Sam
La sonnerie de mon réveil vient me tirer de mon sommeil avec une douce mélodie qui n'appelle qu'à se rendormir, ce que je fais sans hésiter. Après être rentrée chez moi hier soir, je me suis souvenue des devoirs à faire pour aujourd'hui et que j'avais négligés. Je me suis donc couchée plus tard que prévue et me voilà en retard dès le deuxième jour de classe.
Je n'ouvre les yeux que quelques minutes plus tard, suffisamment tôt pour que je puisse encore espérer arriver avant la sonnerie au lycée mais toutefois trop tard pour m'offrir un petit-déjeuner. Après une toilette expéditive et un coup de brosse dans mes cheveux, je me précipite en direction du lycée.
J'arrive quelques minutes avant la sonnerie et, instinctivement, je cherche du regard Gwen. Je la trouve sur ma gauche en compagnie d'un garçon que je ne connais pas. Elle sourit toutes dents dehors et agite sa tête dans tous les sens. Ses yeux pétillent et elle sautille d'une jambe à l'autre : tous les symptômes d'une tentative de séduction. Je décide de la laisser tranquille et reporte mon attention sur les portes de l'établissement.
Mon regard se pose sur le coin de la façade contre laquelle j'ai été agressée hier. Je me revois dos au mur, mes yeux plongés dans ceux gris de mon agresseur. J'y ai lu une telle haine, tant de colère que j'aimerais vraiment savoir ce que j'ai bien pu lui faire. Je me tourne vers l'arrêt de bus que je trouve vide : ils sont déjà là. Je me demande pourquoi je suis autant attirée par un groupe aussi étrange alors que j'ai fait l'amère expérience de leur animosité. Je décide d'aller directement dans ma salle de classe, Gwen m'y rejoindra.
Je traverse lentement le rez-de-chaussée et gravis les marches qui me séparent du premier étage. Je m'apprête à entamer l'ascension du second niveau lorsque je surprends des voix chuchoter. Je poursuis mon chemin lorsque j'entends prononcer mon prénom. « Elle s'appelle Jaz ». Je stoppe net et fais demi-tour. Je redescends les deux marches et m'approche progressivement des voix. Je pénètre dans le hall et trouve Yasmine, Liam, la rousse et l'étrange garçon en train de discuter à l'extrémité du couloir, près de la fenêtre qui offre une vue plongeante sur la cour extérieure. Je n'entends que la fin de leur conversation :
— Tu es vraiment sûr de toi Sam ? demande Liam au garçon face à moi.
— J'en suis certain. Ses yeux... sa bouche... C'est elle, j'en suis certain.
— Pourtant, elle n'a pas l'air de t'avoir reconnu, ajoute la rouquine.
Ils parlent de moi, c'est indéniable. Mais pourquoi ce garçon, Sam, prétend me reconnaître ? Je ne l'ai jamais rencontré, pas le moindre doute, je m'en serais souvenue.
— Tu devrais lui parler, propose Liam.
Les regards de Yasmine et de Sam se posent sur moi et me fixent. Liam s'étonne de leur inertie et se tourne dans ma direction. Je baisse mon regard vers le bas, gênée d'avoir été prise sur le fait, en plein espionnage. Mes mains s'agitent et j'entrecroise mes doigts en espérant me détendre. Sam serre à nouveau les dents, immobile. J'aimerais vraiment m'enfuir à toute vitesse, mais mes jambes restent paralysées. Va-t-il à nouveau s'en prendre à moi ici, au milieu du couloir ?
Ma respiration devient rapide et peu profonde, mon souffle se saccade. Mes pieds ne me répondent toujours pas et mes yeux ne parviennent pas à se détourner du regard gris. Il commence à s'agiter et je le vois serrer les poings et pincer ses lèvres. Mon sang ne fait qu'un tour, il me fait peur. Mes épaules se voûtent et je détourne enfin mon regard, un court instant, tout juste le temps de le voir se mettre en mouvement dans ma direction. Satanées jambes, obéissez-moi !
En trois pas, Sam se trouve face à moi. Je ne peux réprimer un geste de recul alors que ma bouche devient pâteuse. Il esquisse un léger mouvement et me tend une main. Je reste figée et me contente de le regarder.
