7. Martin et les sangsues.
LE LENDEMAIN, mes parents étaient partis tôt. C'était le type de parents qui voulaient voir les failles des bâtiments en pierre, les musées de tout type, de la porcelaine de Limoges à l'huile sur toile en passant par les automates.
Je me réveillais donc quand ils étaient déjà partis, n'ayant alors pas à inventer quelque excuse pour camoufler ma bouche pâteuse et la fatigue que la décuve m'avait laissée.
En bas, le plan de Martin roulait sa cigarette, un grand verre de jus posé devant elle. Une seule chose que je pouvais remarquer : mon frère avait généralement bon goût. Pas toujours, mais il savait se débrouiller, la plupart du temps.
"Salut, me fit-elle, pas gênée pour un sou."
Elle glissa sa roulée entre ses lèvres et se leva ; j'entraperçus les bagues à ses dents. Elle avait cet aura qui émanait, ce regard assuré, confiant, un truc qui faisait qu'on avait envie de lui parler.
"Vous allez à la plage, c'est ça ?"
Je me rappelais alors que j'avais proposé à Martin de nous accompagner et étranglais un grognement : pourquoi la Rochelle bourrée avait-elle tant d'élan de sympathie envers son frère?
Martin, concentré à peler la peau d'une pêche, répondit mollement, peu assuré. Il me coula un regard et intercepta le regret qui plissait mon visage.
"J'sais pas trop, j'crois que j'ai des plans.
- Tu dois bronzer un peu ça, affirma Maëlys en pointant son torse blanc yaourt. Franchement, y'a déjà pas grand chose à faire à Saint-Palais, si en plus tu vas pas bronzer on est mal !
- Y'aura pas Anaïs, le prévins-je, acceptant sa présence."
Je me rappelais qu'il y'aurait sûrement beaucoup de monde et qu'après tout, je pouvais bien faire un petit effort. Même s'il me coûtait. Je savais que ça n'allait pas bien se passer. Je le savais mais toujours il parvenait à me prendre de pitié et le scénario se renouvelait sans cesse.
Moi gentille et stupide, lui profitant de ma naïveté me ruinant ma journée et moi qui finissait la soirée à pleurer comme une andouille dans ma chambre, promettant à mon coeur en colère de mieux le barricader la prochaine fois, de ne pas laisser son regard attendrissant fragiliser ma rancoeur.
"Anaïs comme Anaïs Kormann ? répéta Maëlys, les yeux plissés.
- Ouais, elle.
- Ohhh, elle.
- Quoi, elle ? s'énerva Martin."
Maëlys haussa les épaules.
"J'sais pas trop si c'est des rumeurs de jalousie ou quoi mais qu'est-ce qu'on en entend sur son dos à celle-là !
- Genre quoi ? demandais-je, avide de commérages.
- Déjà, tout le monde sait que son mec l'a trompée avec une seconde faussement torturée. Le genre de meufs qui se prend pour Baudelaire à poster des photos en train de fumer, qui se croit mieux que tout le monde et dont l'icône est Effy Stonem.
- Chaud, commenta Martin."
J'en avais entendu parler étant donné qu'Anaïs m'avait déjà raconté l'histoire, mais je ne savais pas le type de personne que cette seconde était.
"Du coup elle se serait tapé le meilleur pote de son ex pour se venger, sauf que c'était le plan cul de sa meilleure pote à elle. Y'aurait même des rumeurs de plan à trois, mais franchement, j'y crois moyen. Bref, elle a pas vraiment de potes, les seuls kékés qui lui parlent c'est parce qu'ils ont espoir que quelque chose se passe entre elle et eux et les filles aiment bien lui cracher dans le dos.
- Même Alizé ? demandais-je alors.
- Alizé ? ricana Maëlys. Je lui confierais même pas mon verre en soirée, c'est une égoïste de première. Avec Matho, on l'appelle le serpent."
Elle fit onduler son index pour illustrer ses propos.
"Elle t'aime bien, elle t'aime bien, tu penses que t'es la reine du monde à te faire apprécier d'Alizé parce qu'elle te fait te sentir bien, mais cette fille est d'une toxicité...elle se lasse de toi et te jette. Mais on continue à lui courir après, parce que quand on se sent apprécié de cette fille, on veut que ça continue.
- Je comprends pas les gens comme ça, soupirais-je."
Martin me jeta un regard pesant. Je ne sus ce qu'il voulait dire par ça, mais je pris assez mal le froncement de ses sourcils conjugués au jugement dans ses yeux.
Il en avait marre de me courir après ? C'était croire rêver.
"Ces gens là, on les déteste que quand ils sont désagréables, reprit Martin.
- Comment ça ?"
J'étais sur la défensive, prête à sortir les crocs. Maëlys alluma sa cigarette restée vacante entre ses lèvres trop longtemps.
"S'ils se lassent sans être odieux, on dira juste qu'ils se laissent vivre, qu'ils sont bons vivants, qu'ils ne se prennent pas la tête.
- Parce que c'est le cas. Un serpent, ça s'appelle comme ça parce que c'est venimeux. Les gens qui t'abandonnent sans être méchants, c'est pas des serpents, ça te crache pas du venin partout après.
