsessionnelle.
J'ai une idée, et je suis assez intelligent pour savoir que c'est une putain de mauvaise idée.
Mais j'ai un problème : quand quelque chose germe dans mon cerveau, je ne me calme pas avant d'avoir mené à bien le projet. Je me moque de réussir ou d'échouer, je veux juste le faire.
Et je vais le faire !
Mais c'est un projet que je dois mener seul. Je n'ai confiance en personne pour ce genre de chose.
Duncan... Quand j'ai fuis la Sibérie pour venir m'installer aux États-Unis, il a été le premier ami que je me suis fait. Je ne voulais pas de lui sur mes pattes, mais il me suivait partout, surtout pour chercher ma protection, parce que la rue est une jungle. Et le plus malin, à savoir Duncan, aussi surnommé l'Écossais, avait compris que dans cette jungle, il fallait choisir un allié capable d'assurer ses arrières.
On a passé assez de temps ensemble pour que je me fie à lui autant que possible, mais petit bémol : l'Écossais est extrêmement altruiste pour un criminel qui réside dans le sanctuaire, et dans mon plan, il y a une pièce innocente à sacrifier. Et ça, il ne l'acceptera jamais.
Je serre la clé. Mon gant en cuir émet un bruit. Je me lève doucement du lit. Quand je suis venu ici, avec trois vêtements sur le dos, ma chevelure trop blanche et mon corps d'adolescent trop maigre, personne ne me prenait au sérieux. J'ai commencé par être un dealer, mais pour se moquer de moi, mon boss m'envoyait collecter l'argent auprès de types qui faisaient trois fois ma taille et qui, logiquement, devaient faire une bouchée du Russe braillard.
J'ai une logique : je ne me bats jamais quand je sais que je vais perdre un combat. Je suis beaucoup trop intelligent pour laisser mon côté impulsif prendre le dessus. À l'époque, je donnais toujours cinq avertissements au consommateur. Quand je suis revenu la cinquième fois, j'avais deux options : le fric de la came ou sa vie. Il a fait le gros dur, je suis parti avec sa vie. Son pote a fait le gros dur, j'ai pris sa vie et celle de sa femme.
La fusillade s'est passée en pleine rue. Alors évidemment, je me suis fait coffrer par les flics d'Atlanta. C'était sans importance. Je voulais juste imposer le respect, montrer à ces bouseux que mon physique de crève-la-faim n'était pas un frein.
Les deux victimes étaient comme moi des racailles de la société. Alors évidemment, le juge et les jurés n'ont pas perdu leur temps : six ans de prison. Je suis sorti après trois ans pour bonne conduite.
J'étais le prisonnier modèle, quoi de plus étonnant ?
À ma sortie, j'ai quitté Atlanta pour venir à la Nouvelle-Orléans. Je voulais changer de vie, vraiment. Laisser derrière moi la délinquance. Mais l'argent facile a quelque chose de plus addictif qu'une bonne colombienne.
Je me rappelle encore de la première pensée qui m'a traversé l'esprit quand j'ai posé les pieds sur cette ville : j'allais la conquérir, en devenir le roi.
Le prix à payer sera grand, et si mon plan foire, j'aurai une balle dans la tête plutôt qu'une couronne sur la tête. Mais si je ne tente rien, jamais je ne le saurai. Si je ne tente rien, je serai l'esclave du Baron et Adamovitch jusqu'à la fin de ma vie.
Mon téléphone sonne, m'annonçant qu'il est bientôt l'heure de mon rendez-vous. Je m'arrête devant la cheminée et, sans hésitation, je balance la clé USB à l'intérieur.
Tout mon corps se crispe. Quand l'objet se mélange aux bûches et commence à brûler, des mois de travail partent en fumée. Mais si tout se passe bien, cette clé va renaître de ses cendres. Je n'ai pas besoin d'elle. Tout ce qu'elle contient, la formule, est dans ma tête. Je peux la réécrire quand je veux et développer le produit pour moi, et non le vendre à quelqu'un d'autre.