— Je m'appelle Sam, et tu es... ? lance-t-il simplement, comme si de rien n'était, alors que de une, il m'a agressée hier, et de deux, il connaît déjà mon prénom.
Aucun son ne sort de ma bouche et je reste immobile. La colère gronde en moi : je n'ai jamais été le genre de fille à rester paralysée juste parce qu'un garçon, très beau, il faut l'avouer, je dirais même sublime, daigne m'accorder un peu de son attention. Je sens deux forces extrêmes lutter en moi : le feu de la curiosité contre la glace de la peur. Le combat est trop long et en un éclair, la rousse apparaît près de nous. Elle ne porte pas de tresses aujourd'hui et elle a emmêlé les deux côtés du bas de sa chemise blanche de manière à laisser apparaître son ventre. Avec sa jupe plissée, elle a tout l'air d'une étudiante hyper sexy, celle du genre que l'on voit dans les séries américaines. Elle s'approche de Sam, qui a rabaissé sa main, et colle presque sa bouche contre son oreille.
— Pas maintenant, Samuel, tu ne tireras rien d'elle, elle est en panique, chuchote d'elle en affichant un sourire sulfureux tout en me dévisageant.
Sam reste immobile une seconde de plus, puis il s'écarte de moi, les yeux toujours plongés dans les miens. Étrangement, je n'y lis plus de l'animosité, seulement de l'incompréhension, je crois. Il brise le contact en abaissant son regard puis il s'en va, tout simplement, accompagné par la femme fatale. Je ressens une pointe de jalousie. C'est étrange, ce garçon m'a montré la pire partie de lui pourtant, ma curiosité m'attire vers lui.
Liam me tire de ma torpeur alors que la sonnerie retentit. Il me salue et m'invite à rejoindre notre salle de classe au deuxième étage avec lui et Yasmine. Cette fille a vraiment quelque chose d'étrange. Elle ne parle quasiment pas et elle me donne l'impression de faire tout son possible pour se fondre dans le décor, comme si elle avait peur de déranger. Lorsque nous rejoignons les autres élèves, je retrouve Gwen installée à une table au dernier rang. Elle s'agite dans tous les sens. L'emplacement qu'elle a choisi et son état d'excitation ne me laissent aucun doute : nous allons passer l'heure qui suit à parler du garçon qu'elle a rencontré.
Liam et Yasmine s'installent sur la table à notre droite et, tout comme hier, ils se montrent très discrets. Ils n'interviennent pas en classe et se contentent de prendre des notes, ce que j'ai moi-même beaucoup de mal à faire avec une Gwen presque hystérique à mes côtés. J'essaie d'être une bonne amie, mais mon esprit vagabonde dans le couloir du premier étage.
— Jaz ! m'interpelle mon amie. Tu m'écoutes ?
J'affiche un sourire et acquiesce d'un signe de tête. Elle reprend :
— Il a changé de lycée parce qu'il a été renvoyé du sien.
Super, encore un bad boy qui va lui briser le cœur. Génial, elle a tiré le gros lot dès la rentrée.
— Mais ce n'était pas sa faute : apparemment, il n'a fait que se défendre. C'est fou ça, quand même ! Les chefs d'établissements sanctionnent n'importe comment de nos jours !
— Fais attention Gwen, déclaré-je. Je ne voudrais pas qu'il te fasse du mal.
Elle secoue la main pour rejeter mon idée, comme si cela n'était pas possible. Je regarde autour de moi et mon regard tombe sur Liam. Ses yeux entourés de noir semblent divaguer loin des murs de cette salle. Je remarque que ses pupilles sont d'un noir intense, si profond que seules les ténèbres y sont lisibles. Je reviens à moi et me tourne vers mon amie et lui chuchote :
— Et Liam, il n'est plus l'amour de ta vie ?
Gwen retrousse sa lèvre supérieure et secoue légèrement la tête de droite à gauche.
— Je ne sais pas trop... Après ce que t'as fait son copain hier, je ne sais plus quoi penser de lui. Et puis Nolan m'a l'air plus intéressant, pour le moment en tout cas.
Je n'insiste pas plus et reporte mon attention sur le cours. Je suis en dernière année et je tiens absolument à ne pas passer une année supplémentaire ici.
