3. Johanna et la rupture.
J'ETAIS ASSEZ nerveuse de voir Johanna ce soir, étonnamment. Plutôt que d'admirer Rihanna ou Selena Gomez quand j'étais jeune, j'avais choisi la soeur d'Anaïs comme modèle.
J'avais toujours apprécié le cynisme corrosif de la rousse, sa vision écorchée de la vie mais son optimisme continu. Avec Annabelle, que je n'avais pas vraiment côtoyé et que j'étais encore trop jeune pour comprendre, c'était une des rares personnes que je connaissais qui assumait sa sexualité et qui m'avait fait comprendre que ce n'était pas tabou et qu'avoir plusieurs partenaires ne faisait pas des filles des personnes moins respectables.
Anaïs, en revanche, n'avait pas l'air aussi enchantée. Elle se dévoua pour aller chercher les verres pendant que Johanna me souriait.
"Ca fait longtemps, que j'ai pas été dehors.
- Dehors dehors?
- Non, dehors boire un verre, tout ça. Je faisais beaucoup ça, avant. Puis je te cache pas que mon copain qui meure dans un accident de voiture en rentrant de soirée, ça m'a refroidie. Il avait pas tellement bu, mais l'autre en face si, alors... enfin bref. J'ai vachement ralenti sur l'alcool."
Johanna sortit une cigarette de son étui avec un rire froid.
"De toute façon, c'est pas la première personne à qui je tiens qui crève.
- Je suis désolée pour toi...
- Oh, t'as pas à t'excuser, je voulais le larguer de toute manière."
Je laissais échapper un rire embarrassé et Johanna leva la tête, l'air songeur.
"Ca me manque un peu, l'amour, parfois.
- Il te manque ?
- Rochelle, c'est vraiment une question qu'on pose pas aux gens, ça."
Mais à son sourire je vis qu'elle n'était pas vexée. Johanna était une des seules personnes que je connaissais qui ne le serait pas, c'était pour ça que je lui avais posé cette question.
"Un peu. Forcément. Mais je voulais déjà le quitter et on se serait plus vus, donc ça change pas tant, quand on y pense. C'était surtout...brutal. De se dire que maintenant, c'était sûr, je le reverrais plus. Et on commence à regretter ce qui le faisait lui, alors que c'était exactement ces choses là qui m'agaçaient quand j'étais avec lui."
Elle tira une bouffée de sa cigarette.
"Mais c'est l'amour qui me manque, en général. Vu que je sors plus trop et que je reste chez moi, je prends plus le temps de faire des rencontres, j'ai plus envie d'être avec des gens. Mais je suis un peu comme Ana, en fait, ça me manque, d'avoir de l'amour. Genre des fois maman travaille et son copain vient à la maison et ils sont juste en train de regarder des trucs à la télé, ils s'en foutent, elle a la tête sur son épaule, il passe les doigts dans ses cheveux, et les voir comme ça, bah ça me rappelle que ça me manque."
A cet instant, Anaïs revint vers nous avec difficulté, portant les trois verres. Elle semblait toujours vexée que Johanna soit là.
Plus la conversation avançait, moins elle parlait. Johanna quant à elle sifflait sa pinte à vitesse grand V.
"Jo... se manifesta Anaïs, l'air assez embarrassée. Fais gaffe, quand même, avec ton traitement...
- Je fais gaffe, répondit Johanna d'un ton tranchant. Toi, tu devrais t'amuser un peu plus, par contre."
La cadette afficha une moue triste et quand bien même j'avais une tendance à toujours l'ouvrir, je ne savais ici pas quoi dire.
Johanna commença un débat à sens unique assez intéressant, mais la mine triste qui ne quittait pas le visage d'Anaïs me déconcentra du reste. Je tentais de croiser son regard, mais la rousse fixait avec insistance son verre et la glace pilée qui fondait doucement.
Finalement elle coula un regard à son téléphone et pris une mine paniquée.
"Faut que j'y aille. Ma pote Alizé a des problèmes de coeur... j'dois être là pour elle."
Elle se leva sans nous laisser le temps de dire quoi que ce soit, posa la main sur mon épaule en disant :
"On se voit demain à la soirée !"
Johanna la regarda faire en laissant échapper un soupir.
"C'est agaçant, cette manie qu'elle a, de bouder dès qu'elle est plus au centre de l'attention."
Si j'étais globalement d'accord sur le fait qu'Anaïs avait réellement besoin d'attention, je n'étais pas sûre que ce soit la raison de son départ. Elle avait cela dit une susceptibilité incroyable.
"Tu sais, Rochelle, c'est dommage que tu vives plus ici. T'aurais été une bonne pote pour Anaïs.
- Ouais, mais bon, Saint-Palais quoi."
Johanna laissa échapper un rire très franc mais aussi assez cynique.
"Ouais, j'vois ce que tu veux dire. Tout mes potes de lycée se sont taillés. Entre mon ex avec qui j'ai rompu parce qu'elle partait sur Nantes et que j'arrivais pas à tenir les relations à distance et une de mes seules vraies potes qui est quasi pas revenue depuis la fin du lycée... dès que tu te casses de cette ville t'y retournes jamais.
- T'as jamais eu envie de partir ?
- J'y pense tout le temps, mais...j'ai trop besoin d'Anaïs."
Je répondis d'une moue amère : la première chose que je voulais faire post bac était bien de m'émanciper et prendre un appartement, aussi petit et médiocre soit il, pour m'éloigner de Martin. Connaissant mes parents, ils étaient capables de me dire de partir étudier dans la même ville, ce qui m'angoissait franchement quand j'y pensais.
