Je suis libre !

Un fin rayon de soleil perce à travers les rideaux de ma chambre et vient se placer pile sur mon visage. Je grogne en me frottant les yeux : c'est la troisième fois que je suis coupée dans mon sommeil depuis hier.

La première, c'était en pleine nuit. Je me suis réveillée en sueur et mal-à-l'aise. Ma chambre était plongée dans un noir complet pourtant, j'ai bien senti la présence de quelqu'un dans la pièce. Ce léger courant d'air, cette drôle de sensation qui nous fait savoir que nous ne sommes pas seuls même si nos yeux ne peuvent nous confirmer ce sentiment, je l'ai ressenti souvent ces derniers temps. J'ai eu tellement peur lorsqu'une bourrasque s'est engouffrée par ma fenêtre ouverte et est venue me glacer les os ! J'en suis certaine, la vitre était close lorsque je me suis couchée ; qui donc laisserait ouverts ses carreaux en ce début de mois de décembre si froid ?

J'ai alors tendu mon bras pour éclairer la pièce et bien entendu, j'ai fait tomber ma lampe de chevet – n'est pas poisseuse qui veut ! J'ai rapidement repris le contrôle de mon corps et me suis extirpée sans attendre de mon lit pour remettre en place l'appareil. J'ai à nouveau senti le froid venir geler les gouttes de transpiration qui suintaient dans mon dos et subitement, avant même que je n'allume la lumière, j'ai compris que j'étais à nouveau seule.

Je ne connais personne d'autre que Samuel pour faire quelque chose d'aussi bizarre aussi, j'ai décidé de lui en toucher un mot plus tard, au lycée.

Mon second réveil était lié à la sonnerie retentissante de mon téléphone, m'appelant, non, m'implorant de m'arracher à mon lit douillet pour aller en cours. Cinq minutes supplémentaires, c'est là le délai que je me suis octroyé pour rattraper des jours et des jours de sommeil agité. Mais ce laps de temps s'est rapidement transformé en heures.

Et me voilà toujours couchée à presque onze heures du matin. Les cours ! J'ai manqué les cours ! Je me débarrasse sans attendre de mon pyjama et m'habille en vitesse. Je dévale les escaliers en trombe et me rends dans le coin cuisine, où j'ai la surprise de trouver ma mère, paisiblement installée devant un café fumant. Nos regards se croisent et je m'empresse de me justifier :

— Désolée, désolée, désolée maman ! J'avais bien mis mon réveil mais je me suis rendormie et...

— Je sais, répond-elle dans un calme olympien.

Je fais un pas en avant, les yeux écarquillés par l'improbable réaction de ma mère.

— Je... Enfin, tu es au courant que j'ai manqué le lycée ?

— Bien sûr, ma puce. J'ai eu droit à la sonnerie tonitruante de ton réveil pendant au moins dix minutes, puis à tes grognements et enfin, à un peu de silence.

— Mais alors... Pourquoi tu n'es pas venue me secouer, m'empêcher de roupiller ?! Et déjà, qu'est-ce-que tu fais à la maison ? Tu ne travailles pas ?

— Pour commencer, tu as l'air épuisée ces derniers jours, alors j'ai décidé de t'autoriser une petite pause. Ensuite, non je ne travaille pas, j'ai pris un jour de repos, figure-toi.

— Oh, je ne savais pas...

La déception cède rapidement la place à la motivation.

— Manquée pour manquée, autant rendre cette journée agréable. Tu veux qu'on fasse quelque chose ensemble ? Proposé-je.

C'était bien peu tenir compte du caractère sérieux de ma génitrice :

— Oh non, jeune fille ! Je t'ai laissée te reposer ce matin, mais tu retournes en cours cette après-midi !

— Maman ! supplié-je avec une moue enfantine.

— Tu passes un examen très important cette année et je tiens à ce que tu mettes toutes les chances de ton côté, alors je vais te préparer ton petit-déjeuner et après, zou à l'école !

— C'est pas juste, je veux des jours de congés moi aussi, me plaigné-je, jouant à fond la carte de la victime.

— C'est non. Et puis je ne te veux pas dans mes pattes : cette maison a vraiment besoin d'un bon coup de ménage alors à moins que tu n'aies envie de dépoussiérer, astiquer et laver, tu vas en cours.

Je lève les mains en signe de reddition et m'assois confortablement sur le canapé en attendant que, pour une fois, ma maman m'apporte mon repas dans le salon.

