2.1

paris, 7 février 2020.

T'étais heureuse. T'observes une nouvelle fois la bague qui orne ton doigt. Ça faisait quelques semaines que t'avais pas pu le voir. T'avais fait le tour de l'Europe, allant de compet en compet, engrangeant des points pour conquérir le dossard jaune. Et peut-être que t'allais réussir à finir la saison en le portant sur les épaules. Tu l'espérais. C'était tout ce dont tu rêvais. Mais la norvégienne était en travers de ton chemin et tu comptais bien ne pas te faire rattraper. Alors tu ne laissais rien te distraire. Rien d'autre que ton Julian qui t'avait proposé un court week-end sur Paris alors que t'avais quelques jours des repos. 

La journée avait été sympathique. Le soleil tapait doucement en ce mois de février et vous aviez fait une balade dans un parc. T'avais eu le droit à ta dose de verdure. Quelques supporters vous avez arrêtés mais ça n'avait pas duré. T'avais vu les regards peu enchantés que t'avaient lancé quelques filles que t'avais même pas regardées. Parce qu'elles pouvaient bien être jalouses que tu t'en moquais. À tes côtés, c'était l'homme que t'allais un jour épouser. Celui que t'aimais bien trop.

J'me disais qu'on aurait pu s'faire un resto. 

J'ai soirée avec les gars. 

T'as ton sourire qui s'évanouit à la réponse de ton fiancé. Tu bouillonnes. Il t'énerve. T'étais plus rien pour lui. Rien du tout. Depuis quand est-ce qu'il s'intéressait si peu à toi ? Les souvenirs de tes championnats du monde un an plus tôt remontent et ça te détruit de l'intérieur. Il n'y était pas, et il ne semblait pas plus présent pour toi quand tu faisais le déplacement pour lui.

T'es tout l'temps en soirée quand j'suis là, on a qu'une journée et... 

Il t'avait fait venir pour quoi exactement ? Tu comprenais pas. Tu comprenais plus. C'était censé être un week-end à deux, entre amoureux, comme vous n'aviez pas pu en faire depuis sa demande en mariage et la fin de vos vacances. 

Faut faire travailler l'esprit d'équipe et... 

Il se foutait de ta gueule ? Il rigolait là ? Il était en train de te faire une immense blague ? Et y a tout qui ressort. Tout ce que tu ne supportais plus chez lui. Tout ce que tu gardais pour toi depuis trop longtemps. Toutes les déceptions accumulées au fur et à mesure du temps.

Tu m'saoules Julian t'entends. J'en ai marre. C'est quand la dernière fois que t'es v'nu m'voir en compet ? 

Silence en réponse. Ça t'arrête pas. 

Ben je... 

Évidemment qu'il ne savait pas. Comment aurait-il pu s'en rappeler, ça faisait si longtemps. Des années qu'il ne venait plus. Des années à guetter le public dans l'espoir qu'il t'ait fait une surprise qu'il ne faisait pourtant jamais. Des années de déceptions chaque semaine quand il ne venait pas.

Tu sais pas ? Et ben j'vais t'le dire. Ça fait trois ans. 

Trois ans qu'il était pas venu te voir. Trois ans que t'allais le voir cirer le  banc et qu'il prenait pas une journée pour venir te voir gagner. Trois ans que tous tes espoirs se faisaient bien trop souvent doucher.

Et qui était là quand tu cirais l'banc face à Amiens ? Qui s'est bougée pour venir t'voir face à Bruges ? 

T'en avais marre. Marre de lui, de l'éloignement qui te pesait de plus en plus, de votre vie. Marre d'être la cinquième roue d'un carrosse dont t'aurais dû être la première. Marre de le faire passer avant tout et qu'il te rende jamais la pareille. Tu lui demandais pourtant pas la lune, juste un week-end toutes les trois ou quatre semaines, voir plus. Mais même ça, il arrivait pas à te l'accorder.

Dora...

Ta gueule Draxler, j'en ai marre. M'fais pas croire que t'as pas les moyens de v'nir m'voir concourir. Avec l'fric que t'as, monter dans un avion, ça prend pas longtemps. - Tu marques une pause. - Même au Grand Bo t'étais pas là alors que t'étais en vacs le dimanche. Mais non, Môsieur préférait fêter sa fin d'année avec ses potes et des meufs dans un bar que d'aller voir sa petite-amie en course.

J'aime pas l'biathlon. 

