LE SOIR venu, Anaïs me prévint qu'elle passerait devant chez moi avec quelques unes de ses amies pour aller à la soirée ensembles. Alors que je finissais de me préparer, examinant jusqu'où sur ma cuisse remontaient le revers de mon short, Martin passa la tête à l'embrasure de la porte.
"Tu vas où ?
- Soirée.
- Ah, ouais."
Il ne partit pas. J'essayais de faire abstraction en choisissant soigneusement une paire de boucles d'oreilles, puis en retouchant mon rouge à lèvres, mais son regard pesait sur mes moindres faits et gestes et m'empêchaient de me concentrer.
"Qu'est-ce que tu veux ? soupirais-je, montrant mon courroux avec des sourcils froncés.
- Bin, j'voulais te proposer d'aller boire un verre, un truc. C'est vrai, quoi, on se voit jamais.
- Et c'est très bien comme ça."
Il haussa les épaules.
"T'as parlé à Anaïs ?
- Pour quoi faire, Martin ? T'es pas raide dingue d'elle, à ce que je sache. Trouve quelqu'un d'autre pour t'occuper et arrête de me saouler avec mon amie."
Je pouvais paraître agressive parce que je savais qu'il n'allait pas me lâcher la grappe. Pas tant qu'il n'aurait pas ce qu'il voulait. Et je ne voulais pas laisser transparaître ne serait-ce qu'une onde d'espoir.
Heureusement, la vibration dans ma poche arrière me délivra de l'insistance de mon frère et je me sauvais vers la porte d'entrée pour retrouver Anaïs et deux de ses amies. Je connaissais la première, Alizé, une petite brune à la forte poitrine et à l'air assuré.
Alizé me salua d'un petit hochement de tête tandis que l'autre, une grande brune aux yeux noisettes, me tendit la main avec un sourire avenant.
"Victoire, se présenta-t-elle.
- Rochelle, répondis-je en retour.
- Oh, c'est en hommage à la ville ?
- Ouais, j'crois bien. Sûrement que j'ai même été conçue là bas."
Alizé me répondit d'un sourire en coin, comme une validation, pendant que Victoire laissa échapper un gloussement.
"Faut qu'on aille au supermarché et après, zou."
Anaïs sortit de son porte cartes où s'entreposaient toutes sortes de cartes de fidélité, ses vieilles cartes de cantine et autres pour finalement sortir victorieusement une carte d'identité.
"Vous voulez prendre quoi ? demanda la rousse avec un sourire fier.
- Vodka, répondit instantanément Alizé comme si la question lui avait longtemps mûri dans la tête."
Anaïs et moi hochèrent la tête en même temps pendant que Victoire penchait plutôt pour quelque chose de plus doux. Finalement, après un détour par le supermarché, nous arrivâmes chez la dénommée Mahaut.
C'était une soirée presqu'exclusivement féminine, du moins lorsque nous arrivâmes. En nous voyant, l'organisatrice ouvrit des yeux ronds. Elle était plutôt mignonne : un carré inégal aux pointes rougies par une coloration visiblement passée : des mèches étaient roses, d'autres plus orangés, sur une base châtain qui faisait un étrange mélange, et elle maintenait ses mèches vagabondes par deux barrettes de chaque côté de son crâne.
Ses paupières étaient fardées de rose qui allaient avec son top vichy et elle portait un jean évasé. Des boucles d'oreilles fantaisies pendaient à ses lobes, faisant bon mélange avec les quelques bijoux d'oreilles qu'elle portait.
"Si tout le monde incruste autant de monde, on va finir la soirée à trente, soupira la jeune fille en guise de bonjour.
- On a ramené du rosé, tenta Anaïs avec un sourire embarrassé, brandissant la bouteille que Victoire avait insisté pour prendre au supermarché."
Mahaut haussa les épaules et nous fit entrer malgré tout.
"Victoire, tu voudras bien prendre des photos ? demanda la fille, se retournant vivement vers la concernée.
- Euh, bin, oui, j'ai mon appareil, bafouilla la brune en cherchant dans son tote bag."
