La Source

Nous ne passons pas au travers des Arbres d'Argent, ni par la Grande Région. Pour une raison des plus simples et logiques. Après leur attaque commune sur Rae Shakhar, quoi que brève de leur part, la mort du vieil Asemo Mallor a sûrement engendré une vague de stupeur et de fureur en chaque Mage Fou. Sont-ils au courant pour la fin du siège ? Le Seigneur des Chaînes de l'Ombre communiquait des informations à tous ses semblables par le biais de son pouvoir mental ; le Maître des Portails assurait un lien direct et physique entre les différentes terres annexées et l'Enclave Nord-Est en voyageant plus vite que son ombre. Je ne sais si d'autres possèdent des capacités similaires, qui les rendraient aptes à transmettre des ordres ou des renseignements à distance. Peu importe. Il ne faut pas croire que le Sud se retrouve coupé du reste du monde. Les Huit se doutent forcément de ce qu'il se trame et ce n'est pas le Fleuve Agité qui les empêchera de deviner la suite. Ils prévoiront nos actions. Le plus évident serait de se réfugier dans les territoires elfiques, surtout que l'un des deux se situe tout près de la Source. Ils ont anticipé que l'arme se trouve à notre disposition, ils prédiront donc notre destination. Ils feront surveiller les Elfes, leurs moindres mouvements. Laerran attirera aussitôt l'attention. Je ne pense pas que son père renoncerait à se battre, à enfin entrer en guerre pour de bon, pour de vrai, en particulier si son propre fils le lui réclame. Les êtres de Lumière, affaiblis et dont la pureté s'échappe au fur et à mesure que l'Obscurité gagne du terrain, mettront toutes les chances du côté des peuples libres et se joindront à la bataille, coûte que coûte. Cela signifie des va-et-vient, des messagers, des armées qui se préparent et se déplacent. L'ennemi le remarquera tout de suite et ils nous chercheront, ils nous traqueront, ils s'infiltreront parmi eux dans l'espoir de localiser l'arme, le Nain et moi-même. 

C'est pourquoi Laerran s'est proposé de jouer pleinement le rôle de l'agitateur et de la distraction. Merialeth, Torebok et moi l'avons suivi jusqu'au passage facile du Fleuve Agité, là où l'eau est séparée par des monticules terreux et boueux et où le courant s'apaise un peu. Contre toute attente, aux écuries, des soldats du Sud patientaient tranquillement. Le conseil du Roi les avait désignés pour nous escorter, au cas où des sauvages et des Mages Fous rôderaient encore dans les parages à la suite du siège. Nos montures ont rechigné à traverser, de l'eau montant presque jusqu'au haut de leurs tibias, mais elles ont fini par obtempérer. 

— C'est là que nous nous quittons, Altesse. J'ai été honorée de voyager et de combattre avec vous. Je serais ravie de servir à vos côtés, plus tard. 

 — L'honneur est partagé, Merialeth. Mais, de grâce, quand vous retournerez à la Forêt, veillez à ne pas rendre fou ce cher Capitaine. 

Le rire de Merialeth résonne peu, faute de discrétion, mais il console en quelque sorte le Nain, dont l'âme est alourdie. Il ne parle plus et tient l'orbe fragmenté tout contre son torse, le regardant avec un mélange de mépris et d'espérances. À l'heure des séparations, Laerran se fend d'un triste sourire. 

— Je n'aurais jamais songé, qu'un jour, je regretterai la perte d'un compagnon Nain. Maître Torebok, je suis sûr que votre nom réunira les races fâchées. Les Elfes de tous les clans inventeront des dizaines de chants en guise de gratitude. Que votre mémoire brille longtemps dans le cœur de tous. 

Laerran pose une main vacillante sur son épaule, mais la réponse du Nain tarde. L'émotion lui empoigne déjà les tripes. 

— Seigneur Elfe, je...vous remercie. 

Rien d'autre ne lui vient et il lâche un profond soupir défait. Laerran comprend, évidemment. Un dernier regard entre lui et moi, et nous voilà divisés en deux groupes distincts. Il lance son cheval à grand galop et fonce droit vers les Arbres d'Argent. Il les atteindra en une heure, à cette vitesse et si personne ne l'arrête. Quant à nous, longer le Fleuve Agité et contourner le territoire de Faerran mangeront environ une journée et demi de chevauchée, puis nous devrons remonter vers l'ouest pendant deux heures afin d'esquiver les terres annexées entre les Arbres d'Argent et le Repère de Lune ; et ensuite, vers le nord pour le restant de la deuxième journée. Lors de la troisième, nous enclencherons la partie suivante de notre plan. 