- Non, t'as raison. C'est des sangsues. Ca te draine petit à petit, tu t'en rends pas compte jusqu'à ce qu'il reste plus rien de toi."
Je me sentais profondément vexée par cette comparaison, ayant l'impression qu'il m'assimilait à ce mollusque visqueux.
"Et...sinon...la plage ? reprit Maëlys dans un nuage de fumée."
Elle rompit l'échange de regards entre mon frère et moi et l'ambiance de plomb qui régnait dans la pièce.
"Je viens, affirma Martin."
J'allais protester mais je n'avais aucun droit à avoir. Les joues en feu et le ventre noué, je regrettais amèrement ma décision. Je ne savais pas quels étaient ses plans et comment allait se dérouler la journée mais j'appréhendais désormais, moi qui avait pour moto de ne jamais laisser les soucis et les inquiétudes bercer mon esprit.
Geneviève m'avait envoyé un message me disant qu'elles pouvaient venir nous chercher si on voulait, étant donné que nous n'étions pas d'ici. J'acceptais volontiers pour éviter le trajet pesant qui m'attendait avec mon frère.
Maëlys ne resta pas très longtemps. Martin grillait une cigarette avec elle et finalement elle partit avec un grand sourire, m'informant que c'était très chouette de me rencontrer.
"Tu boudes ? demanda mon frère.
- Pourquoi je bouderais ?
- Oh, j'en sais rien, moi."
Il avait un air faussement innocent collé au visage et je ne pus réprimer un grognement, sortant à mon tour une cigarette. Connard de frère irritant qui me tapait trop sur les nerfs pour que je puisse résister à l'appel relaxant de la nicotine.
Il me tendit son briquet et l'alluma, m'aidant à me noyer encore plus dans ce fleuve de colère dans lequel je pataugeais depuis ce matin.
"T'as pas mal au crâne ?
- Pourquoi j'aurais mal au crâne ?
- J'sais pas, peut-être parce que t'étais sacrément bourrée hier."
Un rire sarcastique crissa entre mes dents sans que je puisse le retenir :
"Aussi étonnant qu'il puisse paraître, je tiens mieux l'alcool que toi, cher frère.
- J'aimerais bien voir ça."
J'étais prête à le défier juste pour le voir perdre. Il y avait cette rivalité constante dans notre relation, ce besoin dévorant que j'avais à le voir échouer, à le voir mordre la poussière, comme si j'avais besoin de me venger de toute la souffrance qu'il m'avait infligée durant mon enfance. Il assurait que c'était de l'histoire ancienne, mais comment faire d'années de souffrance forgeant mon caractère volatile, ma peur de l'engagement, ma peur de faire confiance une histoire passée ?
Comment pouvais-je mettre son comportement de côté alors que si j'avais été enfant unique, je serais probablement la personne que mes amis attendaient de moi quand ils me parlaient. Une nana qui n'aurait peur ni de se confier, ni de s'engager et qui serait éperdument amoureuse de son copain à la vie bien rangée.
Je fus interrompue par une vibration dans la poche arrière de mon jean. Je vérifiais ce que c'était : un message de Gene qui m'informait qu'elle m'attendait devant chez moi.
"Tu viens à la plage, oui ou non ? lui dis-je, prête à partir."
Il me fixa, cet éclat de défi dans le regard qui ne présageait rien de bon.
"Ouais, j'arrive."
Mon ventre se noua à cet instant, terrifié à l'idée que Martin me ruine ma réputation, ma journée et peut-être le restant de mes vacances.
Les trois filles nous attendaient devant la maison de location. Geneviève, très étonnamment, avait une cigarette coincée entre les lèvres et ses cheveux châtains relevés en demi-chignon. Margot avait enfilé ses lunettes de soleil sur son nez et avait l'air de tirer franchement la gueule. Quant à Léna, elle s'était parée d'un grand chapeau de plage.
"Les filles, mon frère.
- Gene, se présenta la brune en le saluant d'un lever de la main.
- Margot.
- Léna, minauda la rousse avec un sourire."
Comme Anaïs, elle avait ce besoin dévorant de se faire bien voir par qui l'entourait. Un battement de cil, un gentil sourire, une fausse politesse dans un cri de détresse.
Nous arrivâmes à la plage et je reconnus le visage de Roman, Noé, un autre garçon et une petite blonde au carré bien coupé.
"Circé, se présenta-t-elle. La copine de Rémy."
Le garçon que je ne connaissait pas me fit un petit signe de la main.
"Eh, Circé, tu m'aurais pas jeté un sort ? Parce que je suis sous le charme, répondis-je.
- Etre une fille ne t'empêchera pas de paraître étrangement lourde, rétorqua Circé."
Mais à son sourire elle n'en semblait pas dérangée. Léna discutait activement avec Martin, me débarrassant de mon frère. Margot avait retrouvé l'épaule de Roman sur laquelle elle s'appuyait allègrement.
Nous fûmes rejoint une petite vingtaine de minutes par un autre garçon, chemise ouverte et bouclettes châtains, accompagnée par une grande fille au regard bleu gris.