Deux heures plus tard, me voilà au gymnase en tenue de sport. Je regrette vite d'avoir voulu échapper à la corvée de ménage ! Nous jouons au badminton et je me fais littéralement massacrer par les autres élèves de la classe. Notre chère professeure, madame Charpie, ayant eu la génialissime idée d'organiser le terrain de façon à ce que tous les perdants descendent et tous les vainqueurs montent, je me retrouve rapidement au dernier terrain. C'est bien, je n'ai pas besoin de faire mes preuves à qui que ce soit vu que mon adversaire et moi avons approximativement le même niveau.

Dès mon arrivée, j'ai remarqué l'absence de Liam, je me demande pourquoi il n'est pas là. En revanche, Yasmine est bien présente et je la sens particulièrement nerveuse. Lorsque nous sommes en cours, Yasmine retire son foulard et le noue autour de son cou. Son épaisse et longue chevelure noire est retenue en une longue tresse dont s'échappent quelques mèches qui virevoltent au rythme de ses mouvements. Nous jouons ensemble plusieurs parties : parfois elle monte pendant que je stagne, parfois c'est l'inverse. Il n'empêche que nous finissons toujours par nous retrouver.

La fin de l'heure arrive enfin et je me dépêche de prendre une douche rapide avant de rejoindre les vestiaires féminins et d'en sortir avec Yasmine.

A peine arrivons-nous devant les portes du lycée que je remarque, du coin de l'œil, Yasmine qui remonte lentement son foulard sur sa tête. En un battement de cils, deux filles dont j'ignore totalement les prénoms se placent face à nous :

— Eh ! Toi là ! hèlent-elles ma camarade.

Yasmine abaisse son regard et tente de les contourner. Je sens qu'un conflit approche : les deux filles ont le nez plissé et les sourcils froncés.

— Pourquoi tu t'habilles pas comme tout le monde, la réfugiée ? hurle l'une d'entre elle en prenant par le bras Yasmine.

— Je ne t'ai rien fait, laisse-moi passer, chevrote Yasmine, la veine de son cou palpitant pourtant avec fureur.

Je sais ce qui risque de se passer si la jeune fille hausse le ton ; je décide de m'interposer, même si je sais que je devrais lui faire confiance et lui laisser une chance de se défendre seule.

— Casse-toi, craché-je en appuyant fermement sur la main afin de libérer mon amie.

— Nan mais sérieux, intervient la seconde fille sans que la première ne lâche prise. T'es obligée de te faire remarquer et de montrer que t'es différente de nous ? On le sait, y a qu'à te regarder. Et puis, on n'est plus au Moyen-Âge, là, alors enlève ce truc !

Et là, l'horreur, la sauvageonne face à moi se jette sur Yasmine et lui arrache son foulard, manquant de peu de l'étrangler avec le tissu.

— Mais t'es vraiment conne ou quoi ? aboyé-je. Tu peux pas plutôt t'occuper de ton...

Yasmine pose une main apaisante sur mon épaule et m'implore du regard de me taire.

— Je... Je respecte la loi, je retire mon voile en entrant dans l'établissement. Mais à l'extérieur, je suis libre de... chuchote-t-elle avant d'être interrompue en étant violemment projetée au sol.

Je jette alors un regard alentour et je me rends compte qu'un cercle s'est formé autour de nous. Nos camarades nous observent tous, l'œil curieux, certains froncent les sourcils, visiblement offusqués pourtant, personne ne dit rien. C'est comme si Yasmine se retrouvait seule face à deux bourreaux et que les autres élèves se contentaient d'observer sans vouloir se mouiller. Mon amie baisse la tête, humiliée et figée par la peur. Je sens mon cœur se briser pour cette pauvre fille, maltraitée par la vie et qui se résigne à subir l'incompréhension alors qu'elle pourrait tous nous exterminer d'un seul cri. Je me jette à mon tour au sol et serre dans mes bras Yasmine pour la réconforter avant de jeter un regard furieux aux pestes.

— Vous êtes sérieuse là ? Et vous, pas un qui bronche ! C'est quoi ce lycée ! éructé-je, dégoûtée par la couardise de mes camarades.

Enfin, après de longues secondes de silence que je mets à profit pour me relever avant de tendre la main à Yasmine, une voix s'élève :

— Qu'est-ce qui se passe ici ?

Je vois enfin Gwen apparaître en jouant des coudes ; elle est rapidement suivie par son ombre Charlotte mais je m'en fiche : enfin quelqu'un qui ose intervenir.

— Elles ont balancé Yass au sol parce qu'apparemment, le fait qu'elle recouvre ses cheveux gêne ces connes !