Nous entamons cette route, bouches cousues par une violente solennité. Ils nous arrivent à plusieurs reprises, peut-être quatre ou cinq fois, de croiser des sauvages. Des petits groupes, dispersés ci et là. Probablement placés le long du Fleuve pour espionner et pour avertir leurs maîtres s'ils nous repèrent. Qu'importe. Nos chevaux filent à toute allure. Nous ne nous arrêtons pas. Aucune pause. L'Elfe n'a pas besoin de se nourrir autant qu'un mortel ou qu'un Nain ; il s'avère que ma magie semble me préserver de la faim et de la soif, je présume grâce à ma capacité de guérison qui agit sur mon propre corps ; et Torebok renonce à toute forme de nourriture. À quoi bon ? se dit-il. Le temps presse, il ne gaspillera pas une seconde pour manger ou dormir. D'ailleurs, il n'est pas question de repos. Nous avançons, à tout prix. Hormis pour se soulager la vessie, nous galopons sans répit. Il boit tout juste pour se maintenir à peu près en forme. Des cernes se sont creusés sous ses yeux, ses traits se sont tirés, ses lèvres gercées ont pâli ; et plus je l'observe, plus je vois un mort ambulant. 

L'espace d'un instant, divaguant sur ma monture, j'ai médité sur mes pouvoirs, sur le bien qu'ils renferment et sur ce que je pourrais accomplir avec eux. Soran Zergrath, aussi nommé le Grand Seigneur de l'Outre-Tombe, l'un des Huit qui m'ont créée, celui-là est un nécromancien, le seul encore en vie et le plus puissant de tous les rares détenteurs de cette aptitude funeste qui ont existé avant lui. Je suis censée disposer de la mort, tout comme lui. Je n'ai jamais essayé et un usage intense, sans entraînement au préalable, me tuerait assurément, mais...est-ce que je ne devrais pas tenter le tout pour le tout ? M'efforcer de sauver un ami ? Bien sûr, la stupidité de cette entreprise m'apparaît tout de suite et j'abandonne cette idée. Cela reviendrait à gâcher nos deux vies pour un résultat voué à l'échec. 

De temps en temps, je surprends la jeune Elfe tournée vers les bois elfiques. La première fois, je me suis dit qu'elle s'inquiétait pour son Prince. J'ai moi-même pensé à de nombreuses occasions à Laerran. Où en est-il, dans son parcours ? Est-il parvenu aux Arbres d'Argent sans encombre ? Se met-il déjà en route pour la Grande Région ? J'ai également imaginé Duran, non plus dans une cellule froide et déshonorante, mais enfermé dans une chambre à double tour par le conseil du Roi, comme ils l'ont promis, à faire les cent pas. J'ai éprouvé un pincement au cœur à l'idée que Veseryn se retrouve seule, dans un environnement qu'elle ne connaît pas, avec des inconnus. Avec son caractère, elle doit sûrement se ronger les ongles et ennuyer les servantes qui lui tiennent compagnie.

Au bout de plusieurs regards vers les Arbres d'Argent, je me suis rendu compte que Merialeth oscillait entre devoir, amour et chagrin. Elle s'interroge beaucoup. Ne serait-ce pas mieux, pour elle, de nous quitter dès à présent, afin de s'éviter la peine de laisser Torebok à son sort ? Sa monture ne dévie jamais de sa route et malgré toutes les questions qu'elle peut se poser, elle ne pipe mot et reste. La journée s'achève ainsi, mais pas notre chevauchée. La nuit nous couvre davantage. Parfois, elle nous désigne un point à l'horizon, nous informant qu'elle perçoit du mouvement par là-bas. 

Non seulement la pénombre nous dissimule, mais, en plus, les potentielles menaces sont trop éloignées. Nous en profitons, en fin de compte, pour faire une pause. Une demi-heure pas plus. Pour nos chevaux. 

