Chapitre 10

- Vos os ne sont pas cassés. Vous allez avoir des bleus pendant quelques jours.

J'acquiesce, assise sur une table d'auscultation à côté d'Hissan qui commence à avoir une marque prononcée sur la joue. Lui, ne me quitte pas des yeux, comme si j'allais me décomposer comme une statue de sable.

- Je vais vous recoudre.

Pendant que le médecin s'occupe de ma blessure, je ne quitte pas l'abîme des iris de mon amant. Il ne sourit pas, ni n'affiche aucune émotion et pourtant je sens qu'au fond de lui il fulmine.

Une fois sortie de l'hôpital, je me dirige directement vers un arrêt de bus mais Hissan m'arrête en prenant délicatement mon bras sain. Sa douceur me surprend à chaque fois, n'y étant plus habituée.

- Tu devrais porter plainte.

- A quoi bon...

- Je ne suis pas d'accord. Je ne comprends pas que tu lui pardonne encore ce qu'il te fait subir. Il n'arrange pas son cas, pourquoi minimiser les choses ?

- Tu ne peux pas comprendre...

Il lève les bras au ciel, la mâchoire contractée et commence à reculer sans me quitter des yeux.

- Tu as raison, je comprends rien.

- Hissan.

Il balait mes paroles d'un geste de la main et disparait dans la foule londonienne. Je ressers les pans de mon manteau pour atténuer la douleur que je ressens au fond de mon cœur. Je m'en veux d'être aussi gentil avec Liam malgré tous ce que je fais pour m'en sortir depuis le début de mon voyage en Inde. Mais de toute façon, est ce que divorcer empêchera Liam de m'atteindre ? Non puisqu'il y arrive bien sans être proche de moi.

Je décide de ne pas chercher l'indien, je ne ferais que perdre mon temps. Alors je saute dans le premier bus venu et rentre chez moi, défigurée et seule. Quand la porte claque derrière moi, mon père vient vers moi avec rapidité et me donne une gifle. Je suis tellement anesthésiée par le froid et mes autres blessures que je ne ressens absolument rien. Ma mère nous rejoint et prend vite connaissance de mes contusions.

- Mais tu es malade ! Elle est blessée.

Mon père devient livide avant de très vite reprendre son air colérique.

- Ce vaurien, il va...

- Ce n'est pas lui, mais Liam. Hissan m'a emmené à l'hôpital.

Je ne regarde même pas mes parents. Je me débarrasse simplement de mes chaussures et de mon manteau pour monter dans ma chambre. Je m'allonge sans grâce sur mon lit et m'endors presque aussitôt.

Des coups à ma fenêtre me réveillent en sursaut. J'ouvre difficilement les yeux, me demandant ce qui peut faire un bouquant pareil. Quand je retire les rideaux, je manque de m'évanouir et me dépêche de déverrouiller le loquet.

- Comment es-tu monté jusqu'ici ?!

- Avec la gouttière. Je ne voulais pas repasser devant ton père, de peur qu'il ne me laisse même pas franchir le seuil.

Il enjambe le rebord et referme la fenêtre derrière lui.

- Je suis désolé de mon comportement de tout à l'heure. Je me suis défoulé sur toi.

- Tu n'as rien à te reproché, je suis stupide.

Il sourit et prend mon visage entre ses mains pour que je le regarde. Mon cœur s'emballe et mes joues me chauffent tellement je lis de sentiments qui transite par ses yeux. Il a cet effet sur moi, cette capacité à tout me dire d'un simple coup d'œil.

- Non, tu vois le bon dans tout ce qui t'entoure. C'est ce qui fait de toi une personne extraordinaire. Tu n'as pas de filtre et tu ne juges pas les gens d'un simple regard. On devrait tous prendre exemple sur toi.

- Tu exagères.

- Jamais.

Son accent est une si douce mélodie à mes oreilles. Rien que d'entendre mon prénom sortir de sa bouche me fait complètement chavirer. Sans plus attendre et pour répondre aux élans désespérés de mon corps tout entier, je l'embrasse à pleine bouche, appréciant la douceur de ses lèvres, la force de sa langue et la décharge que me procure ses mains sur mes hanches.

Qu'est-ce que j'aimerais que ce petit anneau doré que je sens sur mon doigt ne nous sépare plus. J'aimerais que cet anneau nous lit tous les deux. Je veux faire ma vie avec lui, je veux qu'on s'appartienne jusqu'à la fin de notre vie.

La porte s'ouvre coupant court à notre folie de quelques minutes et je me détache de son visage. Je vois ma mère avec un grand sourire sur le pas de la porte, me faisant éclater de rire. J'enfonce mon visage dans la poitrine de mon copain alors que lui-même sourit en posant son menton sur mon crâne.