Non seulement il était insupportable, mais j'aurais du me coltiner la vaisselle et le ménage, les courses, le fait qu'il mange tout mes produits par flemme de s'en acheter lui et qu'il invite constamment son entourage pour traîner : je n'aurais donc jamais de liberté.
Voir une telle proximité entre les deux soeurs réveillait alors en moi une pointe d'envie très vite contrée par le mépris que je portais à mon frère.
"Et toi, Rochelle, t'as quelqu'un à Rouen ?
- Oulah, non merci ! m'exclamai-je. J'ai pas envie de m'encombrer de quelqu'un.
- T'encombrer, carrément ?"
Ca représentait bien mon avis des relations. Je comprenais que les gens aiment dormir en cuillère, s'embrasser au réveil en surmontant l'odeur de renfermé de leur haleine ; je comprenais qu'ils aient besoin d'avoir un humain avec qui aller au restaurant ou au bar, un humain à qui tenir la main, mais je ne trouvais pas l'amour très intéressant.
J'aimais le processus de séduction, cela dit. J'aimais le sentiment de plaire à quelqu'un, j'aimais voir les sourires en coin ou les paillettes dans le regard, j'aimais plaire et c'était peut-être encore plus terrible que d'aimer aimer.
"Je sais pas, j'aime bien la liberté."
Ils voyaient un cocon protecteur, je voyais une cage dorée.
Je repensais à son air triste quand elle avait abordé le sujet de son ex. Si je voyais une cage, ça ne voulait pas dire que tout le monde était de mon avis. Et plutôt que d'essayer de les convertir à ça, je voulais les voir heureux.
"Johanna ? Pourquoi tu pars pas à Nantes, si ton ex vit là bas. Vous vous êtes juste séparées à cause d'une relation à distance... peut-être que...
- T'sais, j'y ai déjà pensé, une fois. J'étais en pleine crise, j'ai fait mon sac pour Nantes, j'ai voulu prendre la voiture. Et Anaïs elle essayait de me retenir. Elle disait que j'allais me perdre, que maman allait me tuer si elle l'apprenait. Et la seule chose qui m'a fait rester, c'est quand elle m'a hurlé que Domitille était sûrement mieux sans moi."
L'alcool couplé aux antidépresseurs déliait sa langue encore plus que de nature, exacerbant sa sensibilité, et ses yeux de glace devinrent nuages gris, précurseurs d'averses.
"Et puis, je pense qu'on a fait notre bout de chemin ensembles. On s'est offert tout ce qu'on avait à s'offrir, maintenant faut juste qu'on avance. Et elle a avancé, elle. Faut juste que je fasse pareil."
Une pinte après, qui devait sûrement faire l'effet de cinq, Johanna déplorait sa vie. Elle déplorait le fait que malgré tout ses efforts, elle n'était pas la soeur qu'elle aurait aimé être pour Anaïs. Qu'elle n'avait pas été la copine qu'elle aurait voulu être pour Domitille. Qu'elle n'avait pas été l'amie qu'elle aurait voulu être pour Louise.
Je compris alors l'inquiétude d'Anaïs et sa réaction au comportement agressif de Johanna. Mon but n'avait pas été de lui mettre la tête à l'envers, et pourtant, elle remettait en question sa vie ; elle avait l'alcool très triste.
"Je crois que je suis rien de bien, pour personne.
- C'est pas vrai, Johanna, rétorquais-je rudement en lui tirant le bras pour la raccompagner chez elle.
- Qu'est-ce que t'en sais, toi. Tu me connais pas. Tu sais pas si je suis une vraie merde, avec les gens. Quoique, tu dois bien le savoir, Anaïs elle doit bien se plaindre de moi."
Elle était incroyablement molle mais ne protestait pas trop quand je la traînais tant bien que mal chez elle.
"Parce qu'elle se plaint pas de toi."
Le regard de Johanna s'embua de nouveau. Lorsque nous rentrâmes, Anaïs était seule, étalée de tout son long sur le canapé, en train d'appeler quelqu'un. Son discours était haché puisque je ne me concentrais absolument pas dessus, occupée à traîner la grande gigue d'un mètre soixante quinze qu'étais Johanna.
Je la fis s'asseoir dans la cuisine et appuyais sur tout les boutons de la machine à café pour l'aider à décuver. Anaïs, sûrement alertée par sa soeur qui geignait sans trop savoir si elle était très triste ou très heureuse ou les deux à la fois, finit par pointer le bout de son nez. Elle soupira longuement, pinçant l'arrête de son nez entre ses deux doigts dans un élan dramatique.
"Elle a beaucoup bu ?
- Deux pintes."
Anaïs soupira en voyant sa soeur qui, consciente que la rousse lui en voulait, ne faisait plus aucun bruit et se tenait le plus droite qu'elle pouvait en la fixant d'un regard vitreux.
"Maman va l'arracher. Et elle va m'arracher moi.
- Désolée, Naïs."
Johanna ressemblait à un enfant coupable affalée sur sa chaise, conscient d'avoir fait une bêtise.
Anaïs posa la main sur mon avant-bras avec un sourire penaud.
"Merci de l'avoir ramenée avant qu'elle soit torchée. Je m'occupe d'elle, maintenant."
Je savais reconnaître une manière polie de me foutre dehors et après m'être assurée qu'elle n'avait pas besoin de mon aide, je rentrais chez moi. Mes parents étaient ravis de me voir pour le dîner et je devais dire que, pour une fois, j'appréciais la simplicité de ma vie, avec mes parents pas exigeants et mon frère qui faisait ses conneries dans son coin sans que jamais je n'en subisse les conséquences par mes paternels.
fort navrée de ce retard je suis en vacances (genre jsu partie quoi) ducoup voilà mdrr
amusez vous bien
la bise,
K.
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