"Gus ! s'exclama Gene en sautant du sable, en déversant partout autour d'elle, yeux de Noé inclus."
Le brun râla un grand coup en comparant Gene à une sale gosse infernale mais celle ci ne l'écouta pas, plantant un baiser sonore sur la joue de son ami. La fille à côté semblait plutôt gênée. Elle accorda au groupe un sourire cordial.
"Estelle, se présenta-t-elle."
Tout le monde se présenta dans une cacophonie de syllabes, puis finalement la brune prit place à côté de moi.
Gene passa le bras autour de son ami en claquant la langue contre son palais d'un son exagéré.
"Vous trouvez pas qu'il fait soif ici ?"
Automatiquement, Circé lui tendit une bouteille d'eau qu'elle avait dans son sac.
"Non, un autre type de soif.
- Il est treize heures, Gene, l'informa Margot en vérifiant l'heure sur son téléphone.
- Qu'est-ce que les vacances si il y a la notion du temps ? Gus, tu viens avec moi ?
- Euh...je vais pas boire, moi, grogna-t-il."
Gene roula des yeux.
"T'es vraiment pas drôle, soupira-t-elle. Les mecs, une binouze ?"
Tous nièrent sauf Rémy qui haussa les épaules. Circé plissa la lèvre. Estelle finit par lancer :
"Moi j'suis chaud.
- Ah, ça j'apprécie. Tu as ma bénédiction pour le mariage. Rochelle, Margot?"
Je ne tenais pas spécialement à finir complètement ivre à dix sept heures mais je comptais profiter de mes vacances. Du moment que je gérais ma consommation, tout irait bien, alors j'acceptais la proposition.
Elle finit par demander à mon frère et Léna.
"Est-ce que ma soeur boit ?
- Oui !
- Alors je bois aussi ! cria l'intéressé.
- Oooh, trop mignon, commenta Circé."
Je voulus grogner que ça n'avait rien de mignon et que c'était de la provocation plus qu'autre chose.
Finalement, les deux partirent.
"Elle est un peu trop confiante, cette nouille, commenta Margot.
- En même temps, elle passe, on lui donnerait dix-huit ans.
- J'trouve pas."
Je regardais le garçon qui s'était éloigné avec Gene et me tournais vers ma voisine, qui venait de sortir une cigarette.
"C'est ton mec ? m'enquis-je.
- Ouais."
Elle tâta la poche de son short avant de reprendre :
"D'ailleurs c'est lui qui a le feu, grogna-t-elle. Est-ce que t'en as un ?"
Je lui tendis mon magnifique briquet à motif citrons.
Elle ne semblait pas vraiment bavarde, sans avoir l'air totalement mal à l'aise.
"Laisse moi deviner, tu connais personne, c'est ça ?"
Estelle ne put réprimer un sourire et me regarda, en dépit du soleil qui fermait ses yeux.
"Non, pas vraiment. A part Gus et Gene, en fait.
- C'est vraiment son nom, Gus ? C'est dur pour un gosse.
- Non ! C'est Augustin. Mais tout le monde l'appelle Gus."
Je posais beaucoup de questions sans grand intérêt, sur ses connaissances ici, ce qu'elle aimait, ce qu'elle écoutait. J'étais en quelque sorte sa bouée de secours jusqu'à ce que son copain revienne.
Il y avait quelque chose qui m'intriguait chez cette fille, sans trop savoir quoi. Elle avait un mélange de timidité et d'aisance, une sorte de vulnérabilité qui émanait d'elle et en même temps une épaisse carapace qui lui assurait un air impénétrable.
"Ah ouais, tu vas à Lille l'année prochaine ? La chance, soupira-t-elle."
J'avais toujours apprécié l'ambiance qui régnait, dans les commérages de mes amis partis en séjour là-bas comme de ceux que mes parents recevaient. J'avais été comme magnétisée par cette ville, cherché des facs, des appartements, m'était agencé une vie là bas.
"Tu voudrais étudier où, toi ?
- Loin d'ici, c'est tout ce que je sais, ricana-t-elle. En vacances, c'est sympa, mais j'en ai un peu marre que tout le monde se connaisse. C'est pas très confortable pour vivre. Y'a des gens qui adorent mais moi je trouve ça oppressant.
- Si tu veux, je peux te dire si Lille c'est bien."
Son regard s'illumina. Je savais qu'elle ne croyait pas un mot de ce que je disais, que j'allais l'oublier à l'instant où je poserais le pied sur le béton, loin de cette plage. Elle n'avait sûrement pas tort, mais j'avais envie de croire que cette fois là, je serais capable de tenir contact avec elle.
En regardant le soleil briller dans le bleu sans nuages du ciel, la chaleur qu'il diffusait sur nos corps, j'eus l'impression que la vie n'était pas tant de problèmes qu'on le croyait.
réellement d'incapable d'écrire un bouquin sans inclure augustin et sa meuf oui (oui c bien déotile si vous êtes un peu perdus je vous conseille de lire ma partie « c'est quoi le problème avec déotile » sur on a fumé les étoiles)
la bise la bise
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