J'enfile mon manteau et me passe une main dans mes cheveux avant de sortir de la chambre. Je remonte le couloir silencieux et faiblement éclairé du sanctuaire. Cet endroit a été pensé pour être un lieu de péché, raison pour laquelle la lumière y est moindre. En général, les gens, même les plus téméraires, n'assument leurs vices qu'au milieu de la nuit.
Je touche la pierre froide du sanctuaire. Il y a dix ans, quand j'ai voulu acquérir cet endroit, Duncan m'a dit que c'était une mauvaise idée. Le prix de vente était exorbitant, la restauration du château allait me coûter un pied, et je ne parle même pas de l'entretien d'un lieu aussi grand. Pourtant, dix ans plus tard, cet endroit est une véritable machine à cash.
Je pourrais m'en contenter. Je suis assez riche, mais ça ne me suffit pas.
Duncan m'attend déjà en bas de l'escalier. Je suis content qu'il soit revenu en vie de sa mission, mais je ne lui montre pas. Je me contente de lui lancer un regard vide. Il me dédie le sourire de l'idiot qu'il a appris à être pour me mettre hors de moi.
– Je rêve ou tu as encore claqué le fric que je travaille dur à gagner dans un nouveau manteau ?
Pour toute réponse, je regarde ses boutons de manchette en diamant personnalisé. Ce connard porte sur lui le PIB de Monaco et il la ramène.
– Ça va, tu sais que les boutons de manchette, c'est mon péché mignon.
Les boutons de manchette, les femmes, l'alcool... Il a beaucoup trop de faiblesses.
– Hm.
Mon péché mignon, c'est le silence. Tout le monde me l'accorde, sauf lui. Bientôt vingt ans d'amitié. Je ne sais pas comment j'ai fait pour en supporter autant. Je mérite une médaille.
– Mesa est arrivé, et je l'ai installée au salon bleu. Sa sœur est une vraie bombe. Je la veux, à quatre pattes sur mon lit.
– Merci. Il a demandé à s'entretenir avec moi en privé. Je mens. L'Écossais s'arrête pour secouer la tête avec insistance.
– Non. Il ne se sépare jamais de ses deux gardes du corps. Il n'est pas question que tu sois seul avec lui.
– Il a demandé à s'entretenir seul avec moi, et j'ai accepté.
Ma voix est devenue dure. J'ai horreur des gens qui passent leur temps à insister, et Duncan le sait.
– Très bien, mais je serai devant la porte.
– Non. Tu vas aller chercher Eric où qu'il se trouve, et tu lui diras de venir me voir.
– Bien. Hey, D, tu prépares un mauvais coup et tu essaies de m'écarter, n'est-ce pas ? Je te connais, mec.
Je secoue la tête. Je n'essaie pas de l'écarter. J'ai juste besoin d'être seul pour la première partie du plan. Parce que Duncan se contente de ce que nous avons obtenu grâce au commerce de la chair et aux différentes cérémonies des sectes satanistes. Mais j'en ai ma claque de tout ça. Je veux beaucoup plus.
Je veux réaliser le rêve de l'adolescent que j'étais. Je veux cette ville.
– Eric fait partie du coup. Va le chercher, et fais-moi confiance.
– La dernière fois que tu as dit ça, on s'est retrouvés en prison.
– Cette fois, on risque de se retrouver six pieds sous terre.
– Ok, ça marche, je vais chercher boiteux.
Il prend la direction opposée à la mienne sans aucune hésitation. Je continue de remonter le couloir. L'un de mes hommes de main me salue d'un hochement de tête avant de s'écarter de la grande porte en bois sculpté pour me laisser entrer.
Mesa est installé dans la seule salle brièvement éclairée du château, mais il n'est pas seul. Il est flanqué de deux de ses gardes et d'une femme que je ne connais pas. Quand il me voit, il ne se lève pas en signe de respect – ne serait-ce que parce que je suis le maître des lieux. Non, il reste confortablement installé sur le canapé en tissu persan qui m'a coûté une fortune, fumant l'un de mes cigares. Je ne m'en formalise pas.
Je m'installe en face d'eux et les salue d'un signe de tête.