Gwen lance un regard furieux à l'assemblée et vocifère :

— Bande de lâches ! Pas un pour aider une fille qui ne vous a rien fait ! Pourriture de voyeurs !

Instantanément, les curieux, désormais honteux, se dispersent et rejoignent leurs bus. C'est à ce moment que je vois Anna et Sam apparaître. Je vois le visage de ce dernier se décomposer lorsque ses prunelles grises se posent sur le visage en larmes de son amie :

— Yass, ça va ?

— Pas trop, non, craché-je, encore sous le coup de mes émotions.

Je me calme lorsque les yeux écarquillés de Samuel se posent sur moi :

— Deux gamines se sont jetées sur Yasmine : il semblerait que son voile les gêne, expliqué-je. Et bien sûr, c'est pile le jour où Liam n'est pas là, remarqué-je.

— Il faut aller voir le proviseur, propose Charlotte, à la surprise générale. Ce genre de comportement ne doit plus se reproduire. Mini-jupe ou voile, même combat ! scande-t-elle en levant un poing menaçant.

— Non, je vais plutôt la ramener pour qu'elle se repose, annonce Sam en prenant son amie par la taille.

Malgré moi, j'envie Yasmine. Je ne pourrais jamais être aussi proche de Samuel sans prendre le risque de tout perdre. Je me sens mal de songer à des choses pareilles alors que mon amie a besoin de moi.

— Elle a raison ! Allons tous chez le proviseur, on a des témoins !

Gwen et Charlotte, visiblement féministes dans l'âme, nous accompagnent. Samuel finit par céder. Nous pénétrons au secrétariat et demandons à voir en urgence le proviseur, ce qui nous est refusé. A force d'insistance, de cris d'appel à la grève et de menaces de siting devant l'établissement, ce dernier se résigne à nous recevoir.

— Ce n'est pas normal ! martelé-je. Se faire agresser, comme ça, aux portes de l'établissement, pour sa tenue vestimentaire ne devrait jamais se produire !

— Du calme mademoiselle Kayes, m'exhorte le proviseur. Expliquez-moi ce qu'il s'est passé.

Je lui rapporte mot pour mot les évènements et reste figée par sa réaction :

— Ah les querelles entre filles... marmonne-t-il. Il faut relativiser, mesdemoiselles et prendre le temps d'analyser la situation.

— Vous êtes sérieux ?! s'écrie Anna.

Je relève que cette dernière a lâché ses cheveux et qu'une petite étincelle malicieuse pétille dans ses prunelles bleues. Clara. Je ne donne pas cher de la peau du proviseur ! Gwen et Charlotte ne semblent pas avoir remarqué le changement de comportement d'Anna jusqu'à ce que cette dernière ne vienne s'asseoir éhontément sur le coin du bureau du proviseur, sa jupe remontée sur ses longues jambes habillées d'un simple collant à une hauteur presque indécente.

— Monsieur le proviseur, que pensez-vous de mon droit à m'habiller comme je l'entends ? La longueur de ma jupe doit-elle être un symbole de ma mise à disposition des prédateurs ou suis-je libre de porter ce qui me plaît sans avoir à craindre pour ma sécurité ?

— Je... euh... le droit vous assure l'opportunité de vous vêtir comme bon vous semble, dans la limite du règlement intérieur, balbutie l'homme, acculé.

— Précisément. Et donc, tant qu'une fille respecte le règlement, elle ne devrait pas être agressée gratuitement pour vouloir se couvrir, n'est-ce pas ?

— Bien entendu, ajoute-t-il en reprenant contenance. Cela étant, déclare-t-il en se relevant pour contourner son bureau et venir se placer face à Yasmine, ces filles ne vous ont pas frappées, je me trompe ?

— Elles l'ont jetée à terre ! se révolte Sam.

— Jetée à terre, jetée à terre... Choisissons bien nos mots, ma foi ! Notre établissement est réputé pour son soutien à la cause féminine et son ouverture d'esprit, je ne voudrais pas qu'un fâcheux malentendu ne vienne entacher notre réputation ! Prenez le temps de vous reposer demain, mademoiselle, et vous verrez qu'il s'agit d'un cas isolé. Si quoi que ce soit se reproduit, vous pourrez revenir me voir.

