Chapitre 14

Quand je me lève ce matin, j'ai aucune détermination. Je ne fais pas d'effort sur ma tenue ou encore sur ma coiffure et je sors sans sourire. Je me balade sans but sur les sentiers à l'écart de la ville pour être sûr de ne croiser personne. Mais je me rends compte que quand on veut tellement quelque chose, on se retrouve à avoir complètement l'inverse.

Hissan est juste devant moi, les mains dans les poches, le même regard perdu que moi. Je me tords les doigts complètement angoissée. Je ne comprends pas pourquoi je réagis comme ça, j'ai seulement peur d'envenimer encore plus la situation.

Il s'arrête quand il pose les yeux sur moi. Moi je n'arrive pas à le regarder dans les yeux. Je me sens toujours aussi mal qu'hier. Pourquoi c'est si compliqué pour moi d'avoir des relations normales avec les hommes ? Je continue ma marche mais Hissan m'arrête en prenant ma main. Sa grande paume entour complètement la mienne et sa peau rugueuse caresse le dos de ma main, me provoquant une vague de chaleur qui vient enserrer mon cœur.

- Je suis désolé.

Je lève le regard vers le sien, admirant ses iris noirs.

- Tu ne devrais pas t'excuser. Je n'avais pas compris ce que tu pouvais ressentir.

Il s'apprête à répondre quelque chose mais je ne le laisse pas faire et plaque ma main sur sa bouche.

- C'est de ma faute.

Il retire mes phalanges de ses lèvres avec un grand sourire.

- Ce n'est pas de ta faute. Liam t'a stigmatisé pendant trois ans. Je suis aussi fautif que toi. Je n'avais pas le droit de te reprocher d'avoir de l'argent.

- Nous ne sommes pas d'accord sur tout, ça arrive.

Hissan se rapproche de moi et pose ses paumes sur ma taille. Sa présence et ses petits gestes réveillent mon amour et mon désir.

- Mais tu ne dois pas croire que tout cela vient exclusivement de toi. Liam avait tort, tu ne dois pas le croire.

- J'ai peur de ressentir encore son influence sur moi.

Il me prend dans ses bras et je me laisse remplir de sa force et de son odeur. Je ne supporte plus d'être aussi loin de lui, c'est de pire en pire chaque jour. Je me rends compte que mes sentiments pour lui grandissent encore plus au fur et à mesure du temps. Je l'aime comme je n'ai jamais aimé Liam ou qui que ce soit d'autre.

Je prends délibérément sa main dans la mienne pour revenir sur mes pas. Mais la perspective de le perdre à cause de mes problèmes physiologiques me noue toujours autant la gorge. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ou encore comment je vais pouvoir le faire ?

- Tu veux manger avec nous aujourd'hui ? Tu manques à Mia.

- Je ne sais pas...

- S'il te plait.

Il me supplie du regard à m'en faire perdre la tête. Il est très fort pour que je ne puisse pas lui résister. Alors j'hoche la tête simplement parce que je ne trouve plus les mots. Son sourire me ravive et fait battre mon cœur à une vitesse hallucinante. Il suffit qu'il dépose légèrement ses lèvres sur ma joue pour que mon cœur s'arrête de battre.

- Tu es mignonne quand tu rougis.

Il m'emmène avec lui jusqu'à sa maison où Mia est assise sur le perron en train d'écrire dans un cahier. Elle est tellement concentrée qu'elle ne se rend pas compte de notre présence avant que son grand frère ne l'appelle.

- Mia, regarde qui j'ai trouvé.

Elle relève la tête vers moi et se lève précipitamment, laissant son cahier s'écraser sur le sol pour me sauter dessus.

- Tu vas épouser mon frère ?!

Je ne peux pas retenir mon rire sous le regard déconfit du garçon. Il a tellement honte de ce que sa petite sœur peut dire.

- Tu sais ma chérie... (elle me regarde avec de grand yeux) tout ça ne dépend que de ton frère.

Son visage s'illumine et ses orbites s'ouvrent encore plus, tellement que j'ai peur qu'ils lui sortent des trous et elle se jette sur son frère pour lui tirer sur le bras.

- Elle est trop belle ! Tu ne peux pas la laisser partir !

Hissan me regarde, légèrement désespéré mais je n'arrive pas à m'arrêter de rire.