– Damon Martinez, je suis Zeyna Adamovich, la fille de Lynx.
Rien à foutre... Je serre sa main tendue du bout des doigts, je suis sur le point de me retirer quand elle s'agrippe à mes doigts, avançant le buste le plus possible. Mes yeux restent obstinément sur son cou, lui donnant l'illusion que je la regarde dans les yeux.
– J'étais curieuse de rencontrer celui qui va bientôt concurrencer mon père et le baron.
Une douleur lancinante me vrille le crâne à la suite de ses mots comme une illumination, mais je l'ignore parce que j'ai pris la décision de mener à bien mon plan peu importe les conséquences. Je serre la main de Zeyna, je remonte doucement jusqu'à m'ancrer dans ses pupilles claire. Un doux sourire incurve ses lèvres peintes en rouge. J'apprécie sa petite robe verte qui est sexy sans être vulgaire, une femme élégante consciente de ses charmes.
– Vous êtes un vrai fantôme, je suis enchantée.
Oui, enchantée, je le suis maintenant que je me rends compte de tout le potentiel que peut représenter cette fille.
Je viens de trouver la boîte de Pandore. Mes yeux parcourent ses longues jambes pour s'arrêter sur ses pieds, recouverts de chaussures élégantes. Je remonte : elle a de minuscules pendants d'oreilles, un médaillon en or et une montre en or avec une attache en cuir.
Je la veux...
Mesa se racle la gorge, me rappelant sa présence et celle de ses hommes. Je relâche la main de sa sœur et m'installe plus confortablement sur mon fauteuil. Je suis tellement heureux que je dois déployer des rivières de self-control pour ne pas sourire. Mes hôtes, inconscients du torrent qui déferle dans ma tête, semblent détendus. Le frère se permet même de plaisanter.
– Tu fais du charme à ma sœur alors que je suis là ? Doucement, le Sibérien. Mais si tu la veux, ça peut s'arranger. Elle vaut très cher.
– Je ne suis pas à vendre, Mesa.
Je ferme les yeux, me laissant bercer par la douceur de sa voix. Elle est absolument parfaite : son visage, son corps, le son de sa voix... Cette fille respire les privilèges de son milieu par tous les pores de sa peau.
– Oui, jusqu'à ce que je décide autrement...
Mesa éclate de rire. Sa sœur se rembrunit, elle a une moue qui la rend foutrement mignonne.
Mon sang bouillonne d'anticipation. Putain, je la veux...
– Bien, le Sibérien, je suis venu récupérer la commande. Où est ma clé ?
– Elle ne sera ta clé que si tu payes pour.
Il se met encore à rire avant de faire un signe de main à l'un de ses gardes, qui pose lourdement un sac sur la moquette. Il l'ouvre et me laisse entrevoir de l'argent avant de retourner à sa place avec le sac.
Je pourrais leur donner la formule et prendre le fric. Rester dans ma zone de confort. Mais on ne me surnomme pas le roi de l'anarchie pour rien.
– Alors, tu me montres cette clé... À moins que les rumeurs ne disent vrai. Quelqu'un a réussi à te baiser.
Je hoche la tête.
– Oui, je n'ai plus la clé. Quelqu'un me l'a volée. Une fille.
Masa éclate de rire. Je ne le regarde pas, mais je jurerais qu'il rejette la tête en arrière. À la place, je suis le jeu de jambes de sa sœur. Elle les décroise lentement, me laissant entrevoir son string rouge, avant de les croiser à nouveau.
– Ça prouve que tu n'as pas les couilles pour ce boulot. Voilà pourquoi tu seras toujours notre pute. Te faire baiser par une fille... Quel échec !
Ses hommes se joignent à l'hilarité générale. Je passe mon pouce ganté sur ma lèvre inférieure. Il pense vraiment m'humilier en disant ça ? J'ai été élevé par une lionne qui n'a pas hésité à baiser la terre entière pour que nos vies à mes frères et moi ne soient pas qu'une succession de problèmes. Elle n'a pas réussi, mais elle a fait de son mieux.
