Je t'en supplie, ne fais pas ça !

Une fois de plus, le silence s'empare des lieux mais je refuse de mettre un terme à cette situation plus que gênante ; j'estime en avoir suffisamment fait quelques heures plus tôt. Il y a quelques heures à peine, je me préparais à passer une soirée paisible avec mes amis et tout est parti en vrille.

J'ai fait une grosse bêtise et Samuel m'a chassée comme une malpropre, puis j'ai été enlevée par une créature dégoûtante qui m'a reproché des choses qui n'avaient rien à voir avec moi, ensuite j'ai eu l'honneur de rencontrer les membres de l'ancien clan de Liam avant d'être secourue par une alliance entre ma meilleure amie qui ne l'est plus tellement ces derniers temps et ses ennemis historiques. Je dois digérer beaucoup de choses et la confrontation qui s'annonce avec celui que j'apprécie plus que je ne le devrais s'annonce animée.

J'essaie en vain de remettre en ordre mes cheveux que je sais ébouriffés et sales en les aplatissant avec mes mains mais elles sont tout aussi crasseuses que le reste de mon corps. Je rêve d'une douche brûlante et d'une nuit complète dans mon lit, sans aucune interruption. Mais je suis là, devant cette bouche d'égout puante et je grelotte en attendant que Samuel se décide à m'infliger le coup de grâce de cette nuit qui n'en finit plus.

Je frissonne si fort que ma mâchoire se met à émettre un petit son sourd. Je lève un regard épuisé et suppliant sur le garçon. Je croise son regard luisant et je me demande si ses larmes sont causées par sa fureur ou par le regret. J'opte pour la fureur vu sa réaction lors de notre dispute. Mes sourcils tentent de se rejoindre sur mon front tellement le froid s'insinue par tous les pores de ma peau. Mon dos me brûle de douleur tout en étant frigorifié.

Une ou deux minutes plus tard, Samuel fait un pas vers moi, son visage s'approche du mien et j'ai un geste de recul avant de m'apercevoir qu'il a ôté son manteau et qu'il le passe autour de mes épaules.

— Tu... tu vas tomber malade... m'affolé-je en retirant le vêtement.

Un délicieux rire en coin illumine les traits du jeune homme et je me sens littéralement fondre de l'intérieur. Mon cœur bat la chamade et je sais que ce n'est vraiment pas bon signe.

— Sérieusement ? Tu sais pourtant qu'il n'y a rien qui puisse venir à bout de mon existence. Quoi qu'il advienne à mon corps, il se répare jusqu'à... jusqu'à...

— Jusqu'à ce qu'une personne tombe amoureuse de toi ? complété-je.

— C'est ça, approuve-t-il, une expression totalement désemparée affichée sur son visage.

Je resserre les manches autour de mes épaules et hésite avant de me lancer :

— Il y a des choses qu'il est impossible de contrôler dans la vie, Sam.

— Comme ma malédiction ?

— Oui, mais aussi l'amour. Et si je ressens ces sentiments pour toi, ce n'est pas par choix, hoqueté-je. Je te le promets, j'ai tout fait pour rejeter toute forme d'amour à ton égard mais quelque chose de plus fort que moi est en action et je suis complètement perdue.

Samuel s'assoit enfin à côté de moi : tant mieux, je ne supporte plus de lui parler en le regardant de toute sa hauteur. Je me sens tellement faible et désarmée dans cette position d'infériorité. Et pourtant, j'aimerais vraiment me lever, lui jeter son manteau en pleine tête, lui dire qu'il ne représente rien pour moi et que je vivrais mieux sans lui mais ce serait éteindre mon cœur et je ne peux pas le faire.

— Je ne veux plus faire de mal à qui que ce soit, Jazia, tu dois le comprendre, glisse-t-il dans un chuchotement.

— Je le sais, consentis-je à bout de force.