Je ne dépense pas énormément mes pouvoirs, mais je tiens à soulager nos chevaux. À l'aide de ma guérison, je leur insuffle un souffle d'énergie. Durant ce court arrêt, je fais mine de surveiller les alentours pour leur octroyer un instant à deux. S'ils ont des choses à s'avouer, il s'agit de leur dernière chance. Dos à eux, à l'écart, l'attention perdue sur le paysage sombre, illuminé par la lune majestueuse et les centaines d'étoiles, j'ignore de mon mieux l'écho de larmes qui s'élève dans la nuit. Les poètes n'affirment-ils pas que, le plus souvent, l'on ne dévoile son vrai visage et ses vrais sentiments qu'à la personne que l'on aime le plus au monde. Il paraît alors que fierté et orgueil s'effacent pour laisser sa place à la plus pure des authenticités. Je me rends sourde aux sanglots emplis de résilience de Torebok et patiente une poignée de minutes, puis je me charge de nos fidèles coursiers et nous repartons. Les larmes ont été séchées et les sanglots ne retentiront plus. 

La deuxième journée se déroule plus ou moins selon notre projet. À ceci près que nous manquons de peu une lourde attaque qui, hormis nous paralyser au cours de notre route, aurait pu nous coûter cher. Néanmoins, et ce contre toute attente, cela sert notre plan. En bifurquant vers l'ouest, sur le vaste sillon entre les Arbres d'Argent et la Grande Région, il nous apparaît qu'un Mage Fou avait été posté là en patrouilleur. À notre plus grand étonnement, il n'est pas assisté d'un binôme, voire d'un trinôme, ce que préconisent en général les Huit. Nous comprenons pourquoi, dans la seconde. 

Soudainement, l'air se bloque dans nos poumons sans que nous n'ayons vu cet homme. Cela se traduit par des gesticulations perturbées, des toussotements et des raclements de gorge, avant que nous finissions tous avachis sur nos montures, le souffle coupé, en nous évertuant à inspirer sans que le moindre oxygène n'entre dans nos trachées. Le Mage Fou se rapproche, main dressée vers nous, un rictus sadique aux lèvres. Il discerne le Nain et se réjouit, ses orbes luisent de perversion. Il s'autoproclame vainqueur de ce jour, se visualisant à genoux devant les Huit, à leur présenter des prisonniers de marque. 

Or, Merialeth est une Elfe prodige, n'est-il pas ? Elle serait capable de viser avec un arc et des flèches les yeux fermés, la tête à l'envers ou sous l'eau. Tandis que le Mage Fou passe à la vitesse supérieure en faisant craqueler la terre sous nos pieds, ce qui lui réclame du temps et de l'énergie, elle réagit par un réflexe inné, bande son arc, se redresse tant bien que mal, tempère la panique dictée par son instinct de survie et elle tire. Le projectile fuse, droit, précis, rapide, fatal. Il se fiche dans son crâne, en plein milieu du front et le Maître des Éléments tombe à la renverse, au moment où des sauvages accourent dans sa direction, dévalant une colline derrière laquelle ils attendaient. 

Ni une, ni deux, nous prétendons rebrousser chemin, fuyant de là où nous venons. Seulement, pour contourner cette région, de toute évidence contrôlée, nous montons plus haut, comblant la distance avec la Grande Région. Pourquoi cela nous arrange-t-il ? Notre plan consistait, très logiquement, à détourner l'attention des Mages Fous qui gardent les terres annexées et la Source. Par extension, nous devions les envoyer loin de nous, loin de l'eau corrompue. Pour cela, ma magie sera des plus utiles. Plus l'ennemi croira vraiment que nous nous dirigeons vers l'est, mieux le mensonge prendra. Nous comptons sur ces sauvages pour qu'ils missionnent immédiatement un messager pour porter la nouvelle de notre présence ici et de notre pseudo-fuite à l'est. 

Le soleil se couche sur l'horizon, nous sommes désormais à proximité de la Grande Région. Nous apercevons d'ici les arbres dorés, les feuillages denses, et Merialeth affirme que nous sommes observés. Elle ne distingue aucun Elfe, mais elle les ressent. Ils sont là, dans les branches, entre les troncs, les sentinelles préservent leur frontière. Laerran a-t-il déjà pénétré sur leur territoire ? Nous nous stoppons à l'orée de leur forêt. À l'est, les sombres tours des terres annexées se dégagent dans le ciel, pernicieuses. La Source n'est pas encore visible, prise dans un fossé et entourée par un terrain boisé. Nous continuons, plus proches à chaque minute de notre objectif. La nuit se consume trop vite, à mon goût. Et nous entrevoyons notre but.  

L'heure est venue.  