T'éclates de rire. Pourtant ton cœur s'est serré violemment. La colère s'insinue dans tout ton organisme. Depuis quand il n'aimait pas ton sport ? 

Parce que tu crois qu'j'aime voir des millionnaires taper dans un ballon ? Si j'vais voir des matchs c'est juste pour toi et personne d'autre, sinon j'irai voir du hockey ou des compets d'slalom et d'saut à ski. Tu pourrais au moins m'rendre la pareille une fois de temps en temps.

Et il répond rien. Il se contente de baisser la tête. Ça t'arrête pas, ça explose complètement. Parce que tout ce que tu gardais pour toi depuis trop longtemps ressort. Tout ce que t'avais tenté d'évoquer sans qu'il comprenne que c'était important pour toi si tu en parlais ressort amplifié. La colère, la déception, la solitude, les soirées que tu détestais avec ses coéquipiers, le fait qu'il s'occupe jamais de toi, même quand vous étiez en soirée ensemble. 

J'sacrifie tout pour toi. Mes vacances à la montagne pour tes vacances à la plage, à Dubaï ou en Espagne. J'aime pas ça. J'aime les grands espaces, les randos, la neige l'hiver, et jamais t'as dit oui à mes propositions. C'est toujours le nouvel an avec tes potes footeux et leurs bimbos et jamais avec mes coéquipiers ou mes adversaires et leurs familles aux pieds sur terre. 

Tu les détestais. Ils étaient superficiels. Ils étaient arrogants. Ils te prenaient tous de haut. Et ça valait aussi pour leurs trophées qu'ils trainaient à côté d'eux. Celles qui gloussaient et comparaient la taille de leur bague. Celles qui parlaient sport et abdos sans être capable d'en faire la moindre série. Celles qui se forçaient à pas manger pour pas prendre de poids et pouvoir continuer d'être potables sur les photos. Celles dont on voyait tous leurs défauts cachés sous leur couche de maquillage de plus près. Celles qui parlaient du prix de leur robe comme si ça intéressait quelqu'un. Celles qui te regardaient comme si t'étais un extraterrestre avec tes robes simples, légères et que ta tante te cousait parce qu'elle était couturière. 

Ouais c'est tes potes, mais moi j'aimerais bien une fois d'temps en temps pouvoir profiter des miens avec toi pendant les fêtes de fin d'année. Lukas nous a proposé de passer quelques jours chez lui, il habite dans une des plus belles régions d'Italie et t'as dit non. Qu'est-ce qu'ils ont qui t'plait pas ? Le fait qu'ils aient un peu d'décence, qu'ils aiment d'autres choses qu'toi, qu'ils s'agenouillent pas d'vant toi comme si t'étais un dieu vivant ? Mais moi c'est avec eux que j'me sens bien. Parce qu'ils vibrent sur la même longueur d'ondes qu'moi.

Dora... 

Il essaye de t'attraper la main mais tu l'évites aisément. Tes muscles sont crispés et tes pupilles le fusillent.

Mais Dora, me dis pas que t'as pas envie de faire des soirées avec eux. Tout le monde en rêverait.

Rire moqueur qui t'échappe. 

Redescend sur Terre. T'es personne Draxler, t'es qu'un footballeur raté qui passe son temps à cirer l'banc parce qu'il a vu trop gros. 

Mots qui dépassent ta pensée qui claquent dans l'air. Tu vois pas son mouvement de recul. Tu continues sur ta lancée. Plus rien ne semble pouvoir t'arrêter de lui dire ses quatre vérités en face. Celles que t'aurais certainement dû dire bien plus tôt. Les photos que t'aurais jamais dû regarder, les souvenirs de ses vidéos en soirée, tout remonte. Aussi ce que ça te faisait à chaque fois que tu les voyais même si Lucky te disait que c'était rien. Mais c'était toujours elles et jamais toi à ses côtés.

C'que t'es dev'nu m'dégoûtes. Tes photos en boite dans les bras d'autres meufs m'dégoûtent. Tes potes footeux déconnectés de la réalité me dégoûtent. On s'prend jamais en photo. T'as honte de moi ? Et ben moi j'ai honte d't'avoir dit oui. Tu sais quoi Ju, va r'trouver tes bonnes meufs en soirée, prends-toi en photo avec elle, baise-les si ça t'chante, je rentre chez moi.

Et tu retires ta bague de fiançailles. Certainement bien trop rapidement.

Tiens, r'prends-là, elle devrait pouvoir t'resservir dans pas longtemps à ton rythme. Moi j'rentre. 

