Chapitre 1

Dix-sept ans plus tard

— Alors, qu'en dis-tu ? demande Kelly.

— Mmm...

— Eh oh! La Terre appelle la Lune! s'exclame Riley.

Voyant que je ne réponds pas, la masse floue à ma gauche commence à claquer des doigts près de mon oreille.

— Youuuuuuhouuuuuuuu... Tu m'entends ? Kel, tu crois qu'elle m'entend ?

L'autre silhouette à ma droite hausse ce que je crois être ses épaules. Je secoue la tête pour sortir de ma torpeur.

— Pardon, j'étais dans la Lune, qu'est-ce que tu disais ?

Kelly soupire et Riley rigole en secouant doucement la tête, faisant tournoyer autour d'elle ses cheveux blond platine. Je préfère ne pas me demander le temps qu'elle doit prendre pour en boucler les extrémités.

— Laisse tomber. Parler de ton anniversaire te met toujours en colère de toute façon, déclare cette dernière. Mais franchement, quel mal y a-t-il à être née le jour d'Halloween ? À ta place je sauterais de joie à l'idée de recevoir des tonnes de bonbons le jour de ma fête!

— Vraiment ? je lui demande avec un sourire à demi crispé.

Mon ton froid et mordant, ajouté à mon regard à la fois inquisiteur et acéré, lui fait immédiatement perdre son sourire. Contrairement à elle, mon corps supporte disons... difficilement les doses de sucre non nécessaires.

 Kelly et Riley ne m'acceptent dans leur groupe de gens « populaires » que parce que je suis tres belle et qu'on me le dit souvent. J'ai des cheveux de jais raides et d'un noir si profond qu'on peut parfois apercevoir des reflets roux ou bleutés à la lumière des astres ainsi qu'une peau qui ne bronze jamais et d'une pâleur à se demander si j'ai déjà été exposée au Soleil. Ce physique attire en soi les regards — bien que je n'ai pas été doté, contrairement à Kelly, de formes vraiment avantageuses.

Mais la plus étrange caractéristique de mon corps est la couleur de mes yeux : ils sont d'un bleu si clair... Tellement pâle que j'ai découvert un jour que l'on peut les distinguer même lors d'une nuit sans Lune. Du reste, je suis grande et très mince. Remarque, je n'ai jamais aimé la mal-bouffe, alors ce n'est pas si surprenant. 

En plus, mes parents m'ont inscrite dès l'âge de quatre ans dans des cours de mannequinat et de maintien. J'ai ainsi acquis grâce et élégance. Ils ont aussi voulu me faire apprendre le ballet, base de toutes les danses, mais j'ai tout de suite détesté ça. 

À cinq ans, j'ai entendu ma voisine, une fille de quinze ans nommée Tily qui m'a souvent gardée quand j'étais plus jeune, parler de natation et du plaisir de l'eau, de la nage. C'est ainsi que ma passion pour cet élément s'est développée. Ma mère m'a inscrite à des cours de natation et je n'ai jamais arrêté. 

Mais malgré toute ces activités de groupe, j'ai toujours été plutôt réservée, voir carrément asociale dans certains cas. J'ai donc été forcée de faire du théâtre pendant six ans. Malheureusement pour mes parents, l'art dramatique m'a surtout appris une chose: contrôler mes émotions. 

Je ne pleure et ne crie donc jamais. Je garde habituellement un ton froid et poli dans lequel je laisse parfois transparaître mon émotion réelle, que ce soit la joie, la colère, la peur, la tristesse ou autres. 

Ou alors, je fais croire n'importe quoi aux autres. 

C'est incroyable comme le langage corporel est important pour interpréter le ressenti de son interlocuteur. Sans lui, au revoir compréhension. Tu peux croire que l'autre est en colère alors qu'il triste, par exemple. Mais peu importe ce que je pense, je reste distante, comme maintenant, où je ne montre qu'une infime partie de mon agacement. 

D'ailleurs, ce n'est pas le fait d'être née le jour de l'Halloween mon problème. Honnêtement, je préfère ça que d'être née à Noël. Je connais des gens dont c'est le cas et qui se plaignent qu'on associe sans cesse leur anniversaire avec la fête internationale. 

Non, mon problème c'est l'attitude de mes parents lors de ma fête. 

Ils sont toujours crispés et tendus. Ils passent toute la journée et toute la nuit dans leur chambre située au deuxième étage à murmurer des paroles incompréhensibles derrière la porte close et fermée à clé pendant que Kelly, Riley et leur cercle d'amis populaires de l'école festoient au premier. Ils sont une vingtaine au total, bien qu'ils semblent être quarante tellement ils peuvent se montrer bruyants.

