Je perds pieds

Heureusement, les vacances scolaires approchent. Je me sens vraiment mal en rentrant chez moi, alors je décide de ne pas me rendre au lycée le lendemain. Ma mère ne s'y oppose pas, elle a une totale confiance en moi et si je dis ne pas être en état d'y aller, c'est que c'est bien le cas.

J'envoie un rapide message à Gwen pour lui dire que je souffre d'une gastro : les vomissements sont l'une des seules armes capables de la tenir loin de moi. Mon teint blafard de la journée lui confirme la véracité de mes dires et elle n'insiste pas.

Je passe la journée du vendredi en pyjama, à me traîner de ma chambre au salon, du salon à la cuisine, et de la cuisine à ma chambre. Le trio infernal de toute personne qui souhaite surveiller sa ligne.

J'ai l'impression que Liam a brisé les murs de mon univers avec ses paroles. Bien sûr qu'il n'est pas un vampire : il n'est qu'un taré de plus qui se prend pour une créature surnaturelle. Mais pourquoi Samuel le laisse-t-il le mutiler ainsi ? Parce qu'il est fou lui-aussi, pardi !

Mais alors Yasmine... Ce qui s'est passé reste inexplicable et ses mots me terrifient encore. La mort rôde autour de toi... Prends garde à ce qu'elle ne t'étourdisse pas ! J'ai bien saisi le sens des mots mais je n'arrive pas à les contextualiser. Je vis seule avec ma mère et ma seule véritable amie est Gwen. Je n'ai pas tant de proches que cela et les paroles m'angoissent plus que je ne l'étais déjà.

Suis-je en train de perdre la raison ? Est-ce que mon esprit me joue des tours ?

Ma première semaine de vacances s'écoule sans que je ne sorte vraiment de chez moi. Les quelques messages de Gwen pour me réconforter m'encouragent à aller de l'avant et voir du monde, mais ma raison m'impose de rester ici et de prendre du temps pour étudier, bien sûr, mais aussi pour remettre de l'ordre dans mes idées.

J'ai dévoré la totalité des glaces présentes dans le congélateur et ma conscience me hurle à quel point j'ai eu tort. Il faut vraiment que j'arrête de manger mes émotions.

J'ai dîné avec ma mère qui s'est étonnée de mon manque d'appétit : je n'allais tout de même pas lui parler de tous mes écarts de la journée, elle m'aurait à juste titre réprimandé et je ne me sens pas d'humeur à me justifier.

Je me couche mais ne parviens pas à m'endormir. Mon esprit est épuisé et m'implore de sombrer alors que mon corps, non stimulé depuis plusieurs jours, refuse de se reposer encore. Je divague donc quand soudain, j'entends le bruit d'un petit objet qui vient heurter mes volets en bois. J'écarte à peine les persiennes pour voir ce qu'il se passe le plus discrètement possible. Une ombre se découpe sur la pelouse du jardin mais je ne parviens pas à distinguer ses traits. Je reste immobile. La forme s'agite et soudain, la lumière d'un téléphone portable éclaire le visage de Samuel.

Mais qu'est-ce-qu'il fait là ?

Je m'apprête à refermer quand il s'approche :

— Je t'en supplie, laisse-moi te parler, chuchote-t-il.

— Mais bien sûr ! J'ai déjà donné dans les conversations avec toi, merci, mais non merci, refusé-je.

Et puis quoi encore, il veut venir m'achever chez moi, entre mes murs ?! Je referme mes volets. Encore un petit caillou. Puis un autre. Il va finir par réveiller ma mère qui dort à côté ! J'ouvre légèrement, à nouveau.

— Qu'est-ce-que tu veux encore ?!

— Juste te parler. Une seule fois. Et je te jure que si tu décides de ne plus jamais m'adresser la parole, je me tiendrai loin de toi, je n'insisterai pas.

— Non. Tu me fais peur Samuel, vraiment. Je ne veux plus rien entendre de toi.

— Seulement quelques mots et je te promets de disparaître !

J'hésite : son visage me fait vraiment pitié. Ses traits sont tirés, ses épaules affaissées sous sa veste, et ses lèvres sont serrées dans une moue torturée.

— Juste quelques mots ! insisté-je en refermant la fenêtre.

Je descends lentement en espérant que ma mère n'entendra pas mes pas. Ce n'est pas dans mes habitudes de circuler la nuit et si elle me surprend à parler avec Samuel à cette heure-ci, je ne donne pas cher de sa peau, ni même de la mienne. J'ouvre lentement la porte en la retenant pour ne pas laisser les gonds grincer. Samuel entre, radieux : il a obtenu ce qu'il souhaitait. Je place mon index sur mes lèvres et l'invite d'un geste de la main à monter dans ma chambre en silence. Je referme la porte sans faire de bruit et me retourne vers Samuel, le visage amusé.

