CHERRY COLA

JESSE - Connasse

Le crissement des pneus d'une moto se fait entendre dans ma rue. Puis le claquement sec d'un talon. Au rythme de ses pas, je sais qui arrive. La simple entente de ce fond sonore qui l'accompagne partout où elle va, « crissement, claquement, claquement, crissement », a suffi à me tirer de la torpeur dans laquelle j'étais plongé, allongé dans mon canapé, un bouquin ouvert sur mon visage, une jambe posée sur le dossier. Elle s'annonce, et j'attends. Je savais qu'elle finirait par venir. Elle a compris. Ça n'aura pas été long.

Enfin, on cogne à ma porte. Évidemment, elle n'aurait pas sonner. Clark ne fait jamais rien comme les autres. Me levant, je vais lui ouvrir, sans prendre la peine de vérifier que c'est bien elle : quel intérêt ? Je la reconnaîtrais entre mille autres, même sans la voir. Mon cœur se serre au toucher même de la poignée, mais je suis terriblement excité : j'ai hâte de lire la détresse dans ses yeux, la peur que ses actions soient révélées. 

Elle est devant moi. Ses cheveux laissés à l'état sauvage, tombant en lourdes boucles sur ses épaules. Sa bouche irrémédiablement cerise, humide, délicate, véritable appel au baiser. Et ses yeux... Ses yeux. 

J'ouvre les lèvres, fronçant faussement les sourcils pour signifier ma surprise empruntée. Mais aucun mot ne s'en échappe, juste un son étouffé quand la bouche de Clark rencontre la mienne, et qu'elle pose ses deux mains sur mes jours pour se maintenir à ma hauteur. Et pourtant, je suis celui qui se sent tomber à la renverse. Je reste bien en place, mais chaque parcelle de mon être semble fondre à son contact. 

Finalement, je reprends mes esprits, la repousse. Et une sensation de manque m'envahit immédiatement. Après deux ans, cette fille reste ma pure dose d'addiction. De la drogue dure en barres, dont l'effet sur moi reste le même malgré ma période de sevrage. Sa bouche est le plus délicieux, le plus délectable des fruits. Ah, non, pas le plus délicieux, il y en a un autre...

Je pose une main sur mes lèvres, troublé par l'image qui m'est venue en tête, et par ce baiser. Je ne m'attendais pas à ça. Mais, gardant visiblement mon calme et affichant une mine dégoûtée, je prends ses poignets du bout des doigts et l'oblige à lâcher mes joues, avant de reculer d'un pas.

- Toi. Tu gardes tes distances, tu n'envahis pas mon espace personnel, je parviens à articuler, désignant d'un geste l'écart qui nous sépare désormais.

- Oh non, Jesse, pas à moi.

Elle prononce mon nom. Un frisson me parcourt. Elle le prononce comme personne ne sait le faire, c'est incroyable. Cet accent chaud, lové dans sa gorge, déformant les mots les plus simples et lui donnant cette voix de jeune ingénue n'a pas changé. Elle me tuera. 

Elle m'a déjà tué. Mille petite morts qu'elle a parsemées sur mon corps et dans mon âme à chacun de ses mots, chacune de ses trahisons.

- C'est pour ça que tu m'as envoyé ce message. C'est parce que tu peux pas m'oublier, parce que tu me veux encore et toujours autant que quand on avait 19 ans. T'es pas le premier, tu seras pas le dernier. Mais toi, tu as quelque chose contre moi. Et je n'aime pas qu'on joue avec moi. Alors vas-y, prends-moi, fais ce que tu veux, assouvis tes fantasmes frustrés et fous moi la paix une bonne fois pour toute.

Le brune avance d'un pas, je recule d'un autre. Voilà, là, je la retrouve. Bottée jusqu'en haut des cuisses, elle semble tout droit sortie d'une chanson de Serge Gainsbourg. Et c'est comme un calice à sa beauté.

- T'adores qu'on joue avec toi, Clark. C'est ce que tu préfères. C'est bien pour ça que t'es là.

- Voilà, là, je te retrouve.

Je n'ai pas pu m'en empêcher. C'est vrai, elle vit de ça : être traitée comme un jouet. Un jouet cassé. Mais ce n'est pas le moment d'entrer dans sa danse verbale. Je dois me reprendre. Écarquillant les yeux, je fais mine de tout juste comprendre ce qu'elle m'a annoncé plus tôt. 

- « Ce message » ? Quel message ?

- Celui que tu m'as envoyé hier, me disant que tu savais tout de ma jeunesse et de mes crimes, et que j'étais tout à toi, maintenant.

- Je sais pas quel taré s'amuse avec toi, ou si t'as juste inventé cette excuse à la con pour venir me voir, mais j'ai rien à voir avec ça, alors maintenant dégage de ma maison avant que je n'appelle les flics.

Un rire clair glisse d'entre ses lèvres.

- La police ? Tu veux que je leur raconte comment t'as acheté cette maison, à la police ?

- Je te retourne la question.

Elle soupire, roulant des yeux, avant de sortir son portable et de me le montrer. Sur l'écran s'affiche un unique message : « 15/06/25 ».

- Et c'est tout ? Je demande, faussement perplexe.

