5. Mahaut et la peur.

   AU BOUT de quelques parties, tout le monde avait un coup dans le nez, sauf Lou, qui ne buvait pas. Victoire avait passé son précieux appareil autour du cou et mitraillait ça et là pendant que les autres étaient en train de parler.

    Je ne savais pas vraiment à qui parler. Après l'histoire de Gene, parler à Alizé ne m'intéressait pas vraiment. Hors, elle accaparait Anaïs, qui ne semblait pas s'en plaindre. Je remarquais que Victoire ciblait à peu près tout le monde, sauf Roman, qu'elle évitait soigneusement du regard. Ce dernier semblait en pleine conversation avec Noé, qui venait de taxer une cigarette à Margot, accompagnée de son acolyte Léna.

    Je ne pus m'empêcher de remarquer que la brunette se montrait très tactile avec Roman. Elle y allait aisément de sa petite main à l'épaule et s'appuyait franchement à lui par moments. Je n'avais pas réellement envie de les déranger et surtout je percevais des bribes de conversations animées sur le nouveau film Marvel, sujet auquel j'étais totalement hermétique. Quoique, vu le regard éberlué de Léna et Noé, je n'étais pas la seule.

    Je rejoignis alors Geneviève, qui discutait activement avec Mahaut et Lou, laissant les garçons ensembles avec Axelle.

    "Mais si, vous devez être dans la classe d'une de mes potes, s'exclama Geneviève. Enfin, on se parle plus vraiment pour des raisons un peu nulles.

    - C'est quoi son nom ? s'enquit Mahaut.

    - Heidi Journot. Petite brune avec une frange. Elle met beaucoup d'eye liner."

    Le regard de Lou s'illumina et elle battit la main sur le genou de Mahaut avec rythme.

    "Oui, tu sais, c'est la petite timide qui parle jamais, elle est toujours fourrée avec Lilian.

    - Oh, oui, répondit mollement Mahaut.

    - Elle est très gentille, lança Gene. Juste que c'est un peu compliqué de lui parler, mais ça vaut le coup.

    - On fera un effort ! assura Lou, ses yeux noisettes pétillant d'excitation. "

    La brunette semblait être une véritable pile électrique. Elle embraya sur un autre sujet qui ne passionnait vraisemblablement qu'elle, pendant que Mahaut appuyait sur elle un regard blasé. Geneviève, un peu perdue, s'efforçait de répondre avec enthousiasme mais avait perdu le fil de la conversation.

   "Je vais fumer. Qui m'aime me suive, ajouta la brune avec un sourire.

    - Désolée, je supporte pas l'odeur, déclina Lou."

     Et la petite brune s'éloigna, presqu'aérienne. Le visage naturellement bougon de Mahaut se fendit d'un soupir.

    "Ca va ? demandais-je en m'asseyant à côté d'elle.

    - Faut que je ralentisse un peu sur l'alcool, je crois."

    Elle ne semblait pourtant pas mal en point mais je voulais bien la croire. Je posais une main rassurante sur son épaule, lui demandant si elle voulait un verre d'eau.

    "Non, t'inquiète pas, c'est juste que... j'ai envie de garder le contrôle de moi même."

    Les paroles d'Anaïs me revinrent en tête. Le fait que Mahaut flippait. Les rumeurs de viol.

    "Tu sais, je comprends que tu sois prudente. J'aurais fait ça, aussi, si y'avait des rumeurs. Mais j'ai appris un truc, sûrement grâce à mon connard de frère. C'est que peut importe comment t'agis, peut importe ce que tu fais, c'est pas de ta faute. Ils vont toujours tout te reprocher. Tu sais, mon frère avait des potes chez lui, je rentrais de soirée, j'étais bourrée, ils m'ont traitée comme si j'étais un objet. Je partais un autre jour, j'étais en short, ils ont tous fait leur petite remarque. Faut pas que tu t'empêches de vivre pour des gens qui, de toute manière, vont toujours avoir une remarque à te faire."

     Le regard voilé de la brune s'illumina un petit peu. Elle commença à sourire : un sourire un peu faible, mais c'était déjà ça. Au début, c'était souvent le cas. Des petits sourires, le genre qui voulaient dire qu'on n'était pas d'accord, qu'on était fatiguées, qu'on voulait du changement.

    "Si tu vis pour leur plaire, t'auras une vie très chiante, assurais-je. Agis comme t'aimes agir, peut-être que tu séduiras pas la personne de tes rêves mais au pire des cas, tu inspireras quelqu'un à faire comme toi. Et ça, c'est vraiment bien aussi."