Je dis « ils » parce que, moi, je ne me compte pas dans leur groupe. J'ai seulement la « chance », comme ils disent, d'être plus belle que la moyenne, comme tous ceux admis dans leur gang de petits vantards richissimes. Avec Kelly et Riley à leur tête, ils se pensent meilleurs que les autres parce qu'ils sont plus beaux. Les imbéciles! 

Et dire qu'ils croient que je pense comme eux. Pour toutes les filles du groupe, si je n'ai jamais eu de petit ami jusqu'à maintenant, c'est parce que je suis — soi-disant — certaine qu'aucun des gars n'est assez bon pour moi. 

Oh, bien sûr! Quelles idiotes.

Mais mieux vaut pour moi être dans leur groupe. J'ai beau être intimidante et indifférente à l'opinion des autres, j'aime la mode et je compte travailler dans le milieu, plus tard. Il est préférable d'avoir les B.G. de son côté, car elles sont influentes et peuvent fermer bien des portes à leurs ennemis. 

Et elles désirent m'avoir sous leur coupe parce que sans moi, au revoir belles soirées. Comme ma mère travaille dans le monde du spectacle, elle a nombre de relations. Et mon père est à la mairie, alors il peut s'arranger pour ce qui est des autorisations nécessaires.

Kelly me foudroie du regard.

— Raelyn!

Je lui adresse un froid sourire. Kel se renfrogne. 

Les membres des B.G., les Beauty Girls comme elles aiment tant s'appeler, me connaissent depuis assez longtemps pour savoir un minimum interpréter mes expressions, aussi difficile à déchiffrer soient-elles. 

Et elles savent que celle-là signifie que je me fiche bien de leur opinion et, pour ce contexte-ci, que je parlerais toujours sur le ton que je veux, peu importe ce qu'elles désirent. 

J'entends Kelly soupirer en jouant avec une des épaisses boucles noires charbon qui encadrent son visage et je sais qu'elle fulmine de ne pas avoir plus de pouvoir de persuasion sur moi. 

Je regarde ma montre en retenant mon souffle tellement j'espère qu'il soit dix-huit heures, heure à laquelle je dois impérativement rentrer chez moi si je veux être tranquille à la maison.

— Rae..., commence Riley.

— J'y vais, je la coupe en me levant du vieux banc de bois sur lequel nous sommes assises.

Kel hausse les sourcils.

— Mais il n'est que...

— Dix-huit heures. Oh, mais ne vous inquiétez pas, je avec un petit sourire narquois en me tournant vers l'entrée du Sunken Gardens Park d'où j'entends le claquement des talons aiguilles caractéristiques de la démarche d'un membre des B.G., Samantha vous tiendra compagnie en mon absence.

Les deux filles se tournent d'un commun mouvement vers la nouvelle venue. 

Sam est une fille petite mais charismatique aux longs cheveux ondulés d'un brun chaud et aux yeux de la même couleur. Elle est aujourd'hui vêtue d'un jean bleu pâle ajusté et d'un haut blanc à col tortue sans manche dont les couleurs choisies avec minutie la font ressortir sur le fond rouge orangé des fleurs et feuilles fanées par l'automne. 

La B.G. franchit encore quelques mètres avant de s'arrêter à deux pas de moi, une main sur sa hanche droite. Elle me détaille des pieds à la tête: mes talons aiguilles swag de velours bordeau aux talons et à la semelle dorés, ma jupe crayon en cuir noir, mon crop top bustier de la même couleur, ma veste bordeaux à coupe tailleur, mes nombreux bijoux dorés...

— On fête l'Halloween en avance, Raelyn ? demande-t-elle avec un sourire narquois même si ma tenue est parfaitement normale et conforme aux «critères» des B.G. .

Samantha me déteste depuis que Mark, son idiot d'ex petit ami, l'a délaissée pour me demander de sortir avec lui — ce que j'ai refusé, évidemment. Cet imbécile fini a une certaine tendance à faire des suçons plus que voyants. Honnêtement, je plains presque Samantha d'avoir eu assez de stupidité pour en tomber amoureuse. Mais même si c'était il y a deux ans, elle n'a toujours pas digéré la rupture, et elle tente toujours de me le faire payer.

Alors on va oublier la pitié pour le moment. 