Elle en sortit un appareil sûrement hors de prix. Je n'y connaissais rien en appareil photo et ne pouvait pas m'avancer, mais vu la taille de l'appareil, la jeune fille devait être passionnée.
Anaïs sourit en voyant son amie si confuse, elle qui avait l'air habituellement si assurée. Alizé, quant à elle, demanda où elle pouvait poser les bouteilles que nous avions acheté. Quant à moi, je regardais cette organisation mécanique et pourtant si aléatoire.
Je reconnus des têtes que j'avais déjà vu auparavant. D'autres que je découvrais pour la première fois. Et ces mêmes têtes me reconnaissaient.
On pouvait notamment relever la présence de Geneviève, que j'avais déjà rencontrée en soirée. A son grand sourire lumineux, elle était heureuse de me revoir. Je pouvais dire la même chose de mon côté, même si nous n'avions pas gardé contact, ç'avait été une agréable découverte.
Elle était en train de discuter avec deux amies à elle, que je me souvenais vaguement avoir croisé, même si dans ma tête, elles étaient de l'ordre du quatuor. Mais je ne voyais plus la blonde qui avait l'air de tout orchestrer et de tout décider à leur place. Restaient la brune à la frange, aux allures maussades et à l'attitude qui se voulait rebelle ou désinvolte - ou un sage mélange des deux, et la rousse gentille qui se laissait marcher sur les pieds pour se faire accepter.
Je n'avais plus leurs noms en tête, n'ayant pas passé beaucoup de temps avec elles. A dire vrai, c'était surtout la présence de Geneviève qui m'intéressait, à l'époque.
Elle écourta sa conversation avec ses deux amies pour s'avancer vers moi, un grand sourire aux lèvres.
"Je pensais pas te revoir un jour, s'amusa-t-elle."
Elle était aussi souriante que dans mes souvenirs - assez altérés par l'alcool je devais l'admettre. Ce sourire solaire la rendait très belle.
"La vie est faite de surprises, répondis-je avec un ton exagérément mystérieux.
- J'aime pas vraiment les surprises, mais c'est vrai que celle-là est bonne. Comment tu connais Mahaut ?
- On m'a incrustée.
- Oh, t'es des gens chiants qui sont pas prévus et piquent l'alcool des gens, alors ?"
Elle finit son gobelet et me décocha un de ses grands sourires habituels.
"En parlant d'alcool, on va se chercher un truc à boire ?"
Je la laissais me guider jusqu'à la table, où je retrouvais d'ailleurs Alizé qui glissa un coup d'oeil mauvais à Geneviève.
"Tu veux quoi ? me demanda la brune qui n'en tint pas compte."
Mais ma curiosité était titillée, aussi, dès qu'Alizé quitta la pièce, je me penchais vers mon amie potentielle en lui demandant les raisons de ce regard noir.
"Oh, ça ? Juste Alizé...qui fait son Alizé.
- Comment ça ?
- Ok, en seconde on était un groupe de cinq. Aude, Margot, Léna, Alizé et moi. Et puis je leur ai fait mon coming-out. Léna et Margot m'ont vachement soutenu, et puis Alizé... a très mal réagi. Aude a rien dit, elle."
Je ne pus m'empêcher de remarquer que ses mains tremblaient mais ne fit aucun commentaire, par politesse.
"Et puis en voyant qu'Aude réagissait pas, Alizé a fait un ultimatum. Vu que c'est Aude qui était un peu la reine du groupe, cette pétasse a sauté sur l'occasion. Elle a dit que c'était elle ou moi. Léna et Margot ont tout de suite pris ma défense et Aude a rien dit. Depuis, on traîne plus avec Alizé à cause de ça et elle m'en veut toujours à mort.
- Désolée mais pour moi, y'a deux connes dans l'histoire."
Geneviève me coula un regard infiniment triste qui contrastait avec tout le bonheur qu'elle radiait habituellement.
"Ouais, j'ai mis du temps à le voir, répondit-elle d'une petite voix éteinte."
Elle coupa court à la conversation en me servant une dose astronomique d'alcool et je dus réagir pour qu'elle s'arrête, sortant alors complètement Aude de ma tête.
"Et du coup, continuais-je, m'affublant de ce sourire mesquin de petite commère, tu vois quelqu'un, là ?"