– Mais j'ai entendu dire que tu as récupéré la clé.
C'est Zeyna qui a pris la parole d'une voix claire.
– Pas du tout. Elle s'en est débarrassée. Du moins, j'ai récupéré une clé, mais c'était une fausse. C'est fichu. Dommage pour les millions.
Je hausse theatralement les epaules pour conclure mon discours.
– Tu es en train de me dire que la vraie clé USB est dans la nature ?
interroge Mesa Adamovich.
Zeyna se tortille à nouveau sur le siège.
– Mais de ce que j'ai compris, vous avez vous-même développé la formule. Pourquoi ne pas la refaire ?
Parce que je veux la garder pour moi.
– Ce n'est pas aussi simple que ça.
C'était un travail de plusieurs années. Je vous avoue que maintenant, je ne saurais pas par où commencer pour avoir le même résultat.
Ses boucles tressautent quand elle hoche la tête en signe d'acceptation, et mon sang bouillonne tant je suis impatient de l'avoir à ma merci...
– Oh, je comprends, c'est vraiment dommage...
Son frère se lève d'un bond. Il est rapide et aussi grand que moi. Il contourne le canapé et vient se lever à quelques mètres du fauteuil où je suis assis. Tout ça ne me dérange pas. Les idiots qui cherchent à m'intimider parce qu'ils ont plus de pouvoir que moi, j'en ai l'habitude. Mais je me tends quand il pose sa chaussure sur l'accoudoir du canapé. Il pose sa main sur sa jambe et ploie le buste au maximun, rapprochant son visage du mien.
Je fais semblant, mais je n'arrive pas à calmer ce qui se déploie en moi quand j'imagine la tâche qu'il va laisser sur le tissu.
– Tu veux que je te dise un truc, le Sibérien ? Je ne t'aime pas. Tu es un type pas très net, et tu sors de nulle part en cherchant à te faire une place dans notre monde. Je respecte. Mais tu veux que je te dise un truc ? Évite de te mettre le roi de cette ville à dos. Tu nous as promis un produit révolutionnaire. Je veux ce produit révolutionnaire.
Comporte-toi comme ils attendent de toi et joue ta partie en secret, finement, sans qu'ils sachent que ce sont eux les pions.
– Ta chaussure, retire-la.
– C'est à moi que tu donnes des ordres ?
Je serre les poings, essayant de calmer l'envie que j'ai de voir sa tête voler loin de ses épaules.
– La clé, le Sibérien, ou je te déclare la guerre...
Sa voix, qui se veut menaçante, coule sur ma peau comme une coulée de miel. On dirait un petit chiot enragé qui n'a pas eu sa dose quotidienne de croquettes.
– Mesa, ce ne sont pas des manières. Il t'a déjà dit qu'il l'a perdue. Tout le monde sait que la clé a été volée au cours d'une fête.
Mesa produit un grognement indigné. J'ai tellement fréquenté ce genre de personnes, incapables de contrôler leurs émotions, que j'anticipe sa réaction : faire volte-face et flanquer à sa sœur une gifle monumentale. L'une de ses cinq bagues lui érafle la joue. Je tique. Il vient de lui marquer le visage. C'est dommage, mais ça ne change absolument rien et, de toute façon, c'est la dernière fois qu'il lui fera du mal.
Je veux cette fille, et je l'aurai.
– Comment oses-tu me parler comme ça ? J'ai l'impression que tu oublies souvent qui est le chef ici. JE SUIS L'HÉRITIER DE PÈRE ! Moi, Mesa Adamovich, et pas toi. Alors tu parles quand je te l'ordonne, compris ?
Je surprends l'un de ses gardes qui leve les yeux au ciel. Il n'aime pas le petit chef, interresant.
Mesa est un nom de fille. L'histoire n'est un secret pour personne, ses parents pensaient attendre une fille et avaient choisi un prenom avant la naissance mais quand le bébé est venu au monde ils n'ont pas changé, parce que c'est la femme de Adamovich qui l'avait choisit et qu'elle est morte en couche, pour respecter ses dernieres volonté il a flanquer à son fils un sofriqué qui dans notre monde peut-etre un sacré handicape.
