Le Maître de l'Acier

— Je ne vous ai jamais demandé, comment allez-vous ?

La question le surprend ; Duran me conduit jusqu'au campement établi par nos compagnons, où un feu nous attend. 

— Torebok pense à Merialeth, Veseryn à l'enfant, je suppose que Laerran pense à son peuple et moi, je pense aux Ellalen, à tous les clans, toutes les races, à tous mes amis et ceux qui le sont moins, nous possédons tous une motivation, un quelque chose auquel se raccrocher. Et quand le désespoir nous submerge, la vision d'un avenir meilleur nous fait tenir le choc. Plus ou moins. Dans votre cas, je ne me souviens pas vous avoir entendu parler de ce qui est advenu des Rivières Blanches, de ce que vous avez récemment vécu et de comment vous le ressentez. Paraît-il que vous vous seriez livré à Laerran, à l'ombre des cavernes de Fer Rouge. Vous avez été un si bon ami pour moi, j'aimerais vous écouter aussi bien que vous l'avez fait. 

Malgré les portions réduites de nourriture, le voyage et l'épuisement, Duran s'est remplumé, son corps n'est plus aussi maigrichon, son visage plus aussi osseux et la noirceur de ses traits s'est estompée. Il arbore toujours une mine sévère, mais il s'autorise davantage de rictus moqueurs, de sourires divertis et de rires amusés. En d'autres termes, il se montre sous son véritable jour, l'homme qu'il était avant d'endurer le drame de toute une vie. Néanmoins, les souvenirs douloureux le hantent encore. Une lueur perdue et obscure domine la plupart du temps dans ses pupilles, comme s'il avançait à tâtons sans espoir du moindre lendemain. Ce qui explique pourquoi il s'est porté volontaire pour cette quête, alors que son royaume entrait dans une ère sombre et vacillante, et pourquoi il s'est interposé entre Laerran et les tortionnaires des Cris d'Agonis, pourquoi il ne redoute pas la mort et va au-devant de ses périls. 

— Je ne me suis pas livré à Laerran, répond-t-il enfin. Dans le doute, et l'esprit asphyxié par l'enfermement sous la montagne, nous nous sommes promenés sous les étoiles, certes, mais nos conversations restaient à la surface de ce qui devait et pouvait être dit. Nous nous épanchions surtout sur les caractéristiques et la beauté de nos terres respectives. Je...

Il soupire avec lourdeur et fait courir son regard sur les Bois Endormis à l'avant, plongé dans ses réflexions. Je ne le brusque pas, ni ne cherche à dévier du sujet, lui laissant le choix de poursuivre ou non.

— Je manque cruellement de courage pour aborder...cela. Je suis capable d'affirmer certains faits indubitables. Notamment sur ma haine de Brovas et sur mon mépris total pour les Anciens Remparts. Je peux jurer que je n'aurais blessé ou tenté quoi que ce soit contre l'enfant, car il ne mérite pas de subir le châtiment de son père. Je peux également présager, qu'au final, il y a peu de chances que je ne me venge un jour de Brovas ou de Constantin. Je les déteste du plus profond de mon être, ils m'ont volé tout ce que j'avais, de ma famille à mes amours à ma raison d'être. Mais...je suis las, Aeryn. Les Trois Royaumes se disputent les territoires depuis des siècles et dès que le Sud s'en mêle, un bain de sang se produit. Je suis fatigué des attentats, des coups d'état, des vengeances et des tueries. De toute façon, j'ai renoncé à mon trône. Mon père a bien vécu, en cela je me réconforte. Il a péri vieux et aurait pu régner longtemps. En ce qui me concerne, je me suis habitué aux campagnes militaires et je m'apprêtais à endosser officiellement le rôle d'Ambassadeur Royal auprès des Deux Couronnes. J'étais à deux doigts de réconcilier nos deux nations. Je n'envisageais pas vraiment le règne. Le successeur de mon père aurait été ma fille. Ou bien, si elle n'avait pas assez grandi, cela aurait dû être mon cousin en régence et ma fille ensuite. Mon abdication au trône n'a étonné aucun conseiller et en a même réjoui certains, puisqu'ils me connaissaient diplomate, et non roi. Constantin et Brovas, ils croient m'avoir dépouillé d'un trône que je ne désirais pas, ils croient m'avoir vaincu en cela. Ils se fourvoient. Bien sûr, ils ont réussi leur coup. Pas en m'éjectant du trône, mais en me volant tout mon bonheur. 