La pause déjeuner arrive et une fois de plus, Gwen et moi nous installons à notre table habituelle, à l'écart des autres élèves. Je choisis la place me permettant de garder un œil sur les personnes entrantes dans le self. Je touche à peine à mon repas, mon esprit vagabondant bien trop loin pour me permettre d'avaler quoi que ce soit. Gwen ne fait pas attention à moi : son nouvel ami s'est installé près de nous et elle enchaîne les œillades et les sourires à son égard, ce que je trouve un peu puéril pour de futures adultes comme nous.
Mon cœur rate un battement lorsque les quatre nouveaux entrent et s'assoient. Mon regard croise celui de Sam et j'esquisse un léger sourire du coin des lèvres. Sam ne s'attarde pas et se détourne de moi. Il jette son plateau face à lui et se place dos à moi en m'ignorant totalement. Quelle idiote ! Ou je souris à un fou qui s'en est pris à moi, ou je reste paralysée face à lui. Un vrai cliché de la fille naïve qui s'amourache de son pire ennemi.
Je reporte une fois de plus mon attention sur la rouquine et remarque qu'elle a détaché sa chemise et l'a placée soigneusement dans sa jupe écossaise. Sa crinière de feu est attachée par un élastique large et elle affiche une innocence presque enfantine. Nos yeux se croisent et je la vois me sourire timidement. Cette fille est vraiment étrange. Sam relève la tête et se tourne vers moi : une fois encore, je me sens transparente et son regard passe au-dessus de moi.
Il déplace sa chaise pour empêcher la rousse de me voir et reprend son repas. Je supplie Gwen de se dépêcher de manger, mais sa séance de séduction avec Nolan tarde trop pour moi. Je lui annonce devoir me rendre en urgence à la bibliothèque, m'excuse de partir si vite, et je m'enfuis loin de cette pièce immense qui, subitement, me paraît semblable à une boîte d'allumettes.
Alors que je tente de fuir le plus loin possible de ce garçon étrange, je me cogne sans le faire exprès contre Charlotte. Elle laisse tomber à terre quelques livres et me fusille du regard.
— Idiote ! Tu ne peux pas regarder où tu vas ?
— Je... je suis désolée, balbutié-je en l'aidant à récupérer ses livres.
— Qu'est-ce-qu'il se passe ? Tu cours comme si tu avais le diable aux trousses ?
Elle échange un regard moqueur et plein de sous-entendus avec Elodie et Laurie, ses deux pestes de copines. Elles ricanent en attendant que leur grande sainte amie poursuive son discours. Je m'apprête à prendre la poudre d'escampette lorsqu'elle me retient par le poignet :
— Je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais il avait vraiment l'air furax, hier ! se moque la blonde.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, mentis-je en fuyant son regard.
Charlotte plisse les yeux et se place pile face à moi. Du haut de son mètre soixante dix auquel il faut ajouter au bas mot huit centimètres de talon, elle me fixe.
— Tu sais très bien ce que je veux dire. Je parle de Samuel, le nouveau. Pourquoi il s'en est pris à toi hier ? Qu'est-ce que tu avais fait ?
Je me vexe de ses paroles. Ce n'est tout de même pas ma faute s'il m'a sauté dessus. Cette fille m'agace et je veux me débarrasser d'elle le plus vite possible !
— Qu'est-ce-que cela peut bien te faire ? Après tout, il n'est rien de plus qu'un cas social aux antipodes de tes petits amis habituels, riches et prêts à se ruiner pour toi !
— Peut-être... hésite la poupée blonde. Mais j'ai bien envie d'aller me frotter au bas peuple, après tout. Cela me changera !
Je sens la colère monter en moi. De la colère ou de la jalousie ? Je sais que lorsque Charlotte décide de mettre le grappin sur un garçon, rien ne l'empêche d'atteindre son objectif. En même temps, elle est si belle ! Cela ne m'a jamais plus dérangé que ça, après tout, car nous n'avons pas du tout les mêmes goûts en matière de garçons. Mais le fait qu'elle jette son dévolu sur Sam me perturbe vraiment. Je dois être bonne à enfermer pour m'enticher d'un garçon violent, lunatique et je ne sais quoi encore !
Je décide de me réfugier à la bibliothèque, mon havre de paix depuis toujours. J'aperçois au loin Gwen sortir en riant avec Nolan : inutile que je l'attende, elle ne viendra pas.
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