— Tu aimes vivre dangereusement toi, constaté-je.

— C'est le danger qui m'aime, ce n'est pas la même chose ! corrige-t-il.

— C'est le garçon qui laisse son meilleur ami l'utiliser en guise de soda qui me dit ça ?

Samuel sourit calmement, ma pique lui a plu, je le sens. Il pointe un doigt sur mon lit et je secoue la tête : hors de question qu'il s'installe sur mon territoire. Et puis quoi encore ! Je lui montre la chaise de mon bureau et il se dirige vers celle-ci. Je prends place sur ma couette, m'assois en tailleur, et le fixe intensément.

— Deux mètres pour se parler à voix basse, c'est un peu limite.

— C'est le minimum pour ma survie, argué-je en fronçant les sourcils. Tu voulais me dire une dernière chose ?

— Je sais que Liam t'a révélé son secret, Jaz, commence-t-il. Et tu l'as cru.

— Je n'ai rien dit de tel, défendis-je.

— Tu penses qu'il ment ?

— Je ne sais pas trop, son histoire est trop bizarre, irréelle.

— Il a été honnête avec toi, Jaz, je te l'assure.

— C'est ça qui t'amène ? Tu es venu me parler de Liam ? Tu n'as pas d'autres choses à me dire ?

Le garçon baisse ses prunelles grises, visiblement gêné.

— C'est moi qui vais parler alors, reprends-je. Je me fiche que tu laisses ton vampire de copain se gorger de ton sang, je suis certaine que c'est par pur égoïsme, parce que tu n'es pas quelqu'un de bien Samuel. J'ai tout essayé pour me rapprocher de toi, pour te comprendre, mais chaque fois, tu m'as blessée, tant physiquement que moralement.

— Je sais, admet-il, honteux. Lorsque je te vois, je perds le contrôle, Jaz. Je n'arrive plus à gérer toutes les émotions qui se mêlent en moi et c'est dangereux.

— Dangereux pour toi ou dangereux pour moi.

Une fois de plus, Samuel se terre dans le silence, mais il est inconcevable que je lui permette de s'en sortir encore sans obtenir mes réponses. Je n'aime pas le genre de fille que ce garçon me fait devenir, un être faible qui ramasse les miettes de ce qu'un inconnu veut bien lui donner. Et pourtant, son visage exprime une telle souffrance que je me rends compte que j'ai vraiment besoin d'en savoir plus, quitte à me brûler les ailes. Nous sommes chez moi, dans ma chambre, sur mon territoire et il est hors de question qu'il s'en sorte aussi facilement que les autres fois.

— Qui es-tu Sam ? Je veux dire... au-delà du garçon violent, lunatique et incontrôlable que tu m'as montré. Je sais que tu as des secrets et je ne veux pas te forcer à les partager avec moi, mais tu me fais vraiment peur et je ne sais plus comment agir avec toi.

— Je sais que mon comportement a pu te paraître dingue mais... si tu savais... ton visage...

— Je ne comprends pas Samuel. Je ne te connais pas, j'en suis certaine et pourtant, tu me donnes l'impression d'avoir beaucoup de choses à me reprocher. T'ai-je fait quelque chose de mal ? L'aurais-je oublié ?

Samuel se redresse subitement et je ne peux réprimer un mouvement de recul. Il se lève lentement et s'approche de mon lit. Mon cœur bat la chamade, prêt à sauter hors de ma poitrine. Non non non, il ne faut pas qu'il avance plus. Surtout pas. Je secoue la tête de droite à gauche et le garçon saisit immédiatement ce que sa proximité m'inspire. Il s'assoit alors aux pieds de mon lit et cale son dos sur l'arête. Il me tourne le dos ainsi et étrangement, cela me rassure.

— Je t'écoute Samuel, rassuré-je.

Avec douceur, Samuel retire son manteau et le pose sur le sol, près de lui. Mon cœur rate un battement lorsque je le vois sortir sa chemise bleu foncé de son pantalon. Que fait-il ? Samuel se tourne face à moi et relève sa manche droite. Je remarque alors six barres noires tatouées sur son poignet. Je fronce les sourcils, dubitative. Certes, le motif est étrange, mais il n'a vraiment rien de mystérieux. Samuel plonge son regard dans le mien et je demande, incrédule :

— Tu as un tatouage, c'est bien, mais je ne comprends pas où tu veux en venir, déclaré-je, impatiente d'en savoir plus.

Samuel mordille sa lèvre inférieure et je fonds littéralement devant lui. Ses yeux sont si tristes, son visage si malheureux que je meurs d'envie de le prendre dans mes bras et de le rassurer, de lui promettre que les choses vont bien se passer et que je suis là pour lui... Mais je secoue la tête et reprends mes esprits. Il ne s'en sortira pas à si bon compte.

