8. Margot et les pansements.
AUGUSTIN ET Gene revinrent finalement ; la brune se dandinait joyeusement et dégaina des vins fruités premiers prix du supermarché.
"Ceux qui ont faim allez vous faire voir et acheter votre bouffe vous-même, fallait venir avec nous, protesta la brune en se laissant tomber dans le sable."
Le copain d'Estelle la retrouva bien vite, la délivrant de mon emprise. Je la sentis se détendre d'un coup, comme s'il dégageait une aura rassurante, comme s'il la prenait dans les bras juste à lui frôler la peau.
Le reste de l'après-midi se déroula agréablement bien. Il y avait la léthargie de la plage couplée à la paresse du vin qui ne donnait envie de rien faire. Les plus chahuteurs étaient partis barboter et s'aspergeaient d'eau glacée en poussant des petits cris. Gene était de ceux-là.
Circé avait ouvert un livre et ne laissait personne la déranger, pas même Rémy en train de lui indiquer que son dos brûlait et qu'elle avait besoin de crème. Léna et mon frère étaient inséparables mais ce n'était pas pour me déplaire : au moins il restait loin de moi. Je restais donc à somnoler à côté d'Estelle qui dormait, elle aussi. Augustin alternait entre baignade et repos.
Finalement, Margot insista pour que je vienne me baigner avec elle. Je déclinais la proposition mais elle persista, me glissant un regard appuyé : je compris alors que la mer n'était qu'un prétexte.
Je réprimais un cri lorsqu'elle m'emmena sans ménagement dans l'eau glacée sans préparation mentale : je m'attendais à tremper un orteil, voire une cheville. Pas d'avoir de l'eau jusqu'à la poitrine.
"Léna kiffe ton frère.
- Ah bon ? ironisais-je."
Margot lui glissa un regard en coin.
"J'la connais, Léna, elle est mignonne, elle est gentille, elle se fait des montagnes de rien et là elle s'imagine déjà avec une grande robe blanche.
- C'est une manie dans ce coin là ou quoi ?"
Margot esquissa un rire amer.
"Tu crois pas si bien dire. Tout ça pour te dire que si ton frère lui brise le coeur, je lui casse la gueule.
- Je t'en voudrais pas."
La brune affichait souvent cette mine renfrognée, presqu'hargneuse ; sans surprise, je découvris en dessous de cette facette froide quelqu'un qui protégeait son entourage. Les gens comme Margot étaient généralement de ceux-là : ils tenaient deux-trois personnes près de leur coeur et sortaient les griffes. De manière plus générale encore, la personne qu'il tenait au plus près de leur thorax était eux-mêmes.
"Si tu m'en voudras. Tu dis ça parce que tu penses que je le ferais pas, parce que c'est une expression. Mais si je fais de sa vie un enfer, tu m'en voudras.
- Comment tu voudrais faire de sa vie un enfer ? Il vit super loin.
- Façon de parler, grogna Margot."
Elle glissa un regard félin sur la rousse, qui papillonnait autour de ce qui me servait de jumeau. Aérienne, nerveuse, elle riait pour rien, tâtonnante. Mon frère, lui, était enveloppé de cette nonchalance habituelle. Il regardait parfois ailleurs et finit d'ailleurs par croiser mon regard. Brandissant le bras en l'air avec un sourire croissant, il me cria :
"Ohé ! Ohé Rochelle !"
Je regardais Margot et grognais entre mes dents :
"Je t'en voudrais vraiment pas si tu lui casses la gueule."
La brune esquissa un sourire en coin et rendit à Martin son salut. Finalement, la petite bande installée dans le sable imita la geste, plus ou moins timidement.
"Et toi, Roman ? fis-je alors.
- C'est juste un pote.
- Ah bon ?"
J'avais pris un ton conspirateur mais Margot fit comme si elle n'avait pas entendu. Visiblement, la Margot sobre n'était pas très drôle. Déjà que celle qui avait bu ne l'était pas tant...
Je compris alors bien vite que le Margot sobre était perfide. Elle détourna le regard vers Gene, en pleine bataille d'eau avec Noé. La jeune fille piaillait à qui voulait l'entendre que l'eau était glacée mais ne se dérangeait pas pour envoyer des algues gluantes sur le torse du garçon.
Un sourire sinueux arqua les lèvres de la brune.
"Mais toi... Gene ?
- Quoi, Gene ?
- Elle a passé la soirée à te draguer, faudrait être aveugle pour pas le remarquer, Rochelle, soupira Margot. Ton frère est peut-être con, mais lui au moins, il a capté que Léna était une carpette à ses pieds."
J'étais assez mal à l'aise. Martin était-il un guet-apens pour m'emmener jusqu'ici, seule au milieu de la froide eau de l'Atlantique ? Elle m'avait démontré qu'elle était capable de défendre ses proches bec et ongle. Allais-je finir noyée par la brunette, sans avoir vu l'aube de mes dix-huit ans et de mon futur tatouage de mouette sur l'épaule ?
"Elle a pas envie de se caser, on en a parlé, sujet suivant.
- Pourquoi tu réagis aussi vite ?"
Je jetais un regard interloqué à la brune.
"T'es vachement sur la défensive, détend toi un peu, je vais pas te manger. Je dis juste que Gene a eu une grosse peine de coeur alors forcément, elle veut pas se caser.
- Alors voilà, laisse la être prête.
