Chapitre 9

Ma mère conduit depuis seulement dix minutes et pourtant mon taux d'angoisse est à son paroxysme. Je n' arrive pas à stopper le tremblement frénétique de mes jambes et mes mains passent sans arrêt dans ma chevelure brune.

C'est le jour de ma visite médicale. Je sais que je ne devrais pas être autant stressée car cette situation est à mon avantage. J'ai encore des séquelles de sa dernière crise de rage en plus des différentes traces de fracture sur chacun de mes os. Sans parler des dommages de ma ressente fausse couche.

J'avoue que le soutient de ma mère est une vraie bénédiction, bien que j'aurais aimé qu'Hissan soit à mes côtés aujourd'hui. Plusieurs jours se sont écoulés depuis mon départ de l'Inde et il me manque comme jamais Liam ne m'avait manqué. J'ai récemment des nouvelles par l'intermédiaire de mes amis et on se parle le plus souvent possible.

Quand nous nous garons sur le parking de la clinique, je suis pétrifiée, incapable de sortir de la voiture. Je m'imagine tout un tas de scénario où mes contusions sont irrecevables ou que le médecin est misogyne... ma tête me tourne violemment tellement la peur m'envahi.

- Aurore, respire. Tout va bien se passer. Je suis là, d'accord ?

Ma langue est tellement pâteuse que je me contente d'hocher la tête. Une fois à l'extérieur du cocon rassurant de la voiture, ma mère me prend la main comme si j'avais encore quatre ans. Mais à ce moment précis, je m'en fiche d'avoir l'air idiote ou sans défense. Je me raccroche à la sérénité et à la protection que m'offre la femme qui ma mise au monde comme à une bouée qui m'empêche de m'effondrer.

L'attente est interminable. Quand vient enfin mon tour, j'ai dû mal à avaler ma salive. Je suis rassurée de tomber sur une jeune femme charmante qui ne perd pas une seule seconde son sourire, même devant ma mine déconfite.

- Je vais vous demander de retirer vos vêtements en gardant vos sous-vêtements et d'aller vous assoir sur la table.

Je m'exécute et l'attends patiemment pendant qu'elle tape à grande vitesse sur son clavier.

- Quel poids faisiez-vous avant votre mariage, si vous vous en rappelez ?

- Je ne sais plus.

- Je chercherais dans votre dossier. Quel poids faisiez vous la dernière fois que vous vous êtes pesez et cela remonte à quand ?

- Je dirais cinquante-cinq kilo et il y a environ deux mois avant mon départ pour l'Inde.

Elle acquiesce et marque tout sur son ordinateur avant de venir vers moi. Elle me sourit avec une très grande sincérité puis me demande de m'allonger.

- Racontez-moi le plus en détails possible quelle a été la dernière fois qu'il vous a battu.

Il me faut un moment pour rassemblez mes idées. Ma voix tremble quand je lui raconte exactement ce qui c'est passé ce soir là. Pendant ce temps, elle inspecte minutieusement chaque parcelle de mon corps, marquant régulièrement ses constatations sur un calepin.

- Vous pouvez vous relevez. Je vais vous faire passer un bilan radiologique avant de faire une auscultation gynécologique.

Je ne réponds rien, attendant patiemment, encore une fois, qu'on me fasse passer d'une pièce à une autre pour faire des radios complète de mon squelette.

Pendant que je suis allongée sur la table, attendant que les différents clichés de mes os soient enregistrés, je réfléchis à la suite des choses. Quand je ne serais plus liée à Liam, tout deviendra plus concret entre Hissan et moi. Mais je ne suis pas sûr que ce soit plus simple pour autant. Est-ce qu'il accepterait de quitter l'Inde pour moi, ou bien me ferais-je à l'idée de partir vivre là-bas ?

Le moins agréable, c'est le bilan gynécologique. Je suis assez heureuse qu'elle n'y prenne pas trois heures et que l'échographie soit rapide. Pourtant, l'expression du médecin ne me rassure pas. Elle si souriante devient soudainement maussade et ses sourcils se froncent. Pourtant elle ne dit rien et disparait même après l'examen.

Quand elle revient, elle s'assoit devant moi, la mine triste et les yeux abattus. Tout ça ne me dit rien qui vaille.

- La plupart de vos blessures atteste bien d'une maltraitance.

- Alors pourquoi faites-vous cette tête.

- J'ai remarqué des liaisons internes au niveau de votre utérus. J'ai demandé un deuxième avis sur votre cas et il semble aller dans le même sens. On ne peut pas affirmer précisément si elles viennent des coups ou des fausses couches, ou bien les deux.

- Qu'est ce que ça veut dire ?

- Concrètement, votre utérus est très abîmé et il y a très peu de chance pour que vous puissiez porter de nouveau un enfant.

Mon monde s'écroule en un rien de temps. Mes oreilles bourdonnent alors que le médecin me parle toujours, je n'écoute plus. Mes gestes deviennent automatiques à la recherche d'une bouffée d'oxygène ou de quoi que ce soit d'autre pour me faire revenir à la réalité. Quand je suis enfin dehors, je fais littéralement une crise d'angoisse et m'effondre sur les dalles décoratives de ma clinique. Mes larmes coulent automatiquement et mes hurlements viennent perturber la tranquillité des passants. Deux bras puissants m'étreignent mais ce n'est pas assez pour me calmer.