La petite femme à la tête de la maisonnée sort, attirée par nos éclats de voix. Je m'arrête étrangement de rire, comme si je n'arrivais pas à me faire à la présence de sa mère. J'ai peur de ne pas faire bonne impression.

Elle s'approche de ses enfants et leurs parles en Hindi, si bien que je ne comprends pas ce qu'elle dit. Elle me regarde à peine et je me sens mise à l'écart. Je garde pourtant mon sourire et ne me laisse pas défaillir.

- Ma mère t'accepte autour de notre table.

J'acquiesce même si je n'y crois pas vraiment. Pendant le repas, je suis de nouveau mise de côté comme la toute première fois que je suis venue. Sauf que cette fois, je sens constamment le regard de leur mère sur moi. A la fin du repas, elle demande à Hissan de l'accompagné dans la pièce d'à côté où ils parlent distinctement mais dans une langue que je ne comprends pas.

- Ma maman ne t'aime pas beaucoup.

- Pourquoi ?

Mia se concentre sur la discussion et mon taux d'angoisse augmente de minutes en minutes. J'ai l'air beaucoup trop curieuse.

- Tu n'es pas très fréquentable.

J'avale ma salive difficilement.

- Elle n'est pas très heureuse que tu es déjà été marié et que tu sois riche.

Je prends une grande respiration avant de poser ma serviette sur la table et de me lever.

- Ça te dirait de faire un tour dehors ?

- Oui.

Elle m'emboîte le pas. Je ne peux m'empêcher de jeter un regard vers eux. Hissan semble anéantie et je ne me sens pas beaucoup mieux. J'aimerais comprendre ce qu'il se dise exactement. La barrière de la langue est un vrai problème.

Je m'assoie sur le perron au niveau de la jeune fille alors qu'elle reprend son écrit. Je me penche pour lire son devoir. Je me rends compte qu'elle a un vrai potentiel.

- Tu écris plutôt bien.

- Je fais de mon mieux pour ne pas décevoir Hissan.

Je fronce les sourcils.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Elle relève la tête pour me regarder dans les yeux.

- Hissan a toujours mis sa vie de côté pour moi. Tous les jours, il met de l'argent de côté pour ma dote. Je sais que mes études pourraient m'aider. Toi aussi tu avais une dote ?

- Non. Ça n'existe plus en Angleterre. Mais pourquoi fait-t-il ça ?

- Hissan fait partie des premiers enfants qu'a eu ma mère. Tous les garçons sont morts à cause de maladie et les filles ont été donné parce qu'on n'a pas l'argent pour les garder.

Je reste bouche bée. Elle hoche la tête et se remet sur son cahier. Il prend une grande responsabilité en s'occupant autant de sa petite sœur. Je ne reviens pas de la maturité dont elle fait preuve. Je ne pensais pas le moins du monde à mon avenir à sept ans. Elle relève soudainement le regard vers moi.

- Tu as de la chance. J'aimerais pouvoir vivre dans un pays comme le tien.

- Peut-être que tu pourrais faire tes études en Angleterre quand nous y seront.

Elle semble soudainement heureuse avant de perdre son sourire et de revenir à son écrit.

- Tu as l'intention de t'installer en Angleterre ?

Je me relève avec vivacité.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire...

- Tu penses que je vais abandonner ma vie pour aller en Angleterre.

- Non, bien-sûr que non...

Hissan fronce les sourcils puis détaille la jeune fille avant de me prendre le bras pour que nous nous éloignons de sa maison et des oreilles indiscrètes.

- Hissan, je ne voulais pas dire...

- Tu prends des décisions sans même m'en parler et après tu dis que c'est moi qui dirige ta vie.

- Je n'ai jamais dit ça ! Mais... Hissan si je veux des enfants un jour, ne crois-tu pas que les élever en Angleterre serait plus judicieux.

Mon petit copain se déride. Je pense qu'il comprend ce que je veux dire par là mais je ne suis pas sûr que ça lui plaise.

- Je ne pense pas pouvoir rejeter mes racines simplement parce que c'est plus simple.

J'avale difficilement ma salive. Je sais que je serais prête à tous quitter pour lui, même mon argent et mon rang social. Mais cette histoire de stérilité m'empêche de parler.

- Aurore, est-ce que tu comprends ?

- Oui... Bien-sûr...

Hissan plisse les yeux mais je n'arrive pas à soutenir son regard. J'ai l'impression que mon comportement, nos disputes... tout cela devient récurent.