— Tu me verras désolée de te priver du plaisir de ma compagnie, je déclare, refusant d'entrer dans son petit jeu et feignant de n'avoir rien entendu, mais j'ai mieux à faire que de parler avec quelqu'un au vernis écaillé, je complète en fixant avec insistance ses pieds aux orteils peints en noir laissés à découvert par ses sandales blanches aux petits talons bleu nuit.

Ma remarque fait son effet : Samantha vérifie immédiatement ses pieds. J'en profite pour partir. Hors de question de rester avec cette cruche une seconde de plus.

Je sors du Sunken Gardens Park remplit de fleurs desséchées et bifurque à gauche. Je traverse plusieurs rues et passe par un petit chemin bordé d'arbres aux feuilles rouges et de verdure. Gauche, droite, gauche, gauche, droite, gauche... 

La première chose que je fais une fois arrivée chez moi est d'enlever mes talons swag. Je déteste le son du claquement qu'ils font sur le sol de marbre noir et or du vestibule. La marche d'une quarantaine de minutes avec a achevé mes chevilles déjà meurtries par la journée passée en talons hauts. 

Débarrassée de mes instruments de torture, je m'empresse de parcourir les six mètres me séparant de l'escalier qui laisse bouche bée tous ceux qui le voient. Ses marches modernes noires et blanches forment un rectangle diagonal tournoyant autour d'un fin mur de brique de bois vernies allant du bleu gris au rouge vin, en passant par un somptueux brun vert. 

De plus, il a été construit contre une immense fenêtre dont la hauteur se prolonge à l'étage. Ajoutez à ça que les murs de la maison mesurent quatre mètres et demi, et vous obtenez le mélange parfait pour un incroyable ébahissement chez vos visiteurs. Les B.G. n'étaient d'ailleurs pas en reste. Riley s'est carrément évanouie! 

Quant à moi, il a arrêté de m'étonner il y a bien longtemps. Il faut dire que je ne suis pas facilement impressionnable. Il le faut bien lorsqu'on est entouré de gens tous plus beaux et charismatiques (mais aussi idiots) les uns que les autres.

J'avais en tête lorsque je gravis l'escalier de m'enfermer dans ma chambre pour pratiquer mon violon. J'en fais depuis maintenant deux ans et c'est bien le seul art que j'apprécie. Perdue dans mes pensées pleines de partitions et de notes de musique, je ne remarque qu'au dernier moments les deux silhouettes qui se tiennent devant la porte de ma chambre.

— Maman ? Papa ? Qu'est-ce que vous faites là? demandé-je en les fixant tour à tour dans les yeux, camouflant ma surprise avec une froideur calculée.

Mon père passe la main dans ses courts cheveux noirs, un tic que je ne l'ai pas vu faire depuis bien des années. Bizarre.

— Nous... Je veux dire, on... Euuuh, commence-t-il d'une voix d'où perce une certaine anxiété.

— Nous devons te parler, le coupe précipitamment maman.

Je plisse légèrement les yeux. Quelque chose cloche, c'est sûr. Mon père n'est jamais stressé, ma mère est toujours calme, peu importe la situation, et tous deux ne rentrent ici qu'aux environs de dix-neuf heures trente. Je ne sais pas ce qui se passe, mais c'est forcément grave.

— De quoi ? demandé-je tranquillement.

Moi qui espérais les rassurer, c'est raté : papa déglutit bruyamment et maman commence à jouer avec sa lèvre inférieure. Je soupire. 

— Bon, vous allez cracher le morceau, oui ou non ?

Mon ton acerbe et mes yeux durs ont dû faire leur effet habituel, car mes parents se ressaisissent instantanément.

— Allons... Allons dans le petit salon, tu veux, déclare maman.

J'acquiesce. Vivement qu'on en finisse! 

*

De grosses larmes roulent sur mes joues tandis que je cours à travers la ville. Je ne sais même plus où je me trouve. Les passants me regardent, interloqués, comme si j'étais folle. Quoi de plus normal: ils ne m'ont jamais vu pleurer. Mon expression est toujours un masque de froideur, d'impassibilité. Mais pas en ce moment. Impossible. Pas avec ce que m'ont dit mes parents. Enfin, puis-je seulement les appeler comme tel? Ma vie est un mensonge. Immense. Impossible. 

«Tu n'es pas humaine...»

«Nous ne sommes pas tes vrais parents...»

«Tu es l'Héritière de l'Eau, la Dame de la Nuit, la Reine des Ombres...»

«Tu es notre dernière chance...»

«Tu dois épouser Jayden, le prince Héritier de Solaris...»

