SLOW MOTION

JESSE - C'est ce qu'elle est

- Est-ce que tu travailles, parfois ?!

Marchant à grands pas, Clark tente de me semer dans les rues de Chicago. Ça fait trois jours qu'elle est venue chez moi, et trois jours que je l'attends devant ses bureaux tous les soirs.

- Kim n'est pas disponible, alors on a reporté le boulot... Mais tu veux que je te chante ma dernière création ? Ce n'est pas encore abouti, mais dis-moi ce que tu en penses ! « It is the story of a kinda stupid girl, who came to fuck a kinda gorgeous boy, but- »

Elle se tourne brusquement vers moi, faisant voler sa crinière autour de son visage, et se jette sur moi, pour plaquer une main sur ma bouche. Me mordant la lèvre inférieure, je baisse les yeux sur elle, avec un sourire joueur qu'elle ne peut voir, caché sous ses doigts. Mais la façon dont elle me regarde suffit à comprendre qu'elle l'a deviné.

Sans difficulté, je retire sa main, et la prend par les hanches, pour l'attirer à moi.

- T'aimes vraiment me bâillonner en ce moment... Je connais un endroit plus propice, pour ça, ça s'appelle une chambre...

- Roh tais-toi ! Quand es-tu devenu aussi chiant ?

- Quand tu m'as laissé ?

Le froncement de ses sourcils me fait comprendre que j'ai fait une erreur à la seconde-même où ces mots sortent de ma bouche. Ce n'est pas le moment de lui reprocher ses mauvaises actions, mais plutôt celui de l'inciter à les refaire, avec son copain du moment.

Une de mes mains joue avec les sangles de la large ceinture qui cintre son long t-shirt sur ses hanches. Ses longues jambes sont parfaitement nues, et j'en ai l'eau à la bouche : si seulement on n'était pas dans la rue.

- Je coucherai pas avec toi.

- Pourtant, t'en avais bien envie, la dernière fois...

- Et j'ai tout à fait le droit de changer d'avis. Le consentement mutuel, ça te dit quelque chose ?

Je cligne des yeux, alors qu'elle ne peut visiblement pas retenir un sourire satisfait, très fière d'elle.

- 'Joue pas à ça... je grogne, l'obligeant à se cambrer en me penchant sur elle.

- Et toi, tu joues à quoi ? On est en pleine rue, les gens nous observent.

- Ça t'as jamais dérangée avant.

Ses joues prennent alors une teinte cramoisie, parfaitement visible sous la forte lumière du lampadaire qui luit au-dessus de nous. Quelques goûtes de la pluie qui s'est mise à tomber depuis ce matin s'écrasent sur sa peau. Elle lève à nouveau les mains pour les poser sur mes lèvres, mais je l'intercepte, saisissant ses poignets. Avec un sourire, j'amène ses mains sur ma nuque, et les y dépose délicatement, avant de venir essuyer l'eau sur son visage de mes pouces, posant à mon tour mes mains sur ses joues.

- Tu veux danser ? Je lui demande alors.

La voir lever les yeux au ciel me fait rire, alors que je bouge un peu, de droite à gauche. Elle ne me repousse pas, se contentant de me fixer de son air sidéré.

- I'm singing in the rain... Just singing in the rain... What a glorious feeling, I'm happy again...

Je l'oblige à bouger sa tête de gauche à droite, mes mains toujours sur ses joues, alors qu'elle roule des yeux non-stop.

- Admets que tu adores ce film, je finis par murmurer, parlant de Singing in the Rain.

- Je veux rentrer chez moi.

- Je t'accompagne, si tu veux.

- Seule. Pour retrouver mon mec. Tu devrais faire de même, avec ta... Comment elle s'appelle, d'ailleurs ?

- Vanessa.

- Ouais, elle.

- Et si je te dis que c'est toi, que je veux ?

- Je te dis de faire la queue avec tous les autres.

- Cliché.

- Efficace.

Ses boucles lui tombent devant les yeux. Sa frange repousse lentement, venant assombrir son regard, d'habitude si pétillant. Je prends une de ses mèches entre mes doigts, venant jouer avec.

- Je ne veux plus te voir, commence-t-elle. Tu...

Mais ses mots se bloquent dans sa gorge, tandis qu'elle fixe mes lèvres. Mes lèvres, auxquelles j'ai porté ses cheveux, pour les embrasser.

Ouvrant la bouche, elle l'humecte un peu, détournant le regard.

- Je ne veux pas coucher avec toi, je finis par avouer.

La surprise que je lis dans ses yeux est délicieuse.

- Mais c'est ce que tu me demandes depuis trois jours...