- Qu'est-ce qui t'arrive ?

Je sais que je dois lui dire la vérité parce que plus j'attends et plus se sera dur et compliqué. Je sais que je dois être honnête, nous n'avons jamais eu de secret. Pourtant cette histoire me dépasse complètement et je n'arrive plus à suivre.

- Aurore, tu sais que tu peux me faire confiance.

Je me retourne pour lui cacher mon visage. Ma poitrine se sert à l'idée qu'il m'en veuille. Je devrais savoir que ça n'arrivera pas, je devrais suivre les conseils de Jasmine et tout lui révéler. Mais c'est trop dur, rien que de l'admettre ça me parait abominable.

Son index vient prendre possession de mon menton, me forçant à le regarder dans les yeux. Quand il voit mes yeux briller et quelques larmes s'échapper, il se décompose.

- Aurore ! Qu'est ce qui te met dans des états pareils ? Qu'est-ce que tu ne me dis pas ?

- Je... Hissan... je suis presque incapable d'avoir des enfants...

Ses bras lui en tombent presque, sa main glissant de mon visage le long de son corps. Il ne dit même plus un mot, stoïque et complètement abasourdie.

- Hissan, je suis désolée... je l'ai su pendant mon rendez-vous médical, je ne savais pas comment te le dire.

Il me regarde de haut en bas toujours sans prononcé le moindre son. Je commence à croire qu'il me déteste.

- Hissan, je t'en prie... je ne savais pas comment te le dire...

- Pourquoi... pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ?

- J'avais peur de ta réaction.

- Tu me fais à ce point peu confiance ?

Son regard interrogatif me transperce et ma bouche s'entrouvre de surprise.

- Non bien-sûr que non. Je crois... je crois que je n'arrivais pas à me le convaincre moi-même.

Le silence revient entre nous et la tension commence à monter. J'ai l'impression qu'on ne se comprend plus depuis que je suis enfin libre. Nous nous battions pour la même cause alors que maintenant tous nos avis divergent.

- Qu'est-ce qu'il se passe maintenant ?

- Je n'ai que très peu de chance d'avoir une grossesse allant jusqu'à son terme. Je comprendrais si...

La force de son étreinte me coupe littéralement le souffle. J'apprécie la douceur de ses lèvres, je sens chaque parole qu'il ne m'a pas dite, chaque sentiment qu'il ressent passer par sa bouche. Ses bras entour mon corps si frêle face à la grande force qu'il dégage.

- Aurore. Je savais dès le départ que rien ne serait simple avec toi. Tu étais anglaise, le professeur de ma petite sœur mais tu étais tellement belle. Quand je t'ai vu arriver avec tous les autres, je ne voyais que toi.
« Je t'assure, Aurore, quand j'ai vu les cicatrices sur ton dos la première fois, j'ai compris que ta vie n'était pas simple et pourtant, je ne t'ai pas lâché.
« Ce n'ai pas faute d'avoir eu très peur pour toi quand j'ai su qu'il revenait te chercher. Tellement peur que je t'ai suivie et que je suis revenu quand il nous a surpris.

Il me regarde comme si j'étais la plus belle chose qu'il n'a jamais vu. Il m'a toujours fait me sentir spéciale, et pour ça je ne le remercierai jamais assez.

- Crois-moi, ce n'est pas un problème comme celui-là qui me fera changer d'avis. Jamais plus je ne te laisserais partir et ce n'est pas comme si tu n'avais pas essayé.
« Qu'importe ce que disent ou pensent les gens, je veux que tu deviennes ma femme et je veux faire ma vie avec toi. Je n'ai pas peur de ce que nous réserve l'avenir parce que je sais qu'on surmontera n'importe quelle épreuve ensemble.

Je me mords la lèvre pour retenir le trop plein de bonheur que me procure toutes ses magnifiques paroles. Pourtant, deux choses font obstacles.

- Je sais que ta mère me déteste.

- Ce n'est pas qu'elle te déteste c'est qu'elle n'a pas une grande estime des personnes dans ton genre.

Je retire les cheveux qui me viennent dans le visage à cause du vent, arborant par la même occasion une certaine expression de dégout.

- On dirait mon père... Est-ce qu'un jour on pourra être libre d'aimer qui l'on veut sans être obligé de nous justifier ?

- Ça m'étonnerait.

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