Pour equilibré la balance, Mesa impose le respect par la terreur. Ce mec est un vrai bouché et je m'y connais.
– Oui, je suis désolée, frangin.
Tout le corps de Mesa se décontracte. Il reprend sa position initiale, posant son pied sur mon accoudoir. Avant qu'il n'ouvre la bouche, j'ai déjà extirpé mon couteau de la poche intérieure de mon manteau, et je plante la lame tellement fort qu'elle traverse sa chaussure en cuir, épinglant son maudit pied sur l'accoudoir. Bordel, cette fois, c'est officiel : je vais devoir changer ce magnifique modèle qui m'a coûté une fortune.
Zeyna se lève et accourt pour porter assistance à son frère, tandis que les deux gardes du corps braquent leurs armes sur moi.
Fait chier !
– Comment as-tu osé ! éructe Mesa alors que je me lève du fauteuil en ajustant mes vêtements.
– Dis à tes hommes de baisser leurs armes, ou personne ne sortira du sanctuaire vivant.
Il arrache rageusement le couteau, soufflant comme un bœuf. Je ferme les yeux au supplice quand quelques gouttes tachent la moquette. Mesa jette le couteau dans ma direction, mais il me rate.
Putain, je vais le buter s'il n'arrête pas de salir tout autour de lui.
– Tu n'as pas d'ordre à me donner.
Pour la première fois de la soirée, je le regarde dans les yeux.
– Tu es sûr que tu veux qu'on devienne ennemis ? Vraiment, toi ?
On est tellement proches que nos semelles se touchent. Je ne cille pas, alors que lui a perdu de l'assurance. Voilà pourquoi j'adore cet endroit. C'est mal, mais qui contrôle le désir des gens les contrôle. Personne n'osera jamais me défier parce qu'ils ont honte de ce qu'ils sont vraiment, et ils ne tiennent pas à ce que le monde connaisse leurs désirs les plus secrets.
Mesa recule de quelques pas, se passant une main dans les cheveux pour les discipliner.
– Mesa, tout va bien ? questionne prudemment sa sœur en posant une main sur son épaule.
– Oui, ça va. Damon a sûrement glissé. Il ne voulait pas me faire de mal.
Je me suis déjà désintéressé de lui, lorgnant sur les taches. Même quand je ne les regarde pas, j'ai conscience de leur présence, et ça me rend complètement dingue. Je veux qu'ils dégagent d'ici : sa sœur, ses hommes, et lui, pour ordonner à mes employés de remplacer le mobilier.
– Je suis curieuse, j'aimerais voir cette fille.
Zeyna a pris la parole comme si l'incident du couteau n'était plus qu'un vieux souvenir. Sa voix est douce, persuasive.
– Pourquoi faire ?
Elle se passe la main dans les cheveux sans me lâcher du regard. Ses joues rosissent légèrement, et je me détends. Cette fille représente absolument tout. Que puis-je lui refuser ?
– Simplement parce que je veux mettre un visage sur cette Elvira qui a réussi à déjouer ta vigilance.
Celle de ma sœur, j'ai envie de corriger, mais quelle importance ? Je me suis enculé tout seul en confiant une tâche aussi herculéenne à un poisson rouge comme Rosalia. Elle a bien fait de fuir à Moscou. Je l'aurais tuée avec ses enfants sinon. Mon regard revient encore sur la tâche. Je serre les poings. J'ai l'impression d'entendre sa voix surexcitée, et ça m'est insupportable. Le seul moyen de ne rien entendre, c'est que tout soit impeccable.
– Ma sœur insiste.
Intervient Mesa en prenant sa voix de petit chef. Je hoche la tête et leur demande de me suivre. Même si, pour être honnête, je ne sais pas où je vais. Trois jours se sont écoulés depuis qu'on a quitté le poste, et je ne l'ai plus revue. Je ne sais même plus à quoi ressemblent les traits de son visage.
J'ai eu ma clé, les choses sont à nouveau sous mon contrôle. Le reste n'a pas d'importance.
