Petite pause dans toute cette folie

Ce que j'ai découvert chez Samuel ce matin me perturbe vraiment. J'ignore pourquoi, mais je sens au fond de moi qu'il ne m'a pas menti sur son histoire, ni même sur celle de toutes ces filles qu'il a aimées ou qui l'ont aimé. Mais le voir s'amuser avec une autre future victime, me retrouver au poste de spectatrice de cette horreur, je ne peux pas m'y résoudre.

J'ai mis plus d'une heure à rentrer chez moi : le bus dans lequel je m'étais engouffrée n'était évidemment pas le bon et j'ai dû en changer trois fois pour parvenir à rejoindre ma chambre. Je me suis alors jetée dans mon lit, le lieu le plus sécurisant qui existe sur Terre pour tous les adolescents. Je n'ai pas pleuré, j'ai réussi à contenir le torrent. Après tout, pourquoi me serais-je laissé aller ? Samuel n'était rien de plus qu'une nouvelle connaissance.

Je me suis cependant assoupie et j'ai sombré dans un sommeil sans rêves. Je n'ai repris conscience que sous les coups d'oreillers de Gwen. Je protège du mieux que je le peux mon visage mais ma meilleure amie semble décidée à me maltraiter jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ou que je me rebelle. Va pour la rébellion !

Je saisis mon énorme chien en peluche, le seul objet venant de mon père en ma possession, et je lui assène autant de chocs que possible. Nous rions de bon cœur et cela me fait beaucoup de bien. Mes découvertes de ces derniers jours m'ont chamboulées et j'ai réellement besoin de remettre les pieds sur terre. Et qui de mieux pour m'aider à le faire ?

Nous tombons toutes les deux à bout de force quelques minutes plus tard. Allongées côte à côte, nous regardons mon plafond, le visage béat et essoufflé. L'absence de Gwen ces dernières semaines m'a vraiment pesé. J'aimerais vraiment lui parler de ce que j'ai appris, mais quelque chose en moi me retient et me lance sur un autre sujet :

— Alors, tu as remis le couvert avec Nolan ?

— Non, et je ne pense pas que cela arrivera, déclare-t-elle posément, à ma grande surprise.

— Et il y a une raison particulière... ? insisté-je.

Gwen prend le temps de la réflexion, et contrairement à son habitude à elle, je lui laisse tout le loisir de le faire.

— Les choses ont changé. Moi-même j'ai changé et je ne veux plus m'attacher aussi rapidement à un garçon. Plus jamais. Tu promets de m'aider.

Je m'esclaffe de rire : Gwen ? Renoncer à ces coups de cœur ? Impossible !

— Je ne peux pas te le promettre, Gwen. Cette façon de t'attacher aux gens, c'est une partie de toi et je ne peux pas t'aider à y renoncer.

— Cela me coûte tellement... marmonne-t-elle dans un soupir.

Je tourne la tête vers ma meilleure amie et remarque que ses traits sont tirés et son sourire affaissé. J'ai totalement négligé Gwen ces derniers jours. Il faut dire que Liam et Samuel ont complètement envahi ma vie. Je me redresse brusquement et me place face à son visage.

— Allez hop ! J'ai eu ma dose de garçons ! Soirée films romantiques pour nous ce soir ! Et tu dors ici, il en va de soi !

Un sourire mutin s'étire sur les fines lèvres de Gwen.

— Sois plus précise lorsque tu parles de garçons... Aurais-tu des choses à me raconter sur ce mystérieux agresseur-fou ?

Mon sang ne fait qu'un tour. Gwen saurait-elle quelque chose sur Samuel ? Non, c'est impossible, elle m'en aurait parlé. Nous sommes amies et nous ne nous cachons rien. Mais alors pourquoi est-ce que moi, je le fais ? Je secoue la tête pour remettre les idées en place.

— Non, rien de bien intéressant. Chips, glace à la pistache et soda ? proposé-je.

— Le combo de la mort ! se réjouit Gwen en se levant rapidement pour me rejoindre en sautillant.

— À quelle heure avez-vous commencé votre soirée film ?! s'exclame ma mère, les yeux grands ouverts, en admirant le carnage sur la table du salon, les mains remontées sur ses hanches.

Nous rions comme deux écolières gloussant après avoir été surprises à manger des bonbons en cachette, les mains devant la bouche. Il est presque vingt heures et nous avons déjà terminé deux films...

