NIGHT CLUB
JESSE - J'ai toujours été le seul
Ce que je m'apprête à faire est purement abject. Et pourtant, je ne ressens pas une once de remord. Après avoir relu le message une dernière fois, j'appuie sur la flèche d'envoi, et observe la bulle bleu qui s'affiche sur l'écran. Distribué. « Sois au 217 WINTHROP AVENUE ce soir. ». Vu.
Rapidement, j'éteins le téléphone, ne souhaitant pas lire à nouveau les insultes qu'elle me répète à chaque message que je lui envoie. Une odeur de pancakes vient chatouiller mes narines, et je souris, me redressant dans mon lit ; je ne savais pas que Kim passerait ce matin.
J'arrive dans la cuisine, et vient derrière elle pour l'enlacer et embrasser sa joue. Elle est toute menue, par rapport à moi, ou même à Clark. C'est l'effet des hormones qu'elle a prises pour stopper sa croissance musculaire.
- Bonjour, ma Kimmy.
Avec un rire, elle retourne le pancake qui gonfle et dore dans sa poêle, alors que je me balance d'une pied sur l'autre, la gardant toujours dans mes bras.
- Tu vas me faire faire une bêtise, si tu continues ! Tu veux ce pauvre petit pancake par terre, ou dans ton assiette ?
Haussant les épaules, je la lâche tout de même, l'entendant pousser un soupir de contentement.
- Tu n'aimes pas mes câlins du matin ?
- Non, tu pues quand tu te réveilles.
- T'es méchante.
Elle hausse un sourcil, avant de désigner l'assiette de pancakes déjà préparés qui trône à côté des plaques de cuisson.
- Rectification, tu es une personne adorable, et je ne sais pas ce que je ferais sans tes bons petits plats.
- Je préfère, oui.
Plongeant sa louche dans le saladier où repose la pâte, elle passe une main dans ses cheveux, pour les plaquer en arrière et éviter de les avoir dans le visage pendant qu'elle cuisine. Mon regard se pose alors sur les cernes qui creusent sa peau pâle, et je fronce les sourcils.
- Il faut te repose, l'opération est dans moins d'un mois, tu dois être dans les meilleures conditions possibles pour ça...
- Comment veux-tu que je dorme ? Je suis partagée entre l'excitation et l'appréhension... Après ça, rien ne sera plus pareil.
- Si. Toi, tu seras toujours la même à l'intérieur. Mais ton corps représentera ce que tu es, à l'extérieur aussi. Tu seras toujours la même personne, quoique tu aies entre les jambes, ok ?
Elle hoche la tête, ses yeux s'humidifiant. Toujours aussi sensible.
- Tu as quelqu'un, pour t'accompagner, le jour J ?
- J'ai demandé à mes parents. Papa pourra venir, mais Maman m'a dit qu'elle aurait un rendez-vous d'affaires important, ce jour-là...
Kim n'a pas besoin d'en dire plus, je sais déjà ce qu'elle pense de cette excuse. Sa mère a eu du mal à accepter sa transition, et même si les choses vont mieux maintenant, l'opération reste un nouveau seuil à franchir. Elle aussi, a besoin d'être prête. Au moins, son père sera là.
- J'avais pensé aussi demander à Clark, mais elle est distante en ce moment... Dans la lune.
- Oh.
Je baisse la tête. Jamais je n'avais vu les choses sous cet angle. Clark est amie avec Kim depuis qu'elle l'a rencontrée, en commençant à me fréquente. Kim est amie avec moi depuis l'enfance, mais elle s'est vite liée à la brune, et je ne lui ai jamais demandé de choisir entre nous, ce que Clark n'a heureusement pas fait non plus.
Mais je n'aurais jamais pensé que ce que mes actions par rapport à Clark la rendrait indisponible pour la petite blonde...
- Tu comptes me parler de ce qui s'est passé hier soir, à la soirée... ? Finit-elle par demander doucement, sans quitter sa poêle des yeux.
Une grimace tord ma bouche. J'aurais du être plus discret.
- Non, pas vraiment.