– Trouve Jay, j'ordonne à l'homme qui était posté devant la porte.
Il revient avec ce dernier à peine une minute plus tard. Jay a les yeux rougis et une marque sur la joue qui atteste qu'il dormait.
– Où est la fille ?
– Laquelle ?
– Celle dont tu dois t'occuper.
– Laquelle exactement ? Les filles dont je dois m'occuper, crois-moi, il y en a des tas.
Il remarque la présence de Zeyna et lui fait un clin d'œil.
– La voleuse.
– Oh, yeux vairons. Bah, elle est avec les autres dans les catacombes, pourquoi ?
– Conduis Mesa et Zeyna à elle, ils veulent la voir. Et demande à quelqu'un de s'occuper du salon, je veux que tout redevienne parfait.
– Vous ne venez pas ?
Je ne prends pas le temps de répondre à Zeyna et m'éloigne. À l'heure qu'il est, Duncan est déjà revenu avec Eric. Il faut que je m'entretienne avec lui. Il est la seule personne qui sait que j'ai réussi à récupérer la clé. Je dois m'assurer de son silence avant de lancer l'opération.
– Une minute, c'est quoi les catacombes ? Qui nous dit que ce n'est pas un piège ? Je n'ai pas confiance en tes hommes. Donc, tu viens. Si les choses doivent barder, on va tous mourir ensemble.
Je retiens un soupir. Si ça peut me débarrasser de lui plus vite. J'emboîte le pas à Jay, qui guide les Adamovich et leurs gardes en direction des catacombes en leur présentant les lieux comme si on était dans un musée.
Je dévale rapidement les marches en pierre. L'exercice est plus dur pour Mesa et sa sœur : l'un à cause de sa blessure, l'autre à cause des talons. D'ailleurs, cette dernière glisse et à la merveilleuse idée de s'accrocher à mes épaules. J'ai un éclair. Moi saisissant son visage d'une main avant d'écraser sa tête contre le mur. Mais je contrôle cette pulsion.
– Je suis désolée.
Elle marche à côté de moi désormais, trop proche. Je ne supporte pas de sentir son bras frôler le mien.
– D'où viennent vos cicatrices ?
Je l'ignore, parce que je sais que ça la titille. Je ne l'ai pas lâchée des yeux dans le salon, et désormais, je vais agir comme si elle n'existait pas. Résultat, elle trouvera un moyen de venir à moi pour avoir des réponses à ses questions, pour voir si quelque chose peut se passer entre nous. Il faut qu'elle vienne...
Je suis tellement impatient d'aller retrouver Duncan et Eric que j'avale la distance jusqu'à la porte en bois encastrée dans l'épais mur de pierre. Je l'ouvre avec mon badge, agacé que Jay prenne autant de temps pour retrouver ses clés.
– Je crois que je vais vomir. s'écrie Zeyna. J'inspire pour canaliser ma rage quand elle me frôle une nouvelle fois. Elle le fait exprès ?
Jay tire une corde pour allumer les lampes enfoncées ici et là dans le plafond.
La cellule est énorme, et il y a deux filles vivantes et trois autres mortes, étranglées par la corde qui devait servir à les maintenir debout.
Je repère la voleuse. Elle fait face à une autre fille, qui commence déjà à nous supplier.
La corde, retenue au mur, est attachée autour de leurs poignets pour maintenir leurs bras en l'air, et une extension est enroulée autour de leurs cous. Si elles bougent trop les bras, ça agit comme une poulie, et l'étau de l'extension autour du cou va se resserrer, soulever les filles jusqu'à les étrangler.
– Voilà, c'est fait ! je lance d'une voix neutre. Partons maintenant.
– Qu'est-ce qu'elles ont fait pour mériter ça ?
Jay est trop heureux de répondre à l'interrogation de Zeyna. Il pointe du doigt les filles, de celles qui sont mortes à celles qui sont toujours vivantes.
– Elle a tenté d'empoisonner un client, elle a mis trop de sel dans un plat, elle travaille pour le baron et vendait des informations, c'est une flic, et c'est une voleuse.