Tu la lui glisses dans la main. 

Tu veux qu'j'appelle un taxi ? 

Il parait un peu paumé et toi tu te mets à rire. 

─ Non Ju, j'rentre chez moi, en Italie. J'ai jamais aimé Paris, on est les uns sur les autres, y a pas un brin d'herbe, c'est plat partout et j'vois pas pourquoi ça s'rait à moi d'faire les allers-r'tours, moi aussi j'm'entraine, moi aussi j'ai des compets importantes qui arrivent. 

Et t'allais certainement pas perdre à cause de lui. Ta carrière, t'aurais toujours dû la faire passer avant lui. Après tout, il faisait bien passer sa carrière et surtout ses soirées et ses potes avant toi, lui. 

J'vois pas pourquoi j'devrais v'nir ici juste parce qu't'as pas l'temps à cause d'un putain d'match de Champions League où tu s'ras sur l'banc alors qu'j'ai les championnats du monde la s'maine prochaine et que j'pourrais y perdre ma première place. Mais bon, t'avais dû oublier. Alors bon match, et t'sais quoi, j'espère qu'mardi prochain ça s'ra les allemands qui auront gagné, t'sais tes ennemis jaunes, t'façon j'les ai toujours préférés à Schalke, même quand tu jouais pour eux. 

Tu le laisses en plan. Tu te détournes et tu commences à t'éloigner dans la rue. L'air frais te fouette le visage et ça te fait du bien.

DORAAA ! Attends ! 

T'entends ses cris derrière toi, mais tu te retournes pas. Pas cette fois. Il t'avait fait trop de mal. Bien trop de mal. Et aujourd'hui c'était certainement la déception de trop. Parce que t'avais cru que tout changerait après sa demande. Et tu venais de comprendre que ce serait jamais le cas. Tu serais toujours la numéro deux dans sa vie. Parce que c'étaient ses potes les numéros un. Mais tu pouvais plus te contenter de cette place-là, tu l'avais acceptée pendant bien trop longtemps. Tu le voyais jamais et tu pouvais pas le partager quand vous n'aviez que quelques petites heures tous les deux. Tu t'engouffres dans le premier taxi que tu croises. 

À l'aéroport s'il vous plait. 

Tu réserves un vol en même temps que la voiture roule dans la ville. Tu serais chez toi le soir même. 

Je peux venir ce soir ?

Tu t'effondres dans les bras de Lukas quand il t'ouvre la porte de chez lui. Les larmes roulent sur tes joues, comme elles pouvaient couler depuis que t'avais mis pied à terre et que t'étais entrée dans ta voiture. T'avais pleuré tout le trajet. Tu le sens qui t'enveloppe dans ses bras. 

C'est Julian ? 

T'as même pas la force de parler. Tu te contentes de hocher la tête. 

C'est qu'une passade Dora. 

Mais t'y crois plus. Parce que t'es pas certaine qu'il change un jour. Et tu l'accepterais pas s'il était pas capable de changer un minimum pour toi. Tu te calmes peu à peu, serrée dans ses bras puissants, musclés par les heures et les heures à pousser sur ses bâtons de ski et à tenir une carabine à bout de bras à l'entrainement. 

J'ai rompu. 

Et t'éclates à nouveau en sanglots. T'aurais jamais dû le faire. C'était idiot. Tu l'aimais trop pour être loin de lui. Tu pouvais pas être sans lui. Pas après près de dix ans passés à ses côtés. Qu'est-ce que t'allais être sans lui ? Alors tu t'effondres. 

Tu t'endors rapidement ce soir-là, épuisée, dans le canapé de ton meilleur ami. Mais quand tu te réveilles le lendemain matin, le mauvais rêve n'est pas terminé, et il l'est encore moins lorsque tu tombes sur les photos de la soirée, avec un Julian tout sourire aux bras d'une belle brune aux cheveux bouclés. Le genre de fille que tous ses coéquipiers avaient . Il n'en avait strictement rien à faire de toi, ça ne lui avait rien fait du tout que tu partes et t'en avais désormais la preuve irréfutable.

Dora. T'as bien dormi ? 

Tu peux lire l'inquiétude dans le regard de Lukas qui entre dans la cuisine où tu es déjà attablée, buvant un verre de jus d'orange que t'as pris dans son frigo. 

Ouais, t'inquiète pas. 

Pourtant, tu t'es vue dans le miroir et ça se voyait rien que sur ton visage que ça n'avait pas été le cas. T'as des cernes, t'as les yeux rougis. T'allais pas bien. T'avais bien trop pleuré. T'arrives à rien avaler. T'as l'estomac bien trop noué. 

