Lilith

- Petite anecdote amusante : tu ne le récupéreras jamais.

- Petite anecdote amusante : ton avis est sûrement la chose la moins intéressante possible, répondis-je à cette créature sans intérêt qui me parlait.

Je détourna le regard de la fenêtre, et de la belle vue qu'elle offrait sur mon ancien manoir,  pour transpercer de mon regard la chose immonde qui venait de me regarder. La peau bleu roi, plus foncée à l'endroit de ses articulations, d'une nuance d'azur quant à elles. Ses cheveux en bataille, d'un noir de jais, retombait sur ses yeux bleu minuit, qui pétillaient de malice, et les traits fins de son visage, celui-ci se finissant par un sourire en coin où éclataient des dents blanches. Puis ses cornes, elles étaient irrégulières et semblables à la roche, grises et difformes comme elle. Il possédait un corps fin mais musclé, ses bras croisés sur sa poitrine dans une posture moqueuse. Il était habillé d'un simple haut noir à manches courtes et d'un bas banal, pour des bottes toutes aussi banales, et pourtant une aura tout sauf banale se dégageait de lui. Donc oui, ce garçon était horriblement immonde.

Mes yeux s'écrasaient sur les siens et sur son corps, le faisant perdre peu à peu son sourire et son assurance, jusqu'à lui faire baisser la tête. Il voulut ouvrir la bouche mais la sonnerie retentit et ne lui laissa pas le temps. Déjà assise à ma place, je n'avais qu'à tourner la tête pour suivre le cours. Quant au garçon, il partit s'asseoir à l'opposé de moi, s'appuyant sur l'autre mur. Des élèves entrèrent, la plupart étant des blondinets car tous les autres étaient déjà présents. Beaucoup d'entres eux s'installaient sur les tables des premiers rangs, à deux ou trois, d'autres au fond de la salle jusqu'à ce qu'il ne reste que des places libres à coté des autres personnes, ceux avec ou sans cornes. Les sans cornes se retrouvèrent avec des voisins assez tôt, et les autres, restèrent seuls. Les blondinets prirent les chaises restantes et les placèrent aux tables des blondinets, tous l'avaient fait, aucun ne voulait s'asseoir à côté des cornus.

Puis il arriva, ce blondinet taciturne. Il prit la chaise à côté de moi et s'assit, simplement et silencieusement. Ma surprise passée, je le reconnus : Gabriel. Son acte était tout de suite moins étonnant. Parmi tous les blondins, Gabriel était le seul à ne pas mépriser les cornus, ou alors il nous méprisait, mais il méprisait aussi tous les autres. Personne ne savait quoi penser de lui réellement, ou bien seulement ses frères. Il parlait rarement, avait le regard dur et une posture froide. Rien qui n'engage la conversation. Personne ne lui parlait, pas même ses frères. On pouvait alors penser qu'il se sentait seul, ou bien triste, mais il n'en était rien. A ce qu'on disait aussi, il vivait ainsi et ne voulait pas que cela change. Je détourna les yeux de lui, légèrement perturbée, et me fixa sur le professeur, au devant de la classe. Je cligna des yeux, une fois, puis deux, trois, jusqu'à une septième fois où je baissa les yeux jusqu'à mon cahier. Vide, comme ma concentration.  Je pris un crayon et dessina alors au gré de mes envies, sans vraiment réfléchir à ce que je faisais. J'avais le regard perdu dans le vague, cette heure de cours était insupportable et je me lassais de plus en plus de rester assise ici. L'envie de me lever et de quitter cette salle était en train de me démanger, mais il était hors de question que je me fasse remarquer par ces satanés blondins. Je posa mon stylo puis regarda mes dessins : une dune, un petit corps couché par terre, et un nom écrit au milieu : Mattnafech. Je ferma d'un geste sec le cahier et le mis dans mon sac d'une main tremblante avant de regarder de nouveau par la fenêtre. Je ne devais plus penser à cela, plus jamais. Mes yeux se fixaient à tout et n'importe quoi au dehors, cherchant à m'extirper de ce tourbillon noir où j'avais plongé. Mon corps entier était secoué de petits spasmes que je ne pouvais plus contrôler. Une crise d'angoisse se préparait quand j'ai jeté un coup d'œil à la classe et j'ai perçu le regard de Gabriel sur moi. Ce regard bleu, intense, et froid pesait sur moi, comme si de ses yeux posait sur mon corps un poids immense qui non seulement me blessait mais bizarrement, me soulageait également. Je tourna la tête entièrement vers lui, et son visage, toujours inexpressif.