Sans même nous laisser le temps d'argumenter plus, le proviseur et sa secrétaire nous jettent dehors. Nous fulminons notre dégoût mais l'impuissance et la résilience s'emparent de nous. Charlotte et Gwen nous quittent rapidement et je reste seule avec Sam, Clara et Yasmine. L'entrée s'est complètement vidée de ses lycéens et nous nous asseyons ensemble sous un abribus. Anna est de retour : elle s'installe maladroitement sur le petit banc près de son amie et pose un bras amical sur les épaules de celle-ci. Samuel et moi prenons place chacun contre l'une des extrémités de notre abri, sur le sol.

— Elles sont franchement vicieuses, finis-je par lâcher. Comme par hasard, le jour où Liam n'est pas là...

— Heureusement qu'il était absent, susurre Yasmine. Il n'a pas mangé depuis des jours !

Nous rions tous de concert, comprenant rapidement que ces deux filles auraient pu terminer en apéritif vampirique.

— Au fait, pourquoi il est absent ?

— Il devait aller voir une vieille connaissance, lâche Samuel avant de reprendre. Ça craint quand même, Yass.

— J'ai le droit de m'habiller comme je le souhaite, je suis libre, déclaré-je avec ferveur. Et Yasmine en a tout autant le droit que moi. Alors puisqu'il semblerait que chacun est libre de faire ce qu'il veut en toute impunité dans ce bahut, demain, je viendrai en maillot de bain.

Les trois autres éclatent d'une même voix hilare :

— Tu sais qu'il fait presque zéro degré, Jaz ! Tu vas mourir de froid avant d'arriver au lycée, me rappelle Sam.

Je réfléchis un instant : la révolutionnaire en moi s'éveille et je tiens à ce que l'administration comprenne que certaines situations nécessitent une intervention ferme et rapide.

— Vous savez quoi, demain, je viendrai avec une tenue de ma grand-mère. J'ai le droit de me vêtir comme je l'entends : et bien ce sera en grand-mère !

Samuel se lève d'un bond et j'écarquille les yeux de surprise :

— Tu as raison, on doit faire quelque chose.

Je remarque à son air mutin que Samuel prépare quelque chose de fou. Le visage de Yasmine s'illumine : je pense que la preuve de notre soutien lui suffirait à passer au-dessus de cet évènement mais je tiens à ce que cela ne se reproduise plus.

— Rendons les choses amusantes... propose Samuel. Celui qui aura la tenue la plus dérangeante gagnera le privilège de... de...

— Le gagnant pour choisir la tenue que devront porter les autres pour le bal de fin d'année des terminales ! le coupe Anna en jubilant. Et croyez-moi, je ne vais pas vous faciliter la tâche : la journée de demain appartiendra à Clara !

— Pari tenu ! lancé-je, ravie de voir un sourire apparaître sur le visage de Yasmine.

Nous nous séparons rapidement, chacun voulant rentrer se préparer le plus tôt possible.

Lorsque j'arrive à la maison, ma mère dort dans le salon. Je dépose lentement un bisou sur son front. Elle ne se réveille pas. Je réitère l'opération : j'ai vraiment besoin d'elle, et maintenant. Après le troisième baiser bruyant, à moitié avachie sur elle, ses paupières finissent par papillonner.

— Tout va bien mon cœur ?

Je m'allonge sur le canapé à mon tour, confortablement installée entre les bras de ma mère, et lui raconte l'agression de Yasmine.

— Mais c'est terrible ! Je dois absolument aller au foyer et m'assurer que cette jeune fille va bien, annonce ma mère en se relevant si brusquement que j'atterris au sol, moi qui tenais en insultant la pesanteur terrestre, à moitié sur le canapé, à moitié dans les airs.

— Maman, on va gérer ça à notre façon, ne t'en fais pas. Demain, on va montrer au directeur que chacun a le droit de s'habiller comme il l'entend sans se sentir en danger. On a même fait un pari !

— On ? Tu veux dire Gwen et toi ?

— Euh...

J'hésite à lui dire la vérité. Je sais qu'elle ne porte pas vraiment Samuel dans son cœur et j'ai besoin de son aide pour me préparer. Je décide de lui cacher une partie de la vérité.

— Oui, oui. Gwen, moi, et quelques amis du lycée. Alors, tu peux m'aider ?

— Peut-être. Dis-moi ce qu'il te faut.

— J'avais pensé porter une des vieilles tenues de mamie : est-ce que tu penses qu'on peut aller la voir rapidement et lui en emprunter une ?

Un rire guttural explose du fond de la gorge de ma mère :

— Et comment tu comptes le lui demander ? En lui précisant que c'est pour fomenter une rébellion dans ton établissement scolaire ? Que tu veux te moquer de ses vêtements ? Non, je crois que j'ai une meilleure idée !