Je descends de ma monture et je soupire, épuisée par avance de la magie que je devrais produire. Cela exige bien plus de temps que je ne l'aurais supposé. En théorie, la foudre frappera le flanc est des terres annexées, une diversion classique qui ne fonctionne pas tout à fait comme je le voudrais. Il s'avère plus dur, en ce qui me concerne en tout cas, de créer des nuages et des orages que de les chasser. Je puise dans toute la vitalité en moi, je creuse au fin fond de mon être, encouragée par une Merialeth qui, bien qu'elle n'en sache pas grand-chose en termes de pouvoirs, s'essaie à des conseils hasardeux, tels que respirer posément, songer à une tempête pour qu'elle advienne ou être en accord avec la force qui réside en moi.

Je n'ai jamais autant respecté la magie que l'on m'a imposé de force, je ne lutte plus. Au contraire, je désire l'utiliser à de nobles finalités, je ne la crains plus. Au total, ce sera vingt interminables minutes de méditations internes pour engendrer un nuage au-dessus de la zone souhaitée et une pluie éparse. En toute franchise, ma patience s'effrite et j'enrage presque, mais la confiance silencieuse de Torebok et les paroles douces de Merialeth me poussent à surpasser ces efforts et bientôt, un grondement retentit là-bas. Je ne baisse certainement pas les bras et il suffit de deux petites minutes supplémentaires pour que le bruit se transforme en une foudre impétueuse. L'éclair heurte de plein fouet l'une des tours. Pour appuyer cette mascarade, j'en génère d'autres, une quinzaine au moins, espacés par des intervalles irréguliers. 

Merialeth, en éclaireuse, vérifie que le plan marche et l'ennemi n'y voit que du feu. La garde renforcée tout autour de la Source, constituée en majorité de Mages Fous, fonce vers l'est de leur territoire volé. De ses yeux perçants, elle précise que certains demeurent là, stoïques. Bien sûr. Nous nous tenions prêts pour cette certitude. Ils seraient réellement des idiots s'ils délaissaient la garde de leur atout principal. Et puis, il faut plus de temps pour chevaucher entre Morra Narbethec et la Source, que du Sud vers le Source. Cela signifie que, si les Huit ont prédit notre prochain mouvement, c'est-à-dire de réunir l'arme à la Source, ils n'ont pas eu le temps d'en avertir leurs sbires postés ici. Je me relève, tombée sous le joug de la fatigue, et m'en vais droit sur cette eau vicieuse, bien décidée à terminer cette fichue guerre. Toutefois, Torebok m'entrave le chemin et parle enfin. 

— Reposez-vous, d'abord. 

— Non, l'orage ne durera pas longtemps. Torebok, nous en avons discuté. Il n'est pas question que je me sacrifie maintenant et ici, ne vous en faites pas...

Mon timbre tremble quelque peu. Il l'interprète comme un signe de faiblesse physique, mais Merialeth se doute de la réalité. L'émotion me rattrape. Nul mot ne pourrait témoigner de la gratitude du monde tout entier pour lui, pour ce qu'il s'apprête à faire. Ainsi, je l'enlace une dernière fois. De toute façon, ma gorge se serre, je n'arriverais pas à exprimer quoi que ce soit de rationnel en ces circonstances. Par automatisme, il acquiesce, saisissant tout ce qu'il ne se dit pas. En jetant un regard à l'Elfe, je me fige net, accablée d'un long frisson. 

Elle ne protégera pas ses arrières. Elle le suivra à la Source. Et elle n'en ressortira pas. 

Je ne sais si elle a pris cette décision sur un coup de tête ou si elle a mûrement réfléchi ces deux derniers jours. Ce qui expliquerait ses regards troublés vers les Arbres d'Argent, se demandant s'il ne vaudrait pas mieux pour elle de s'éclipser avant qu'il ne soit trop tard, avant que nous n'atteignons cet endroit de malheur et qu'elle choisisse de l'escorter dans son ultime combat, ainsi que dans l'outre-tombe. Les Elfes n'aiment qu'une seule fois dans leur vie, et ils aiment fort. Ils aiment par-dessus tous les périls, tous les obstacles. Ils aiment à la folie et au désespoir.  