- Je croyais que tu ne voulais plus jamais la voir.
- J'ai déconné, mais j'ai pas envie d'en parler.
Elle soupire, et fait glisser le dernier pancake sur la pile que les autres forment déjà.
- Très bien. Tu voudras bien m'accompagner, pour l'opération... ?
- Bien sûr.
Me penchant vers elle, je dépose un bisou sur ses cheveux, avant de prendre l'assiette.
- On va manger dans le jardin ?
Le soir tombe...
Prêt à sortir, je rabats la capuche de mon sweat sur ma tête. J'espère que j'arriverai à rentrer dans le club où j'ai donné rendez-vous à Clark -ou plutôt où je l'ai obligée à aller-, malgré les invités de marques qui y seront présents. Ma dégaine ne fait pas vraiment de la Haute...
Un crissement. Pas une moto, mais une voiture. Ce qui n'empêche pas Clark de venir se garer en dérapant, comme toujours. Qu'est-ce qu'elle fout là ?
Ses coups contre le bois de ma porte retentissent dans toute l'entrée, et, après quelques secondes d'hésitation, je viens finalement lui ouvrir.
- Casse-toi.
- Non. Il faut que tu m'accompagnes.
Elle plaisante, n'est-ce pas ? Non, bien sûr que non. Dès que l'on se pose ce genre de questions, on devrait immédiatement connaître la réponse : la personne en face ne plaisante pas.
- Où diable veux-tu que je te suive ?
- Dans un night club.
- Ton mec s'rait pas plus adapté à ça ?
- Fais pas le con. J'y vais à cause des messages, et... Ridley n'est pas au courant. T'es le seul.
Un rire s'échappe de mes lèvres, laissant sur ma langue un goût râpeux et amer.
- J'ai toujours été le seul, chérie.
- Pauvre con.
Ignorant son insulte, je m'approche d'elle. Et cette fois, c'est elle qui recule d'un pas. Toute cette mascarade la déstabilise, elle est sans dessus dessous, perd la face. J'aime la voir tomber comme ça. Même si j'ai peur. J'ai peur que le plaisir de la voir perdre m'entraîne dans sa chute, spirale de complaisance et d'euphorie qui me mettrait au sol avec elle. Mais serait-ce si dramatique, d'être ensorcelé à nouveau ? Si seulement le sort pouvait agir sur nous deux à la fois... Si seulement nous étions tous les deux incapables de nous relever.
Malgré son mouvement, je la saisis par la taille, et l'attire à moi. Se cambrant, elle laisse son bassin contre le mien, mais éloigne son visage.
- Qu'est-ce que je gagne, à t'accompagner ?
- Rien.
Une de mes mains baladeuses s'aventure au creux de ses reins, descendant adagio, mes doigts effleurant la toile de son short en jean. Mais ma main se fait plus ferme, et je saisis une de ses fesses, la serrant entre mes doigts avec délice. Un rictus étire mes lèvres, alors que je la sens se crisper contre moi.
- Et si je veux ça... ? Je murmure, rapprochant mes lèvres des siennes, laissant mon souffle planer sur celles-ci.
- Tu me répugnes.
Je la lâche finalement, affichant un air nonchalant.
- C'est pas agréable, quand on envahit ton espace personnel et qu'on te touche là où tu veux pas, pas vrai ?
Elle ne répond pas, croisant les bras et baissant les yeux vers un point imaginaire à sa droite. Pour une fois, sa crinière brune est attachée en une sage queue de cheval, et si elle ne portait pas un simple bustier blanc en satin, près du corps, et un mini-short, elle aurait presque l'air innocente.
Glissant ma main dans la sienne, je sors de la maison, et ferme derrière moi.
- Allez, on y va.
- Tu veux dire que tu m'accompagnes ?
- Ça ressemble à quoi, pour toi ?
Sèchement, elle retire sa main de sa mienne, et part d'elle-même vers sa voiture.
- On prend la mienne, je me contente de soupirer, partant vers ma propre caisse, une vieille Corvette dont je suis tombé amoureux il y a déjà des années de ça.