— Quand je pense que vous représentez l'avenir de la France... Où va-t-on ? ajoute-t-elle en nous rejoignant sur le canapé avant de poser ses pieds sur la petite table.

— Vu ce qu'on a mangé, pas bien loin, répond Gwen, amusée.

Ma mère pioche une chips et recule afin de s'installer confortablement contre le dossier. Je lis sur ses traits qu'elle est épuisée. Sa journée a dû être longue. Je me souviens alors de l'avoir laissée avec Samuel, serait-ce lui la cause de ses soucis ? Je me lève et me dirige vers la cuisine. Je sers un verre d'eau et le dépose entre les mains de ma mère. Elle l'avale rapidement et me remercie. Une petite moue sur ses lèvres suffit à me rassurer. Il y a des jours, comme ça, où je la sens à deux doigts de craquer, et puis au petit matin, je la retrouve en forme et prête à affronter une nouvelle journée. J'ai toujours pensé que ma mère était une super-héroïne et que comme tout sauveur, elle traversait parfois des moments difficiles.

— Sérieusement les filles ? Des chips et du soda devant un film romantique ?! Plus cliché que ça, tu meurs !

Nous nous amusons de sa remarque : elle a parfaitement raison, mais Gwenaëlle et moi savons bien qu'elle aime par-dessus tout s'incruster dans nos petites soirées.

— En fait, nous voulions regarder ce film entre copines... commencé-je pour la taquiner.

— Ça me va, ajoute-t-elle en réajustant des coussins. Amusez-vous bien. Moi, je reste ici.

— Mais... la télévision aussi, tente timidement Gwen.

— Peut-être, mais moi aussi, alors il va falloir faire avec, rétorque ma mère, hilare.

Ma meilleure amie et moi nous serrons d'un même geste contre ma mère pendant qu'elle relève ses bras. Quoi de mieux qu'une étreinte maternelle pour savourer une romance ?

Quelques minutes plus tard, nous entendons les ronflements de ma mère. Une fois encore, elle s'est endormie sans dîner. Je me lève lentement et me rends dans la cuisine. J'ouvre le frigo : rien de bien appétissant là-dedans. A peine quelques fruits à moitié pourris et un yaourt. J'opte pour une pizza surgelée que je jette au four avant de revenir au salon.

— Maman... on va bientôt manger, chuchoté-je en lui secouant le bras.

Elle émerge de son sommeil et cligne des yeux en regardant autour d'elle.

— Où suis-je ? demande-t-elle, réellement surprise.

Je lis dans ses yeux de l'incompréhension et un étonnement. Cela me perturbe, alors je précise :

— Maman, c'est moi, Jaz.

Elle reste figée un instant avant de reprendre conscience de la réalité.

— Laisse-moi deviner : le film est terminé et il est temps de se coucher ?

— Pas tout à fait, répond Gwen. Par contre, l'heure du repas est passée depuis un moment. Une pizza ?

— Après des chips, du soda, de la glace et des bonbons ? rappelle ma mère en replaçant ses longs cheveux blonds de chaque côté de son visage. Certainement pas ! Je vais me coucher les filles, je suis éreintée.

Mon cerveau file à cent à l'heure et ma bouche s'ouvre sans me demander mon avis :

— C'est à cause des nouveaux ? Ils te causent du souci ?

Ma mère cesse tout mouvement et tourne la tête vers moi, suspicieuse.

— Pourquoi cette question ?

— Non, pour rien, déclaré-je en promettant à ma langue débridée de la couper dès cette nuit. C'est juste que... tu m'avais dit que ces quatre nouveaux élèves étaient très peu disciplinés et...

— Je n'ai jamais rien dit de tel ma chérie. C'est juste Samuel qui s'est un peu révolté mais il fait des efforts. Quant aux trois autres, je n'ai rien à en dire. C'est plutôt la quantité de dossiers qui m'épuise. Vivement la retraite !

— Ce n'est pas encore pour demain, vous êtes encore si jeune ! annonce gentiment Gwen, allongée de tout son long sur le canapé, en faisant sauter un petit objet d'une main à l'autre.

— C'est vrai, mais la journée qui m'attend demain risque d'être encore pire que celle d'aujourd'hui ! Il est temps pour moi d'aller dormir.