- Je ne voulais pas vous déranger.

- Nous avons l'habitude.

Je frappe le plat de ma main sur sa cage thoracique ce qui fait redoubler son rire.

- Je voulais te dire que nous passions à table. Hissan, tu peux te joindre à nous.

- Je ne suis pas sûr que...

- Bien sûr que si. Juste pour faire rager mon père.

Hissan dévisage ma mère qui ne se départ pas de son sourire. Elle finit par hausser les épaules et nous lui emboîtons le pas.

Le repas se fait dans un silence tendu. Mon père ne quitte pas un seul instant Hissan du regard, comme s'il avait peur qu'il lui vol son argenterie. Ma mère dévisage son assiette pendant que je joue avec ma nourriture. Le seul qui semble se régaler, c'est mon amant. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse de sortir de table.

- Le repas était délicieux. Merci, monsieur et madame Hastings.

La femme de la maison lui sourit doucement tant dis que mon géniteur garde les sourcils froncés. Je ne perds pas de temps et attrape la main du garçon pour qu'il me suive à l'étage. Une fois dans ma chambre, je respire enfin.

- Tu n'as rien mangé.

- Je n'avais pas très faim.

Pour la première fois depuis qu'il est arrivé, je le vois détailler l'immense chambre dans laquelle j'ai grandis.

- Je ne pensais pas que tu venais d'une famille aisée.

- Je t'avoue que je m'en serais bien passée.

Hissan revient vers moi, le regard interrogateur. Je pense que jamais les pauvres ne comprendront les riches comme moi. J'envie sa famille, ce lien si particulier qui unis ses membres. Je n'ai jamais eu droit à de l'amour familiale comme celle qu'il partage avec sa mère et sa sœur.

- Tu as beaucoup de chance, tu ne devrais pas le regretter.

- Ce n'est pas une question de chance. Toi tu as l'amour, moi j'ai l'argent. L'un ne va pas avec l'autre.

L'indien grimace. Je pense qu'il n'ait pas d'accord avec ce que je dis, tous simplement parce que je sais qu'il m'envie, comme il enviait Liam d'avoir le pouvoir de m'offrir tous ce dont je voulais. Sauf que ce n'ai pas ce que je recherche et c'est ce que j'ai trouvé avec lui. Il me rend heureuse avec des choses très simple comme une balade aux bords d'une rivière. Je n'ai pas besoin de plus.

Il vient s'assoir près de moi et prend ma main droite entre ses paumes. Il semble réfléchir, tout comme moi. Je pensais que tout serait plus simple en rentrant à Londres, mais cette histoire s'éternise et Hissan se pose de plus en plus de question. J'ai peur que ma condition ne le fasse changer d'avis. Sachant que je ne lui ai pas encore dit mon problème de procréation.

- Je vais devoir rentrer en Inde.

- Quoi ? Pourquoi ?

- Ma famille a besoin d'argent, il faut que je retourne travailler.

Je me relève sous son regard de chien battu. Je me fais violence pour ne pas être attendrie par ses mimiques faciales. Il arrive toujours à m'ensorceler d'un simple regard. Il me fait penser au chat botté.

- Mais tu peux travailler ici, ou je peux te donner de l'argent...

Il se lève à son tour, visiblement irrité.

- Tu crois que je veux de ton argent ?! Tu crois que je me sert de toi ? Je ne veux pas de ta charité, Aurore, je m'en sors très bien tout seul pour subvenir aux besoins de ma famille.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire...

- C'est bon je vais me coucher.

Il sort de la chambre avec le même entrain qu'à la sortie de l'hôpital. Mais qu'est-ce que je suis idiote. C'est la deuxième fois que je fais une grosse bourde. Il doit croire que je compare nos vies et nos cultures alors que je l'admire.

Je m'apprête à le rattraper quand j'entends ma mère dans le couloir. J'entrouvre le battant en évitant de le faire grincer pour savoir ce qu'il se passe.

- Hissan ?

- Oui madame ?

- Je t'en prie, appelle moi Maria. (Hissan grimace mais n'ajoute rien) Je voudrais te donner quelque chose.

- Je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine, je ne vous demande rien.

Ma mère regarde ses mains, dont l'une d'elle qui cache quelque chose que je n'arrive pas à discerner de là où je suis. Mon petit ami en fait de même.

- Dans ce cas, c'est moi qui vous demande quelque chose.

Elle pose un écrin en velours noir au creux de la paume du garçon qui semble de plus en plus intrigué.

- Il est peut-être un peu tôt, sachant que le divorce n'a pas encore été prononcé, mais je vois le regard que vous vous portez mutuellement avec Aurore. Je n'ai jamais vu ce regard entre Liam et elle.