Je me risque de temps en temps à l'observer et ce que j'aperçois sur son expression exsangue me brise le cœur. Il a l'air mortellement touché, fracturé au tréfonds de lui-même, l'âme explosée en morceaux, des blessures qui ne guériront jamais. Il n'a pas besoin de préciser que ce bonheur-là ne reviendra pas, qu'il en trouve des bribes ci et là, que les chamailleries de Veseryn et de Torebok l'égayent, que la bonté des Elfes l'apaise, que cette quête lui a offert un nouveau but dans la vie ; non, il ne le précise pas, puisque tout ceci ne remplacera jamais ce que l'assassin lui a pris ce terrible soir.

— J'aimais mon épouse. J'avais promis de protéger notre fille. J'ai échoué. Longuement me suis-je interrogé sur...mon futur, et si j'étais digne d'en avoir un. Orist et Iovannen m'ont fourni un objectif. Est-ce que je m'effondrerai à la fin de notre périple ? Parcourrai-je le monde, ainsi que j'y ai songé ? Retournerai-je auprès des miens ? Peut-être bien que je changerai d'avis face à Brovas... Je ne sais pas, Aeryn. Je ne sais plus tout à fait qui je suis. 

Je glisse ma main sur la sienne, contact qu'il accepte et il entrelace nos doigts.

— Vous êtes le meilleur des Hommes que j'ai rencontré jusqu'à présent. Votre bon sens et votre générosité vous placent dans cette difficile position. Trop bon et altruiste pour faire couler le sang et vous venger, mais trop atteint pour pardonner, ce qui est amplement justifié et justifiable. Brovas et Constantin ne valent ni pardon, ni paix, et la providence s'occupera d'eux. Regardez où ses choix ont mené Constantin. Il a permis au mal de s'installer sur ses terres, obnubilé par ses guerres avec les Trois Royaumes, et tout son peuple en paie le prix. Brovas ne s'en sortira pas dans cette affaire, non plus. Si ce n'est par le sang, vous obtiendrez réparation pour les tourments causés aux Rivières Blanches. En guise de gratitude pour la protection de son héritier, ainsi que pour votre participation active dans l'élimination de l'Obscurité, vous n'aurez qu'à réclamer votre dû. Or, terres, le mettre à genoux devant vous, le forcer à vous implorer... Vous déciderez à ce moment-là de sa dette envers vous, même si rien ne remplacera votre perte.

Nous pénétrons dans les Bois Endormis et si les troncs frémissent à mon passage, ma magie se tient relativement tranquille. Je peine à marcher droit et Duran me soutient sur une partie du sentier, avant de se détacher à proximité du campement. Chacun de nos compagnons porte leur propre fardeau ; j'ai partagé le mien avec eux, mais je ne veux pas qu'ils le prennent sur leurs épaules, à leur tour. Moins je montrerai la fébrilité grandissante en moi et plus ils pourront se concentrer sur leurs ennuis. Inutile de les inquiéter. Et dans l'hypothèse où une crise similaire me pousserait à la panique et au désarroi, ce qui devrait arriver tôt ou tard, nous en rediscuterons. Ou pas. De toute manière, nul ne serait en mesure de m'aider ou d'alléger mon problème principal. La vérité est, et a toujours été, que rejeter mes pouvoirs ne rimait à rien et je dois désormais apprendre à les gérer à la pire période de toute mon existence. Je n'ai jamais rechigné à admettre mes torts, mais je me rends compte que mes aveux de faiblesse s'allongent de jour en jour. J'ai commis d'innombrables erreurs ces deux cents dernières années et il faut que je me rachète maintenant, ou tout aura été vain.

