2. Anaïs et l'amour.
JE NE mis pas très longtemps à me préparer le lendemain pour rejoindre Anaïs. Les rumeurs étaient vraies : je m'éloignais le plus que je pouvais de ma famille.
Elle me proposa de passer chez elle. Et quand je passais la porte, je réalisais que j'oubliais tout le temps cette ambiance presque morbide qui planait. C'était une sorte de temple à Annabelle, la soeur aînée de la famille Kormann. Des photos d'elle étaient disposées un peu partout, ne laissant place qu'à une Anaïs de onze ans sur les photographies. Je me souvenais que sa mère n'avait pas touché à sa chambre et je me demandais si c'était encore le cas.
Au vu du regard pesant d'Anaïs qui essayait de me faire passer silencieusement un message, j'en conclus que oui. J'essayais alors de faire abstraction des photos sur le frigidaire pendant que mon amie me servait un café.
"J'ai eu des nouvelles de la soirée, précisa-t-elle. Je pense que je peux t'incruster, je connais la meuf. Elle est dans ma classe.
- Je suis sûre que t'as pas besoin d'être dans sa classe pour la connaître, vous vous marchez tous dessus dans ce village de merde.
- Pas faux."
Anaïs me tendit une galette à l'avoine et au chocolat, puis, voyant que je déclinais, y croqua à pleines dents. Elle m'expliqua alors en détail qui était cette dénommée Mahaut et me parla de qui d'autre était invité à la soirée.
"Je pense pas qu'il y ai beaucoup de mecs, précisa-t-elle. Mahaut a un super groupe de meufs mais elle traîne vraiment pas avec les garçons. Je crois qu'elle est un peu parano sur les bords, depuis que y'a eu une rumeur de viol dans l'autre lycée.
- Une rumeur de viol ?"
Cette information ne me faisait pas rire du tout. Je fronçais les sourcils, attendant qu'Anaïs précise son propos.
"En avril ils ont eu toute une conférence sur le consentement. Honnêtement, c'est vraiment bien qu'ils fassent ça, plutôt que les habituels "l'alcool c'est le démon!" qu'on entend tout les ans. Mais du coup ça en a intrigué quelques uns, surtout qu'ils avaient affiché des petites pancartes de rappel et tout. Par contre, super bien que le lycée se bouge le cul comme ça.
- C'est pas vraiment suffisant pour une rumeur de viol...
- Tu sais, je pense qu'au contraire, ça en dit beaucoup. Les adultes pensent toujours savoir tout faire. Ils disent qu'on en aura pas besoin. Si ils remettent ça en question, c'est forcément qu'il s'est passé un truc grave.
- Mouais.
- Et du coup, cette conférence ça a rappelé une soirée chez Anthony Angelin. Tu sais, le mec super mignon. Tu l'as sûrement chopé l'an dernier. Et une fille s'est rappelée qu'elle a croisé une fille allongée sur un lit, complètement bourrée, la ceinture débouclée, en train de pleurer. C'est que des petites coïncidences, mais ensembles, ça fait gros. Du coup ça a fait effet boule de neige et Mahaut flippe."
Je voulais avoir son avis, étant donné qu'Anaïs était une des personnes les plus sensibles que je connaissais.
"Et toi, t'en penses quoi ?
- Je sais pas...j'ai un mauvais pressentiment. Et puis...y'a tellement de femmes qui se font agresser voire violer...ça paraîtrait carrément naïf de croire qu'aucune personne que je connaisse se soit faite violer. Si c'est pas cette fille à la soirée, c'en est une autre."
A cet instant, Johanna nous rejoignit. Le regard éteint, elle me salua d'un faible sourire, l'air un peu hors du temps. Je savais que sa bipolarité faisait qu'elle avait des phases dépressives, mais la mort de son ex dans un accident de voiture ne devait pas vraiment la conforter dans son bonheur.
"Salut, Rochelle, finit-elle par me dire."
Elle sortit du pain de mie et du camembert du placard pour s'en faire un sandwich. Il était dix heures. Anaïs fit les gros yeux mais ne dit rien. Elle ne disait plus jamais rien, depuis l'accident. Johanna aurait pu vider l'intégralité du placard d'Anaïs que sa cadette aurait ruminé sans rien faire d'autre pour l'en empêcher.
"Vous parlez de quoi ?
- De viol.
- Quotidien féminin, quoi, ricana Johanna avec amertume."
Elle croqua à belles dents dans son sandwich. Elle semblait à la fois si en colère et si lasse, comme si la rage la maintenait en vie et l'éteignait en même temps.
Anaïs baissa les yeux, sûrement attristée de voir que quand la vie animait le regard bleu glacial de sa soeur, c'était pour parler de quelque chose d'aussi grave.
"Le pire, c'est toute cette intériorisation qu'on en fait. On se dit que céder à son partenaire qui veut coucher avec nous, c'est pas grave. On se dit qu'une main à la cuisse de notre voisin de classe, c'est pas grave. On se dit que se faire mater quand on met un short, c'est notre faute et surtout c'est notre quotidien."