Je n'avais pas en perspective d'avoir des enfants dans un proche avenir mais je savais que j'en voulais. J'en veux toujours. Pourtant, on m'annonce que j'ai quatre-vingt pourcents de chance de ne plus pouvoir en porter parce que mon utérus est bien trop endommagé. C'est irréaliste et totalement délirant. Mon cerveau ne suit plus alors que mon corps à déjà compris.

Je ne sais pas comment je me retrouve dans la voiture à pleurer en silence. Je n'ai toujours pas dit un mot, si bien que ma mère ne sait toujours pas ce qui me met dans un état pareil. Son appréhension et toute cette tension accumulée me fait très vite flancher et j'explose.

- Maman, arrêtes-toi.

- Quoi ?

- ARRÊTE-TOI !

Elle pile près d'un trottoir ce qui me permet de sortir de la voiture. Elle a beau me demander ce que je fais, je ne réponds plus de rien. Je prends le premier taxi qui passe dans la rue direction mon ancienne maison.

Je ne prends même pas la peine de frapper à la porte. Je traverse la pièce à vivre avec une vitesse hallucinante et sans me prendre aucun objet alors que ma vision est embuée par mes larmes. Et pourtant, je trouve parfaitement l'objet de ma colère sur mon chemin pour finalement me défouler du poing sur sa poitrine.

- Tout ça est de ta faute !

- Aurore, calme-toi.

- Tu ne méritais rien de ma part et tu m'as complètement détruite !

Liam se laisse faire alors que je continue de tambouriner sur sa cage thoracique en déversant ce poison qui me ronge la langue depuis trois longues années. Quand il en a enfin marre, il m'attrape les deux poignets ce qui met fin à mon taux d'adrénaline et mes jambes se dérobent sous moi. Il me rejoint sur le sol, avec cet air contrit et adorable qui m'a fait fondre avant notre mariage. Il était tellement gentil et aimable. Je ne comprends pas ce qui l'a fait changer à ce point.

- Tout ça... c'est de ta faute...

Je plaque mes mains sur mon visage pour cacher ma peine. Ses bras viennent m'entourer. L'espace d'un instant, je me laisse faire, appréciant son étreinte mais je me rappelle alors qui il est. Je le repousse, les yeux pleins de rage.

- Aurore... je t'aime encore... on peut arrêter tout ça.

- Tu rêves ! Je ne t'aime plus, je suis amoureuse d'Hissan et pour être totalement comblée, j'ai besoin de rompre ce qui nous uni encore.

Sa bouche s'ouvre comme une carpe alors que je me relève pour déguerpir. Il ne bouge pas alors que je tourne déjà les talons. J'entends seulement une dernière phrase avant de claquer la porte.

- Je suis désolé...

- Aurore ? Ma chérie, il faut que tu manges.

Trois jours. Ça fait trois jours que je rumine cette satanée phrase que mon médecin m'a jetée à la figure. Trois jours, que manger n'a plus d'importance. Trois jours que j'évite tous les appels de mes amis et en même temps ceux de l'homme que j'aime à des milliers de kilomètres de moi.

- Je n'ai pas faim.

Je l'entends respirer, marquer sa désapprobation mais pourtant elle ne me dit rien. Je regarde la pluie tomber, quelque chose qui ne m'avait pas manqué en Inde, dans cette ville paradisiaque où j'ai de fabuleux souvenirs.

Tout d'un coup, mon portable se met à vibrer sur mon lit. Ma mère et moi nous tournons vers la source du bruit mais je n'y prête pas une très grande attention pour finalement retourner à ma contemplation du dehors.

Les heures passent et je ne bouge pas. Je me demande encore comment l'annoncer à l'ensemble de mes proches, mais surtout à Hissan. J'ai peur de le perdre alors qu'il ne devrait pas avoir de problème.

Je perds rapidement et totalement la notion du temps. Je m'assoupie par intermittence et me réveil soit en pleine nuit soit en pleine journée. A force d'avoir des crampes dans toute la colonne vertébrale, je décide de passer mes journées et mes états de conscience dans mon lit. Je ressemble à une vraie loque. Je ne mange plus, je bois quand on m'y oblige et je passe le plus clair de mon temps à regarder une vitre.

Je ne me rends compte de la présence de quelqu'un dans ma chambre que quand celle-ci pose sa main sur mon épaule. Je me retourne et tombe nez à nez avec ce visage angélique que je vois que dans mes rêves depuis bien deux semaines, si ce n'est plus. Il me faut un moment pour me rendre compte qu'il est bel et bien là et que je ne délire pas. Je fonds littéralement dans ses bras en pleurant de toutes mes forces.

- Calme-toi, Aurore.

- Tu m'as manquée.

- Toi aussi ma chérie.

Je me recule et essuie mes yeux du revers de la main.