Je sens ma tête tanguer et la douleur dans mon dos à présent réchauffé reprend de plus belle. J'ai besoin de me reposer un petit peu, je suis si lasse de toutes ces choses qui me tombent dessus ! Ma tête glisse lentement contre l'épaule de Samuel et je sens la chaleur de son corps à travers ses vêtements. Samuel s'agite et je me crispe : il peut à tout moment me repousser mais je ressens le besoin viscéral de le toucher, de le sentir contre moi. Je sens un bras venir entourer mes épaules et tout-à-coup, je me sens mieux. Beaucoup mieux.

— Je te demande pardon Samuel, la dernière chose que je souhaite, c'est te faire du mal et je sais que c'est précisément ce que je suis en train de faire...

— Ce n'est pas moi qui compte, Jazia, c'est toi. Tu mérites mieux qu'une vie à errer sur cette planète. Tu mérites de rencontrer une personne bien et dont tu pourras être amoureuse sans prendre aucun risque.

— L'amour est le plus risqué des combats, corrigé-je. Mais il est aussi le plus beau.

Samuel n'ajoute rien mais je sais qu'il est d'accord avec moi. Je frissonne à nouveau.

— Je ne veux pas que tu partes, murmuré-je avec douleur.

— Il n'y a pas d'autre choix, Jazia. Je ne sais pas si je supporterai de briser une vie à nouveau. Regarde les dégâts que je t'ai déjà infligés ce soir !

Il a raison, j'en suis consciente, mais mon cœur qui pèse désormais une tonne menace d'exploser à chaque instant. Samuel se lève et se place face à moi. Mon regard plonge dans le sien et je refuse de détourner le regard : c'est sans aucun doute l'une des dernières fois que je voyais son visage.

— Allez viens, je te raccompagne, propose Samuel en me tendant une main que j'accepte.

Une fois hissée sur mes pieds, je refuse de la lâcher. Il va partir. Il va s'en aller et je vais rester là ; brisée une fois de plus. Non, je ne pourrais pas supporter d'être celle qui reste derrière, mon expérience avec Kevan a fini de me mettre en morceaux. Il est parti et je suis resté.

Je pense à ma mère et je ressens un pincement au cœur à l'idée de l'abandonner mais je sais pertinemment que je ne le ferai pas. Comme toujours, elle sera là pour moi et je me reconstruirai à nouveau. Mais si je ne fais rien, je le regretterai pour le restant de mes jours. Je ne suis pas le genre de fille à jouer la sécurité et à se protéger, je sais que j'ai tort et que je le paierai chèrement mais l'idée qui a germé en moi s'étend et m'envahit de l'intérieur. Je sais ce que je dois faire.

Je stoppe net mon avancée et glisse lentement face à Samuel qui fixe quelque chose loin devant nous, dans les ténèbres environnantes. Il refuse de me regarder mais je ne me laisse pas abattre aussi facilement.

— Samuel, ce que je ressens pour toi est trop fort pour moi. Je ne peux pas faire ça, je t'interdis de partir et de me laisser affronter mes sentiments seule. Je ne veux plus jamais sombrer comme je l'ai fait. Je préfère être honnête envers moi-même et envers toi et te dire les choses.

— Jazia, implore-t-il. Ne fais pas ça... Je t'en supplie, ne fais pas ça ! C'est déjà tellement dur ! Par pitié, ne dis plus rien, car je ne sais pas si j'aurai la force de...

— Je t'aime Samuel ! m'écrié-je, ma voix résonnant dans les bois alentour.

Samuel lâche ma main et se précipite loin de moi, comme happé par une force invisible.

— Je t'aime et même si tu ne ressens rien pour moi, tant pis ! répété-je.

Samuel fait alors volte-face et revient vers moi. Je tente de faire un pas en arrière mais mes jambes menacent de se dérober sous mon poids alors je reste immobile, figée, prête à subir ce que Samuel va me faire. Je relève les épaules, disposée à encaisser ce que sa colère fera tomber sur moi mais il n'en est rien.