Elle disparaît instantanément. Je l'entends grimper au premier étage, dérouler l'escalier qui mène au grenier, puis quelques grincements me parviennent. Je déteste me rendre dans cette pièce : l'absence de lumière naturelle, le côté glauque et désuet des objets qui s'y trouvent me terrifient. Je ne fais pas le moindre mouvement pour faire mine d'aller l'aider, ma mère connaît mon aversion pour les greniers.

Elle redescend quelques minutes plus tard, les bras chargés d'un vieux carton fermé. Je me rends dans la cuisine pour récupérer un cutter et la rejoins pour l'ouvrir.

Je découvre à l'intérieur quelques vieilles chemises blanches ayant jauni avec le temps, deux ou trois photographies, une pile de lettres rattachées par une ficelle grise, et un paquet enveloppé dans un vieux papier.

— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je.

— Ce sont quelques-unes des vieilles affaires de ton père, annonce calmement ma mère.

— Tu... tu les as gardées pendant toutes ces années ?

— Je voulais que tu puisses en savoir plus sur tes origines, le moment venu. Même s'il nous a lâchement abandonnées, tu as le droit de savoir d'où tu viens.

Je me jette dans les bras de ma mère et dépose un baiser dans son cou. Je me sens si chanceuse d'avoir une personne aussi prévoyante qu'elle dans ma vie ! Faisant fi de sa propre douleur, elle a conservé ce qu'elle pouvait de mon géniteur pour moi.

— Merci maman. Je t'aime.

— Je t'aime aussi ma puce. Regarde ce paquet : ouvre-le !

Je déroule lentement le papier entourant ce que je suppose être un vêtement. Une masse bleue royale en tombe et je me hisse sans attendre sur mes pieds pour étendre l'étoffe. La tenue se compose d'une base en satin bleue qui démarre au niveau du buste, resserre la taille et s'évase pour arriver à l'équivalent d'une jupe parapluie au bas des chevilles. Le bustier marque les formes de la poitrine et est retenu par de bretelles épaisses d'environ deux centimètres de largeur. Un second tissu se superpose au premier et forme un corsage particulièrement serré au niveau des seins. Cette seconde couche se compose d'une broderie argentée soignée et incrustée de petits cristaux. Certains sont d'un blanc éclatant, d'autres portent la trace du temps. Cette épaisseur décorative descend jusqu'à la taille, cintrée, puis se sépare pour laisser libre le satin du dessous au niveau de l'avant des jambes.

— C'était un souvenir que ton père à rapporter avec lui. C'est le seul souvenir de sa propre mère – ta grand-mère paternelle – qu'il possédait et il le chérissait plus que tout. C'était la djellaba de son propre mariage et il me l'a offerte pour le nôtre. J'ai préféré la ranger après... enfin... après ta naissance. J'espère qu'elle te plaît.

— Maman, elle est sublime !

Je m'empresse d'enfiler la robe et de défiler dans mon salon, telle une princesse des milles et une nuits.

Je referme le carton et le tends à ma mère. Elle me repousse d'un geste de la main :

— Il t'appartient, Jazia.

— Mais les lettres... C'est très personnel !

— Non, c'est mon histoire, celle de ton père, et par conséquent la tienne. Je te confie ce carton et si tu as des questions à me poser, n'hésite pas !

— Je le sais, remercié-je.

— Je te le répète : si tu as des questions, viens me voir. Je me demande d'ailleurs pourquoi tu ne le fais pas, comme si tu te désintéressais de tes origines.

— Je... Ce n'est pas ça... J'ai juste peur de faire remonter des souvenirs douloureux et je ne veux pas te voir triste.

— Jazia, ma fille. N'oublie jamais que le bonheur et la souffrance dansent ensemble jusqu'au bout de la nuit, je dirai même jusqu'au bout de la vie. Ne fuis jamais devant l'un ou l'autre, ils vont de pair. Et sache que penser à ton père me fait autant de bien que de mal, alors ne t'en soucie plus.

J'embrasse une fois de plus celle qui a toujours été présente pour moi et dont l'abnégation n'a d'égal que mon amour pour elle.

Je me couche apaisée et excitée à l'idée de remporter le défi du lendemain. Une petite lueur d'espoir me pousse à envoyer un message à Gwen pour la prévenir de notre projet pour le lendemain. C'est à elle, maintenant, de décider si elle souhaite participer ou pas. Elle ne me répond pas. Cette nuit-là, rien ne vient perturber mon bonheur et je dors comme un loir.

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