À l'approche du campement, un feu a bel et bien été allumé. Torebok et Veseryn sont collés aux flammes, frigorifiés dans leurs habits mouillés. Ils se sont débarrassés de leurs manteaux et elle a ôté son corset, pour les faire sécher sur une branche. Seuls les Elfes demeurent à distance, assis contre des troncs. Je m'efforce de contrôler mon allure, sans trébucher ou chanceler, mais la mascarade ne trompe pas les regards les plus aiguisés. Laerran fronce durement les sourcils et, avec bien peu de discrétion, me dévisage de haut en bas. Duran ne pipe mot et s'intéresse tout à coup à son sac, faisant mine d'y fouiller. Je hausse les épaules pour toute réponse aux questions muettes du blond, et il lâche, abrupt :

— Vous ressemblez à une louve effrayée trempée jusqu'aux os. 

Je présume qu'il s'agit-là d'une version atténuée du chien mouillé. En réplique, je lui adresse une grimace sardonique sous le ricanement de Veseryn. Celui-ci s'interrompt vite. Suivi d'une main plaquée sur son dos et d'une mine tordue par une sorte de douleur. Je ne commente pas tout de suite, mais garde un œil sur elle. Au niveau de Merialeth, je m'arrête et m'incline à la façon des Elfes, le bras sur la poitrine. De toute évidence, elle ne me tient pas rigueur pour la chute de la falaise et imite mon geste, d'un rictus en coin. 

— Vous aviez raison, s'exclame Torebok, sur toute la ligne. Hormis la fin, bien entendu. Si je n'avais pas failli me noyer, je vous dirais que descendre le Fleuve Agité ferait un jeu très distrayant. 

— Ravie que la descente vous ait plu, Maître Torebok.

Je m'assois volontairement à côté de lui, sans le quitter des yeux, si bien qu'il ne tarde pas à me lancer des œillades furtives, perplexe. Le Fleuve Agité ne tue pas. Veseryn, de sa hauteur de jeune fille, ne s'est pas noyée. L'eau aurait porté Torebok de façon à ce qu'il demeure à la surface et atteigne la rive en toute sécurité. Or, Laerran a dû le sauver. Tout comme Duran a dû me calmer, ou plutôt calmer ma magie. Je lui dis :

— Au sud-est des Bois Endormis, nous gagnerons rapidement la forteresse. Nous devons réfléchir à un plan dès à présent, mais pas avant que vous n'ayez révélé votre secret. Là-bas, nous affronterons des sauvages, les cinq Mages Fous et un désordre sans nom au sein même de la forteresse. Les Hommes se méfieront et ils seront occupés par le siège. J'aimerais savoir exactement ce qu'il nous faudra faire pour vous. Du matériel sera-t-il nécessaire ? Pour ressouder l'arme, j'entends. 

Il donne l'impression de tomber de plusieurs étages et pâlit quelque peu. Torebok pivote vers Merialeth en un réflexe inconscient et s'apercevant de cela, il se tourne plutôt vers Duran. Ce dernier lui jette une pomme au visage qu'il attrape de justesse et il commence à croquer dedans avec avidité.

— Normalement, mon...intervention ne requiert aucun matériel.

— Comment assemblerez-vous l'arme, dans ce cas ? chantonne l'Elfe.

La curiosité de Merialeth m'arrange bien ; j'ignore si Torebok se serait finalement soulagé du poids de son histoire si elle ne s'était pas exprimée au bon instant. Il termine sa pomme en quelques crocs hâtifs et souffle un coup. 

— Cela ne servirait plus à grand-chose de vous dissimuler le pourquoi de mon comment...