- C'est ce que tu crois que je te demande.

Faisant une pause, je prends une inspiration, alors qu'elle me regarde, sans dire mot. Ses doigts, ayant quitté ma nuque, jouent désormais avec les nombreux colliers dorés qui viennent se poser sur sa poitrine.

- T'as toujours été comme une petite bombe, dans ma vie. T'as tout fait exploser, et ensuite tu m'as laissé avec les débris. Non, tu m'as laissé en débris. Je sais que chacun de tes ex pense qu'il était le plus proche de toi, celui qui te connaît le mieux ; c'est ce que tu leur laisses croire. Mais on ne va pas se mentir, je suis le seul à vraiment te connaître. Je connais chaque parcelle de ton corps mieux que personne, chacune de tes expressions...

A mesure que je parle, j'avance, elle recule, s'approchant du mur derrière elle. Les passants nous observent, curieux, mais ça m'est égal : je ne vois qu'une seule personne ici.

- Je sais quand tu ris par politesse, et quand tu ris parce que tu trouves quelque chose amusant. Je sais quel sourire correspond à quoi. Je sais ce que tu attends des autres, et pourquoi... T'as peut-être été une petite bombe, Clark, mais laisse-moi te montrer ce que je peux faire. On en est qu'à la deuxième phase du jeu, maintenant je reprends la main.

Et cette dernière remonte le long de son épaule, effleurant sa clavicule, caressant son cou et sa mâchoire, pour arriver jusqu'à sa joue. Chastement, j'embrasse ses lèvres rebondies et sucrées : un vrai piège à baisers. Puis, reculant, je lui souris.

- Accorde-moi un jour de rendez-vous. Un jour ensemble, et je te laisse tranquille. Mais si tu me dis non, ce soir, je ne t'embêterai plus. Tu ne me verras plus du tout, je disparaîtrai.

J'espère que la perspective de ne plus me revoir, après tout ce qui s'est passé ces dernières semaines, la fera réaliser à quel point elle a encore envie de moi, à quel point elle ne pas m'arrêter, comme on ne peut pas arrêter la clope. Pas à nouveau.

Quelques secondes passent, pendant lesquelles elle se contente de me regarder. Son attention détaille mes traits, mes yeux, mes cheveux, et brûle chaque cellule de mon corps sur laquelle elle passe... Et finalement, elle se décide :

- Non.

Quelques semaines plus tard...

L'odeur de produit aseptisant qui embaûme les couloirs de la clinique me monte à la tête. Kim est à côté de moi, avec son père. Ils attendent qu'un chirurgien ou un infirmier vienne les chercher, la blonde lançant régulièrement un coup d'œil à l'horloge qui trône dans la salle d'attente. Clark n'est toujours pas là, et pourtant, elle avait promis de venir...

Claquements. Enfin, elle arrive. Encore en tenue de travail, elle se précipite vers nous, sous les regards désapprobateur du personnel. Mais comme toujours, Clark se fout qu'on l'approuve ou non.

Kim se lève et la brune la serre dans ses bras, le différence de taille frappant immédiatement, renforcée par la paire de talon que porte la retardataire.

- Je suis tellement désolée, Kimmy, j'ai fait tout ce que je pouvais pour être à l'heure, mais les connards du conseil-

- C'est bon, t'es là maintenant, c'est tout ce qui compte.

La plus petite se blottit contre l'autre, et cette dernière caresse ses cheveux, avec un sourire.

- T'es prête ?

- Non...

L'inquiétude se lit sur le visage de Clark. Je la fixe, mais elle ne daigne lever les yeux sur moi, trop concentrée sur Kim. Son père les observe, silencieux ; il est le premier à réaliser qu'une médecin se dirige vers nous.

- Kim Murphy Enchantée, je suis le Dr. Vikal, celle qui va s'occuper de votre opération. Si vous voulez bien me suivre, pour remplir les derniers papiers et procéder à la préparation de l'opération.

Les yeux fatigués, la blonde se détache de Clark, pour saluer la chirurgienne.

- Est-ce que mon père peut m'accompagner, au moins pour les papiers ?

- Bien sûr, je vous en prie.

Elle leur fait signe, et les deux Murphy se dirigent vers ce qui semble être son bureau.

Passant deux mains sur son visage, la grande brune devant moi finit par me regarder. Elle aussi a les yeux explosés, à croire qu'elle n'a pas dormi depuis une semaine. Ses lèvres laissent échapper un long soupir, las et inquiet, et elle se laisse tomber dans une chaise, loin de la mienne.