- Comment... Qu'est ce que tu fais là ?

- Ta mère se faisait du souci pour toi. Moi aussi. Ça faisait plusieurs jours que tu ne me répondais plus.

Je me pince les lèvres. Je m'en veux terriblement mais je n'arrive qu'à y voir claire qu'en sa présence. Il a ce don de m'ouvrir les yeux quand je ne me sens pas bien et que je perds espoir. Je regarde mes ongles, un peu honteuse. Sa main vient caresser mon menton, puis ma joue afin que je relève le regard vers lui. Son touché m'électrise, même si sa peau est rugueuse j'adore cette sensation de douceur que je ressens quand il me touche, cette chaleur qui s'insinue dans tout mon corps.

- Tu es toujours aussi belle.

- Je ressemble à un zombi tu veux dire.

Son visage semble se murer dans une incompréhension qui le rend mignon à croquer.

- Je n'ai pas compris.

- Ce n'est pas grave.

Je m'avance vers lui et comble la distance qui nous sépare pour sceller mes lèvres aux siennes. Si un feu d'artifice éclatait au sein de mon organisme, ce serait le bouquet final. Je ne reviens pas de la sensation que me procure sa présence, son contact, ses paroles. Je me sens revivre comme un nouveau souffle de vie qui passe par son simple amour pour moi.

- J'ai une question ?

Je plonge dans son regard d'un noir profond qui me semble tellement rassurant.

- Pourquoi tu es comme ça ? Que t'est-il arrivé ?

- J'ai... j'ai un problème... Je suis... Je n'y arrive pas...

Je me tords les doigts dans tous les sens.

- Tu peux me faire confiance.

- Pas aujourd'hui, je t'en pris.

Il me sourit et acquiesce pour me prendre dans ses bras. Je me perds dans la douceur de ses bras et la protection qu'il m'offre.

Quand je me réveil, Hissan a disparu. Je me surprends moi-même à sortir de ma chambre pour la première fois depuis une semaine. Habillée d'un simple tee-shirt ample et un leggin noir, je déambule dans les grands couloirs de la maison de mes parents. J'arrive à peine sur la première marche de l'escalier que des haussements de voix me parviennent.

- Qu'est ce que vous faites chez moi ?!

- Monsieur, je vous en prie, calmez-vous. Je suis un ami de votre fille.

- Mais bien sur ! Ma fille ne s'enticherait pas de mendiant.

Mes yeux s'ouvrent comme des soucoupes et je dévale les escaliers, manquant de me casser une cheville. Je me place entre mon père, qui semble fou furieux et l'homme que j'aime qui reste droit malgré ce qu'il vient de prendre en pleine figure.

- Je ne te permets pas.

Mon père s'apprête à répondre quelque chose, tout sourire, mais Hissan le devance en me retournant vers lui.

- Ne t'en fais pas, je m'en vais.

- Mais...

Il me sourit tristement, m'embrasse la joue et se dirige aussitôt vers la porte. Je reste quelques instants ébahie devant la situation. Quand mon père se retourne avec un rire sec, ma colère monte et je me précipite vers mon manteau puis mes chaussures de sport.

- Qu'est ce que tu fais ?

Je me retourne méchamment vers mon père, de la haine transpirant par tous les pores de ma peau.

- Réparer tes conneries.

Je sors en claquant la porte et m'engage dans la rue en appelant mon petit ami. Le froid me mord la peau du visage et me paralyse les jambes. Quelle bêtise de sortir simplement vêtu d'un pyjama. Je plonge mes mains dans mes poches et mon nez dans le col de mon manteau.

Quand je le repère enfin au tournant d'une rue, mon sourire se dessine sur mes lèvres. Mais à peine ais-je le temps d'ouvrir la bouche que je me retrouve propulsée contre un mur. La douleur dans mon épaule est fulgurante, si bien que je pousse un cri avant que ma tête soit elle-même poussée contre le mur.

La main me maintient contre la paroi froide et dure alors que l'homme qui m'agresse approche son visage du mien. Je reconnais aussitôt la personne, tant par le son de sa voix que l'odeur de son halène ampli d'alcool et la force brute qu'il utilise contre moi.

- Mon avocat m'a clairement dit que je perdrais le procès et qu'en plus tu gagnerais une ordonnance restrictive. Tu ne t'en sortiras pas comme ça !

- Vous êtes malade !

La pression sur mon corps disparait et, d'instinct, je pose ma main sur la blessure sanguinolente sur ma tempe. Liam s'énerve et donne un coup de poing à Hissan qu'il reçoit en pleine joue. Il ne se laisse pas faire et rends son coup.

- Toi ! Tout ça vient de toi !

- Liam arrête !

Je lui attrape le bras mais il me chasse d'un mouvement sec. Alors je prends place entre les deux hommes, prenant le coup en pleine clavicule. La douleur est tellement puissante que je m'écroule au sol en gémissant.

Liam écarquille les yeux, regarde dans tous les sens puis part tranquillement dans la direction opposée. Hissan me regarde alors que je combats mon mal. Il finit par tirer mon portable de ma poche et composer le numéro des urgences.

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