- Tu sais que je te vois ?

- Je ne me cache pas, me répondit-il en bougeant uniquement ses lèvres. Je te regarde, simplement.

- Pourquoi ?

Il ne répondit pas. Il détourna juste le regard afin de se concentrer une nouvelle fois sur le cours si passionnant. Je savais très bien que toute nouvelle tentative pour parler serait soldée par un échec. Il ne fallait pas trop en attendre de sa part, Gabriel avait sûrement dû épuisé son quota de mots pour la journée.

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Je vagabondais, perdue dans mes pensées, quand une forme me bouscula. Je releva la tête, pour trouver en face de moi un blondin à la musculature saillante et au regard dur et cruel. Je le regarda quelques secondes avant de vouloir passer, mais il se posta devant moi, les bras croisés sur sa poitrine.

- Sérieusement ? Je suis un problème si gros que ça ?

Il ne me répondit pas, et continua de me regarder en desserrant dangereusement ses bras. Il fit craquer ses poings tout en me dévisageant, dans ce couloir où seules quelques peu personnes étaient présentes. Des blondins d'accord avec celui devant moi, et les autres, ayant trop peur pour oser me défendre.

- Je peux au moins savoir pourquoi ? Demandais-je en reculant d'un pas.

Avec son faciès agressif, le garçon en face s'avança de nouveau vers moi, de plus en plus vite et de plus en plus près. Je reculais quand même, mais pas assez rapidement. Et un instant, il était suffisamment proche pour que je puisse sentir son souffle glacé sur moi.

- Et bien, Camaël, ce n'est pas très gentleman d'agresser ainsi une demoiselle, fit une voix derrière moi.

L'horrible garçon se tenait là, sûr de lui, avec un regard moqueur sur sa face. Quant au blondin devant moi, Camaël donc, il n'avait levé qu'un sourcil en direction du nouveau venu, peu intrigué.

- Auriez-vous besoin d'un coup de main ? Continua la personne bleue avec un regard pétillant.

Je détourna mon attention de lui pour me concentrer sur le dénommé Camaël. Lui n'avait levé qu'un sourcil depuis tout à l'heure. Il ignora alors le trouble-fête puis se concentra sur moi de nouveau. J'avoue avoir été étonnée de sa réaction. Un autre cornu arrivait devant lui, sur un plateau d'argent, mais il préférait me frapper moi. Puis ça devint clair.

- Misogyne.

Et accompagnée de mon mot, mon pied partit se loger pile poil dans l'entre-jambe du blondin. Celui-ci se courba en deux, les yeux exorbités, la nuque bien dévoilée et sans compassion, je lui mis un coup de coude entre les deux omoplates. L'agresseur était maintenant à terre. Le garçon bleu, dans une posture nonchalante, regarda tour à tour le blondinet par terre, puis moi, et de nouveau Camaël.

- Tu as un commentaire à faire ?

- Veux-tu m'épouser ? Me répondit-il en écarquillant d'immenses yeux.

Je soupirai un grand coup puis continua mon chemin dans les couloirs, il était midi et j'avais faim, assez faim pour dévorer n'importe quel être en entier. J'entendis des bottes en cuir résonner derrière moi, et le garçon me rattrapa, puis continua à marcher devant moi, son visage face au mien.

- J'aurai bien voulu une réponse quand même, un "non" est moins blessant qu'un vent..

