6. LEVI AZAROV
Je recule, prête à fuir encore une fois. Cette fois, je ne m'arrêterai même pas pour respirer, mais Damon l'a compris, car il se lève d'un mouvement souple et me retient par la poignée. La seconde d'après, j'atterris contre son torse dur. L'impact étourdissant me coupe le souffle, j'ai l'impression que son contact déverse de la lave en fusion sur ma peau, et c'est très désagréable à tel point que je me débats pour m'éloigner.
Lui, est crispé, montrant par la même occasion que, pour une fois, nous partageons la même aversion.
D'une pression de sa main gantée sur le bas de mon dos, il me rapproche et murmure contre mon oreille, de sorte à ne pas être entendu par le flic.
- Ne cours pas, tu n'as pas compris que plus tu fuis, plus tu me donnes envie de te pourchasser. Tu commences à me faire aimer cette traque.
Puis il s'éloigne et prend mon visage en coupe dans ses mains enveloppées de gants sombres. Je, je suis tellement prise au dépourvu par son geste qu'on pourrait penser que j'avale de travers.
À quoi il joue cette fois ?
Son regard fixé sur mon visage est égal, mais l'une de ses mains descend doucement sur mon cou, et son pouce appuie brièvement sur ma veine palpitante. Et là, un ange passe : je comprends très bien la menace que ni sa bouche ni son expression n'expriment.
- Mademoiselle Lawyers, je suis tellement heureux de te retrouver. Je t'ai cherchée partout !
Ce n'est pas le ton d'une personne heureuse, juste celui de quelqu'un qui aimerait s'acquitter d'une tâche au plus vite et vaquer à ses occupations quotidiennes, à savoir tuer, tuer et tuer, en l'occurrence me tuer moi !
Une peur viscérale me noue le ventre. J'ai beau me convaincre qu'il ne me fera pas de mal dans un lieu public, je suis terrorisée par sa simple présence, et j'aimerais qu'il me lâche !
Le flic s'éclaircit la gorge, me rappelant où je suis et surtout pourquoi je suis là. Je m'éloigne du Sibérien tout en gardant un œil prudent sur lui. Il fait sûrement semblant de se soucier de moi pour ne pas attirer l'attention du policier.
- Attendez, c'est elle, Elvira ? hurle d'ailleurs ce dernier, incrédule.
Je fronce les sourcils. Pourquoi le représentant des forces de l'ordre connaît-il mon identité, du moins celle de ma sœur ? Je repousse ces interrogations avec véhémence : c'est sans importance. Ça tombe bien que Damon soit là, je compte coûte que coûte le faire tomber pour le meurtre dont il s'est rendu responsable.
- Je ne suis pas Elvira. Mon nom est Cercei, et mon père m'a vendue à cet homme.
Je pointe le Sibérien d'un doigt rageur. Il m'observe, la tête légèrement inclinée vers le bas. À la lumière du jour, les trois balafres qui déforment son visage sont encore plus impressionnantes. Imperturbable, il chasse une poussière invisible de son pantalon et se réinstalle devant le flic. Il pose ses coudes sur le bureau et croise ses doigts au niveau de son menton. Son attitude fait froid dans le dos, car il me fait comprendre que je devrais batailler pour avoir gain de cause, surtout avec le policier qui me regarde en secouant la tête ; j'ai l'impression qu'il a pitié de moi, ce qui est ridicule.
- Vous m'écoutez ? Je suis venue porter plainte !
Je pose une main sur le bureau et me penche pour me rapprocher de lui. L'homme en tenue recule ; on aurait dit qu'il a peur que je m'en prenne à lui physiquement. Un lent soupir secoue sa large carrure. La seconde d'après, il s'adresse au Sibérien, m'ignorant complètement.
- Vous aviez raison, quel dommage, une si jolie jeune femme.
Damon, sans jamais lever la tête, hausse une épaule. Je suis très observatrice : il ne regarde jamais les gens dans les yeux longtemps. Pour certaines personnes, ça peut être considéré comme un manque de courage, mais venant de lui, j'ai plutôt l'impression que c'est une manifestation du mépris qu'il témoigne à ceux qui l'entourent. Le mythe du psychopathe, qui se croit supérieur à tout le monde, n'est pas qu'un mythe !
Son attitude détachée me rend complètement dingue !
- La maladie se contrefout de la beauté.