— Sam... persisté-je.

Sans crier gare, Samuel se relève de toute sa hauteur et je dois relever la tête pour continuer à le voir. L'un après l'autre, le garçon libère les boutons de sa chemise. Je me demande alors si ma mère a augmenté le thermostat du chauffage : le rouge me monte aux joues et je sens quelques gouttes de sueur perler sur mon front. Je suis dans ma chambre, accompagnée d'un garçon qui se déshabille progressivement. Quiconque entrerait à ce moment-là en tirerait des conclusions on ne peut plus osées.

Je détourne le regard avec pudeur. J'entends un petit rire amusé masculin. Samuel se penche alors lentement vers moi, il pose une main sur mon lit et de l'autre, me tourne délicatement la tête vers lui. Nous sommes à peine à quelques centimètres l'un de l'autre et je suis vraiment dans tous mes états.

Je descends mon regard vers le torse dénudé du garçon avant de froncer les sourcils. Je remarque alors un second tatouage, placé précisément sur son cœur celui-là. Il s'agit de deux lettres entremêlées. Je me demande s'il s'agit des initiales de sa petite amie, de sa maman peut-être ?

— Tu te demandes ce que ce signe représente ? demande-t-il soudainement en s'installant sur mon lit.

Il m'avait pourtant semblé avoir été clair avec lui et son éventuelle installation sur mon territoire. Aucune intrusion sur mon lit ! Samuel pose une main chaude sur mon genou et plonge son regard dans le mien : je reviens sur ma décision, il peut s'asseoir absolument où il veut. Samuel ne maintient pas son regard et se détourne de moi. Il incline ensuite la tête, paraissant peser le pour et le contre. Pas question de laisser passer ma chance :

— Qu'est-ce qu'il signifie ? quémandé-je en posant mon index sur la marque.

Samuel respire profondément et son visage se détend instantanément. Le contact de ma peau a l'air de l'apaiser, alors je pose une main rassurante sur la sienne.

— Parle-moi, imploré-je.

— Tu me promets de me laisser aller jusqu'au bout ? gémit-il. Je t'en supplie, écoute ce que j'ai à te dire et ensuite, tu pourras décider de ce que tu souhaiteras faire de moi.

— C'est vraiment si terrible ? ajouté-je.

— Je ne te demanderai pas de me comprendre ni de me pardonner, mais seulement de m'écouter.

— Juré, déclaré-je avec impatience.

— Ce tatouage sur mon cœur, commence-t-il, il s'agit d'un enchevêtrement des lettres D et M. Pour Damnatio Memoriae. Sais-tu de quoi il s'agit ?

Je secoue la tête, complètement perdue.

— Il s'agit du nom d'une terrible malédiction. Et ces barres sur mon poignet, elles me servent à me souvenir combien de vies j'ai gâchées.

Je ne peux réprimer un rire nerveux.

— Cela te fait rire ? s'étonne Samuel, mi-amusé, mi-vexé.

— Non, pas du tout, avoué-je entre deux rires.

Je lis beaucoup d'embarras et d'inquiétude sur son visage. Je respire profondément à mon tour en espérant reprendre mon sérieux et m'explique :

— Franchement, lorsque tu m'as montré ce tatouage, je n'ai vraiment pas compris à quoi il pouvait correspondre. J'ai pensé qu'il s'agissait d'un code barre avec une signification particulière, un truc du genre celui de ta barre de chocolat préférée ou ton soda favori.

Samuel sourit, amusé. Je me réjouis d'être parvenue à le décrisper un peu.

— Tu es sérieuse là ? reprend-t-il. Je m'efforce de te raconter des choses très personnelles et toi, tu t'amuses.

— Excuse-moi, c'est juste que tu es si sérieux que j'ai l'impression que tu vas m'annoncer quelque chose de très grave et le rire, c'est ma façon à moi de gérer mon stress. Mais je suis toute à toi et je t'écoute. C'est quoi une damnatio memoriae ?

— C'est une malédiction qui implique que son destinataire soit condamné à l'oubli, et la mienne est en plus perfide.

— Perfide comment ? demandé-je, encore dubitative face à cette explication.

— Pour que tu puisses mieux comprendre, laisse-moi t'entraîner dans mon passé et te raconter mon histoire. Mais surtout, n'oublie pas qu'il s'agissait d'une époque compliquée et je n'étais qu'un gamin qui s'était retrouvé embarqué dans... dans quelque chose de trop grand pour lui.

J'approuve d'un signe de tête et je laisse Samuel m'emmener dans les méandres de sa mémoire.

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