10. Nuances de gris

L'illusion est trompeuse, mais la vérité l'est bien davantage

— Je n'arrive pas à croire que la prof m'a seulement donné 96% dans mon rapport de labo.

Quand je vous disais que Gwen avait toujours des bonnes notes. Et elle s'en plaignait quand même, de ses notes. Pas haut et fort, sous risque de recevoir des gifles des autres élèves, mais quand elle était avec nous, nous rabattre les oreilles de ses plaintes était un de ses passes-temps favoris.

— Tu sais, c'est une bonne note 96%.

— Pfff, souffla-t-elle, facile à dire quand tu as eu 100%.

— Que veux-tu, tout le monde n'est pas aussi intelligent que moi.

Gwen leva les yeux au ciel en soupirant et Jess, qui avait suivi cet échange dans le silence se met à rire. On était devant des casiers où on devait attendre Steph pour notre prochain cours. Vous voyez, l'avantage d'avoir autant de cours en commun, c'était qu'on pouvait s'ennuyer ensemble.

— Une chose est sûre, tu es moins intelligent que moi, rigola quelqu'un derrière moi.

— Steph, franchement, tu devrais prendre des cours de modestie, répliquai-je à mon meilleur ami qui avait un sourire narquois sur le visage, comme toujours.

— Hmm c'est sûr qu'avec un prof comme toi, faut pas trop espérer, ironisa-t-il en retour.

— Faut dire qu'avec un élève comme toi, c'est un cas désespéré.

— Tu diras ça à mon diplôme d'élève modèle décerné par la direction, rétorqua-t-il.

J'imagine que vous comprenez mieux pourquoi on s'entendait aussi bien? On parlait le même langage... Et je ne pouvais pas en dire autant de notre prof d'espagnol. On dirait qu'elle se croyait en Espagne. Elle parlait tellement vite que personne ne comprenait sauf les cinq-six hispaniques de la classe. Bizarrement, tout le monde voulait toujours s'assoir à côté d'elles pendant les cours d'espagnol ou bien se mettre en équipe avec elles quand on avait des projets. Étrange, n'est-ce pas?

— Cette prof m'énerve tellement! Soupira Gwen dès que le cours fini.

— Comme le reste du monde? Ironisa Steph, ce qui lui vaut un regard mortelle de sa part.

— Comme quelqu'un que je ne nommerai pas pour préserver son anonymat, hein, Steph!?

Son ton se voulait quelque peu menaçant, mais eut l'effet inverse. Steph éclata de rire, comme à chaque fois qu'il faisait enrager Gwen, ce qui n'était pas chose difficile. Elle n'avait besoin de l'aide de personne pour être enragée, elle faisait ça très bien toute la seule.

— Tu as de la chance d'être l'ami de Mathias, sinon tu serais bon pour l'hôpital, ronchonna-t-elle sans que Steph n'arrête de rire pour autant.

— Gwen, Gwen, Gwen, on s'entendrait tellement bien, tu sais?

Elle soupira bruyamment pour simple réponse ce qui déclencha un fou rire général.

Ce fut dans ce fou rire que nous montâmes dans le bus en attirant tous les regards des passagers vers nous. Avec Gwen et Steph, il ne fallait pas trop compter sur la discrétion. Disons que si on était des espions, on se serait fait repérer depuis belle lurette, non seulement parce qu'ils ne chuchotaient pas vraiment, mais aussi parce que la chevelure colorée de Gwen ne passait pas exactement inaperçue.

— Au fait, Jess, ça doit bien être la première fois que je te vois prendre le bus pour rentrer chez toi, lança Gwen nonchalamment.

L'interpellée se mordit les lèvres et regarda le sol. Je reconnaissais ce geste, elle faisait ça avant une présentation orale, quand elle était en salle d'attente dans un hôpital, quand le prof d'histoire parlait des camps de concentration, bref, quand quelque chose n'allait pas. Instinctivement, je lui serrai la main.

— Mes parents se disputaient pour savoir qui devait venir me chercher après l'école, et ont décidé de me demander mon avis.

— Ouh la, c'est jamais bon d'être au milieu de deux adultes en colères qui veulent tous deux avoir raison, compatit Steph.

— Tu m'en diras tant, répondit Jess en souriant légèrement.

— Et tu as penché de quel bord? S'enquit Gwen.

— Aucun, je leur ai dit que je rentrerai seule avec des amies qui eux au moins passaient pas leur temps à se disputer. Et que comme ça si je me faisait écraser dans la rue, ce serait de leur faute à tous les deux.

— Ouh là, t'y es allée un peu fort sur ce coup là.

— Pas assez je dirais, je suis sure qu'ils seront encore en train de se disputer quand je vais arriver.