Il s'en moque de moi. 

Portable que tu fais glisser sur la table et Lukas soupire en regardant ce qui s'y affiche. 

Vaut mieux pas qu'il soit en face de moi maintenant, j'te l'dis. 

Il arrive à t'arracher un petit rire. 

Tu mérites le meilleur Do' et il sera jamais capable de te l'apporter. 

Et peut-être qu'il avait raison. Il te l'avait jamais dit avant, ou beaucoup moins directement. Tu le lisais parfois dans ses regards, tu l'entendais dans ses intonations qu'il était pas particulièrement fan de l'allemand. Mais il t'avait jamais fait de remarques aussi claires sur ce qu'il pouvait penser de ton couple et de ton Ju. 

Prends ton temps, réfléchis, vous avez peut-être juste besoin d'faire une petite pause. 

Tu soupires quand tu repenses à  la situation. Les larmes te remontent immédiatement aux yeux. 

J'aurais pas dû.

Quoi ? Rompre ? 

Tu regrettais déjà. C'était idiot votre dispute. T'en avais fait des tonnes pour pas grand-chose. C'était juste une petite soirée. T'aurais dû t'expliquer calmement, lui expliquer ton point de vue. 

Ouais, c'était juste qu'il voulait aller en soirée et j'aurais préféré qu'on reste à deux. C'était rien, j'aurais dû passer au dessus, ou l'accompagner.

Tu te laisses tomber dans un de ses fauteuils moelleux. T'as le regard qui s'attarde sur le feu qui danse dans la cheminée. Une maison comme tu les aimais. Celles qui transpiraient la convivialité. 

Dora. Ça fait des mois que ça va plus. Ça fait des mois que tu fais sans cesse les mêmes reproches et que rien ne semble changer.

Mais j'aurais pu lui en reparler, faire, je sais pas, un genre d'ultimatum. 

Tu l'entends soupirer. Tu relèves le visage vers lui et tu lis l'énervement dans son regard.

Non. Tu crois pas que tu lui as laissé suffisamment de chances de faire les choses bien avec toi ? J'ai l'impression que depuis trois ans, la seule fois où il a géré c'est quand il t'a demandé de l'épouser. Mais ça fait juste quand même. T'as pas à être la seule à faire des concessions.

Tu fixes tes pupilles sur le mur alors que tu réfléchis. Et il avait peut-être raison. Il avait toujours raison de toute façon. 

Mais tu crois... 

Tu te fais couper avant d'avoir pu développer ta pensée. 

S'il t'aime autant qu'il t'le dit, il cherchera à se rattraper. Il s'améliorera. S'il en est pas capable, alors il mérite pas une femme comme toi. 

Tu lui forces un sourire. Parce que cette possibilité te détruisait rien qu'à l'envisager. Tu voulais pas l'envisager. C'était qu'une petite pause. Il allait venir s'excuser. Il allait comprendre. Et tout redeviendrait comme au début. 

C'est pas forcément la fin Dora, ça peut aussi être un nouveau départ s'il est pas aussi con que je le pense. 

Ton regard bleuté croise le sien qui est énervé. Il arrivait toujours à trouver les mots, il était celui qui te comprenait le mieux, peut-être encore plus que Julian. Parce que Lukas te connaissait depuis que tu étais enfant. Vous vous étiez croisés si jeunes sur les camps d'entrainement. Et il te comprenait aussi mieux parce que ça faisait des années que Julian te comprenait plus vraiment. Ou qu'il ne le voulait pas. Main tendue que t'attrapes sans hésiter. Il tire un coup dessus et tu te retrouves debout. 

Aller, viens, on va skier.

Et quand tu rentres épuisée et que tu t'effondres sur son canapé toute habillée, tu te dis qu'il avait encore compris comment te changer les idées. Et c'était tout ce que tu lui avais toujours demandé. 

Merci Lucky.

Il se tourne vers toi alors qu'il s'affairait à enlever sa tenue. 

D'être toujours là pour moi. 

Il te sourit. 

Les amis sont faits pour ça. 

Et peut-être qu'il avait raison. Et puis, c'était tellement plus simple l'amitié. 

le début des emmerdes (il était peut-être temps d'agir ^^ ). Etonné ou pas de la réaction de Dorothea ?

j'espère que ça vous a plu. à la semaine pro pour la réaction (ou non) de julian !

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