Laerran tique à cette formulation et bien qu'elle cherche à le masquer, Merialeth ravale sa confusion. Parfois, les Nains nerveux ont tendance à employer des termes plus compliqués qu'ils ne le devraient, sûrement pour enterrer le sujet, sans succès. Il inspire et déclare :

— Je suis un Mage. 

— Vous êtes un Nain, rétorque Merialeth.

Brusquement, les deux Elfes se lèvent d'un bond et lorgnent sur le Nain de haut en bas. Ils le soupçonnent de s'être cogné la tête. Je fais signe à Laerran de se rasseoir et Merialeth commence à tourner autour du campement, bras croisés, front plissé, l'air nettement troublé. J'indique d'un mouvement de la main à Torebok de continuer. Une appréhension l'envahit alors. Je ne saisis pas sa raison, mais ne le questionne pas, de crainte de couper son élan.

 — Je suis, ce qu'on l'on appellerait, un Mage. Je ne divague pas, ni ne mens. J'ai été baigné dans la Source et j'en suis ressorti avec une magie. Selon le langage des Mages, je suis un Maître de l'Acier et en cette capacité, Orist Norfir y a vu beaucoup d'espoir. Après tout, c'est un Maître de l'Acier qui a forgé l'arme et un Maître de l'Acier seulement rassemblera les deux parties brisées. 

— C'est impossible !

Le murmure tranchant de Merialeth éteint complètement le Nain. Il est accaparé par les flammes et les juge plus intéressantes que tout. Je note l'ordre et l'usage de ses mots qui n'ont pas été prononcés au hasard. J'ai été baigné dans la Source. Cela signifie que sa conversion ne résultait pas de sa décision. Son histoire détrompera cette supposition, mais nous n'y sommes pas encore. L'Elfe regarde tantôt son Prince, tantôt moi, en quête d'une protestation, d'une assistance. Elle reprend sa marche tempétueuse. 

— La Source dispose de son fonctionnement bien à elle, souligné-je. Un fou prétendrait la maîtriser. Il s'avère que les immortels ne se convertissent pas en s'y baignant, il s'avère que les femmes meurent plus facilement ou sont détruites par la démence, il s'avère qu'un être ne peut détenir plusieurs pouvoirs. Et pourtant, me voilà. 

Merialeth s'immobilise en une fraction de seconde et me jauge avec incompréhension. En un soupir résigné, je lui résume les lignes importantes de ce qui a été dévoilé à Rae Shakhar.

— Je suis née Princesse du Royaume de Redrelyn, là où s'étendent les terres désolées, là où régnait Soran Zergrath, le Seigneur de l'Obscurité, et il m'a mise au monde. Par son fait, il m'a également converti à la Source, avec l'aide des Huit. J'ai reçu différentes capacités et si mes soupçons sont justes, la Source m'a dotée de pouvoirs identiques à ceux des Huit. Rien n'est impossible, Merialeth, lorsque l'on évoque l'Obscurité et ses dérives, et ses vices. Qui vous a contraint à vous y baigner, Maître Torebok ? Êtes-vous une victime de plus de la folie des Huit ?

Il secoue la tête avec vigueur.

— Personne ne m'a contraint, Dame Aeryn. Je m'y suis baigné de mon plein gré. 

Cette fois-ci, même Duran réagit et affiche son embarras, piètre connaisseur de la Source et de ses conséquences. Veseryn écoute tout avec un œil vif ; néanmoins, je remarque qu'elle se masse de temps en temps le dos. Se serait-elle blessée en descendant le Fleuve Agité ? Sans cesser de la surveiller, je patiente pour que Torebok se sente prêt à nous divulguer toute l'histoire. En fait, je perçois une gêne profonde, et un rosissement de ses joues. Il évite avec soin l'attention ciblée de Merialeth sur lui. À coup sûr, elle est impliquée dans son récit et il hésite à le raconter devant elle. Il puise dans son audace.