    Et je me penchais vers elle, lui glissant ce qui paraîtrait un secret à l'oreille. Ce n'en était pas réellement un, mais elle le reçut quand même.

    "Et puis, si t'as l'occasion, vise les couilles." 

    Je ne rompis pas la distance pour autant. Il y avait comme cet aimant ancré en elle, un truc qui me disait "ne bouge pas, ne bouge pas", alors je restais là, si proche de sa peau qui m'appelait, sa peau odeur vanille. Et je pouvais tout voir.

    Les petits clous de ses oreilles, la boucle fantaisie qui se balançait à son lobe. Les couleurs hasardeuses d'une tentative ratée de coloration. Les frémissements de sa peau contre mon souffle. Les mouvements rapides de sa paupière, alerte au moindre de mes mouvements.

    Et le débat intérieur. Devait-elle lâcher prise? C'était souvent la question épineuse, qui torturait les esprits des âmes qui se découvraient pour la première fois la majorité du temps. Jusqu'où maîtriser, si jamais maîtrise devait-il y avoir ? Et, le dilemme déchirant sa tête, sa respiration se pressa contre ma peau.

    Puis, je m'éloignais.

    C'était ça, qui m'amusait. De voir les filles frémir, ne pas oser, ou oser, justement. De voir l'effet que je faisais aux gens, de manière plus générale. C'était peut-être très présomptueux, d'assumer que je plaisais à qui me plaisait. J'en concluais que majoritairement, la confiance en soi séduisait pas mal. Ca ne marchait pas à coup sûr, mais c'est en ayant conscience de la valeur que j'avais que les autres la voyait.

    "Je vais me servir un verre, tu veux que je te ramène de l'eau ? insistai-je."

    Mahaut marqua un temps d'hésitation, puis me fixa, de ses grands yeux de Bambi.

    "Je te suis, me confirma-t-elle."

    Elle avait lâché prise.

    Et puis, il y avait eu des conversations, des mains qui s'effleuraient, des regards, des sourires, et d'autres conversations qui devenaient un peu plus floues, un peu moins cohérentes. Je ne savais pas vraiment ce que faisaient les autres, sauf Gene qui s'était invitée, trop ivre pour comprendre qu'elle dérangeait.

    Elle entortillait mes mèches cuivrées autour de son doigt en babillant, pendant que Mahaut faisait des sourires, ne sachant trop quoi dire.

    "Eh, Mahaut, tu sais quoi ? demanda Gene, levant ses grands yeux clairs sur la concernée.

    - Mh ?

    - Cette bombe là, je l'ai pécho ! s'exclama-t-elle, partant dans des grands éclats de rire."

    Elle passa les bras autour de mon épaule, ramenant mon front vers elle dans l'élan pour y plaquer un baiser sonore.

    Geneviève dans sa discrétion et son calme habituel, somme toute.

    "Ca fait un an, déjà. Le temps passe si vite..."

    Sa bouche s'arrondit dans un souffle exagéré, comme un pfiou d'avion qu'on mimait aux enfants.

    "Bientôt on va se recroiser, avec nos petits gosses, et on va se trouver bien connes parce que le temps aura passé trop vite et qu'on l'aura gâché à être triste pour des choses sans importance."

    Elle agrippa le visage de Mahaut, pressant les joues de la brunette contre ses pouces ; l'autre était dubitative mais laissait Gene planter son regard bleu dans le sien.

    "Faut pas que tu laisses les choses tristes te pourrir la vie, toi. Parce que dans quinze ans, les choses tristes te pourriront une vie fade, une vie dont t'auras même pas profité. Faut que tu me promettes que la vie, tu la vivras, que ta vie ce sera un truc qu'on enviera, qu'on te regarde et qu'on se dise que t'es une nana de roman, un truc comme ça, qu'on voudrait faire des films sur toi."

     Mahaut parut sincèrement touchée par ces paroles et émit le promis le plus assuré qu'elle pouvait faire avec ses quelques verres dans le sang.

    Puis Gene me regarda et me sourit.

    "Toi, j'ai pas besoin de te dire ça, t'es déjà une nana de roman. C'est sûr que dans quelques années les gens voudront faire des films sur toi, ou qu'ils tomberont amoureux de toi. Ou qu'ils t'aimeront à la folie derrière l'écran."