Le flic, encouragé par ses mots, continue sur sa lancée pendant une bonne dizaine de minutes. Il parle sans interruption, de moi, de maladies et de vies gâchées par la drogue, sans jamais m'accorder d'importance. Je me rends vite à l'évidence que je ne trouverai pas d'aide avec ce type, qui semble complètement obnubilé par Damon. Le menton posé sur ses doigts croisés, il l'observe en silence. Il faut que je parte. Pas question d'abandonner : il y a sûrement d'autres postes dans cette ville.
Le Sibérien se lève brusquement, et je me glace. Pourquoi je ne prévois jamais ses mouvements, même quand je ne le lâche pas du regard ?
- Je t'ai déjà ordonné de ne pas bouger d'ici !
- Tu n'as pas d'ordre à me donner, je ne suis pas ta chose.
Son regard se rétrécit, je recule effrayée, mais bordel, pourquoi je la ramène ? Je me concentre sur le policier dont le regard joue au ping-pong entre nous deux.
- Qu'est-ce qui se passe ici ? Vous m'écoutez quand je vous dis que je viens porter plainte contre cet homme, mon père et ma sœur...
- Elvira, regarde-moi.
Il pose ses mains gantées sur mes épaules. Le ton persuasif de sa voix agit comme un sort. Moi, qui ai toujours du mal avec les contacts visuels à cause de ma déformation, je m'ancre dans ses pupilles, incapable de me détourner.
- Je sais que ce n'est pas facile, ce que tu vis, mais je suis là pour t'aider. On va retourner à l'hôpital et...
- Un hôpital ? Mais quel hôpital ? Peu importe, je n'irai nulle part avec un sadique comme toi. Et ne me touche pas avec tes mains souillées de sang.
Ses paupières se plissent brièvement et, encore une fois, il se concentre sur mon cou. Dans un réflexe stupide, je pose ma main sur cette partie de mon corps, persuadée que la seule chose qui empêche Damon de me tuer, c'est la présence des caméras de surveillance.
- Qu'est-ce qui se passe ici ? Elle fait tellement de bruit que je l'entends depuis mon bureau.
Une porte s'est ouverte juste derrière moi sur une femme vêtue d'un tailleur-pantalon bleu. Elle est grande, mince, avec un visage si sévère qu'on n'a pas envie de lui chercher des noises. Mes épaules s'affaissent : je doute de pouvoir trouver assistance chez elle.
L'agent se lève à une vitesse ahurissante pour quelqu'un de sa corpulence.
- Madame, ce n'est rien de grave. Je vous présente le docteur Levi Azarov. Il travaille à l'hôpital psychiatrique du Vieux Carré et est venu nous signaler la disparition de l'une de ses pensionnaires.
L'information atteint mon cerveau. Quand je comprends que le Sibérien m'a tendu un piège, une chape de plomb s'abat sur moi et mes jambes deviennent du coton. Je me retiens au bureau pour ne pas m'effondrer. Il me regarde encore, et je jurerais que cette fois il est amusé.
- Quoi ? Mais c'est complètement ridicule ! Je ne suis pas folle ! Je m'appelle Cercei, j'habite à Reno dans le Nevada, et mon père m'a fait venir ici sous prétexte que je devais donner mon rein à ma sœur. Et il... mais c'était un piège ! Il a tué Amanda, la gouvernante, puis il m'a vendue à ce type et il... lui...
Je pointe un doigt accusateur en direction du Sibérien, qui ne bronche pas, mais la nouvelle venue m'encourage d'un signe de tête, les sourcils froncés rendant son visage encore plus sévère.
- Lui a mutilé mon père, il l'a castré, et il veut me tuer ! Il a aussi tué un pauvre automobiliste. Faites des recherches et vous verrez !
Le désespoir me prive de ma capacité de respirer parce que personne ne me croit. Je me rends compte que j'ai l'air d'une demeurée avec mon discours décousu, mes cheveux en bataille, et ma robe trop grande. Alors que, contrairement à moi, le Sibérien, lui, est parfait. Ses vêtements n'ont pas un pli, sa coiffure est certes en bataille, mais ça lui donne de l'allure. Il s'exprime avec assurance, captivant tout le monde, même moi au passage.
Dans une société où tout est dans le paraître, je n'ai aucune chance face à lui. Des larmes de frustration dévalent mes joues. Je serre les poings, résistant à l'impulsion de lui sauter dessus et de le griffer jusqu'à ce que j'obtienne enfin une réaction de sa part.
- Vous pouvez la prendre, docteur... intime l'homme avec un soupir.