C'est à cet instant que nous comprenons tous les deux de quoi il retourne. Hissan ouvre la petite boite pour en découvrir à l'intérieur, la bague de fiançailles de ma mère. L'ayant déjà tenue entre mes doigts, je sais qu'elle est bien plus belle et bien plus cher que celle que Liam m'avait offerte. Je ne pensais pas que ma mère s'en séparerait un jour.

- Je ne peux vraiment pas accepter, madame. C'est beaucoup trop. Je ne pourrais jamais offrir de chose semblable à votre fille.

- C'est pour ça que je vous la confit. Je sais qu'elle lui plait, vous ne feriez que la rendre heureuse.

Le brun se mord la lèvre sans quitter le bijou des yeux. C'est alors que je vois une larme dévaler sa joue et que mon cœur se sert. L'émotion est tellement forte que s'en est douloureux. Jamais, au grand jamais, il n'aurait pu croire qu'on lui ferait un cadeau pareil. Je le sais, car il connait la cupidité des Hommes de la haute société.

- Pourquoi pleurez-vous ?

- Vous ne mesurez pas la portée du geste que vous faites.

- Au contraire.

Hissan relève le nez et s'essuie les joues. Il n'aime pas montrer ses faiblesses, un truc de mec, mais je crois ne jamais l'avoir vu aussi heureux.

Je referme la porte derrière moi et m'adosse au mur pour laisser libre cours à mes larmes. Il faut que j'évacue ce trop-plein d'émotion. Ma mère vient juste d'approuver ma relation et de confier les deux choses qui lui sont le plus cher entre les mains d'un seul homme.

Hissan est partie tôt ce matin. Je n'ai donc pas pu le voir, m'étant écroulé de fatigue après les évènements de la veille. C'est alors que j'ai appris que l'audience serait avancée à cette après-midi pour que nous ayons le verdict. Je cherche donc dans mon armoire, une tenue stricte qui m'aide à m'en sortir.

Une fois devant les porte du cabinet, une violente envie de vomir me prend. J'angoisse alors que pourtant je devrais être sûr de gagner. Ce qui me fait douter ? Le sourire espiègle et bien trop grand qu'affiche mon mari de l'autre côté du couloir. Quelque chose cloche et je n'arrive pas savoir quoi. Qu'est-ce que j'aimerais qu'Hissan soit avec moi.

- Docteur quels sont les conclusions de votre auscultation ?

La jeune femme regarde quelques instant ses mains puis relève un air désolé vers moi et prononce les mots que je ne pensais jamais entendre.

- D'après mes analyses, il n'y a aucun signe de maltraitance.

Je tombe des nues, mon avocat aussi alors que la défense semble aux anges.

- La demande de divorce pour maltraitance est rejetée. Affaire suivante.

- Quoi ?! Mais il y a une erreur !

- Vous contestez une décision de justice ?

Je baisse la tête, au bord de la crise de nerf.

- Je ne mens pas. Pas plus tard qu'il y a une semaine j'étais à l'hôpital par ce qu'il m'avait battue à mort. Je ne pourrais peut-être plus avoir d'enfant par sa faute !

La salle devient silencieuse après ma tirade. Même la partie adverse ne sourit plus, Liam ouvre la bouche d'effroi, comme s'il réalisait qu'il avait une connerie. C'est vrai, je ne lui ai pas dit quand je me suis défoulée sur lui, mais je n'ai jamais menti sur ce qu'il se passait.

- Comment ça, tu ne pourras plus avoir d'enfant ?

- Après les trois fausses couches, mon utérus a été endommagé, en plus des coups à répétitions. Et ça c'est vous qui me l'avez dit.

Je pointe du doigt le médecin. Elle a menti, pour une raison que j'ignore mais elle m'avait promis que mes blessures concordaient avec des marques de coup.

- Si je suis défigurée aujourd'hui c'est parce que mon mari ne supportait pas de voir sa victoire s'éloigner.

Liam sert les mâchoires et accusant le coup mais n'en démord pas pour autant.

- Tu n'as aucune preuve.

- J'ai un témoin.

Le rire sonore de mon mari emplie la pièce sous les regards médusés de toutes les personnes présentes.

- Ton amant ? Un témoin ? Laisse-moi rire.

- Et ce garçon où est-il ?

Je me mords les joues. Si j'avais su que Liam achèterait le silence du médecin je l'aurais retenu.

- Retourné en Inde par obligation.

- Dans ce cas, je ne reviens pas sur le verdict.

Le son du marteau reste encore longtemps dans mes oreilles. Comme une résonance incessante qui marque ma descente aux enfers et peut être la fin de mon existence.

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