Les temps difficiles te révéleront qui sont tes vrais amis

~Mercredi~

La bibliothèque était vieille, sentait le bois moisi et le plancher craquait sous chacun de mes pas. La peinture d'un brun foncé presque étouffant n'aidait pas à amener de la vie dans cette pièce carrément déserte à la base. Et après l'école ne comprenait pas pourquoi on n'y passait pas plus de temps.

Bien entendu, elle avait beaucoup de désavantages, mais quand même, elle avait un avantage, un seul et unique. C'était la seule salle où il régnait un silence presque religieux. Comme si tu entrais, dans une autre dimension, une bulle, et dès que tu sortais, tu te faisais attaquer par le bruit ambiant.

Et c'était exactement dans ce silence religieux que j'étais plongé en ce moment. Pas pour étudier comme la plupart, mais pour faire une recherche. Je voulais en savoir plus sur la maladie dont était touchée Daisy, mais comme mon cellulaire n'avait plus de batterie et que je n'avais pas pensé à apporter mon ordinateur, j'avais été forcé de retourner aux Google de papiers. Beaucoup moins rapide, j'en conviens.

Affection chronique... La kinésithérapie doit être pratiquée plusieurs fois par jours pour éviter l'encombrement bronchiques... Infection broncho-pulmonaire... Causée par l'altération d'un gène sur le chromosome 7...

J'étais plongé dans ma lecture quand quelqu'un choisit se moment exact pour me parler. Très risqué.

— T'as eu quoi dans ton exam de math, Matt?

Tout de suite, sans lever les yeux de ma page, je reconnus la voix assurée de quelqu'un qui n'avait peur de rien que j'avais entendue tant de fois déjà.

— Cent... Ha ha très drôle Steph, répondis-je en comprenant qu'il avait essayé de faire une blague avec mon nom. Et je dis bien essayé.

Stéphane me donna une tape amicale sur l'épaule et je soupirai. Une chance qu'on était mon meilleur ami, parce qu'il avait un don pour arriver aux mauvais moments. J'avais l'impression que c'était plus volontairement que par coïncidence, avec Steph, on n'était jamais trop prudent.

C'était bizarre, il était vraiment comme moi, mais pas du tout en même temps. Disons que si vous demandiez à un prof, il vous dirait que j'étais l'élève modèle et lui l'insupportable, mais si vous demandiez à nos amis, ils vous diraient le contraire. Disons juste qu'il était un peu mon miroir. On se ressemblait sans être pareils. Complexe.

— Bon, qu'est-ce qui va pas encore, soupira-t-il en s'asseyant sur la chaise libre à côté de moi.

— Oh, tu veux dire à part le fait que j'essaye de me concentrer mais qu'il y a un moustique fatiguant qui arrête pas de me déranger?

— Oh, toi et ta mauvaise humeur. C'est à cause du divorce des parents de Jess, pas vrai?

Il me fixait de ses yeux aussi verts que ceux de Ron Weasly -faut dire qu'avec ses cheveux roux et ses tâches de rousseur, la ressemblance était frappante- et en soupirant je refermai mon livre. Décidément, il n'allait pas me lâcher jusqu'à ce que je parle, c'était tout lui.

— Tu devrais devenir enquêteur, tu fais suer les gens avec tes questions, maugréai-je en roulant des yeux.

— Mais c'est comme ça qu'on m'aime.

— Personne t'aime.

Il me tira la langue avant de reprendre son sérieux.

— Écoute, moi à ta place, je n'essayera pas de lui faire croire que ses parents vont revenir ensemble.

— Ah, parce que c'est sûr que ça va lui remonter le moral,  bravo Einstein!

— Mais non, tu lui dis pas aussi directement, mais ne lui donne pas d'illusions non plus. Parce qu'il y a vraiment peu de chance que ça arrive et faut la préparer au pire. Deusio, reprit-il avant que je puisse dire quoi que ce soit, pourquoi tu lis ce livre? On a un exam sur les pathologies respiratoires et j'étais pas au courant?

Je souris légèrement.  Stéphane faisait toujours des discours très sentimentaux ou philosophiques et après changeait de sujet comme si de rien n'était. Il était l'expert pour passer du coq à l'âne.

— Mais non, je t'ai dit que je faisais un stage dans un hôpital, non? Et la petite est atteinte de mucoviscidose et je voulais savoir c'était quoi plus précisément, parce que je suis tombé sur un imbécile antipathique de docteur qui veut rien m'expliquer.

— Mucoviscidose, maladie congénitale caractérisée par une viscosité excessive des sécrétions des glandes exocrines qui provoquent des troubles digestifs et respiratoires chroniques.

— Mais comment tu...

— Il y en à des plus intelligents que d'autres, répondit-il avec un clin d'œil avant de se diriger vers la sortie.

CRANK CRINK CRUNK

— Mr. Walter, faites moins de bruit quand vous marchez!

— Désolée m'dame, pas ma faute si le plancher chante à chacun de mes pas.

J'entendis la madame soupirer, la porte se refermer et souris. Tellement son genre de réplique. Et le pire, c'était que comme ses notes étaient excellentes, certains profs laissaient passer une partie de ses bêtises, ce qui énervait ceux qui pensaient qu'il méritait d'être expulsé.

J'essayai de retourner dans mes lectures, mais c'était peine perdue, j'avais juste le divorce des parents de Jess en tête maintenant. Bien joué Steph!

En soupirant, je refermai tous mes livres et remarquai qu'il y en avait un d'ouvert. Enfin, qu'il soit ouvert n'avait rien d'étonnant, ce fut surtout ce qui y était écrit qui capta mon attention.