Je bondis en arrière suite à sa déclaration, prête à fuir. J'ai vraiment été stupide de croire que je trouverais du soutien ici. Mais la femme me bloque le chemin ; elle me retient par le poignet. Son regard sévère balaie son collègue, mais ses mots sont dirigés vers le Sibérien.
- Vous pouvez prouver votre identité, docteur ? Je ne la laisserai pas quitter l'enceinte du poste sans avoir vérifié que vous êtes en règle.
Une lueur d'espoir émerge enfin. Mes larmes se tarissent instantanément, et je regarde la femme à l'accent cajun comme si elle était un ange tout droit descendu du ciel. Le Sibérien a sûrement acheté l'autre con pour qu'il me livre sans sommation. Mais comment a-t-il su que je viendrais ici ? Il m'a suivie ou... il l'a deviné. C'est évident : quand une personne parfaitement constituée est en danger, elle va chercher du secours auprès des forces de l'ordre, même si, dans la plupart des cas, ils ne servent pas à grand-chose.
Damon cligne lentement des yeux. Il se penche pour saisir une mallette posée près du siège où il était installé et la pose sur le bureau de manière brusque avant de l'ouvrir avec dextérité. Je suis chacun de ses mouvements avec la fascination d'un chat qui vient de voir les illuminations sur un sapin de Noël pour la première fois.
Mais mon alarme interne s'allume. Il va sûrement en sortir une arme et arroser les deux policiers de balles. Non, l'accueil est truffé de caméras de surveillance. Je ne le connais pas, mais je ne pense pas qu'il puisse être irréfléchi à ce point !
Dans la mallette, il y a juste des papiers, et ça m'inquiète plus que s'il s'agissait d'armes radioactives.
- Voici son dossier médical, ses papiers que nous gardons dans nos archives, et, évidemment, voici de quoi prouver mon identité et ma profession. J'ai même eu la prétention d'apporter mon diplôme : on n'est jamais trop prudent.
Cette dernière phrase m'est dédiée, car il a tourné la tête vers moi.
- Elvira a été internée par son père il y a quelques mois. Elle souffre de troubles psychotiques, de schizophrénie si vous préférez. À cela s'ajoutent des troubles histrioniques : autrement dit, les personnes ayant ce trouble cherchent souvent à attirer l'attention et à dramatiser les situations. Elles peuvent créer des scénarios exagérés ou fictifs pour captiver les autres.
Il fait un pas dans ma direction. Je suis tellement captivée par son aisance et sa dextérité à mentir que je ne bouge pas.
- Elvira adore attirer l'attention sur elle en racontant des histoires sans queue ni tête que son cerveau malade invente. Elle vit constamment dans sa propre réalité.
- Hum, je vois ça !
La femme cajun, inconsciente de la bataille qu'on se livre par le biais de nos yeux, feuillette le dossier médical inventé de toutes pièces, la tête légèrement penchée sur le côté.
- Si son cas est aussi critique, pourquoi ne pas la surveiller ?
- Une fois par mois, nous permettons à nos pensionnaires qui sont sur la bonne voie de guérison de sortir faire une activité qui leur fera plaisir. C'est un nouveau programme qui va nous aider à voir comment ils réagissent en société et qui permet aux patients de souffler un peu loin des murs de l'hôpital. Mais Elvira est maligne : elle a profité d'un moment d'inattention pour me fausser compagnie. Je peux vous garantir que ça n'arrivera plus.
Ma déglutition se fait pénible. Il n'y a pas de façon plus explicite de dire que je ne verrai plus jamais la lumière du jour.
- Bien, bien, tout est en règle à ce que je vois. Vous pouvez y aller...
- Non, je vous en prie, ne me laissez pas partir avec lui, c'est un menteur, je ne suis pas folle.
Je m'agrippe si violemment au bras de la policière que le dossier médical s'effondre sur le sol.
- Il ment, vous comprenez, il n'est pas psychiatre, mais moi si ! Je m'appelle Cercei et je suis de Reno. Il faut que vous me croyiez ! Faites des recherches sur la base des données et vous verrez que je vous raconte la vérité. Je vous en prie, ne le laissez pas m'emmener, il va me tuer...
Je ne saurais dire si elle est effrayée ou embêtée que je me cramponne à elle ainsi, mais cette femme est mon seul espoir. Elle doit me croire. J'ai réussi à fuir par deux fois. Cette fois, Damon ne fera pas l'erreur de me laisser des opportunités. Si je franchis la porte du poste avec lui, je deviendrai Elvira pour le meilleur et surtout pour le pire !
- Il faut que vous me croyiez ! C'est un assassin, et il me tuera si je pars d'ici...