Je me mords la lèvre pour contenir des larmes vaines et je lui adresse un signe complice ; elle se rassure, car je ne l'en empêche pas. Torebok ne le remarque pas. Il désapprouvera, c'est certain, mais il ne la fera pas plier, cela aussi c'est certain. Je les quitte donc, inutile de s'attarder. Ne te retourne pas, ne te retourne pas...surtout, ne te retourne pas. La guerre m'a enseigné des tas de leçons, mais la plus douloureuse n'est autre que celle des sacrifices et des pertes nécessaires.

Sans attendre, je me précipite jusqu'à la Source et bondis dans son fossé. Je peux à peine effleurer son eau qu'une magie me propulse de l'autre côté du bassin. Tant mieux. Je voltige au-dessus de ses effluves noirâtres et atterris le visage contre la terre. Je parviens à me remettre sur pieds et je dois souligner que, sans l'adrénaline et sans la mission cruciale qui m'incombe, je serais peut-être toujours à terre. Je sprinte de toutes mes forces et fais en sorte que des nuages me talonnent dans le ciel, je les contrains à se gorger d'un orage virulent qui éclate avec fureur.

Les Mages Fous tombent dans le second piège ; ils devinent tout de la diversion à l'est et me pourchassent en pensant attraper la fauteuse de troubles. Ils ne présagent pas un instant, ou du moins ils n'en sont pas conscients, que le Nain se faufile à la Source. Mes pas sont semés d'embûches et ils tentent tout pour me déséquilibrer, pour m'avoir. J'ai l'impression qu'une éternité défile sous mes yeux, en sueur, essoufflée, exténuée, ma magie s'éteint et mon corps s'affaiblit. Torebok doit probablement gronder Merialeth, lui ordonnant de déguerpir. Non pas que cela me ferait plaisir d'anéantir leur dernier moment, mais je préférerais qu'il se dépêche un peu. 

Un Maître de la Terre, j'en suis sûre, déboule derrière moi avec détermination et je n'ai pas le loisir de me débarrasser de lui. Soudainement, la pierre sous mes pieds roule et se désintègre peu à peu, si bien que je commence à tomber dans un gouffre qui n'existait pas une seconde plus tôt. Je saute de racine en racine, pour me maintenir à la surface du sol, mais il ne cesse de se dérober sous mes bottes. Je me rue sur une basse branche en une tentative pitoyable de me surélever et de me tirer d'affaire, mais il capte mon intention et soulève un large morceau de roche qu'il projette cruellement sur l'arbre. Celui-ci tombe brutalement à la renverse. 

Je me focalise alors sur ma magie, mais elle est si lointaine qu'un haut-le-cœur me saisit et je suis sur le point de vomir et de m'évanouir, en déployant une onde protectrice qui empêche le scélérat d'user de ses pouvoirs. Il se retrouve face à moi, désorienté, vide à l'intérieur, et je n'attends pas pour resserrer ma prise sur Aetheria. D'un coup net et tranchant, je libère son misérable corps de sa tête répugnante. Et je m'écroule. Je vais mourir. D'autres Mages Fous arriveront bientôt, alertés par le brouhaha du fracas de la roche et de la terre. Je vais mourir ici, trop tôt.  

Sur cette pensée, cependant, une puissante détonation crève le mur du son, fait vibrer toute la terre à des milliers de pas. Je me tiens tout juste éveillée et cherche à conserver mon équilibre, mais je ne réussis qu'à trébucher et à m'effondrer dans l'herbe desséchée et retournée. Le soleil se lève à l'horizon. L'Obscurité souffre. Pourtant, je ne sens aucune Lumière en moi. Des hurlements bestiaux dans mon dos me glacent le sang ; rapidement, je croule sous une pression virulente et lâche un cri aigu de douleur. La Source. Elle agonise et appelle à l'aide. C'en est fini d'elle. L'espace d'une minute, je vois flou et me traîne au sol, incapable de progresser normalement. J'insiste dans ma fuite, mais les Mages Fous ne s'intéressent d'ores et déjà plus à moi. Ils sont repartis vers l'objet de tout leur pouvoir et de toute leur corruption. C'en est fini. Ils contempleront le néant. Je ne parviens plus à ravaler mes larmes. Sont-elles uniquement les résultats directs du chagrin et du deuil ? Ou sont-elles teintées de lassitude, de remords et d'une fatigue extrême ? Le tout ensemble me freine, mais je persiste à ramper. Puis, je me lève. Puis, je trottine. Puis, je cours. Et puis, je suis à nouveau sur les routes, en direction de Morra Narbethec. 

C'en est fini.

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