Mucoviscidose, maladie congénitale caractérisée par une viscosité excessive des sécrétions des glandes exocrines qui provoque des troubles digestifs et respiratoires chroniques.

Je me disais aussi qu'il y avait quelque chose de louche dans cette démonstration soudaine d'intelligence de la part de l'Einstein roux que j'avais pour ami.

J'empruntai les livres qui avaient l'air d'avoir le plus d'information et allai retrouver Jess qui devait sûrement se trouver dans la salle d'informatique. Il me semblait qu'elle avait un projet à terminer, et en effet, ce fut exactement là que je la trouvai, Gwen à ses côtés. Comme d'habitude, elles se disputaient. Parce que qu'est-ce une amitié sans conflit?

— Mais non, mets le fond en rose et le texte en bleu.

Petit détail. Gwen avait les yeux bleus très pâles, et des cheveux tout aussi pâles. Enfin, ça s'était avant qu'elle ne les teigne en rose. Rose, bleu... Je vous laisse deviner qu'elles étaient ses deux couleurs préférées. Et elle tenait toujours à en mettre partout où c'était possible, comme présentement.

— Mais ça va être super laid et pas du tout lisible!

— Je te jure que ça va bien rendre.

Comme d'habitude, elles se disputaient pour un truc insignifiant. Ces deux là étaient toujours, et je dis bien toujours en équipe, et pourtant elles passaient la majeure partie de leur temps à se disputer. Étonnamment, allez savoir comment, elles finissaient quand même par obtenir une bonne note, ça me dépassait complètement.

— Mathias, dis à ta blonde qu'un texte rose sur un fond bleu c'est su-per beau!

— Je voudrais bien mais mes parents m'ont dit de toujours dire la vérité.

— Ha ha, tu es hi-la-rant. Pourquoi tout le monde est contre moi?? S'écria-t-elle avec des mimiques pour ajouter une touche d'exagération.

Cette fille, c'était l'exagération incarnée. Elle vous raconterait le jour où elle a mangé des légumes comme si c'était un exploit légendaire. Elle était née pour être actrice.

— Mettez un fond blanc et du text noir.

— Ouach, tellement classique, disent-elles les deux en même temps, avant d'éclater de rire parce qu'elles étaient synchronisées et sur la même longueur d'ondes pour une rare fois, tout ça devant un moi désespéré.

Les filles étaient complètement cinglées. Ces deux-là particulièrement. Dire que moi je devais en plus les supporter.

— C'est comme manger de la glace à la vanille quand il y en a à saveur d'érable, expliqua Gwen.

— Grouillez-vous, on va être en retard en science, allez, répliquais-je pour ne pas débuter un nouveau débat.

On n'était jamais sûr de sortir vivant d'un débat avec Gwen et ses arguments béton. Et croyez-moi, même avoir une mère avocate ne m'aurait pas permis de gagner, je n'avais pas hérité de ses dons de persuasion.

— Minute, juste sauvegarder et.... C'est bon, on peut y aller.

— Au fait, Matt ton stage, ça va comment? me demanda Gwen avec sa nonchalance habituelle.

— Il s'occupe d'une petite fille trop mimi, tu devrais aller à la voir, elle est adorable, répondit Jess à ma place.

— Beurk, j'aime pas les enfants. Ils font du bruit, frappent tout le monde, et se plaignent tout le temps. Ils sont insupportables.

Je lançai un regard à Jess en levant les yeux aux ciels et elle éclata de rire.

— T'es mal placée pour parler, Schtroumpf grincheux.

— Je suis pas grincheuse, ce sont les gens qui m'énervent.

— Mouais, c'est ça, des excuses.

— Sinon le divorce, ça va comment?

Vous l'aurez compris, Gwen était la personne qui passait d'un sujet à un autre avec autant de naturel que possible. Peut importait le sujet. Un peu comme Steph en fait.

Jessica soupira, et là j'eus peur. Pitié, pas une autre crise de larmes, il n'y avait pas de mouchoirs à proximité et je tenais à ce que mon chandail préféré reste sec.

— C'est plutôt calme. Mes parents s'ignorent en attendant de finir les papiers ou je ne sais quoi, la maison est vraiment silencieuse et la tension est vraiment palpable mais... Ça va.

Ça faisait presque trois semaines depuis qu'elle avait appris la nouvelle, sûrement qu'elle commençait à s'en remettre peu à peu ou du moins, à contrôler ses émotions. Elle était forte, ma Jess.

— Bah, au moins il ne se disputent plus, répondit Gwen en haussant des épaules, comme si ce n'était pas plus grave que ça.

— Je crois que je préférais encore ça, au moins ils se parlaient. Maintenant, on dirait deux étrangers. Comme toi et Steph, ajouta Jess un sourire narquois faisant son apparition sur son visage.

— Hey, c'est pas ma faute si Mathias a des mauvais goûts amicaux!

Je soupirai. La plupart des gens détestaient Steph et ne comprenaient pas comment je peux être ami avec lui après ce qu'il avait fait. Sûrement que s'il y a deux ans quelqu'un m'avait dit qu'il deviendrait mon meilleur ami, je lui aurai ri au visage, mais quand on apprenait à le connaître, il était vraiment quelqu'un de sympa. Si le reste de l'école lui avait pardonné, Gwen n'était toujours pas passée à autre chose.
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J'espère vraiment que tout fait du sens pour l'instant...sinon vous me le dites ^^