Ma voix se brise et mes yeux se remplissent de larmes.
- Écoutez, Elvira, je viendrai vous voir à l'hôpital pour m'assurer qu'il vous traite bien, je vous le promets.
Elle lance un regard à Damon qui acquiesce en clignant des yeux.
- Mais je ne suis pas Elvira, putain !
Ils m'ignorent et poursuivent leur conversation.
- Naturellement, les visites sont sur rendez-vous.
- Même pour la police ?
- Même pour le président de la République. C'est une clinique privée, pas une propriété de l'État. Maintenant, si vous avez fini, j'aimerais partir.
Elle tique, ce qui démontre qu'elle n'apprécie pas la prétention dont fait preuve Damon, mais néanmoins, elle autorise le monstre à quitter les locaux.
Bordel, je suis fichue ! Je reste figée sur place alors que Damon range ses papiers falsifiés et ceux que je devine être ceux d'Elvira dans sa mallette.
- Je vous remercie pour votre disponibilité.
Il me saisit la main et me tire en direction de l'extérieur. Sa prise est aérienne, mais j'ai l'impression qu'il me broie les doigts. Ce n'est pas physique, mais psychologique : il me fait tellement peur que j'ai tendance à surimaginer absolument tout.
Notre progression se fait comme au ralenti. Mes jambes me portent, Dieu sait comment. Je me sens plus bête que je ne le suis déjà. Pourquoi ai-je voulu jouer les héros ? J'aurais dû prendre le premier bus en direction de Reno et ne plus jamais revenir dans cette ville.
Dès qu'on franchit la porte du commissariat, une ultime larme roule sur ma joue, comme la métaphore de mon espoir qui disparaît à jamais.
À l'extérieur, il y a une parade. À sa tête, un homme vêtu d'un costume coloré joue de la trompette, suivi de son orchestre et de plusieurs personnes extravagantes qui applaudissent en rythme. Un peu plus loin, un groupe de touristes prend des photos avec le mirror man, un homme vêtu d'une tenue constituée de bouts de miroir qui reflètent toute la lumière du soleil.
Ces scènes joyeuses sont tellement en décalage avec ce que je vis que j'ai une crise de rire qui se transforme en crise de larmes.
- Vous n'allez pas vous en sortir comme ça. Tôt ou tard, vous finirez par payer pour tout le mal dont vous êtes dépositaire, tôt ou tard, vous trouverez quelqu'un de plus fort que vous.
- Une chance pour moi que tu n'aies pas les couilles d'être cette personne.
Je me rembrunis, parce qu'il a raison. Je n'ai pas le courage d'être cette personne malgré toute la haine que je ressens pour lui. Mon attention se détourne de la parade qui bloque la circulation pour me concentrer sur le type adossé à la SUV de la vieille, fumant une cigarette. Il me fait un sourire narquois, s'écarte de la portière qu'il ouvre et me demande de monter avec une révérence exagérée. Je reste plantée sur place ; je pourrais m'enfuir et me mêler à la foule, la parade est une parfaite couverture.
- Vas-y, cours. Cette fois, je vais tuer chaque putain de personne qui t'aidera, comme je l'ai fait avec la blonde qui t'a donné l'asile.
L'image de la jardinière me met à terre. J'ai l'impression que sa robe me brûle. Je ne m'étais pas trompée : il m'avait suivie et a éliminé une personne qui ne savait même pas que je dormais dans son jardin. Je me tourne vers lui, le visage déformé par la haine.
- Je vous déteste...
- Bienvenue au club. Marmonne le nouveau avant d'éclater de rire. D'un regard, Damon lui fait avaler son rire.
- Monte avant que je te donne d'autres raisons de me détester. Tu n'as pas idée à quel point j'en meurs d'envie.
Je suis forcée d'obéir parce que j'ai perdu la volonté de me battre. Par deux fois, je me suis enfuie, et les deux fois, il s'en est pris aux personnes qui ont eu le malheur de croiser ma route. Je me glisse sur la banquette, parce que j'ai joué et perdu, parce que je suis lasse de savoir que des gens sont morts à cause de moi encore et encore...
J'ai le malheur de voir Damon s'installer lui aussi sur la banquette, mais juste avant qu'il ne ferme la portière, un gamin se campe devant lui. Il doit avoir une dizaine d'années, de type caucasien. Il est extrêmement maigre et ses vêtements ont connu des jours meilleurs. Dans cette ville qui semble faire la fête en continu, l'extrême richesse côtoie l'extrême pauvreté.