Il place ses mains en coupe autour de mon visage et me fixe avec intensité. Le temps s'arrête autour de nous et le monde disparaît instantanément. Cette seconde d'infini s'étend encore et encore avant que Samuel ne vienne coller ses lèvres contre les miennes. Je réponds à son baiser et la fièvre s'empare de nos têtes, qu'importe ce que ce geste nous coûtera. Samuel ne s'écarte de moi que pour me chuchoter un je t'aime, un sourire resplendissant éclairant son visage si sombre auparavant.

Je refuse de mettre un terme à notre baiser mais un rire s'échappe de ma bouche. Je me sens si heureuse. Si heureuse et pourtant si égoïste.

Égoïste parce que je ne vais pas garder le moindre souvenir de Samuel, je vais l'oublier et me battre pour continuer ma vie comme s'il n'avait jamais existé.

Égoïste parce que lui se souviendra de chaque minute passée ensemble. Parce qu'il va souffrir et que je ne serai pas là pour l'aider. Parce qu'il va disparaître et revenir je ne sais où, se retrouver seul, et qu'il devra se reconstruire une nouvelle vie.

Je sais ce que je vais lui infliger mais je veux être honnête et lui dire ce que je ressens. Je veux savoir si mes sentiments sont partagés ou pas.

Un bruit sourd nous tire de notre allégresse ; l'orage tonne et de longs éclairs viennent zébrer le ciel. Le visage de Samuel se décompose et déjà, une larme dévale ses joues. Le ciel s'assombrit puis s'éclaire par une foudre sortie de nulle part. Je pose un regard surpris sur mon compagnon :

— Samuel, répété-je. Je t'aime.

— Je t'aime aussi, Jazia. Puisses-tu me pardonner de t'infliger mon malheur.

— Je savais ce que je faisais, et surtout, ne t'en fais pas pour moi. Je vais t'oublier et tout va bien se passer pour moi.

Le ciel zébré par la foudre semble s'écarter pour laisser apparaître un visage surdimensionné semblable au mien. Je pose sur Samuel un regard intrigué mais son attention s'est déjà reportée sur le buste. Une voix s'élève alors :

— Samuel Georges, tu sais pourquoi je suis là et je te répète mes paroles :

Par le sang de ma lignée passée et à venir

Je jure qu'aucun répit tu n'auras

Qu'une vie amère et solitaire soit ton châtiment

Impuissant dans les méandres du temps

Dès que tu seras aimé, tu disparaîtras

Et dans l'indifférence la plus totale

Que tu souffres d'une peine abyssale

— Tamara, supplie Samuel. Je t'en conjure, ne fais pas ça ! Elle n'y est pour rien.

Le regard de Tamara se pose sur moi et je vois ses traits se déformer avant qu'elle ne s'écrie dans une fureur monumentale :

— Comment as-tu osé ! Pourriture de la terre, déchet de la nature ! Tu es immonde ! De toutes les femmes de ce monde, il a fallu que tu viennes à nouveau t'en prendre aux miens !

Je tique à ces derniers mots et je parviens enfin à formuler :

— Les... les vôtres ?! Je ne vous connais pas mais si je sais une chose sur vous, c'est que vous êtes un monstre ! Personne ne mérite de souffrir autant !

— Je comprends mieux votre ressemblance, déclare Samuel. Mais je n'en savais rien, je te le jure !

— Peu importe, tu dois payer ! Hurle le visage dans le ciel.

La foudre s'abat alors tout autour de nous et nous tentons de notre mieux d'éviter l'électrocution quand soudain, un éclair apparaît juste au-dessus de ma tête. Je lève les mains vers le ciel et rugit un simple « noooooonnnnnnnn ».

J'ignore comment mais mes mains retiennent l'électricité à quelques centimètres de ma chair. Je résiste quelques secondes avant d'envoyer valser une partie de l'énergie sur le sol autour de moi. Le reste me percute de plein fouet et je me fais expulser à plusieurs mètres.

Ma tête heurte le sol et je sombre lentement dans les ténèbres. La dernière chose que je vois est l'ombre d'un jeune homme, en larmes, penché sur moi. Il me demande pardon avant de s'évaporer.

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