- Je ne te connais même pas, pourquoi voudrais-tu que je t'épouse ?

- Alors, je vais me présenter, dit-il en s'arrêtant pour effectuer une révérence. Puis il s'aperçut que je ne m'arrêtais pas, alors il couru pour être de nouveau à ma hauteur. Je m'appelle Samaël, si j'avais des amis, ils m'appelleraient Sam et je suis tombé amoureux de toi il y a quelques minutes.

Je haussa un sourcil, toujours en marchant, tandis qu'il se fatiguait à me faire face sans se prendre des élèves dans son dos. Il tourna la tête pour vérifier qu'il pouvait continuer son manège, et me sourit.

- Je peux être un bon parti, m'assura-t-il.

- Nous n'avons que dix-sept ans, enfin, répliquais-je en tentant de cacher mon sourire.

Je ne pouvais pas me mentir. Peut-être aux autres, mais pas à moi-même. Voir qu'un garçon s'intéressait à moi depuis Adam me remplissait de fierté et de joie.

- Tu ne m'as toujours pas donné ta réponse, remarqua-t-il en dégageant une mèche de cheveux qui entravait sa vision.

- Je refuse de me marier maintenant, assurai-je en me tenant bien droite. Maintenant, je te souhaite un bon appétit.

Je continuai de marcher sous le regard effaré de Samaël, jusqu'à ce que celui-ci se prenne une porte.

Ce garçon était vraiment quelqu'un d'horrible.

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Elle était devant moi, juste en face de moi. Je pouvais la voir avec ses longs cheveux blonds, ses yeux bleus et ses lèvres d'un rose pâle. Si je le voulais, j'aurai pu la faire tomber, la blesser ou même la tuer. Après tout, elle faisait partie de ceux qui ont déjà tué. Puis des pensées m'assaillirent : Ève ne faisait pas partie du clan des blondinets. Elle discutait certes avec l'une des rares filles de cet établissement, qui elle était une blondinette avec ses cheveux bouclés et ses yeux pétants, mais elle était à part. Elle faisait partie des sans-cornes. Ces rares personnes qui ne faisaient ni partie des blondinets, ni des cornus. Elles disparaissaient souvent aux yeux des deux camps, le nombre de ces personnes pouvaient se compter sur les doigts. Mais ce chiffre-ci devait certainement se modifier sans cesse, certains restaient des sans-cornes et d'autres, devenaient des cornus, comme moi. Je la voyais, encore et encore, en train de calmement prendre son plateau en y déposant une pomme et de la salade, souriante, cette satanée Ève, le pire monstre qui ait pu exister sur Terre. Un maléfice sous forme humaine, une torture pour tous avec des dents blanches et de longues jambes, l'infamie la plus totale...

- Mais qui regarde-t-on, dis-moi ? Me susurra à l'oreille Samäel, derrière mon dos. Des ragots à raconter ?

- J'en ai un : ta face si tu continues à me suivre comme tu le fais en ce moment-ci.

- Tu regardais Éve, c'est ça ?

Seul le brouhaha des élèves présents lui répondit.

- Toujours jalouse ?

La gifle partit avant même que je n'y pense.

- Ne dis pas que je jalouse, ne le dis jamais. Je ne le suis pas, et ne serais jamais jalouse de cette file ! Elle me fait pitié, simplement.

Je lui avais parlé dans le regarder, honteuse cette fois de m'être fait prendre par des sentiments aussi pitoyables. Ce garçon avait proposé des fiançailles quelques minutes avant, se plaisait d'être avec moi et s'intéressait à ce que je faisais. Vraiment pitoyable comme être.

Sans attendre une réponse de sa part, je continua mon chemin en prenant machinalement quelques nourritures présentes, sans me soucier si j'aimais ou non. Puis tout sur le plateau, je me dirigea vers une table, où je m'assis, seule. Et à mon grand étonnement, Samäel s'assit à côté de moi.

- Je ne t'en veux pas. Et ma demande tient toujours.

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