Chapitre 5

Immédiatement après le départ des humains, Elfie voulut courir en direction du corps de son père, mais sa sœur l'en empêcha. Elle avait le pressentiment que tous n'étaient pas partis. Seraient-ils assez fourbes pour les empêcher de pleurer leur père ? Elle commençait à croire que c'était possible. Alors, quand la jeune fille aux cheveux de lune tenta de franchir la porte, elle l'attrapa par l'avant-bras pour la retenir et lui fit les gros yeux.

— Laisse-moi passer devant.

— Pourquoi ? Moi aussi j'ai le droit de voir papa ! réclama-t-elle comme une gamine boudeuse.

— Oh ne fais pas ton bébé ! Tu as entendu ces enragés comme moi ! Tu feras comment si l'un d'entre eux est resté à la traîne pour nous épier ?

— Oui, je sais...

Sentant la détresse dans la voix de sa jumelle, Louve l'attira à elle pour la serrer dans ses bras.

— Comment allons-nous faire ?

— Ne t'en fais pas, j'ai une idée.

Ses yeux se mirent à luire d'un intense violine et de sa bouche sortit un léger hululement, tandis qu'à l'extérieur, des battements d'ailes se firent entendre. Ce ne fut qu'au bout de très longues minutes que les yeux de Louve reprirent leur teinte violette habituelle et elle dévisagea sa jumelle pendant de longues secondes, avant de frissonner.

— On va pouvoir y aller. Mais je dois te dire que...

Un sanglot obstrua la gorge de la jeune fée en repensant aux descriptions que lui avaient faites les chouettes de ce qui les attendait là-dehors. Elle savait qu'elle devait y aller. Elfie et elle devaient affronter la vérité, aussi horrible était-elle. Elle voulait surtout se souvenir de ce que ces gens leur avait fait afin de leur faire payer. Jusqu'au dernier, elle ferait de leur vie un enfer. Elle les ferait souffrir. Souffrir et mourir dans une lente agonie. Telle était la promesse qu'elle formula dans son esprit au moment de poser la main sur la poignée de la porte.

— Qu'est-ce qu'il y a Lou ? demanda la plus fragile des deux sœurs en prenant sa main.

— Ce qu'ils ont fait à papa... C'est vraiment moche. Ils ont été barbares et inhumains. Ils nous traitent de monstre, mais ce qu'ils ont fait est une abomination. Ils se pensent au-dessus de tout et de tout le monde. Ils devront payer pour ce qu'ils ont fait. Je te promets que je leur ferai payer Fifi.

— Je te crois.

Louve prit une grande inspiration.

— Prête ?

— Prête.

Et elles sortirent dans la torpeur étouffante de l'après-midi. L'une à côté de l'autre, elles virent non loin un corps qui avait été laissé là, tel un déchet dont on ne veut pas s'encombrer. Et il y avait du sang. Beaucoup de sang. Louve se retourna vers sa sœur pour voir son visage mue par l'horreur de la scène. Elle la serra contre elle, lui camouflant la vue en la gardant tout contre son épaule et lui demanda :

— Tu veux rentrer ? Si tu veux je continue toute seule.

— N...on, répondit une petite voix chevrotante. Je... je veux le... voir...

Elle prit donc le visage de sa jumelle entre ses mains et la regarda dans les yeux tout en lui essuyant les joues de ses deux pouces. Elle trouva de la force les dieux seuls savaient comment et tenta de rassurer Elfie.

— Il n'est plus là, Fifi. C'est juste de la chair. Je suis certaine que son esprit est en paix et qu'il va veiller sur nous de là où il est, tout comme mama.

— Tu crois qu'ils se sont retrouvés ?

— J'en suis persuadée, mentit-elle. Tout comme je suis persuadée qu'ils sont très heureux d'être ensemble.

Mensonges ! Elle ne croyait ni aux forces supérieures, ni au monde d'après. S'ils avaient existé, Navi leur aurait forcément fait un signe depuis tout ce temps. Néanmoins, tout ce qui comptait était de rassurer sa sœur. Elle avait juré de veiller sur elle. C'était la seule chose qui l'avait retenu de ne pas s'en prendre à ces barbares d'humains.

Lorsque sa sœur eût enfin retrouvé une respiration calme, Louve lui prit la main et, elles deux, elles reprirent la direction du corps. C'était abominable. Le pauvre homme avait tellement été roué de coups qu'il avait été défiguré. Il en avait même perdu un globe oculaire. Une hache lui avait labouré le bassin et on voyait les traces de lames prouvant qu'il y avait eu là un travail non accompli.

Ces humains étaient des abominations. Des monstres.

Pourquoi Navi s'était-elle cachée du peuple des fées pour se retrouver dans un village à côtoyer de tels individus ? Pourquoi avait-elle quitté les siens pour rejoindre un peuple qui n'avait d'humains que le nom ?