 — Je suis devenu un...Nain-Mage ? Un Naige ? Un Mainge ?

Veseryn glousse à ces inventions, mais il nous amuse peu. Croisant le regard foudroyant de Merialeth, qui constate sans mal ses tentatives pour retarder sa confession, il toussote et reprend. Malgré sa voix basse et ses marmonnements, nous le comprenons très bien.

— Donc, je suis devenu ce que je suis devenu, après notre rencontre aux Monts d'Or, c'est-à-dire à un moment de mon existence où j'étais égaré et où votre apparition miraculeuse à la bataille, Meria, m'a redonné le goût de tout. Mon espoir affluait à nouveau, mon désintérêt pour le monde s'effaçait et j'étais angoissé nuit et jour par...votre protection. 

Il se racle la gorge.

— À vrai dire, j'aspirais à vous rejoindre, quoi qu'il m'en coûte, pour me rapprocher de vous, dans un premier temps, et confirmer les sentiments que vous aviez faits naître en moi. Et par la suite, dans l'idée, je devais être méritant pour revendiquer votre main... En toute franchise, j'ai été ensorcelé par ces envies farfelues et je ne discernais pas le danger de mes pensées. Je savais que je rêvais de vous et que je vous désirais près de moi. Je savais aussi qu'un Nain ne pourrait vous courtiser. Puis, je me suis rappelé que mes tracas amoureux n'étaient rien en comparaison au sort du monde et si je comptais vous aimer comme je le voulais, l'Obscurité m'en empêcherait peut-être en arrachant toutes les belles choses de ce monde et en annihilant la Lumière. Par conséquent, je me suis mis en tête de rechercher un moyen implacable pour vous sauver des ténèbres... Je souligne que cette volonté-ci m'a saisi une nuit où j'étais ivre mort, lors des vingt jours de célébration qui ont suivi la victoire aux Monts d'Or. Je suis monté sur un poney, des bouteilles de liqueurs dans le sac, et, enivré par la stupidité, j'ai chevauché jusqu'à la Source. Par chance, une fois aux abords des terres annexées de l'est, j'avais vidé les bouteilles et les Nains dégrisent très vite. Puisque j'étais sur place, j'ai refusé de faire demi-tour et j'ai lancé les dés de mon destin. Je me suis faufilé et suis parvenu à la Source, par miracle. C'était un temps où la Grande Région avait essuyé une lourde attaque des mois en arrière et ils s'étaient éloigné de leur frontière est. Les Mages Fous veillaient moins sur cette région et longeant le territoire elfique, j'ai atteint la Source. Contrairement aux légendes, elle ne brillait pas, non. Une lumière s'y dressait, oui, mais une lumière noircie, ombrageuse, répugnante. Je m'y suis baigné et j'ai prié fort tous les dieux de la forge. Vous vous en doutez, mon essai s'est soldé d'un échec cuisant.

— Mais vous voici, Nain-Mage, relève Duran.

— Certes, certes. En gagnant le rivage, je me suis retrouvé nez à nez avec un Mage Fou. Le scélérat s'est défoulé sur moi, trop heureux de sa trouvaille. J'ai combattu autant que je le pouvais, mais il me poussa sous l'eau et... Je vous épargne les détails, mais je me suis préparé à la mort. Et je l'aurais méritée. Un idiot j'étais ! 

Son regard tombe sur les flammes devant lui et tout son être s'assombrit à ces souvenirs. Sa voix se fait limpide, mais obscure.