- Vous auriez une pièce, monsieur ?
Le deuxième type, celui qui est derrière le volant, éclate de rire, provoquant chez le gamin une expression perplexe. Damon glisse la main dans la poche intérieure de sa veste. Persuadée qu'il va dégainer et abattre le jeune mendiant même dans une rue animée, je me jette sur lui en retenant sa main.
- Non, ne faites pas ça !
Dans le mouvement, je me suis installée sur sa cuisse musclée, et j'ai l'impression que sa présence trop proche me brûle. Tout mon corps se met à trembler de peur, et un sentiment de répulsion oppresse ma poitrine.
- Qui t'a donné l'autorisation de me toucher ?
Je sursaute alors même qu'il a parlé doucement. Mince, pourquoi je me mets toujours dans la merde pour les autres ? Maintenant, c'est moi qu'il risque de tuer.
- Ce n'est qu'un enfant !
- Lâche-moi !
J'obéis à la vitesse de l'éclair. Ma main relâche son poignet, mais je suis incapable de bouger. Je veux intervenir s'il décide de faire quoi que ce soit à l'enfant. Damon sort enfin sa main de l'abri du tissu hors de prix qui constitue sa veste. Elle tient une liasse de billets qu'il passe au gamin sans me quitter des yeux, comme pour me narguer, moi et mon jugement erroné. Le gamin et moi-même écarquillons les yeux dans une synchronisation parfaite.
- Merci, monsieur, que Dieu vous bénisse, vous êtes le meilleur !
Le gamin, même dans son exaltation, n'est pas tout à fait stupide, car il glisse l'argent dans son caleçon puis s'enfuit en courant après avoir fermé la portière.
Il lui a donné de l'argent ? Pourquoi ça me sonne tellement qu'il ait fait une bonne action ? Pourquoi ? Je suis vraiment en train de me poser ce genre de question au sujet de la personne qui m'a achetée, mutilé Adams et tué deux personnes innocentes.
Mon regard est attiré par la cicatrice sur son cou, seule une partie est dévoilée par le col de sa chemise. Mais, comme celle sur son visage, elle a été faite au couteau. Cette unique cicatrice est spéciale parce qu'elle prouve que la personne à qui il la doit a vraiment voulu le tuer. En général, quand on vise cette veine, c'est avec la certitude que la victime ne se relèvera pas.
Ce monstre doit sûrement avoir autant d'ennemis que j'ai de globules. Je me rends compte que je suis en colère contre la personne qui l'a mutilé : elle aurait dû frapper avec plus de force, s'assurer que Damon ne se relève jamais. Faire un putain de bon travail.
Pourtant, il est toujours là, impassible, vide, méchant. La représentation parfaite de ce que je me fais d'un monstre.
La psy en moi s'échauffe. Qu'a-t-il bien pu se passer dans sa vie ? Quel est l'élément déclencheur de toute cette folie meurtrière ? Qui l'a assez blessé pour faire de lui un monstre ? Mue par sa propre volonté, mon doigt se lève, je veux toucher la cicatrice, savoir jusqu'où elle va...
Je suis brusquement repoussée en arrière. Mon corps heurte la portière, ce qui me ramène sur la terre ferme. J'étais toujours sur sa cuisse alors que la voiture a démarré, s'éloignant du poste de police.
Le Sibérien réajuste ses vêtements, passant la main à plat sur le tissu pour faire disparaître les froissements, et se réinstalle confortablement contre la banquette.
Le chauffeur me fait un clin d'œil à travers le rétroviseur avant de se concentrer sur Damon.
- Tu veux que je trouve un endroit calme pour qu'on se débarrasse d'elle ?
Hein ? J'écarquille les yeux. Merde ! Maintenant que j'y pense, où est Duncan ? Il l'a sûrement tué parce que ce dernier m'a défendue par deux fois. Sans détourner les yeux de la ville qui défile, il répond :
- Non, le commissaire Wallen n'est pas dupe. Elle viendra fouiner à l'hôpital. Je vais la garder jusqu'à ce que cette histoire lui sorte de la tête.
- Qu'est-ce qu'on va faire d'elle, alors ?
- Faites ce que vous voulez, tant qu'elle ne croise plus jamais ma route.
Et la discussion est close. Le côté positif, c'est que je vais survivre. Mais jusqu'à quand ? Le chauffeur semble satisfait par la réponse, parce qu'il me regarde toujours avec son sourire goguenard, qui me fait comprendre que j'aurais dû laisser Damon me tuer durant cette averse.
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