– Alors c'est elle, Elvira ?
Mesa se rapproche de cette dernière, d'une démarche conquérante, comme s'il était chez lui et non dans mon sanctuaire. Je croise les bras sur la poitrine et cale mon épaule contre le mur.
– Hey, tu m'entends ? Elle a clamsé ou quoi ?
Elvira relève prudemment la tête pour ne pas tirer sur la corde. Elle est en sous-vêtements en coton sombre, et ses cheveux détachés encadrent un visage ensanglanté.
– Ses yeux sont bizarres. C'est naturel ?
Je regarde ma montre.
– Ouais, répond Jay avant de me lancer un regard. Je comprends pas trop ce qu'on fait là.
Mesa caresse la taille d'Elvira. Sa grande main remonte, il saisit son sein à travers son soutien-gorge en coton avant de terminer son exploration sur ses lèvres inférieures qu'il caresse au moins durant 10 secondes. Il se met à lui tourner autour avec un sourire appréciateur.
– Où as-tu mis la clé ?
Elle fronce les sourcils et ses yeux difformes se plantent dans les miens. Elle les soutient à peine quelques secondes avant de se détourner.
Quelle déception...
– Je ne sais pas de quoi vous parlez.
– Putain, cette voix. Hey, le Sibérien, je n'ai pas eu la clé. Il y a moyen que j'aie la voleuse à la place ? On gagnera tous un truc. Jay qui s'occupe en general de ce genre de truc, secoue la tête.
– Non, Mesa, désolé, mais cette fille est condamnée à mort. Elles seront exposées dans les cages pour que ça serve de leçon aux autres.
La porte s'ouvre derrière moi sur Duncan.
– D, je n'arrête pas de te chercher. Il s'impatiente.
– J'arrive.
Il s'est déjà désintéressé de moi pour regarder Elvira. Duncan a un énorme problème : il ne pense qu'avec sa queue, et il a toujours eu un faible pour les femmes comme elle.
– Rien à foutre, je veux la punir pour le vol. Après tout, la clé me revenait.
– On n'impose pas sa loi chez les voisins, Mesa. Et en plus, la clé ne revenait à personne. C'était la mienne, et on était juste en négociation.
– Je suis le fils d'Adamovich.
Il se frappe le torse comme un gorille.
– Donc le futur baron de cette ville. J'exige que vous me donniez la fille.
Je serais prétentieux de me qualifier comme un excellent juge de la nature humaine. Pourtant, la première fois que j'ai vu Mesa, je me suis dit : Quel trou du cul. Et ma première impression à son sujet était plus que bonne.
Si Mesa savait qui était mon père à moi, il se pisserait dessus après avoir nettoyé la pisse de son père.
Je fais la moue quand Duncan ouvre une bouteille d'eau pour donner à boire à la voleuse.
– Doucement, beauté.
Il intime alors qu'elle boit trop vite. Quand il en reste la moitié, il se tourne pour en donner à l'autre fille.
La famille Adamovich est la deuxième plus puissante après celle du baron... Les deux familles sont des ennemies jurées, et tout le monde sait que les Adamovich ne veulent plus se contenter de la deuxième place.
Si je leur avais donné la clé, leur suprématie aurait été assurée. Mais même un assoiffé de fric comme moi ne donnerait autant de pouvoir à un imbécile comme Mesa. Son père est intelligent, mais il est vieux. Mon regard dévie vers Zeyna. Elle pourrait être une chef parfaite, mais...
Je secoue la tête et me concentre sur Mesa.
– Tu es le fils du futur baron ?
Je me détache du mur.
– Tu penses que j'en ai quelque chose à foutre, peut-être ? Jay va te raccompagner jusqu'à la sortie.
– Tu auras de mes nouvelles, je te le garantis, Zeyna !
Sa sœur sursautant, avant de lui emboîter le pas. Juste avant de sortir, elle glisse quelque chose dans la poche de mon manteau.
Pas besoin de regarder pour savoir que c'est son numéro de téléphone.
Parfait !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top