Je l'ai achetée avec l'argent du casse...
Elle ne fait pas d'histoire, et vient s'asseoir sur le siège passager. Elle doit avoir peur qu'à la moindre contrariété, je décide de la laisser se débrouiller. Mais jamais je ne ferai ça : l'occasion est trop belle. Je pensais devoir tisser une toile tout autour d'elle pour l'y prendre, mais elle vient s'enrouler d'elle-même dans le fil.
La voiture à travers la nuit, sur les larges routes de Chicago. Nous nous approchons du centre, au son du vieux moteur vrombissant et de la voix enraillée de Chuck Berry et de sa guitare.
Je jette parfois un regard à la jeune fille qui m'accompagne. Le coude appuyé sur la portière et le menton reposant dans la paume de sa main, elle observe d'un air absent le paysage qui défile à sa droite. La lumière jaune des lampadaires vient brusquement s'apposer à ses traits ciselés, dévoilant son visage à la peau laiteuse sous des feux verdâtre, avant de le laisser plonger dans l'obscurité quelques instants, et de revenir la débusquer dans l'ombre de la voiture.
Doucement, je viens poser une main sur sa cuisse. Elle ne réagit pas tout de suite, du moins pas visiblement, et ce n'est que quand je sens ses doigts brûlant venir se lier aux miens que je remarque : je dois avoir les mains glacées.
Reportant mon attention à la route, je la vois du coin de l'œil me regarder. Sa prunelle m'inspecte longuement, et je ne peux m'empêcher de me demander à quoi elle doit penser en ce moment. Mais finalement, elle me laisse à ma conduite, et tourne la têt vers la fenêtre.
J'en profite. Si je ne lui envoie pas le message maintenant, je n'en aurais peut-être plu l'occasion. Je sors mon portable, celui que j'utilise pour lui écrire anonymement, et lui envoie l'ordre que j'ai déjà rédigé plus tôt dans la journée : « fais un numéro ». Nous allons dans un club de strip-tease, et j'ai bien l'intention de la voir danser. Et surtout, de la voir danser devant une personne qu'elle aurait aimé ne jamais revoir. Ça va la détruire. Mais après ça, elle ne sera plus qu'une fleur coupée à la racine, échouée sur l'herbe, se mourant, attendant qu'on la ramasse. Et je serai là pour la mettre dans un peu d'eau, lui offrir un nouveau souffle.
- Ton copain. Tu le trompes ?
Ma question tombe lourdement dans le silence qui nous englobe. Quelques secondes passent, sans un bruit de plus, et elle semble toujours flotter là. J'en entends chaque syllabe, chaque intonation. En boucle. Pourquoi ai-je demandé ça ?
- Non.
Sa réponse me blesse. Pourquoi pas lui ? J'aurais du me taire.
- Pourquoi ?
- Pas besoin. Il me montre à quel point il tient à moi, sans que j'ai besoin de l'énerver pour ça. Et il est toujours... Féroce, au lit.
Ma main se referme sur sa cuisse, la serrant et y enfonçant mes ongles. Elle prend une inspiration, et baisse les yeux sur celle-ci, sur ma peau veinée. Féroce ? Aussi féroce que je pouvais l'être ? Ça m'étonnerait. Mais elle devait me mettre dans un tel état, avant que j'en arrive là... Pourtant, c'était ça qu'elle aimait. Le reste de ma personne l'intéressait peu.
Son téléphone vibre ; le message est enfin passé. Elle le sort, et écarquille les yeux. Je sens son sang battre plus fort, plus vite contre sa peau.
« Danse. »
- Jesse... Il veut que je me donne en spectacle.
- Ce ne sera pas ta première fois, je soupire, la mâchoire serrée.
Prenant un virage brusque, j'entre enfin dans la rue où se trouve le club, avant de chercher le parking souterrain qui l'accompagne. A mes côtés, Clark lève le visage vers le plafond de la voiture, semblant chercher à retrouver ses esprits.