Geneviève éclata d'un rire sonore. C'était sûr que si on prenait en compte nos antécédents, on aurait pu croire que je la draguais et que je voulais l'inviter à sortir.
"Boh, pas vraiment, vois-tu. J'ai encore mon ex en tête. Enfin, ex, c'est plus compliqué que ça.
- Ton ex ? C'est qui ?
- Aude."
En effet, ça avait l'air compliqué et même si l'alcool déliait sa langue, son visage était trop pincé pour se confier à une fille qu'elle avait rencontré l'an passé. Surtout si elle avait passé plus de temps à l'embrasser sur le canapé qu'à avoir de profonds débats philosophiques.
"Du coup, j'ai eu un plan cul, mais bon, je trouve que c'est vraiment pas pareil quand on aime la personne, alors... en fait, il me faudrait un plan affection. Tu sais, juste quelqu'un avec qui dormir, tout ça."
J'aimais autant avoir mon espace rien qu'à moi. J'avais déjà chaud pour un rien, alors autant ne pas me coller à un autre corps moite.
"Mais bon, c'est la vie.
- Ca te permettra de te recentrer sur toi-même, indiquais-je avec un sourire malicieux. Ca te fera plus de bien que tu crois.
- Ca fait depuis février que je suis célibataire et ça m'a pas fait autant de bien que tout le monde me le vend."
Sa remarque était amère mais je ne pus m'étendre dessus : quelqu'un venait de rentrer dans la pièce. C'était Mahaut, un gobelet sûrement vide à la main.
"Vous êtes chaud pour un jeu ? proposa l'organisatrice, beaucoup plus détendue qu'à notre arrivée."
Ce n'était pas réellement ma tasse de thé et ça dépendait réellement des gens dans la soirée. Comme nous étions une majorité écrasante de filles, j'en attendais des trucs moins puérils que ce à quoi j'avais assisté dans mes premières soirées alcoolisées, où les garçons découvraient leurs premiers pornos et étaient tout fiers de connaître le mot levrette.
Aussi je suivis Mahaut dans le salon en analysant rapidement les quelques garçons présents. Il y en avait un à l'air malicieux et aux yeux noisettes pétillants, un autre au regard intelligent et aux cheveux suffisamment longs pour effleurer sa mâchoire marquée. Un dernier, très maigre avec des boucles blondes qui lui donnaient des airs de chérubin. J'appris leurs prénoms sur le tas, parmi tout les autres : Noé, Olivier et Tom.
Et, alors que Mahaut brandissait son téléphone, sûrement pour lire les règles sur une application, la sonnette retentit. La brune se leva pour revenir une poignées de minutes plus tard avec un garçon très brun au regard perçant. Aussitôt, Victoire devint blême.
"C'est son ex, me glissa Anaïs à l'oreille, voyant que j'étais perplexe. Ca s'est très mal fini entre eux, elle l'a trompé, ils se sont engueulés, elle s'en veut, bref, ils se sont pas quittés en bons termes."
En effet, lorsque le garçon croisa le regard de la brune qui pesait sur lui, son sourire s'effondra. Il prit place à côté de Noé sans faire aucune remarque, cependant.
"Ok, alors...énuméra Mahaut qui n'était visiblement pas au courant de la bombe à retardement qui venait de s'asseoir sur son canapé. Qui joue ?"
Personne ne déclina, alors la brune demanda le nom de chacun.
"Donc, on a Margot, Léna, Geneviève, Alizé, Anaïs, Victoire, Rochelle, Noé, Olivier, Roman, Tom, Lou, Axelle et moi. Le compte est bon ?"
Je jetais un oeil à Lou, que je n'avais pas vraiment remarqué avant. Elle ne dépassait assurément pas le mètre soixante et avait une bonne paire de joues qui lui donnait un air d'enfant. Quant à Axelle, elle avait une coupe courte avec un volume au devant qu'elle avait teint en noir.
"Gene, corrigea Geneviève tout en relevant ses longs cheveux bruns en queue de cheval. Je préfère.
- Ca marche."
Et j'étais prête à jouer, pour un peu que je m'amuserais.
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