Elfie et elle n'allait pas partir. Pas tant que justice ne serait pas rendue à leur père. Et cela, elle devait le faire seule. L'âme de sa douce Fifi ne pouvait être obscurcie par les affres de la colère et de la vengeance. Louve la protégerait au dépend de son âme et même au dépend de sa vie. Elle lui trouverait une cache sûre, si elle le pouvait.

— Lou... Qu'ont-ils fait à père ?

— Ils l'ont traité avec encore moins de respect qu'on adresse à un animal. Ils l'ont pris pour cible et ont décidé de passer toute leur peur et leur fureur sur lui. Ils ont peur de nous, alors ils se sont vengés sur lui. Mais ne t'en fais pas Fifi, ce crime ne restera pas impuni. Papa nous a appris l'ordre, l'obéissance et la justice. Nous resterons dans ce village jusqu'à ce que nous leur ayons inculqué ces valeurs à notre tour.

Alors que la nuit était encore loin de tomber, le ciel se recouvrit d'un épais manteau de nuages. Des nuages aussi noirs que le charbon qui servait à allumer le feu dans les foyers des cheminées. L'ombre... L'ombre était là et elle recouvrait tout. Tant de pouvoir... Louve ressentait tant de pouvoir. Elle tenait la vie et la mort entre ses mains. Maintenant la question était : qu'allait-elle en faire ? La mort d'un être cher réclamait un grand sacrifice pour les Ténèbres, elle le ressentait au plus profond de son être. Alors qui ? Les animaux ? Non !! Ils ne méritaient pas de subir les conséquences des actes perpétrés par leurs maîtres. Non... Une autre idée vint à Louve. Puisque les troubles avaient commencé à cause d'enfants...

— Lou ! Lou ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu as les yeux tout noirs, tu me fais peur.

Mais Louve était loin, très loin. Son corps était près de son défunt père et de sa sœur, mais son esprit voyageait à travers les maisonnées qui peuplaient le village. Et elle les visita une par une, jusqu'à sentir le goût du sang sur le bout de sa langue. Et enfin, elle sourit. Sourire qui se transforma en ricanement lorsque des hurlements de douleur traversèrent les ténèbres pour venir sonner telle une mélodie aux tympans de la jeune femme.

— Que... Que se passe-t-il ?

— L'Ombre m'a offert sur un plateau d'argent l'opportunité de venger notre père. Par la Ténèbre, j'ai accepté.

— Mais..., la peur se dessina dans les beaux yeux dorés d'Elfie. Lou, que fais-tu ? Mama nous a disait qu'il fallait toujours se tourner vers la Lumière. La Ténèbre ne pourra jamais nous apporter rien de bon.

— Papa et Mama vouaient leur vie à la Lumière et regarde ce qu'ils sont devenus ! persifla-t-elle. Toi tu dois préserver ta Lumière ma douce Fifi. J'accepte la Ténèbre pour te permettre d'avoir le choix et pouvoir te protéger. Vis, vole, brille, car telle est ta destinée. La mienne est toute autre. Tout est très clair maintenant.

Et soudain ce fut le silence. Plus de vents, plus de pleurs, plus un son. Louve effaça l'unique larme qui s'était échappée de son regard et se tourna vers la cabane à outils pour aller chercher des pelles. Elle en tendit alors une à sa sœur.

— Enterrons-le. Il mérite de reposer en paix.

— Oui...

Elfie était toujours sonnée par les mots qu'avait eu sa sœur. Mais, grâce à la Lumière, elle ignorait encore tout de leur sens. Tout ce qu'elle savait c'était que sa sœur avançait au bord d'un précipice et qu'il était de son rôle de tout faire pour qu'elle n'y tombe pas.

Elles travaillèrent durement, mais avec rigueur, jusqu'à avoir creusé un trou de taille convenable. Lorsque ce fut fait, Louve descendit dedans pour accueillir le corps que sa sœur lui avait amené. Puis elles se tinrent la main, regardant le trou sous leurs yeux.

— Tu veux dire quelques mots Fifi ?

— Père... Je t'aime tant. Et tu vas tant me manquer... Comment allons-nous survivre sans toi ? Ces gens que tu pensais bons, que sont-ils au juste ? Comment devons nous vivre avec cette douleur ? Ça fait... beaucoup trop mal...

Elle ne parvint pas à dire un mot de plus tant elle pleurait. Elle ne put que s'arrêter quelques secondes pour dire à sa sœur :

— À toi Lou.

La petite fille jeta une poignée de terre et jura :

— Je n'oublierai pas.

Les jumelles restèrent là des heures, observant un corps sans vie. Un corps en charpie. Le corps de leur père qui les avait quittées... À tout jamais.

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