Le regard d'Anaïs était encore plus bas qu'auparavant et je sentis mon coeur se serrer à cette vision. J'avais peur que ça ait rapport avec son ancien plan cul et potentiel mec, qui, par les quelques mots qu'elle avait utilisé pour le décrire, semblait être un profond connard.
"C'est chouette d'être en vie, hein ? commenta Johanna comme si de rien n'était. Vous avez quoi de prévu, ce soir ?
- Pas grand chose, répondis-je. On va à la place et après on voit.
- Si vous voulez, on peut aller boire un verre. Ca fait longtemps que je suis pas sortie."
J'échangeais un regard avec Anaïs, pour voir si l'idée lui plaisait. Personnellement, Johanna avait toujours été une sorte de modèle pour moi et j'étais séduite par l'idée. Anaïs finit par hausser les épaules.
"Tu dois pas genre, pas boire, avec ton traitement ?
- J'ai bien le droit de m'amuser de temps en temps, non ?"
Anaïs soupira, n'osant pas tenir tête à sa soeur aînée.
Finalement, Johanna engloutit le reste de son sandwich et sortit, passant les doigts dans les cheveux de sa soeur avec sa main propre.
Mais je voyais bien que la mine de mon amie étant encore chiffonnée.
"Ca va ?
- Oui, t'inquiète pas, marmonna la rousse."
Elle s'efforça à reprendre un sourire joyeux et dévora le reste de petites galettes.
"Je vais mettre mon maillot et on y va ?"
Alors je l'attendis, affalée sur le canapé du salon, lui aussi agrémenté de photos d'Annabelle, mais aussi des rares trophées qu'elle avait gagné en compétition et de son diplôme du baccalauréat. Le pire, dans tout ça, était que Johanna avait elle aussi eu son bac, avec une glorieuse mention bien en plus de ça. Pourtant, elle n'était pas fièrement exposée dans le salon familial. La seule chose qui faisait mention du nom de la rousse devait être sur les ordonnances pour ses anti dépresseurs.
Décidément, la famille Kormann était bien triste.
A la plage, je ne rencontrais pas Théodore comme Anaïs avait initialement proposé. Après le débat de ce matin, j'avouais ne pas ressentir l'envie de passer du temps avec un garçon. Je savais qu'il ne fallait pas tous les mettre dans le même panier et que s'il était amie avec Anaïs il était probablement cool ; mais rester loin des garçons semblait être un bon plan malgré tout.
A la place, je fis connaissance d'Oscar, son petit ami. Grand, souriant, des parents divorcés, un père américain, prévoyant, avait très envie de faire du volley. Je ne passais pas mon temps à lui faire ma conversation, étant à moitié somnolente le visage enfoncé dans ma serviette.
De ce que je voyais, ils étaient mignons, tout les deux. Il s'appliquait à mettre de la crème solaire sur la peau très claire de la rousse. Il la portait à l'eau pour l'y faire tomber. Un couple de base, sans problèmes, un truc dont Anaïs avait besoin, en fait.
Les voir comme ça me fit sourire. Il resta avec nous deux petites heures et l'embrassa sur le front avant de s'en aller rejoindre ses amis. La rousse me regarda par dessus ses lunettes de soleil, le minois barbouillé de sable et les cheveux mouillés d'eau salée.
"Et toi ? T'as pas envie de te poser ?
- Tu sais, pour l'instant, j'ai pas très envie d'être à une seule personne. Tu vois ce que je veux dire ? Peut-être que plus tard, j'aurais envie de coucher avec la même personne que depuis cinq ans, de voir son visage quand je m'endors et quand je me réveille aussi, et peut-être que je rencontrerais quelqu'un et que je me dirais que c'est ce que je veux, de glander en pyjama à enchaîner les séries avec. Mais pour l'instant, c'est pas ce que je veux.
- Je comprends ce que tu veux dire."
La fin de sa phrase présageait un mais. Et, en effet, Anaïs humecta sa lèvre inférieure avant de me regarder.
"Moi, ça a rien à voir avec les films et le cul. Ce qui est bien, avec Oscar, c'est qu'il me rassure. Et c'est pour ça que je sors avec lui."
Je n'osais pas lui dire que je trouvais sa raison bien triste. Il allait la rassurer jusqu'à s'en lasser. Et après, au contraire, il allait la remplir d'insécurités. Anaïs allait commencer à se demander ce qui n'allait pas, à s'observer de tout les angles devant le miroir, à palper ses cuisses devant le miroir, à se trouver quelque kilo en trop qui la rendrait supposément moins attirante, et ça allait se finir dans les larmes.
"Tu sais, meuf, faut vraiment que t'apprennes à t'aimer toi sans qu'un garçon le fasse."
Anaïs me coula un regard fatigué, comme si elle avait déjà entendu cette phrase une centaine de fois sans jamais l'écouter.
Puis elle coula un oeil à son téléphone et m'informa qu'elle allait rentrer prendre une douche et me préviendrait de l'heure du rendez-vous avec Johanna.
oui c lourd le roman « léger » aha désolée
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