- Tu sais, je veux pas te caser avec elle. Je sais que Gene souffrirait beaucoup trop d'une relation à distance. Je suis juste une fervente défenseuse de la relation pansement."
Je haussais un sourcil interloqué. Avais-je sparadrap d'inscrit sur le front ?
"Tu sais, y'a plusieurs étapes du deuil, et la rupture c'est pareil. Et y'a l'acceptation. Et là, Gene stagne à l'acceptation. Elle comprend qu'Aude était une connasse, elle l'a compris mieux que beaucoup. Mais elle arrive pas à passer à autre chose, elle continue de souffrir et elle le dit à personne. J'le vois bien, qu'elle a mal. Quand elle écoute en boucle ses chansons tristes là. T'as jamais fait de playlist pour pleurer ?
- Si, avouais-je.
- Bin Gene elle écoute la sienne, tout le temps. Et elle saigne, tout le temps. Et j'ai l'impression qu'elle arrêtera jamais de saigner. C'est pour ça que je pense qu'une relation pansement ça peut pas lui faire de mal."
J'étais interloquée par le discours de la brune. Concrètement, qu'attendait-elle de moi ? Que je laisse Gene me montrer ses coins préférés de Saint-Palais, qu'on mange des fraises au clair de lune et que je la laisse m'embrasser dramatiquement à la gare ?
"T'es en train de me soudoyer pour que je couche avec elle ? finis-je par lâcher, voyant qu'elle se complaisait dans son silence.
- Pas te soudoyer, soupira-t-elle. Te donner un petit coup de pouce.
- Je comprends pas."
Margot me fixa avec intensité et je me sentis mal à l'aise même derrière ses verres teintés.
"En gros, je pense que toi aussi t'as pas mal souffert dans le passé et ça te ferait pas de mal de voir que l'amour c'est pas forcément de la merde. Bon, c'est globalement de la merde, l'amour. Mais t'as une espèce de peur de l'engagement qui crève les yeux. T'as tourné autour de Mahaut toute la soirée pour l'envoyer chier juste après l'avoir embrassée."
J'avais le coeur noué mais elle ne s'arrêtait pas là.
"Alors je sais pas ce que t'as vécu et je veux pas te demander pourquoi t'es comme ça. Mais je veux que tu comprennes que l'amour ça peut aussi être chouette.
- Donc t'as pensé que la meilleure manière de faire ça, c'était me coller avec ta copine qui chouine aussi l'amour, parce qu'on aime les filles toutes les deux ? Désolée, je suis pas ton expérimentation, Margot."
La brune haussa les épaules.
"Je vous colle pas ensembles pour ça. Je vous colle ensembles parce que vous avez pas eu besoin de mon aide pour vous choper l'an dernier et que vous auriez moyen de vous aider à passer au delà de vos problèmes. C'est tout."
Sur ces mots, elle me planta là. Je ne réagis pas tout de suite, assommée par les révélations de Margot. J'avais peur qu'elle m'arrange des plans que je n'avais jamais demandé juste pour que tout aille comme l'adolescente aurait décidé.
Mais visiblement, Margot n'avait pas besoin de tirer les ficelles de nos marionnettes pour que Gene s'approche de moi. Ce que j'aurais fait en temps normal, sûrement. Mais le discours de Margot m'avait fait changer de point de vue.
J'avais l'impression de me réveiller de ces rêves terriblement gênants sous la couette avec quelqu'un que l'on n'avait jamais vu sous cet angle là. Toujours, les lendemains, la personne avait une tournure un peu étrange.
Geneviève se pencha vers l'eau claire et s'amusa à m'en asperger, rejointe par Noé et Augustin avec qui elle barbotait. Je me défendis en criant, toujours peu habituée au froid mordant de l'eau.
"Oh, tu fais la chochotte ! me rabroua Geneviève.
- Les filles, toutes des chochottes, singea Noé."
Ce qui lui valut une grande vague d'eau salée dans le visage. Gene rit aux éclats en voyant la grimace du garçon.
"Bien fait ! lui assénais-je avec un sourire fier."
J'eus mieux fait de me taire puisque quelques instants après je reçus une algue bulbeuse dans les cheveux.
Je coulais un regard assassin à Noé avant d'assimiler que c'était Augustin qui me fixait avec un air narquois.
La bataille se finit lorsque Gene me tira le bras.
"Je rêve toujours de ma bière, pas toi ?"
Je ne disais jamais non à une bière. Mais les mots de Margot me revenaient, incessants. J'avais l'impression qu'au lieu du coup de pouce qu'elle espérait donner, elle m'avait tirée en arrière. Je n'avais pas envie d'un rencard.
"J'sais pas, on peut proposer aux autres, aussi ?"
Gene haussa les épaules.
"Oui, pas de soucis. On propose à ton frère ?
- Certainement pas.
- Ok, on peut zapper Léna aussi, alors."
Je regardais les deux, inséparables. Deux d'un coup ? Mon frère avait visiblement plus de bagout que moi.
"Et puis Margot va sûrement pas vouloir venir non plus, Roman lui a proposé une soirée film. Y'a toujours Estelle et Gus. Ils peuvent dire oui. Les autres, c'est pas vraiment mes potes.
- Ok, Estelle et Augustin."
Elle me regarda un peu. Je crus qu'elle allait commencer à parler, mais finalement, rien ne sortit. Elle m'accorda juste un sourire.
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