— Quand tu pourras plus les supporter, tu viendras dormir chez moi si tu veux, proposa Gwen dans un rare élan de gentillesse que Jess ne refusa point.

— Ma porte aussi est ouverte, s'exclame Steph avec un sourire carnassier plein de sous-entendus. Grande ouverte...

Je lui donnai une tape amicale sur l'épaule assez forte pour le faire réagir.

— Et tu crois vraiment que...

— J'arrive bientôt, dans max dix minutes, entendis-je une voix dire, sûrement parlant au téléphone.

Sans réfléchir, je me dirigeai vers cette voix que j'étais sûr d'avoir déjà entendue quelque part.

— Mathias qu'est ce que tu fous?

Les voix de mes amis semblaient loin, comme venant d'un autre monde, et je n'avais que celle de la fille en tête.

— Je ne sais pas.

C'était à l'hôpital, juste avant que je n'aille faire mon rapport à Monsieur Davis. Sur le coup je n'y avais pas fait attention, mais maintenant que j'y pense, j'aurai dû. La porte étant fermée et les voix trop basses, je n'avais pu saisir que quelques bribes de conversations.

— S'il y a un changement, je te contacte.

— Parfait, avait dit la voix avant de s'éclipser.

J'avais collé mon oreille à la porte pour mieux entendre, et me retirai dès que j'entendis quelqu'un tourner la poignée.

— Désolée, je ne t'ai pas frappé?

— Heu... Non, tout va bien.

Ses yeux, enfin son œil qui n'était guère caché par ses cheveux blonds, était d'un gris presque hypnotisant. Quelque chose dans son regard faisait qu'on ne pouvait s'y détacher, ni regarder autre part. Ou peut-être était-ce la façon dont elle me regardait, comme si elle regardait mon âme à travers mes propres yeux. Chose sure, cet échange muet dura tout au plus quinze secondes, ce après quoi elle esquissa un sourire.

— À bientôt Mathias, murmura-t-elle avant de s'en aller.

Je restai immobile en tentant de reprendre mes esprits. D'où tenait-elle mon nom? Peut être que Monsieur Davis... Ou que Daisy...Non impossible. Sur le coup, j'avais pensé que c'était elle la soeur de Daisy, mais quelque chose me disait que ce n'était pas le cas. Mis à part pour les yeux gris, elles ne se ressemblaient pas le moins du monde, elle étant blonde et Daisy rousse. Mais personne n'avait dit que des sœurs devaient se ressembler, en même temps.

La réponse était pourtant simple, mon nom, comme celui de n'importe qui travaillant à l'hôpital, était étiqueté sur ma blouse d'hôpital, je n'y avais juste pas pensé sur le coup.

— Mathias! m'interpella Monsieur Davis, me sortant de mes pensées. Mathias? Math!!

— Steph?

Prenant enfin conscience de l'endroit où je me trouvai, je regardai par la fenêtre et vis à travers une fille marcher d'un pas pressé. Chevelure corbeau.

— C'est moi ou tu suivais cette inconnue? Demanda Steph en pointant la même fille.

— Non je... Je ne sais pas. Désolé, elle ressemblait à... La fille dans le labyrinthe *the maze runner*, alors je me suis dit que je lui demanderais son autographe, mais elle est sortie avant.

Steph me regardait comme s'il évaluait s'il était temps d'appeler l'hôpital psychiatrique et Jess fronça les sourcils. La seule qui trouve ça drôle, c'était Gwen, évidemment.

— Tu sais Mathias, en ce moment, je regrette pas d'être ton amie, s'exclama-t-elle, peinant à reprendre son souffle entre ses éclats de rire.

Jess et Steph la regardaient en secouant la tête, réprobateurs, tandis que je retournai dans les nuages.

J'aurai pourtant juré que cette voix était la même que celle que j'avais entendue à l'hôpital. Le problème, les deux filles avaient beau toutes deux avoir les yeux gris, la fille du bus avaient les cheveux noirs tandis que celle de l'hôpital était blonde. À moins qu'elle se soit teint les cheveux entre temps, mais c'était peu probable, qui s'amuserait à changer ses cheveux de couleur chaque jour? De toute façon, leur yeux n'étaient pas de la même nuance de gris, mais je n'étais pas sûr à cent pour cent que ce n'était pas plutôt à cause des différents éclairages.

— À bientôt Mathias.

Son apparition m'avait fait oublier de demander à Mr.Davis des détails sur la soeur de Daisy. J'espérai que je la reverrai bientôt, son personnage m'intriguait pour une raison que j'ignorai, et je ne pouvais effacer ni sa voix ni son visage de ma tête.

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