Le temps s'écoule comme au ralenti. Les gens passent dans le couloir, disparaissent, reviennent, des ordres sont criés, des nouvelles annoncées, et des gens pleurent. Mais Clark et moi restons irrémédiablement les mêmes, assis et immobiles, trop inquiets pour regarder nos portables ou nous lever, trop bornés pour se parler. Au milieu de toute cette agitation, nous sommes là, assis le plus loin possible l'un de l'autre, blessés et assis dans la salle d'attente d'une clinique qui ne peut rien pour nous. Car ces blessures là ne se soignent ni par les mots, ni par les opérations. Elles ne se soignent pas.

Les yeux clos, j'attends. Les minutes défilent, mais chacune en cache une nouvelle, faîte d'inquiétudes et de « et si ». Je ne peux pas imaginer ce que je ferai, sans Kim. Elle a toujours été un modèle, pour moi, elle a toujours su qui elle était, en dépit de tout ce qu'on lui rabâchait à longueur de journée. Je ne pourrais admirer ni aimer quelqu'un comme je l'aime elle, qui m'a donné tant quand on tentait de lui prendre jusqu'à son identité. Cette fille est la joie incarnée.

Un poids sur mon épaule me sort de ma réflexion. J'ouvre les yeux, mais n'ai pas besoin de les poser sur Clark pour savoir qu'il s'agit de sa tête posée sur mon épaule : je reconnaîtrais son parfum entre milles.

- Tout va bien se passer, pas vrai ?

- Bien sûr. C'est Kim, elle a survécu à tellement de choses, c'est pas une opération qui va lui faire peur !

Je tente de prendre un ton enjoué et assuré, mais quelque chose se brise dans ma voix. Le simple fait de penser à des complications me rend malade.

- C'est ce qu'elle est. Cette opération, c'est pour que le monde la voit enfin totalement pour ce qu'elle sait être depuis le commencement. C'est un accomplissement, pas quelque chose dont on devrait avoir peur...

Ses doigts viennent se glisser dans les miens, et elle lit nos mains, prenant une longue inspiration.

- J'ai peur, Jesse. Et si le connard qui me harcèle lui faisait du mal ? Après tout, elle était avec nous... Ce taré est malveillant, qui sait ce qu'il pourrait tenter. Il pourrait même la faire souffrir pour m'atteindre.

Mon cœur s'arrête, mon souffle se coupe, mes yeux pleurent. C'est moi. Elle parle de moi. Elle pense que je pourrais blesser Kim... Il est temps de mettre fin à ce jeu malsain. Le prochain message sera le dernier, tant pis si j'échoue. Qu'est-ce qu'on en a à foutre ?! Au moins, peut-être que j'arriverai à nouveau à me regarder dans une glace.

Me tournant vers elle, j'embrasse le haut de son crâne, avec un soupir. Et je baisse les yeux sur elle, pour constater qu'elle a levé les siens sur mon visage.

- Tu sais, Jesse... T'as toujours été mon soleil de minuit. Dès le premier soir, c'est ce que t'as été, pour moi. Et aujourd'hui, il faut que tu le sois pour Kim. Si il y a un problème, il faudra que tu l'aides, quelques soient les circonstances. T'es ce qu'elle a de plus cher...

- Toi aussi, Clark.

- Tu sais bien que je déçois ceux qui comptent sur moi.

Et si seulement j'étais meilleur qu'elle... La regarder dans les yeux, à l'instant-même, serait sans doute moins dur. Mais malgré l'effort que cela me demande, je ne détourne pas le regard : ça me fait mal, mais j'en suis incapable.

Elle se redresse, et m'embrasse. Sa main serre la mienne, tandis que je prends les lèvres qu'elle m'offre. Le goût amer de l'inquiétude flotte sur sa langue, et la sensation de sa peau contre la mienne est douloureuse.

Elle et moi. C'était, est, et sera toujours. Car cette fois, c'est le temps qui s'est arrêté. Il s'est arrêté au moment où j'ai posé mon regard pour la première fois sur cette brune aux lèvres sauvages, au regard anéanti et au corps embrasé, nous figeant tous deux dans cette danse périlleuse et scabreuse dans laquelle je l'ai rejointe. Rien ne change, elle est toujours Clark, et je suis toujours Jesse.

Bon, l'opération est enfin arrivée, souhaitez bonne chance à Kim! D'ailleurs, est-ce que vous aimez ce personnage, de ce que vous en avez déjà lu?

Un avis sur la relation de Clark et Jesse? Est-ce que vous commencez à la comprendre un peu mieux?

J'espère que ce chapitre de fin de semaine vous a plu! Pleins de bisous sur vos joues roses! 🌼

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