— De retourner vous coucher, précise Gwen sur le ton de la plaisanterie.

— Sale ado ! rétorque ma mère. J'imagine que tu comptes passer la nuit ici ?

— Si vous le permettez, précise Gwen, toujours aussi polie.

— Bien sûr, tu es ici chez toi ! conclut ma mère, debout en bas des escaliers.

— Tu ne dînes pas avec nous ? m'étonné-je.

— Oh non, je n'ai plus faim, j'ai même l'estomac retourné ! Je crois que je ne suis plus d'âge pour ces bêtises... marmonne ma mère en disparaissant en haut des escaliers.

— Un petit dernier pour la route ? propose Gwen alors que nous débarrassons la table des restes de pizza.

— Alors ce sera un film d'horreur cette fois-ci !

— Allez Jaz, rouspète Gwen. Tu sais très bien que j'ai peur de ces films-là ! Je vais encore passer une nuit toute pourrie.

— Je te laisse choisir lequel, ça te va ?

Gwen acquiesce d'un signe de tête et se précipite sur la télécommande. Je la laisse sélectionner tranquillement la production qui la rebute le moins pendant que je lave nos deux assiettes et nos couverts. J'entends soudainement la bande son d'un film que nous adorons toutes les deux. Ce n'est pas vraiment de l'horreur, mais je suis ravie de son choix. Je me précipite à toute vitesse vers le fauteuil en sautant sur la table basse avant d'atterrir, tel un hippopotame, à moitié sur la jambe de Gwen, à moitié sur un coin de canapé. Celle-ci grogne à mon égard avant de m'inviter à la rejoindre sous le plaid.

Moi qui voulais me changer les idées, je suis gâtée ! Je me retrouve face à un écran me présentant des vampires tous plus séduisants les uns que les autres. Nous bavons littéralement devant chacun d'entre eux, homme comme femme. Mon esprit vagabonde pour revenir, une fois encore, au duo infernal qui me hante chaque jour un peu plus.

Non cerveau, je veux une petite pause avec ma meilleure amie dans toute cette folie, alors pas de Samuel ni de Liam ce soir. Et voilà que l'image de Liam ce matin, simplement vêtu d'une serviette enroulée autour de sa taille, de l'eau dégoulinant sur son torse... Stop ! Gwen, le film et moi, personne d'autre. Samuel et ses yeux gris, chargés de tant de souffrances... Arrête !

Je finis par reprendre pieds lorsque du coin de l'œil, je vois Gwen faire glisser entre ses doigts un petit objet.

— Qu'est-ce-que c'est ? demandé-je.

— Hmm ? De quoi ?

— Ça ! m'écrié-je en pointant du doigt la petite boule dorée.

— Ah ça, glissa Gwen avec nonchalance sans pour autant me répondre.

Je tends rapidement le bras et saisis l'objet avant de le rapprocher de mes yeux. Il s'agit d'une petite sphère dorée de la taille de la paume de ma main. Le couvercle est recouvert de signes étranges entremêlés. Je ne reconnais qu'une seule lettre de l'alphabet tout en haut de l'objet.

— Jaz ! râla Gwen, exaspérée. Rends-moi ça !

— À quoi ça sert ? persisté-je.

— C'est une vieille boussole, me confie Gwen, résignée.

— D'où tu la sors ?

Gwen regarde alternativement à gauche et à droite, signe qu'elle cherche une échappatoire. Elle finit par dévoiler :

— C'est un vieux truc que m'a donné mémé. Allez, rends-le moi, j'y tiens beaucoup.

— C'est marrant, il a l'air bloqué, déclaré-je, le front plissé. Je n'arrive pas à l'ouvrir.

Gwen s'agite. Est-ce qu'elle va me mentir ?

— On ne peut pas l'ouvrir. Allez, donne-le moi ! gronde mon amie, en fronçant les sourcils.

Elle est visiblement agacée par mes questions. Je décide de ne pas insister plus pour le moment et lui rends sa boussole. Elle la range précipitamment dans la poche de son jean. J'ignore pourquoi, mais je ne pense pas la revoir de sitôt. J'irai poser la question à sa grand-mère, un de ces jours.

En attendant, je reporte mon attention sur le film et me laisse emporter par l'histoire d'amour d'une jeune vampire avec un humain. Rien de bien original, mais je m'en contente.

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