Ce mot n'a de cesse de résonner en moi.

Épouser.

Épouser.

ÉPOUSER.

Il s'insinue dans mes veines comme un venin.

Venin.

Une phrase contenait ce mot. Une phrase. Un avertissement.

«La Cour Sombre déborde de Veuves noires, et les assassins sont monnaie courante depuis que ta soeur dirige le royaume. Il serait d'ailleurs bien son genre de te faire tuer pour conserver le pouvoir. Sans compter que ton arrivée ne va pas enthousiasmer ses partisans... Tes ennemis seront bien plus nombreux que tu ne peux l'imaginer...»

DANGER!

J'écarquille les yeux, incapable de contenir ma surprise. Honnêtement, je ne me suis jamais sentie aussi faible.

— Qui est là?

Silence. Je balaye la foule du regard, cherchant l'auteur de l'avertissement.

— Répondez! ordonné-je.

Moi qui m'attendais à des sourcils froncés suite à mon cri, je suis bien loin d'être servie. En fait, c'est même le contraire: les passants n'ont aucune réaction.

— C'est de plus en plus bizarre, commenté-je à voix basse.

DANGER À SIX HEURES!

Je sursaute. Encore cette maudite voix!

— Qui est là? répété-je en détachant cette fois chaque syllabe.

Quelqu'un éclate de rire derrière moi. Je pivote sur mes pieds. Six heures... Je ne sais toujours pas qui a parlé, mais je pense qu'elle a raison. Les hommes désormais en face de moi ne m'inspire aucune confiance. Ils sont... Comment dire? Plutôt terrifiants. Le premier a les yeux verts, une forte musculature et doit faire plus d'un mètre quatre-vingts. Le second a les yeux bruns clairs et est un blond tout aussi musclé et grand que le premier. Des colosses, quoi.

DANGER. TROISIÈME PERSONNE. CACHÉE.

Je plisse les yeux. 

Voix Étrange a raison. La façon dont il sont placés — épaules contre épaules, genoux collés, pieds écartés — tout laisse à croire qu'il cache quelqu'un.

— Que me voulez-vous? Qui est la troisième personne qui vous accompagne?

Colosse numéro 1 esquisse un rictus avant de s'écarter de son compagnon. Derrière eux se trouve un petit homme trapus. Et par petit, il est vraiment petit. Il franchit, tout sourire, les quelques mètres qui nous séparent avant de s'incliner gracieusement, une main derrière le dos, l'autre attrapant la mienne pour me faire un délicat baise-main. Je fronce les légèrement les sourcils. C'est quoi, cette attitude? On se croirait au XVIII siècle!

— Votre Altesse, déclare l'homme, c'est un honneur d'enfin vous rencontrer après tant d'années de recherches. Car voyez-vous, je fais parti des gens qui croient à votre existence. Et sans le signal élémentaire émit involontairement par vos tuteurs, nous serions encore sur une fausse piste. Mais le Roi nous a permis de faire toutes les recherches nécessaires pour tenter de vous retrouver, ce qui laisse à penser que lui aussi est favorables aux rumeurs parlant d'une autre fille de la Reine déchue Léïka, une autre princesse qui serait la véritable Héritière. Alors nous avons pu venir tranquillement ici sans mentir à qui que ce sois.

Il s'arrête et me fixe, attendant visiblement une réponse. Mais que puis-je dire? Dois-je lui donner une confirmation que c'est bien moi, cette princesse disparue? Dois-je... Je coupe soudain le fil de mes pensées, le souffle court. 

C'est homme, mes "parents" m'en ont parlé. Petit, blond, yeux verts, peau basanée, accent anglais complètement ridicule: c'est Hans Rodge.

Le Conseiller Personnel du prince Jayden, Héritier de Solaris. 

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Salut! Je sais que la fin peut être un peu difficile à comprendre, du fait que l'on ne peut lire la partie où les tuteurs de Rae (ou Akeira, les deux noms sont possibles) lui révèlent la vérité sur son identité et sur son devoir d'Héritière. C'est fait exprès, pour vous donner envie de connaitre la suite, mais relire le résumé peut aider.

Et sinon, vous en dites quoi? Comment vous trouvez Akeira? Son caractère, ses loisirs, etc... 

Aussi, dites-le moi si vous voyez des fautes d'orthographes, pour que je les corrige! Je ne suis pas une pro, loin de là, mais je ne demande qu'à m'améliorer.

Sur ce, je vous souhaite une bonne journée (ou soirée)! À+!

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