Je l'ai laissée aller parler au barman. Évidemment, quand il a vu comment elle était gaulée, il a immédiatement accepté de la laisser faire. Et c'est la rage au ventre, mais le port de tête digne, qu'elle s'est dirigée vers la scène, sans attendre. La fille qui était là avant elle finit son numéro, et elle monte, tout simplement. Je sais ce qu'elle pense « plus vite je le ferai, plus vite je pourrai rentrer ».
Et elle est là, sur le podium. Les premiers accords d'une musique retentissent, et je sens mon cœur se serrer. Roxanne, le Moulin Rouge.
Pourquoi j'ai fait ça ? Il est encore temps de l'arrêter, si je me lève du bar auquel je suis désormais assis, si je la rejoins, je peux la couvrir de mon sweat et partir. Il est encore temps...
« Will drive you... Mad ! »
La voix rocailleuse, caverneuse du chanteur s'élève, et je frémis. Clark est sur la scène ; elle plante son regard dans le mien. Ses deux mains remontent le long de son bustier, caressant le satin du bout des doigts, et viennent défaire sa queue de cheval, avant de s'enfoncer dans son épaisse chevelure.
Je me sens comme paralysé devant ce spectacle.
« Roxanne... You don't have to put that red light... »
Elle balance ses hanches, avant d'effectuer un tour, son pied traçant un cercle devant elle. Puis, élançant ses bras vers le haut, elle ferme les yeux, balançant sa tête en arrière.
« His eyes, upon your face. » Arrête.
Ses dents viennent mordre sa lèvre inférieure, alors qu'elle rouvre les yeux, pour me regarder à nouveau. Elle me fixe, ignorant tous les autres hommes de la fête. Et je ne vois qu'elle, en pleine lumière, agitant son corps dansant, ses membres graciles, au rythme de mots espagnols dont je ne saisis pas le sens.
Les violons s'excitent, le rythme accélère, monte dans les aiguës, alors que ses mains descendent sur son corsage, prêtes à le défaire. Je ne réalise même pas que je ne respire plus : j'ai plus besoin d'elle que d'air, à ce moment-même. Les ondulations de ses courbes me mettent l'eau à la bouche, et je voudrais la dévorer là, maintenant, comme une délicieuse friandise qui vous bouffe les entrailles après que vous l'ayez avalée.
« Why does my heart cry... ? »
Elle l'a retiré, laissant ses seins nus, à la vue de chacun. S'en est trop : elle ne doit pas le voir.
Arrivant enfin à me défaire de son emprise, je me lève et cours vers la scène, alors que les chœurs crient et que le chanteur principal crie le nom de Roxanne. Sur le podium, Clark se fige. Les spots rouge sang parcourent son corps, exposant sa peau, sa poitrine, ses côtés saillantes aux yeux de chacun. Mais ses yeux exorbités ne me regardent plus. Elle l'a vu. Elle a vu que son père était dans la salle.
Sautant sur la scène, je retire mon sweat et le pose sur ses épaules. Elle ne bouge pas, alors que je la presse de partir. Elle ne peut pas.
Je n'aurais jamais du faire ça. A court de moyens, je la saisis par la taille, et la balance sur mon épaule. Enfin, elle semble s'éveiller, et pousse un cri, sous les huées de la foule, qui n'a pas pu savourer le show assez longtemps à son goût.
Mon regard en croise un autre dans l'audience. Deux petits yeux noirs, froids et plissés, qui me fixent d'un regard impassible. Comment un être aussi laid a-t-il pu donner naissance à une pareille créature, aussi fantasmagorique que scandaleuse ?
Je ne m'attarde pas, et après une rapide révérence à l'attention du paternel, quitte l'endroit avec Clark. Après ce soir, rien ne sera plus pareil.
Alors? Est-ce que vous pardonnez à Jesse ce qu'il vient de faire?
J'en profite pour ajouter que, si vous n'avez jamais écouté la version Moulin Rouge de Roxanne... il le faut. Allez-y tout de suite, c'est nécessaire.
Je sors ce chapitre à 22h, un dimanche soir... ahem 🥀
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