- C'est la date du casse, ne fais pas l'idiot. J'ai reçu une lettre, juste après le message. Me donnant un ordre.

Croisant les bras, je fais mine d'être perplexe. En réalité, c'est loin d'être le cas : j'ai envoyé la lettre et je suis aussi très satisfait de son contenu. « Arrête de boire du Cherry Cola ». De prime abord, ça n'a aucun sens. Or cette boisson est ce qu'elle préfère, elle tuerait père et mère pour en avoir -quoiqu'elle tuerait son père pour un dollar à mon avis.

Et le lui interdire, c'est montré que celui qui lui fait du chantage connaît tout d'elle, par un simple ordre. On pourrait penser que ça m'expose, mais elle n'a aucune preuve qu'il s'agit bien de moi, ça pourrait être n'importe qui, un autre ex, un stalker... Je veux juste lui faire peur avec une connerie. La première d'une longue liste.

- Un ordre ?

- Stupide, en plus. M'ordonnant de ne plus boire de Cherry Cola.

- Quoi ? C'est complètement con. Quel intérêt de te faire ce genre de chantage ?

- ... C'est vraiment pas toi ?

Je lève les yeux et les mains au ciel, comme si elle venait enfin de réaliser que je n'y étais pour rien. Finalement, je suis peut-être qualifié pour la comédie...

- Mais pourquoi je suis la seule menacée, alors qu'on était deux... ?

- Peut-être parce que t'es cinquante fois plus friquée que moi. Et que t'as fait du mal à cinquante fois plus de personnes. Et par personne, j'entends hommes dont t'as brisé le cœur et femmes dont t'as brisé le couple.

- Enfoiré.

- Connasse.

Une de ses petites dents blanches vient mordre sa lèvre inférieure, alors qu'elle se balance de droite à gauche. 

- Je sais que Kim n'aurait jamais parlé de ça à qui que ce soit. Alors à qui tu l'as dit ? Vous êtes, ou du moins étiez, les deux seuls au courant.

- Tu penses que j'en aurais parlé à qui que ce soit ? Je suis aussi incriminé que toi.

- Mais alors qui ?!

Elle commence à perdre son calme, et je peux voir ses joues rosir sous l'afflux de sang et d'agacement qui lui monte à la tête. Si je ne la méprisait pas autant, je l'attirerais à l'intérieur et la prendrait là, contre le mur de l'entrée. Mais comme toujours, je suis celui qui garde son sang froid face à ses éclats.

- J'en sais rien, et je me sens pas concerné, alors j'aimerais que tu me foutes la paix.

Et sur ces paroles, je referme la porte, avec la nette satisfaction de voir son visage disparaître derrière celle-ci sans qu'elle ait le temps de réagir. Mais alors que je retourne dans mon salon, je la vois se précipiter vers la fenêtre, pour souffler dessus et y créer une buée, avant d'y inscrire quelques mots du bout du doigt.

« Sale pute ». J'avais oublié son éloquence. Et, tandis qu'elle s'éloigne, les mots s'estompent peu à peu.

Pour des retrouvailles, ça aurait pu se passer bien plus mal. Elle ne sait pas encore ce qui va lui tomber dessus. Et elle ne sait encore à quel point elle va tomber pour moi.

Claquements et crissements. Le moteur vrombit, et elle est partie.

Le soir venu 

Le liquide rougeâtre valse un peu dans le verre, tandis que nous trinquons. Sous la table, une mallette, dont je connais déjà le contenu, prête à m'être donnée, et derrière nous, un garde du corps, surveillant le précieux bagage. 

Je prends une gorgée de sangria, avec un sourire en coin, tout en sentant mon portable qui ne cesse de vibrer dans ma poche. Clark n'a cessé de rappeler ce numéro, d'envoyer des messages. Et je répondais toujours la même chose. « Arrête le Cherry Cola ». C'est à l'ordre du jour. Demain en viendra un autre.

- Vous pensez vraiment pouvoir la rendre accro ? Me demande Vanessa, après que je lui ai expliqué mon plan.

- Bien sûr. Cette fille se comporte constamment avec les hommes comme si elle avait besoin qu'ils soient à la fois ses bourreaux et ses sauveurs. Je serai là pour lui donner les deux.

- J'arrive pas à savoir si c'est terriblement intelligent, terriblement prétentieux, ou terriblement à côté de la plaque et simpliste.

- Avec Clark, il faut rester simple. Parce que sinon, elle vous prend à son propre jeu. Elle a déjà deviné que c'était moi, à vrai dire.

- Pardon ? Déjà ?

Je hausse les épaules.

- J'ai démenti. Elle peut être aussi sûre que c'est moi que possible, si elle n'a pas de preuve, elle continuera à se retourner la tête pour trouver quelqu'un de plus plausible. Elle déteste fonder ses convictions sur des intuitions.

- Oh.

Mon téléphone vibre à nouveau, et cette fois j'y jette un coup d'œil. Un message de Clark, encore.

« Sale pute. » Un sourire étire mes lèvres, et je secoue la tête, avant de prendre un nouvelle gorgée de sangria.

Alors, un avis sur Clark, sur Jesse?
Je vous aime d'amour ♥️

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