   Elle se leva subitement et m'embrassa la joue, toujours dans cette discrétion de fanfare.

    "Tu m'oublieras pas, quand le monde entier sera amoureux de toi, hein ?

    - Promis.

    - Bon, je vous laisse, j'ai des gens à appeler. Faut que je leur dise que je les aime. La vie est trop courte pour pas dire aux gens qu'on les aime."

   Elle s'éloigna en sautillant à moitié, le pas aérien et les manches de son tee-shirt suivant le mouvement fluide de son corps.

    "Sacré numéro, hein ? releva Mahaut en la regardant s'éloigner.

     - Sacré numéro, confirmai-je en reportant mon attention sur la brune.

    - Mais du coup...t'es sortie avec elle ?

    - Oulah, non, on s'est juste embrassées en soirée.

    - Oulah? répéta-t-elle."

    Je m'éclaircis la gorge, prête à répéter une énième fois ma vision de l'amour.

     "Je veux pas sortir avec les gens.

     - T'as pas peur de passer à côté de quelque chose, à penser comme ça ?"

    Elle semblait réellement curieuse et n'avait pas cet habituel mépris que les gens avaient : je savais souvent ce qu'ils pensaient. Salope. J'avais appris à ne plus avoir mal.

     "J'ai peur de passer à côté de gens. J'ai peur que quelqu'un me plaise plus que la personne avec qui je serais.

    - J'avais jamais vu les choses comme ça, concéda la brune, baissant le regard."

    Je voulais lui dire que ce n'était pas grave. Qu'à seize ans on n'avait pas tant la prétention de comprendre le monde. Et surtout, qu'on ne demandait pas aux autres de le comprendre. Le monde c'était ce truc épineux et tabou qui semblait différent pour tout le monde.

    Alors je posais ma main sur la sienne. Elle m'accorda un sourire en retour.

    "J'me sens un peu nulle, tu vois, parce que tout le monde me parle de couple et j'ai l'impression que c'est la chose la plus importante au monde, de tomber amoureux. Et j'ai jamais été en couple, alors...

    - Moi non plus.

    - Ouais, mais toi c'est pas pareil. Moi j'y connais rien du tout."

    Elle me désigna discrètement Axelle qui parlait toujours vivement avec Olivier et Tom.

    "C'est elle ma première pelle, tu sais. Parce qu'elle avait pitié de mon manque d'expérience.

    - Je vais te dire un secret, confiais-je alors, la voix très basse, si basse qu'elle entendit à peine sous les percussions de la musique."

    Elle me tira alors hors du salon et me guida jusqu'à la salle de bain, carrelée de bleu.

     "On entendra mieux, fit-elle, laissant la porte entrouverte pour que la lumière s'y tamise sans avoir à jouer avec l'interrupteur."

    Je la laissais s'appuyer contre le lavabo pendant que j'humectais ma bouche pâteuse du mieux que je pouvais.

    "Alors, j'ai pas eu beaucoup d'expérience, niveau des meufs, confiais-je. Autant, même les hétéros aiment bien embrasser en soirée et c'est drôle, autant ça va pas plus loin. Du coup, j'ai beau avoir des grands discours de liberté, j'ai pas vraiment couché avec beaucoup de meufs. Deux, en fait."

    J'appuyais ma main contre le rebord pour ne pas perdre l'équilibre, ce qui réduit ma distance avec Mahaut, qui ne broncha pas.

    "Et la première, c'était une nana d'un an de plus que moi, elle venait de se séparer avec sa copine après un an de relation, donc elle avait de l'expérience et pas moi, et je me sentais nulle, alors je lui ai dit que j'avais peur d'être mauvaise."

    Je pris une inspiration avant de lui confier ce que je n'avais raconté à personne ou peu de gens. Je n'aimais pas réellement dévoiler mes faiblesses aux gens, mes moments de doutes. Je voulais qu'ils me voient comme cet électron libre.

    "Et elle m'a dit que je lui plaisais. Et que c'est ce que je devais retenir. Et c'est ce que tu dois retenir. L'expérience, ça se gagne. Qui t'es, c'est le plus important."

    Je me penchais vers elle et lui demandait ensuite si je pouvais l'embrasser.

j'avais un peu envie de partager ce message final parce que c'est vrai que c'est quelque chose que j'me dis beaucoup et y'a toute une pression autour de la « nullité » qui sert selon moi pas à grand chose et je trouvais ça important d'en parler ✌🏼
j'espère que vous passez des chouettes vacances

K.

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