— L'impensable s'accomplit. Dans un ultime rugissement étouffé de rage, je récupérai ma hache tombée au fond de l'eau et visai tant bien que mal ses jambes. Je ne réussis guère à les scinder en deux, mais la coupure lui arracha un hurlement de pure souffrance. Il me relâcha et je courus avec difficulté loin de lui. Cependant, je ne sortis pas à temps de l'eau et il usa de sa magie. Un Maître de la Guérison. À la seconde où la fumée noirâtre de son pouvoir se répandit sous la surface, sur ses jambes tailladées, je ressentis des vagues de chaleur intense me pétrifiaient et je suffoquais, je ne pouvais plus bouger et mes pensées ne m'appartenaient plus... Vous devinez la suite. En utilisant sa magie obscure dans la Source pendant que je m'y trouvais, cela a provoqué une réaction en mon corps et je fus converti de la sorte. En revanche, vous dites, Dame Aeryn, que les Huit vous ont légué leurs pouvoirs. Pour ma part, je n'ai pas reçu le don de guérison, mais celui de l'acier. Je l'ai découvert la minute suivante. Me poursuivant dans les bois, je pris peur de toutes les sensations éprouvées dans la Source et je m'enfuis, mais il était si proche que je fus obligé de combattre. Notre duel ne dura pas. Une chose à part entière, à l'intérieur de moi, me domina et agit à toute vitesse. L'armure du Mage Fou se recroquevilla sur elle-même et le perfora de toutes parts. J'en déduisis que cette horreur venait de moi et que mes mains façonneraient à partir de ce jour les plus puissantes armes et équipements jamais créés. J'ai testé ce pouvoir, à de nombreuses reprises. De forgeur émérite, mes semblables m'élevèrent au rang de Grand Maître de la Forge, un titre honorifique qui était attribué aux meilleurs d'entre nous, jadis. Ceci a attiré l'attention d'Orist Norfir... Ainsi se conclut mon récit. 

N'importe qui condamnerait sa stupidité auto-proclamée. Torebok a pris des risques inconsidérés pour une femme qu'il avait tout juste rencontrée, dont il ignorait tout et qui n'évoluait pas dans le même monde que lui ; autant d'obstacles qui auraient arrêté d'autres hommes. Il guette la réaction de Merialeth avec une anxiété débordante. Duran et Laerran lui évitent une morale qu'il s'est déjà faite tout seul, et se focalisent sur ce que cela implique. Quant à moi, satisfaite par son récit qui coïncide avec les bizarreries de la Source que j'ai expérimentées, je ne me détache plus de Veseryn. Elle s'est débarrassée de ses fruits en les engloutissant, et se masse dorénavant le dos à deux mains, tout en remuant la tête avec un gloussement désabusé. Elle n'ose pas se moquer de lui, attendant la réponse de l'Elfe. Celle-ci erre autour du campement. Cette histoire l'agace, particulièrement. Au grand dam du Nain qui se rapetisse par terre. La colère gronde en elle, telle une tempête qui monte et qui monte, et qui éclate subitement :

— Votre vie vous importait-elle si peu, avant de me rencontrer ? Je suis déçue ! Déçue, Maître Nain, d'être reliée à pareille folie. Je n'exigerai jamais de quiconque, et surtout pas de vous, un sacrifice de cette ampleur. Et si la liqueur influençait réellement vos sens et votre esprit, cela fait de vous un idiot doublé d'un ivrogne !

Merialeth ne mentionne seulement pas que l'histoire la contrarie à ce point, parce que Torebok aurait pu mourir des dizaines de fois au cours de son aventure hasardeuse et qu'il fut très chanceux. Cette perspective la perturbe. Sans oublier qu'il fait partie de cette troupe à cause, ou grâce, à sa magie et c'est par amour pour elle qu'il voyage pour la survie du monde, en direction du Sud. Elle n'aime pas être la raison de tout cela. D'un autre côté, sans son pouvoir, qui pourrait ressouder l'arme ? Qui Orist Norfir aurait-il sollicité ? Un bien pour un mal. Elle tait son inquiétude pour lui, le propulsant dans une honte ardente qui lui brûle les joues, et il ne redressera pas le menton avant une longue heure. 

— Quoi qu'il en soit, dit-elle, le ton vibrant, il nous faut un plan. Dame Aeryn ou quelqu'un d'autre, une idée ? 

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